Londres, 3 mai 2000

DARFOUR

SOUDAN - Le coût humain du pétrole

Par Amnesty International en mai 2000

http://mai68.org/ag/1122.htm
http://cronstadt.org/ag/1122.htm
http://kalachnikov.org/ag/1122.htm
Origine : http://web.amnesty.org/library/index/fraafr540012000

AMNESTY INTERNATIONAL
DOCUMENT PUBLIC

Index AI : AFR 54/001/2000
ÉFAI
Londres, mai 2000

Résumé(1)

La question du pétrole et du contrôle des gisements situés dans le sud du Soudan est au cœur du conflit armé qui continue de semer la mort parmi la population. Le pétrole est l’un des facteurs qui expliquent la reprise de la guerre civile en 1984, une guerre qui, jusqu’à présent, a fait près de deux millions de morts. La population la plus touchée est celle qui vit à proximité des champs pétrolifères, où forces gouvernementales et groupes d’opposition armés s’affrontent pour le contrôle ou la destruction des installations pétrolières. Depuis 1984, plus de 4,5 millions de personnes ont été chassées de chez elles, tant du fait des violations commises par les troupes gouvernementales que des exactions perpétrées par les forces rebelles.

Depuis le début de l’année 1999, les combats ont redoublé de violence dans les zones riches en pétrole et le nombre d’informations faisant état d’atteintes aux droits humains a suivi une courbe ascendante. Les destructions d’habitations, les homicides, les enlèvements et les viols ont poussé des dizaines de milliers de personnes terrorisées à fuir leur foyer.

Les compagnies étrangères jouent un rôle très important dans la production de pétrole au Soudan. Elles ont demandé aux forces gouvernementales d’assurer la sécurité de leur personnel et de leurs infrastructures, et ferment les yeux ou tolèrent que les forces gouvernementales violent les droits humains de la population locale au nom de la protection des intérêts de l’industrie pétrolière. Certaines compagnies sont protégées par des troupes comptant des enfants soldats dans leurs rangs.

Le présent rapport s’intéresse au lien qui existe entre les activités des compagnies pétrolières étrangères et les atteintes massives aux droits humains perpétrées tant par les forces gouvernementales que par les milices à leur solde.

Si elle ne prend pas position sur les questions touchant aux sanctions écono-miques ou autres, aux retraits de capitaux ou aux boycottages, Amnesty Inter-national estime néanmoins qu’il est de la responsabilité des entreprises de contribuer, où qu’elles se trouvent, à la promotion et à la protection des droits humains.
Amnesty International demande au gouvernement soudanais de condamner publiquement les atteintes aux droits humains commises par son armée, par les Forces de défense populaire (FDP) et par d’autres milices alliées au gouverne-ment, notamment les exécutions extrajudiciaires, les viols, les déplacements forcés et les enlèvements dont est victime la population civile vivant dans les zones de gisement de l’État du Haut-Nil occidental/Unity et dans les zones de conflit.

Amnesty International demande à l’Armée populaire de libération du Soudan (APLS) et aux autres groupes d’opposition armés de s’engager publiquement à respecter en toutes circonstances l’article 3 commun aux Conventions de Genève et le Protocole II qui s’y rapporte, et de prendre des mesures concrètes pour assurer la protection des civils dans les zones en guerre.

L’Organisation demande à la communauté internationale de condamner publique-ment les atteintes aux droits humains commises contre les civils dans le contexte de la guerre civile que connaît le Soudan, notamment les exécutions extraju-diciaires, les viols, les déplacements forcés et les enlèvements dont se rendent responsables l’armée soudanaise, les FDP et d’autres milices opérant pour le compte du gouvernement à proximité des champs pétrolifères de l’État du Haut-Nil occidental/Unity.

SOMMAIRE

Introduction : la population, victime du pétrole
Les racines du problème
Les atteintes aux droits humains commises au nom du pétrole

Le conflit militaire dans la région du Haut-Nil occidental

Le lien entre pétrole et atteintes aux droits humains

Qui exploite le pétrole au Soudan ?
Les constructeurs de l’oléoduc
Pétrole et sécurité

Les compagnies pétrolières face à leurs responsabilités

Des investissements en forte hausse – La recherche du profit passe avant la sécurité

Les dispositifs de sécurité mis en place par les compagnies

Les enfants soldats
Les sociétés privées militaires et de sécurité

Les normes internationales relatives aux déplacements forcés

Les garanties en matière de défense des droits humains
Le droit international humanitaire
Les Principes directeurs relatifs au déplacement de personnes à l’intérieur de leur propre pays
La famine, conséquence des déplacements forcés de population

Les recommandations d’Amnesty International

Introduction :
la population, victime du pétrole

Il semble que le pétrole ait été le facteur déterminant dans l’éclosion de mouvements de révolte et la création de groupes d’opposition armés comme Anyanya II et l’Armée populaire de libération du Soudan (APLS) en 1984. Dès ses premières opérations armées, l’APLS s’en est prise aux ouvriers de la compagnie pétrolière Chevron, qui envisageait de construire un oléoduc reliant les champs pétrolifères du Sud aux raffineries implantées à Port-Soudan, dans le nord du pays.

Le pétrole peut en outre être considéré comme le symbole du problème soudanais. La récente décolonisation, l’échec des tentatives visant à créer une nation et les affaires qui ne cessent de secouer le monde politique soudanais trouvent en effet un écho dans l’histoire de l’exploitation pétrolière au Soudan. La suprématie des facteurs économiques tels que la prospection et l’extraction du pétrole atteste que les décisions politiques sont subordonnées aux intérêts de l’économie mondialisée et fait également apparaître clairement les racines du conflit soudanais.

En publiant le présent rapport, Amnesty International souhaite faire comprendre la nature du lien qui existe entre les activités des compagnies pétrolières étrangères et les atteintes massives aux droits humains perpétrées tant par les forces de sécurité du gouvernement soudanais que par différentes milices agissant à sa solde. Les atrocités qui sont commises et les déplacements forcés d’importantes communautés locales s’inscrivent dans un contexte d’atteintes systématiques. Celles-ci sont autant le fait des forces de sécurité gouverne-mentales que des groupes d’opposition armés qui, pour contrôler, protéger ou détruire les infrastructures pétrolières, prennent pour cibles les civils résidant dans ces zones et aux alentours.

Les compagnies étrangères participent à l’activité lucrative que représente l’extraction du pétrole et attendent du gouvernement soudanais qu’il veille à la sécurité de leur environnement, ce qui implique notamment de recourir aux forces de sécurité pour protéger le personnel et les installations. De ce fait, Amnesty International pense que nombre de ces compagnies ne s’émeuvent guère des agissements des forces de sécurité et de leurs alliés, et qu’elles ferment les yeux sur les atteintes aux droits humains qui sont commises au nom de la protection des zones de production. Certaines compagnies auraient eu recours à des sociétés privées militaires et de sécurité, ou auraient fait appel à des forces de sécurité comptant dans leurs rangs des enfants soldats.

Le présent document vise à instaurer un dialogue avec les compagnies pétrolières étrangères, en mettant l’accent sur le rôle que ces compagnies devraient jouer pour améliorer la situation des droits humains dans les zones où elles sont implantées.

Les racines du problème

Le Soudan, qui est le plus grand pays d’Afrique, est en guerre depuis pratiquement cinquante ans. L’année précédant son accession à l’indépendance (1956), une guerre civile a éclaté. Hormis une période de paix entre 1972 et 1983, elle s’est poursuivie jusqu’à ce jour.

Ce pays d’environ 30 millions d’habitants s’étend du désert septentrional aux vertes régions du Sud, couvertes d’une végétation luxuriante, qui longent la frontière avec l’Ouganda. Sur le territoire qui constitue la ligne de démarcation entre le Nord et le Sud se succèdent riches pâturages, reliefs montagneux et fertiles, et immenses marécages.

À survoler le Soudan, on a l’impression que le pays est pratiquement inhabité. Il faut se rapprocher pour distinguer les petits groupes de cases et, encore mieux cachés, les campements d’éleveurs et les villageois. Les compagnies pétrolières implantées au Soudan se plaisent à dire que les zones riches en pétrole sont inhabitées et qu’en conséquence les allégations de déplacements massifs de population sont inexactes(2). Or, la réalité est toute différente.

On estime à près de deux millions le nombre de personnes tuées depuis 1983. Quant au nombre de personnes déplacées, il s’élève à plus de 4,5 millions. Ce déplacement revêt un caractère permanent pour certaines personnes et «temporaire» pour la plupart, bien que le terme «temporaire» soit un euphémisme si l’on considère qu’il peut désigner des périodes excédant quinze années. Par ailleurs, plus d’un million de Soudanais vivent en exil à l’étranger.

Actuellement, le pays est dirigé par un gouvernement militaire avec, à sa tête, le général Omar Hassan Ahmad el Béchir, qui s’est emparé du pouvoir en 1989 à la faveur d’un coup d’État militaire. Les auteurs du coup d’État étaient guidés par le projet de mettre en place un État islamiste dont les grandes lignes avaient été définies par Hassan el Tourabi. Ce dernier, ancien président du Parlement et dirigeant du Congrès national sous la présidence du général el Béchir, a été écarté du pouvoir après que celui-ci eut proclamé l’état d’urgence en décembre 1999.

Les civils sont les principales victimes de la guerre qui déchire le Soudan. La guerre «conventionnelle»(3) met aux prises l’armée régulière du gouvernement soudanais et l’APLS, la plus importante force d’opposition armée. L’«autre» guerre, à laquelle il faut attribuer la majorité des victimes, oppose diverses milices alliées au gouvernement ou à l’APLS. Les renversements d’alliances sont fréquents en fonction des intérêts des uns et des autres, qui sont animés par le souci de renforcer leur influence ou simplement d’obtenir des armes. On estime qu’au cours de ces dernières années, les affrontements entre les diverses factions actives dans le Sud ont fait plus de victimes que les combats contre les forces gouvernementales.

Le gouvernement peut compter sur son armée régulière, sur des membres de groupes ethniques armés par le précédent gouvernement des anciens présidents Sadiq el Mahdi et Jaafar Muhammed Nimeiri, ainsi que sur la milice des Forces de défense populaire (FDP) et ses moudjahidin, combattants du djihad (guerre sainte). Tous se battent au nom du gouvernement mais sont mus par des intérêts variés.

Soucieux de renforcer les effectifs des FDP, le gouvernement dispose d’une loi sur la conscription aux termes de laquelle toute personne désireuse d’entrer à l’université, d’être autorisée à passer les examens de fin d’année, de suivre un enseignement postscolaire ou d’obtenir un meilleur emploi doit suivre au préalable un entraînement militaire. Cette loi concerne aussi bien les hommes que les femmes, à cette différence près que les hommes sont envoyés sur le front tandis que les femmes ne participent pas activement aux combats. Les hommes envoyés sur le front dans les rangs des FDP, comme ceux qui font partie de la brigade récemment mise sur pied pour protéger les champs pétrolifères (connue sous le nom de Al Himat al Bitrol ou Brigade pétrole), sont mobilisés en tant que moudjahidin. On leur assure qu’ils sont chargés de défendre les vraies valeurs et qu’ils deviendront des martyrs s’ils meurent à la guerre.

L’objectif visant à maintenir le contrôle sur les zones riches en pétrole encourage vivement à rassembler les forces sur la base de critères ethniques. Il devient dès lors plus facile pour le gouvernement d’identifier parmi les chefs rebelles ceux qui sont ambitieux et avides de pouvoir, et de leur fournir des armes pour défendre les zones pétrolifères contre leurs anciens alliés de l’APLS. À leur tour, l’APLS et ses alliés choisissent de plus en plus souvent leurs combattants en fonction de leur origine ethnique.

Les combats entre les milices rebelles du Sud ont redoublé de violence après qu’un certain nombre d’anciens chefs de l’APLS eurent signé un accord de paix avec le gouvernement en 1997. La stratégie gouvernementale reposant sur le principe diviser pour régner se solde aujourd’hui par un bilan catastrophique en matière de droits humains pour la population qui vit dans l’État du Haut-Nil occidental, riche en pétrole.

Les atteintes aux droits humains
commises au nom du pétrole

« Désormais, ce ne sont plus seulement les forces armées mais toutes les catégories de la population qui protègent le pétrole. »
Discours prononcé en mai 1999 par le général et ministre de la Défense
Abd al Rahman Sirr al Khatim devant quelque 2500 moudjahidin des FDP
venus renforcer les effectifs de la Brigade pétrole récemment créée.

« Les forces armées, les Forces de défense populaire, les Forces de police d’Unity et les moudjahidin (combattants du djihad) se sont montrés capables de protéger les réalisations de la nation. »
Propos tenus en mai 1999 par le ministre de la Défense
lors d’une inspection des troupes dans les champs pétrolifères de Heglig(4)

Depuis le début de l’année 1999, des dizaines de milliers de personnes terrorisées ont dû quitter leur maison dans l’État du Haut-Nil occidental. Attaques au sol, hélicoptères de combat et bombardements aveugles à partir d’avions volant à haute altitude figurent parmi les moyens utilisés par les forces gouvernementales pour chasser la population locale des zones riches en pétrole. Ces déplacements massifs ont fait suite à l’utilisation de nouveaux matériels de guerre et au déploiement de nouvelles forces spécialement affectées à la protection des champs pétrolifères. La tactique employée par les forces de sécurité du gouvernement détruire les récoltes, voler le bétail et occuper le terrain vise à empêcher tout retour des personnes déplacées.

D’après certaines informations, les troupes gouvernementales ont ainsi fait le vide dans les zones situées autour de la ville de Bentiu en utilisant des hélicoptères de combat dont certains étaient, semble-t-il, pilotés par des soldats irakiens et en procédant à des bombardements en grappes à partir d’avions Antonov volant à haute altitude(5). En plus des attaques aériennes, les troupes au sol auraient chassé les gens de chez eux en se livrant à des atrocités : des villageois auraient été victimes d’exécutions massives, des femmes et des enfants auraient été cloués à des arbres à l’aide de gros clous de fer. Dans certains villages au nord et au sud de Bentiu, comme ceux de Guk et de Rik, des soldats auraient égorgé des enfants et tué des prisonniers, après les avoir interrogés, en leur enfonçant des clous dans le front à coups de marteau. En juillet dernier, à Panyejier, des personnes ont été écrasées par des chars ou mitraillées par des hélicoptères de combat.

Au début de l’année 1999, des villages situés au nord de Bentiu, comme ceux de Gumriak ou de Pariang, ont été vidés de leurs habitants. Mankien, Langkien, Neny, Duar, Koch, Toic et Leer comptent parmi les villages les plus touchés par les attaques depuis mi-99 et par les déplacements de population qui ont suivi. En juillet 1999, le Programme alimentaire mondial (PAM) a signalé que des dizaines de milliers de personnes qui avaient fui de chez elles en juin en quête d’un lieu sûr se sont retrouvées prises au piège dans les zones pétrolifères du Haut-Nil occidental(6). Au moins 20000 des personnes dont le PAM a signalé la «disparition» près des champs pétrolifères vivraient aujourd’hui dans les comtés voisins. La plupart sont allées jusqu’au Bahr el Ghazal et dans la région des lacs autour de Yirol. Plusieurs milliers de familles appartenant à l’ethnie nuer se trouvent à Pagarau, près de Yirol, ainsi qu’à Twic et à Ruweng, dans le Bahr el Ghazal. Dans les seules localités de Makuac et de Wuncuie, on compte plus de 10000 Nuer déplacés, venus de zones riches en pétrole.

D’après les recherches menées, dans les zones proches de Bentiu, des centaines de civils ont été tués, des centaines d’habitations détruites, et des milliers de personnes déplacées(7). Les raids effectués début 1999 dans le comté de Ruweng, au nord-est de Bentiu, ont fait des milliers de sans-abri. Ces opérations auraient été le fait des FDP et des moudjahidin.

Au sud-est de Bentiu, des milliers de personnes ont été chassées des villages entourant Koch et Leer en raison des combats opposant différentes factions nuer. Certaines milices à la solde de ces factions ont été approvisionnées en armes et déployées par le gouvernement. Les forces du dirigeant rebelle Paulino Matip se sont livrées à des attaques et à des raids pendant la première moitié de 1999. D’après Peter Gadet, qui servait comme commandant sous les ordres de Paulino Matip à l’époque de ces raids, les combattants ont exécuté sommairement un très grand nombre de civils, violé et enlevé des femmes, incendié et détruit des habitations. Lors d’un entretien qui a eu lieu au cours d’une visite d’Amnesty International dans le village de Wicok en octobre 1999, Peter Gadet a déclaré que ces atrocités visaient essentiellement à assurer la prise de contrôle des champs pétrolifères.


Le conflit militaire dans la région du Haut-Nil occidental

En 1997, le gouvernement a signé un accord de paix avec Riek Machar, un ancien chef de l’APLS qui, en 1991, avait décidé de se séparer du courant principal de ce mouvement. La coopération entre les troupes gouvernementales et les Forces de défense du sud du Soudan (FDSS) de Riek Machar garantissait la présence d’une force militaire supposée fidèle au gouvernement dans la zone pétrolifère de Bentiu située dans la région du Haut-Nil occidental (également appelée État d’Unity). Les FDSS ont été déployées autour du gisement, Riek Machar a été nommé ministre des États du Sud et il a pris ses fonctions à Khartoum, la capitale du pays. Le déploiement des FDSS visait à assurer que Riek Machar, lui-même membre de l’ethnie nuer, contrôle la population du Haut-Nil occidental, majoritairement nuer, qui considèrerait les FDSS comme une présence amie plutôt que comme une force d’occupation.

En avril 1999, cependant, le gouvernement a changé de stratégie. Il a envoyé ses troupes dans la zone en question ainsi que les forces d’un autre chef nuer, Paulino Matip. Tout en démentant tout contact direct avec ce dernier, le gouvernement lui a conféré une légitimité officielle en le nommant général de division de l’armée régulière. De violents combats ont éclaté, les autorités n’ayant pas informé Riek Machar, officiellement responsable de la sécurité dans cette zone, de ce nouveau déploiement. En janvier 2000, Riek Machar décidait de démissionner de ses fonctions, de se retirer de l’accord de paix et de retourner dans le Sud pour combattre les troupes gouvernementales.

Pour la population locale, la stratégie gouvernementale consistant à diviser pour régner s’est soldée par des destructions massives s’inscrivant dans le cadre d’une politique de la terre brûlée. Un très grand nombre de civils ont trouvé la mort, et des dizaines de femmes et de jeunes filles ont été violées par les combattants de Paulino Matip. Les milices armées ont incendié des villages, pillé des habitations et des fermes, volé du bétail et brûlé des récoltes.

Le lien entre pétrole
et atteintes aux droits humains

Qui exploite le pétrole au Soudan ?

La liste des compagnies pétrolières étrangères présentes au Soudan est longue et concerne divers pays. On compte aujourd’hui essentiellement deux consortiums actifs dans l’extraction de pétrole dans la région du Haut-Nil occidental.

La Greater Nile Petroleum and Oil Corporation (GNPOC) détient la concession des deux principales zones de production, Unity (Block 1) et Heglig (Block 2). Son principal partenaire au sein du consortium est la China National Petroleum Corporation (CNPC), propriété exclusive de la République populaire de Chine. La CNPC participe au projet d’exploitation à hauteur de 40 p. cent. Les autres partenaires principaux sont Petronas Bhd, une compagnie détenue par l’État malaisien, Talisman Energy, une société canadienne, et Sudapet, la compagnie pétrolière nationale du Soudan. Ces trois sociétés détiennent respectivement 30 p. cent, 25 p. cent et 5 p. cent des parts du projet. Récemment, la CNPC a proposé à des investisseurs internationaux une participation d’environ 10 p. cent dans sa filiale PetroChina, en partie pour éponger ses dettes, et elle a conservé le reste des parts. L’opération s’est déroulée sur les places boursières internationales, notamment à la Bourse de New York. Parmi les plus gros investisseurs ayant misé sur PetroChina figurait BP Amoco, une compagnie pétrolière britannique qui n’a pas réalisé d’investissements directs au Soudan (voir plus loin les propos tenus par son directeur, John Browne).

International Petroleum Corporation (IPC) est intégralement détenue par Lundin Oil AB, dont le siège est à Stockholm. En février 1997, la compagnie a signé un accord avec le gouvernement soudanais au sujet de la concession du Block 5A (29 412 kilomètres carrés). Détentrice de 40,357 p. cent des droits concernant le Block 5A, IPC est à la tête d’un consortium qui comprend Petronas (engagée à hauteur de 28,5 p. cent), la compagnie autrichienne ÖMV Sudan GmbH (26,125 p. cent) et Sudapet (5 p. cent). Toutefois, les activités sur le Block 5A ont cessé en mai 1999, lorsque les compagnies ont dû se retirer en raison des violents combats affectant la zone.
D’autres compagnies pétrolières sont présentes au Soudan : Agip (Italie) qui a signé un accord avec Petronas en décembre , Elf-Aquitaine (France), Gulf Petroleum Company (Qatar), National Iranian Gas Company (NIGC) et TotalFina (France). En outre, Royal Dutch Shell (Pays-Bas) possède une raffinerie à Port-Soudan.

Le ministre de l’Énergie, Awad Ahmed Eljaz, a annoncé en novembre que des compagnies pétrolières britannique, indienne, italienne, néo-zélandaise et pakistanaise étaient en concurrence pour obtenir de nouvelles concessions autour de la ville de Bor, située plus au sud par rapport aux zones actuellement exploitées. En mars 2000, le gouvernement a signé un nouvel accord de prospection avec un consortium constitué d’une joint-venture entre Gulf Oil Company (Qatar) et al Ghanawa (Soudan), présente à hauteur de 46 p. cent, de trois compagnies du Canada et d’Europe – dont on ne connait pas les noms – possédant également 46 p. cent, et de la compagnie nationale soudanaise Sudapet, qui détient 8 p. cent des parts. La nouvelle zone de la concession, qui couvre 70000 kilomètres carrés, s’étend du Haut-Nil à la frontière avec l’Éthiopie à l’Est.


Les constructeurs de l’oléoduc

La construction de l’oléoduc reliant le Sud au nord du pays a commencé en 1997 et c’est en août 1999 que l’oléoduc est finalement entré en activité. Au nombre des compagnies ayant participé à la mise en place des installations sur les champs pétrolifères et à la construction de l’oléoduc, citons Denim Pipeline Construction Ltd (Canada) et Roll’n Oil Field Industries (Canada). Les sociétés Weir Pumps Ltd et Allen Power Engineering Ltd, basées au Royaume-Uni, sont sous contrat pour la fourniture et la maintenance des pompes. L’oléoduc, long de 1600 kilomètres, a été en majeure partie construit par la République populaire de Chine. Plus de 500 kilomètres ont été fournis par Mannesmann (Allemagne), qui détient un tiers des actions du consortium Europipe. Celui-ci a vendu les conduits de l’oléoduc aux sociétés chinoises qui se sont chargées de la construction.

Le personnel employé par ces compagnies travaillait dans une zone connaissant de sérieux problèmes d’insécurité. L’oléoduc traverse des territoires qui se trouvent ou se trouvaient sur la ligne de front du conflit armé. Pour les besoins de la construction, la population locale aurait été déplacée sans être dédommagée. Selon certaines informations, des gardes armés de nationalité chinoise ont participé aux opérations de déplacement pendant la période de construction.


Pétrole et sécurité

« L’ouverture des marchés, l’exploitation efficace et durable des ressources, un développement économique régulier et une société ouverte constituent les conditions les plus favorables à la poursuite de nos affaires. Bien évidemment, ce que je dis va à l’encontre de l’opinion communément admise selon laquelle les entreprises préfèrent l’apparente stabilité des régimes répressifs plutôt que les incertitudes de la démocratie. En réalité, une stabilité édifiée sur la répression est toujours trompeuse. »
John Browne, directeur du groupe BP Amoco (Royaume-Uni) qui a acheté cette année des actions de PetroChina pour un montant de quelque 576 millions de dollars américains (environ 550 millions d’euros). La CNPC, compagnie pétrolière nationale chinoise détenant la plus grosse participation dans le principal consortium opérant au Soudan, possède environ 90 p. cent de PetroChina. BP Amoco a déclaré qu’elle était prête à investir jusqu’à un milliard de dollars (presque un milliard d’euros) dans PetroChina, ce qui représente quelque 20 p. cent des actions proposées. Amnesty International a demandé à BP Amoco d’user de son influence auprès de la CNPC pour promouvoir la protection des droits humains au Soudan.

« J’estime qu’une entreprise qui fait des affaires dans un pays au régime répressif ne doit pas apporter de financement ou d’autres ressources de nature à favoriser la perpétuation de méfaits ou d’atrocités. En tant qu’investisseurs à long terme, nous pensons qu’une compagnie qui n’attache guère d’importance à sa responsabilité morale et sociale représente un risque inacceptable en termes de placement. La campagne croissante de désinvestissement qui vise Talisman Energy en raison de sa complicité présumée dans les atrocités commises au Soudan n’est qu’une illustration parmi d’autres du risque dont je parle. »(8)
Alan G. Hevesi,
administrateur des fonds de pension de la ville de New York
et actionnaire de Talisman Energy

Le lien direct qui existe entre la nature de la guerre et les garanties de sécurité liées à la prospection pétrolière des compagnies étrangères est devenu évident lors de l’intensification des combats au début de 1999. Amnesty International a constaté que des atteintes flagrantes et systématiques aux droits humains étaient perpétrées dans les zones où des compagnies pétrolières étrangères détiennent des droits d’exploitation, que ces compagnies soient actives dans ces régions, avec du personnel sur le terrain, ou qu’elles s’en soient retirées, abandonnant leurs installations mais conservant leurs droits de production.

Amnesty International, d’autres observateurs internationaux, dont des journalistes, et des organismes internationaux d’aide humanitaire se voient interdire l’accès aux sites de production pétrolière qui se trouvent dans les zones en guerre. Toutefois, au cours de l’année dernière, l’Organisation a reçu de nombreuses informations faisant état de déplacements forcés et massifs de population ; elle a en outre recueilli des témoignages accusant les forces de sécurité gouvernementales et les troupes qui les appuient de procéder à des bombardements aériens et de mitrailler des villages à partir d’hélicoptères de combat. Amnesty International a ainsi recensé un certain nombre d’exécutions extrajudiciaires, d’homicides aveugles, d’actes de torture et de viols commis contre des personnes ne participant pas directement aux hostilités.

Amnesty International se heurte à des difficultés pour vérifier toutes les informations qui lui parviennent, car les combats se sont intensifiés dans la zone entourant les champs pétrolifères, une zone à laquelle l’Organisation ne peut accéder. Quoi qu’il en soit, les nombreuses informations dignes de foi que nous recevons attestent du caractère systématique des atteintes aux droits humains commises dans cette zone, comme nous l’avons mentionné plus haut.

Les sociétés pétrolières reconnaissent que le Soudan n’est pas un pays sûr. John Garang, dirigeant de l’APLS, a annoncé en août 1999 que le nouvel oléoduc, les champs pétrolifères et le personnel des compagnies pétrolières constituaient des cibles militaires légitimes pour son mouvement, qui ne se priverait pas de les attaquer.
Depuis qu’il est entré en activité en août 1999, l’oléoduc reliant le Sud au nord du pays a été attaqué à trois reprises au moins, essentiellement dans le nord-est du Soudan. L’offensive la plus récente s’est déroulée en janvier 2000. Elle était le fait du Congrès beja groupe d’opposition armé actif dans le nord-est du Soudan et qui fait partie de l’opposition armée de l’Alliance démocratique nationale (ADN) placé sous le commandement de l’APLS. Le Congrès beja a attaqué l’oléoduc dans la ville d’Haiya ; les pertes en pétrole ont été énormes. Les précédentes attaques avaient eu lieu dans la ville d’Atbara en septembre 1999 et près de la ville d’Erkowit en novembre de la même année.

Déterminées à protéger leurs opérations et leurs investissements, les compagnies pétrolières ont eu recours à diverses catégories de personnel de sécurité. Selon certaines informations, des sociétés privées militaires et de sécurité ont entraîné du personnel local embauché par les compagnies pétrolières.

Les compagnies pétrolières ne peuvent ignorer le lien existant entre la présence de pétrole et les combats, ne serait-ce que parce qu’il a un impact direct sur la sécurité de leur personnel. La volonté d’exercer un contrôle sur la production de pétrole en étant maître du terrain est au cœur de la guerre opposant le gouvernement aux forces d’opposition armées ainsi que du conflit entre les diverses factions des milices. Amnesty International demande aux compagnies pétrolières d’user de leur influence pour protéger la population locale.

Dans les années 80, la population locale a été déplacée de façon permanente des zones pétrolifères d’Unity et de Heglig – et du gisement 5A – exploitées à cette époque par Total et aujourd’hui par IPC. Les déplacements permanents ou temporaires de population locale se poursuivent. Les combats ont redoublé d’intensité dans les zones voisines de ces champs pétrolifères et les différents dirigeants de factions armées d’opposition – comme Peter Gadet, Riek Machar et Tito Biel – ont tous déclaré qu’un de leurs principaux objectifs militaires était de conserver le contrôle des zones riches en pétrole.

Lors d’une rencontre qui s’est déroulée en octobre 1999, le commandant Peter Gadet, qui venait de quitter les forces de Paulino Matip, a confirmé que le gouvernement s’était entendu avec ce dernier pour chasser la population locale des zones pétrolifères. Il a notamment déclaré : « En tant que Nuer, nous devons nous réconcilier dans cette région et prendre le contrôle de ce qui nous appartient. Si les compagnies continuent, nous attaquerons les gisements et nous nous en prendrons aux ouvriers. »

Nombre de voix s’élèvent pour accuser les compagnies de participer directement au conflit en cours en se rangeant aux côtés de l’une des parties, à savoir le gouvernement soudanais, en ce sens qu’elles attendent de celui-ci qu’il assure la sécurité et fasse régner l’ordre dans les zones touchées par la guerre. En fermant les yeux, au nom de la sécurité, sur les atteintes commises par les forces gouvernementales et les troupes qui les soutiennent, ces entreprises contribuent indirectement à la persistance des violations. Le silence observé par les puissantes compagnies pétrolières face à l’injustice et aux atteintes aux droits humains ne peut être considéré comme la manifestation de leur neutralité.

Les compagnies pétrolières
face à leurs responsabilités

Amnesty International ne prend pas position sur la question de la prospection de pétrole ou sur celle des activités commerciales. L’Organisation s’interroge néanmoins sur le rôle joué par les compagnies qui deviennent dans les faits les bénéficiaires d’un conflit au cours duquel sont perpétrées des atteintes aux droits humains. Les violations commises au Soudan sont de grande ampleur et affectent en premier lieu des personnes qui ne prennent pas directement part aux hostilités. Amnesty International estime que les compagnies, du fait de leurs activités pétrolières, sont responsables de la façon dont la population locale est traitée.

Il n’est pas toujours possible d’établir un lien direct, une relation de cause à effet, entre la prospection ou les activités d’une compagnie pétrolière et les violations commises dans l’aire géographique où se déroulent ces activités, qu’il s’agisse du bombardement aveugle de civils ou de déplacements forcés. Il n’en demeure pas moins qu’Amnesty International s’inquiète du fait que la prospection puisse servir de justification au déplacement forcé de la population locale par les forces de sécurité qui, pour parvenir à leurs fins, commettent des atteintes aux droits humains.

Certaines compagnies participant au Soudan à des activités de prospection, de forage, de production ou d’entretien des champs pétrolifères ou de l’oléoduc ont opéré par le passé dans des zones de conflit armé dans d’autres régions du monde, et elles ont conscience des risques que ces activités font courir à leur réputation collective.

Les atteintes aux droits humains commises au Soudan dans les années 80 contre des membres du personnel de compagnies pétrolières auraient dû susciter l’inquiétude des compagnies qui, dans les années 90, se sont associées pour exploiter les ressources pétrolières du pays. Chevron a ainsi dû suspendre ses activités après l’enlèvement puis l’exécution, par l’APLS en mars 1984, de trois de ses employés expatriés.
Une compagnie travaillant dans une zone de conflit armé intense est responsable des risques mortels qu’elle fait courir à son personnel du fait des liens qu’elle entretient avec l’une des parties au conflit. Amnesty International estime en outre que les sociétés pétrolières ont aussi des responsabilités envers les personnes vivant dans la zone où elles opèrent. L’Organisation invite par conséquent les compagnies à entamer un dialogue avec la population résidant sur les lieux d’activité.

Amnesty International pense que le respect des droits humains devrait être une préoccupation centrale pour toute entreprise travaillant dans un contexte de guerre, comme c’est le cas dans le sud du Soudan. L’Organisation considère que l’intérêt des compagnies (réaliser des bénéfices) et celui du gouvernement (accroître les recettes de l’État grâce aux revenus du pétrole) ne seront jamais mieux satisfaits que dans un environnement où la sécurité est assurée et les droits humains respectés. Cela doit passer par la sécurité et le bien-être de la population locale, et par le refus de fermer les yeux sur les violations des droits humains commises par les forces de sécurité.


Des investissements en forte hausse – La recherche du profit passe avant la sécurité

Jusqu’à une époque récente, les investisseurs étrangers montraient quelque réticence à venir au Soudan, car la sécurité de leurs employés et de leurs investissements ne pouvait pas être assurée en permanence. De plus, nombre d’investisseurs étaient désireux d’éviter toute publicité négative découlant de leur coopération avec un gouvernement connu pour son triste bilan en matière de droits humains. La situation a toutefois changé depuis l’année dernière. Le pétrole et les revenus qu’on peut en attendre ont décidé les investisseurs à ne pas tenir compte de la mauvaise image du gouvernement soudanais et à tirer profit des prédictions optimistes selon lesquelles la croissance du pays sera alimentée par l’industrie pétrolière.

L’ancien ministre des Finances, Abdel Wahab Osman, a annoncé en 1999 que les exportations de pétrole du Soudan représenteraient, l’année suivante, 21 p. cent des revenus de l’État. Avant 1999, le Soudan importait jusqu’à 360 millions de dollars américains (environ 350 millions d’euros) de pétrole par an(9). Abdel Wahab Osman estimait que les recettes pétrolières allaient procurer à l’État soudanais un revenu s’élevant à 1,2 milliard de dollars américains par an (environ un milliard d’euros).

Le 30 août 1999, le président el Béchir inaugurait l’ouverture de l’oléoduc, long de 1600 kilomètres. On estimait qu’il pourrait acheminer quelque 250000 barils de pétrole par jour de la région du Haut-Nil occidental, dans le Sud, jusqu’au principal port du pays, Port-Soudan, et aux raffineries du Nord. Depuis la première expédition de pétrole par bateau à partir de Port-Soudan en septembre 1999, l’oléoduc a subi au moins trois attaques des forces de l’opposition armée.

Il existe un lien évident entre cette nouvelle manne pétrolière et la capacité du gouvernement à acheter des armes. Le jour même de l’expédition par bateau des 600 000 premiers barils de pétrole, une cargaison de 20 chars polonais T-55 arrivait à Port-Soudan, également par bateau(10). Ce chargement en provenance du gouvernement polonais constituait une violation de l’embargo sur les transferts d’armes vers le Soudan, décrété par les Nations unies et appliqué de longue date. D’après certaines informations, d’autres transferts d’armes vers le Soudan ont eu lieu en provenance de la Chine et de la Bulgarie(11).

Les dispositifs de sécurité
mis en place par les compagnies

Amnesty International attend de toutes les compagnies qu’elles contribuent à créer un environnement où les droits humains seront compris et respectés. L’Organisation ne condamne pas les compagnies qui travaillent dans des pays où les violations sont nombreuses, mais elle leur demande de lutter contre certaines atteintes spécifiques et de promouvoir le respect des droits humains.


Les enfants soldats

Des informations de plus en plus nombreuses indiquent que ceux qui sont chargés d’assurer la sécurité des compagnies pétrolières emploient des enfants soldats. Un ancien commandant des forces du dirigeant rebelle Paulino Matip forces dont s’est servi le gouvernement pour protéger les installations pétrolières a déclaré à Amnesty International que l’utilisation d’enfants soldats était monnaie courante. Lors d’une visite à Khartoum en février 2000, des délégués de l’Organisation ont recueilli des informations selon lesquelles des enfants sont ramassés dans les rues de la capitale puis enrôlés de force dans les rangs des FDP. L’âge minimum légal pour être recruté dans les FDP est de seize ans. Les parents de ces enfants ne sont pas mis au courant ; en outre, la plupart des jeunes recrues sont envoyées sur le front(12).

Les compagnies pétrolières devraient veiller à ce que leurs activités ne soient pas protégées par des forces de sécurité utilisant des enfants soldats. Amnesty International estime qu’on peut raisonnablement attendre de ces compagnies qu’elles se renseignent sur les dispositifs de sécurité mis en place autour de leurs installations et qu’elles dénoncent toute utilisation d’enfants soldats.

D’après la Convention n°138 sur l’âge minimum (1973) de l’Organisation internationale du travail (OIT), « l’âge minimum d’admission à tout type d’emploi ou de travail qui, par sa nature ou les conditions dans lesquelles il s’exerce, est susceptible de compromettre la santé, la sécurité ou la moralité des adolescents ne devra pas être inférieur à dix-huit ans ». La Convention n°182 de l’OIT(13) concernant l’interdiction des pires formes de travail des enfants et l’action immédiate en vue de leur élimination dispose, dans son article 2, que «le terme "enfant" s’applique à l’ensemble des personnes de moins de dix-huit ans»(14) (13) et, dans son article 3-a, que le «recrutement forcé ou obligatoire des enfants en vue de leur utilisation dans des conflits armés» représente l’une des «pires formes de travail des enfants». L’article 1 de la Convention n°182 invite tout État qui ratifie ce texte à « prendre des mesures immédiates et efficaces pour assurer l’interdiction et l’élimination des pires formes de travail des enfants et ce, de toute urgence ». La Convention précise que le terme «enfant» s’applique à l’ensemble des personnes de moins de dix-huit ans (article 2) et les pires formes de travail des enfants sont ainsi décrites : « Toutes les formes d’esclavage ou pratiques analogues, telles que la vente et la traite des enfants, la servitude pour dettes et le servage ainsi que le travail forcé ou obligatoire, y compris le recrutement forcé ou obligatoire des enfants en vue de leur utilisation dans des conflits armés » (article 3-a).

Amnesty International s’oppose à la participation des enfants aux hostilités : il s’agit d’une violation des droits fondamentaux des enfants dont les responsables sont aussi bien les gouvernements que les entités non gouvernementales.


Les sociétés privées militaires et de sécurité

Selon certaines informations, des moudjahidin venus d’Afghanistan et de Malaisie ont été utilisés pour protéger le personnel et les biens de compagnies participant à la construction de l’oléoduc. On peut dès lors se demander dans quelle mesure les solutions trouvées par ces compagnies pour assurer leur sécurité sont conformes aux normes internationales.

En outre, les informations selon lesquelles des sociétés privées militaires et de sécurité auraient, dans le passé, conseillé et entraîné les troupes des FDSS, alliées au gouvernement, soulèvent de nouvelles questions quant à savoir dans quelle mesure les opérations pétrolières contribuent de façon directe ou indirecte au conflit. Le gouvernement nie avoir fait appel à des compagnies privées militaires et de sécurité pour former les FDSS auparavant dirigées par Riek Machar et les forces de Paulino Matip à la protection des champs pétrolifères.
Selon d’autres informations, des hélicoptères pilotés par des pilotes étrangers auraient été utilisés pour transporter les troupes de Paulino Matip sur les lieux où se déroulaient des combats ; ces troupes se seraient livrées à des atrocités contre des civils à Leer(15).

La compagnie Talisman Energy (anciennement British Petroleum-Canada), dont le siège est au Canada, a racheté une concession à Arakis, autre compagnie pétrolière canadienne. Rompant avec les méthodes d’Arakis, qui aurait utilisé dans les années 80 les services d’une société de sécurité privée dénommée Executive Outcome, Talisman Energy a demandé à l’État de faire respecter l’ordre. Afin de satisfaire à cette demande et de fournir à la compagnie une protection suffisante, le gouvernement a fait appel à des soldats de l’armée régulière – qui auraient été entraînés par une compagnie privée militaire et de sécurité –, à des milices armées et aux combattants des FDP.

IPC aurait embauché une équipe locale de sécurité principalement constituée de combattants nuer de la région, qui auraient été entraînés par une compagnie privée militaire et de sécurité. Par la suite, IPC a suspendu ses opérations en raison du climat d’instabilité régnant dans la région. Compte tenu des incessants renversements d’alliances entre milices locales, IPC ne pouvait plus compter sur la protection de ces milices.

Une compagnie pétrolière chinoise a conclu un contrat avec le gouvernement soudanais pour assurer la protection de ses activités. Wang Guoqing, vice-président de China Petroleum Engineering and Construction Group Corporation, a déclaré à un journaliste en décembre 1999 : «L’armée soudanaise devait les protéger contre les attaques de la guérilla quand ils construisaient les puits de Heglig et d’Unity. Nos ouvriers sont habitués à vivre à la dure, ils sont capables de travailler treize ou quatorze heures par jour pour très peu d’argent. La qualité n’est pas excellente, mais cela coûte moins cher.»

Les civils soudanais qui ont survécu aux attaques menées au sud de Heglig et qui ont fui à travers la région de Wicok ont affirmé que les ouvriers chinois étaient armés et semblaient prêts à faire usage de leurs armes. Selon d’autres informations en provenance de la zone de Heglig, des travailleurs chinois auraient commis des viols.
La violence et l’instabilité qui règnent aujourd’hui dans nombre de pays ont conduit certaines compagnies à défendre leur personnel et leurs biens en embauchant des gardes armés ou en concluant des arrangements avec les forces de sécurité de l’État. Lesdits arrangements peuvent ensuite déboucher sur des atteintes aux droits humains.

Toute entreprise doit s’assurer que son personnel et les éventuelles forces de sécurité qu’elle emploie ont reçu un entraînement approprié et s’engagent à respecter les normes et directives internationales en matière de recours à la force, notamment le Code de conduite pour les responsables de l’application des lois (ONU) et les Principes de base sur le recours à la force et l’utilisation des armes à feu par les responsables de l’application des lois (ONU). Ces normes définissent de façon stricte le cadre dans lequel la force et les armes à feu peuvent être utilisées ; en outre, elles imposent l’ouverture d’une procédure de rapport et d’enquête lorsque le recours à une force minimum devient nécessaire.

En ce qui concerne les compagnies pétrolières étrangères implantées au Soudan, Amnesty International estime qu’elles devraient examiner les antécédents de ceux qui assurent leur sécurité. Les entreprises doivent vérifier que les personnes chargées de les protéger n’ont pas participé à des atteintes aux droits humains telles que des exécutions extrajudiciaires ou des homicides commis sans discrimination, des actes de torture ou toute autre forme de traitement ou châtiment cruel, inhumain ou dégradant, ou bien encore des déplacements forcés. Le silence des compagnies suppose de leur part une tolérance à l’égard des atteintes aux droits humains et entretient un climat d’impunité, personne n’ayant à rendre de comptes pour les homicides, les viols et les destructions d’habitations. Il est de la responsabilité collective des compagnies qui exploitent la richesse pétrolière du Soudan de veiller à ce que leur présence dans les zones de production de pétrole n’engendre pas de nouvelles violations dans le contexte de guerre, ni ne donne lieu à de nouveaux déplacements forcés de civils.

Les risques encourus par les entreprises en termes d’image sont élevés, ce qui signifie que leurs actionnaires peuvent leur demander de rendre des comptes au sujet de leur politique d’investissement. Amnesty International en appelle à ces actionnaires afin qu’ils demandent à leurs compagnies de rendre des comptes sur les conséquences de leurs activités sur la situation des droits humains.

Les normes internationales
relatives aux déplacements forcés

Dans le conflit soudanais, les causes des déplacements de population illustrent parfaitement une tendance observée de plus en plus fréquemment dans le monde, à savoir que la violence s’exerce moins entre les groupes armés qu’elle n’est exercée par ces groupes armés contre des personnes qui ne participent pas directement aux hostilités. Les attaques armées directes ou les menaces d’attaques armées contre des civils sont la première explication des déplacements de population à l’intérieur du Soudan. Dans un contexte où les civils sont la cible de telles attaques, il serait possible de réduire sensiblement les déplacements de population si les combattants respectaient les règles fondamentales du droit international relatif aux droits humains comme celles du droit international humanitaire.

Le droit international n’autorise les déplacements forcés de population que dans des circonstances extrêmement limitées, et seulement de façon temporaire. Dans les rares cas où ces déplacements sont autorisés, les parties au conflit se doivent d’observer toute une série de règles qui visent globalement à assurer la sécurité des personnes déplacées contre leur gré. Cela étant, force est de constater qu’il n’existe aucun élément juridique justifiant le type de déplacement qui se produit au Soudan, où des personnes sont contraintes de fuir afin que soient préservés les intérêts économiques liés au pétrole.

Dans le conflit que connaît aujourd’hui le Soudan, les forces soudanaises et les groupes d’opposition armés doivent tenir compte des principes relatifs à la défense des droits humains comme des normes du droit international humanitaire. En tout premier lieu, toutes les parties au conflit doivent s’interdire de déplacer la population de force, et se faire un devoir de protéger la vie et la dignité des personnes. Le droit international coutumier s’est également élaboré sur la base de l’interdiction absolue de perpétrer des attaques directes contre les personnes déplacées et d’autres civils.


Les garanties en matière de défense des droits humains

Un gouvernement qui se rend responsable ou qui tolère des déplacements massifs de ses propres citoyens déroge aux obligations qui sont les siennes au titre de la Charte des Nations unies, laquelle impose à tous les États membres de l’ONU de favoriser «le respect universel et effectif des droits de l’homme et des libertés fondamentales pour tous» (articles 55 et 56). Les droits des personnes déplacées comprennent l’ensemble des droits inscrits dans la Déclaration universelle des droits de l’homme. Les normes protégeant la liberté de circulation énoncées dans l’article 12-1 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), auquel le Soudan est partie, définissent le cadre général protégeant les personnes contre tout déplacement forcé.

Les personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays sont couvertes par les lois de leur pays, et il convient de rappeler au gouvernement soudanais qu’il lui incombe d’aider et de protéger ces personnes. Aux termes du droit relatif à la défense des droits humains, qui s’applique aux personnes déplacées dans la plupart des cas, ces dernières peuvent jouir exactement des mêmes droits et des mêmes libertés que les autres citoyens soudanais dans le cadre de la législation nationale et du droit international en vigueur. En vertu des normes relatives aux droits humains et des principes du droit humanitaire inscrits dans les traités, les États doivent respecter les droits fondamentaux de la personne humaine, comme le droit à la vie (ce qui implique notamment l’interdiction du génocide, des exécutions arbitraires ou sommaires, ainsi que des attaques disproportionnées et sans discrimination contre la population civile dans les situations de conflit armé), le droit à l’intégrité de la personne, l’interdiction de la torture comme des traitements ou châtiments cruels, inhumains ou dégradants.


Le droit international humanitaire

Les personnes déplacées au Soudan sont également protégées par le droit international humanitaire. L’article 3 commun aux quatre Conventions de Genève de 1949 constitue la pierre angulaire de la protection des personnes déplacées et concerne les situations de conflits non internationaux.

L’article 3 s’applique automatiquement : « En cas de conflit armé […] chacune des parties au conflit sera tenue d’appliquer… ». La protection s’étend aux « personnes qui ne participent pas directement aux hostilités, y compris les membres de forces armées qui ont déposé les armes et les personnes qui ont été mises hors de combat par maladie, blessure, détention, ou pour toute autre cause… ». Ces personnes doivent être, au minimum, traitées avec humanité et certains actes sont interdits «en tout temps et en tout lieu», entre autres les atteintes à la vie et à l’intégrité corporelle notamment le meurtre sous toutes ses formes, les mutilations, les traitements cruels et les tortures , les prises d’otages, les traitements humiliants et dégradants ainsi que les exécutions sommaires. Il est important de noter que les dispositions obligatoires des règles minima figurant dans l’article 3 sont contraignantes pour les deux parties à un conflit.

L’article 17 du Protocole additionnel de 1977 (Protocole II) protège les civils contre les déplacements arbitraires. Cet article revêt une importance particulière au regard de la recrudescence des combats et des déplacements forcés de population dont la région du Haut-Nil occidental est le théâtre : « Le déplacement de la population civile ne pourra pas être ordonné pour des raisons ayant trait au conflit sauf dans les cas où la sécurité des personnes civiles ou des raisons militaires impératives l’exigent. Si un tel déplacement doit être effectué, toutes les mesures possibles seront prises pour que la population civile soit accueillie dans des conditions satisfaisantes de logement, de salubrité, d’hygiène, de sécurité et d’alimentation. Les personnes civiles ne pourront pas être forcées de quitter leur propre territoire pour des raisons ayant trait au conflit. »

Outre l’interdiction imposant au gouvernement soudanais et à ses agents de ne pas procéder à des déplacements arbitraires de population, il existe aussi des obligations découlant du droit humanitaire qui prescrivent de ne pas s’en prendre aux civils. Le droit international coutumier codifié dans l’article 13-2 du Protocole II(16) prévoit d’une manière générale que la population civile en tant que telle et les personnes civiles doivent être protégées contre les dangers résultant d’opérations militaires. Cet article proscrit les attaques directes ainsi que les actes ou menaces de violence contre les civils dont le but principal est de répandre la terreur parmi la population civile. En outre, l’article 13, par déduction, protège les civils contre toute attaque sans discrimination ou disproportionnée(17).

Dans l’article 4 du Protocole II figurent également des garanties fondamentales et imprescriptibles relatives à la nécessité de traiter les personnes avec humanité, garanties qui s’appliquent aux personnes déplacées et aux autres victimes du conflit interne au Soudan. Cet article interdit absolument toute une série d’actes de violence dont on sait de source sûre qu’ils ont été commis dans le cadre de ce conflit.


Les Principes directeurs relatifs au déplacement de personnes
à l’intérieur de leur propre pays

Une personne déplacée sur le territoire soudanais a les mêmes droits que toute autre personne vivant au Soudan. Les Principes directeurs relatifs au déplacement de personnes à l’intérieur de leur propre pays(18) énoncent les droits et garanties relatifs à la protection des personnes déplacées, à tous les stades de leur déplacement. Ils ont créé des normes concernant la protection contre les déplacements arbitraires, la protection et l’aide durant les déplacements, et le retour des personnes en toute sécurité. Compte tenu de la nature des déplacements forcés au Soudan, ces Principes sont d’une importance capitale.

Le Principe 5 dispose : « Toutes les autorités et tous les membres concernés de la communauté internationale respectent les obligations qui leur incombent en vertu du droit international, notamment les droits de l’homme et le droit humanitaire, et assurent leur respect en toutes circonstances de façon à prévenir et éviter les situations de nature à entraîner des déplacements de personnes ». Dans le contexte soudanais, ce Principe revêt une importance particulière, car il impose des obligations positives à l’État et aux parties au conflit.

Le Principe 6 prévoit que toute personne a le droit d’être protégée contre un déplacement arbitraire de son lieu de résidence habituelle, et interdit expressément les déplacements dans des situations de conflit armé (à moins que ceux-ci ne soient rendus nécessaires par la sécurité des personnes civiles ou par des raisons militaires impérieuses). Le Principe 8 précise qu’il ne sera procédé à aucun déplacement de population qui violerait les droits à la vie, à la dignité, à la liberté et à la sécurité des personnes concernées.

Les Principes 10 à 23 définissent les droits fondamentaux et la protection à accorder aux personnes au cours des déplacements. Le Principe 10 établit notamment que « chaque être humain a un droit inhérent à la vie qui est protégé par la loi. Nul ne peut être arbitrairement privé de la vie. Les personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays seront protégées […] contre […] les attaques ou d’autres actes de violence… ». Le Principe 13 insiste sur le fait qu’« en aucune circonstance les enfants déplacés ne seront enrôlés dans une force armée ou obligés ou autorisés à participer à des combats ». Les Principes 14 et 15 concernent le droit à la libre circulation des personnes déplacées, le droit de rechercher la sécurité dans une autre partie du pays, le droit de quitter le pays et de demander l’asile dans un autre pays ainsi que le droit, pour ces personnes, d’être protégées contre tout renvoi ou réinstallation forcés dans un lieu où leur vie, leur sécurité, leur liberté et/ou leur santé seraient en danger.

Des normes importantes prévoient notamment que les personnes déplacées ont droit à un niveau de vie suffisant et ont le droit de ne pas être arbitrairement privées de leurs propriétés et de leurs possessions (ce qui implique aussi de protéger lesdites propriétés contre le pillage, la destruction, etc.). Les Principes directeurs contiennent aussi des garanties importantes pour que l’aide humanitaire soit fournie sans discrimination et ils mettent l’accent sur le fait que le devoir d’aider les personnes déplacées incombe en premier lieu aux autorités nationales. Néanmoins, il est également précisé que les acteurs internationaux ont le droit de proposer leurs services et qu’une telle proposition doit être considérée comme un acte amical.

En vertu des traités qu’il a ratifiés et du droit coutumier, le Soudan est tenu de protéger les droits de toute personne se trouvant sur son territoire. La participation active des forces gouvernementales à des atteintes aux droits humains constitue non seulement un manquement à cette obligation, mais témoigne en outre du mépris total manifesté par le Soudan à l’endroit des traités internationaux qu’il a pourtant ratifiés de son plein gré.


La famine, conséquence des déplacements forcés de population

Il semble que le risque de famine qui menace des civils dans la région du Haut-Nil occidental se soit accru en raison du déplacement forcé de ces personnes. Champs incendiés, récoltes et bétail pillés empêchent les gens de retourner chez eux, toute moisson étant devenue impossible. En juillet 1999, le gouvernement a interdit les liaisons aériennes assurées vers cette zone par Operation Lifeline Sudan (OLS, Opération survie au Soudan), l’organisation de l’ONU qui chapeaute les organismes d’aide humanitaire. Cette décision, qui augmente les risques de famine pour la population, montre l’indifférence du gouvernement à l’égard du bien-être de ses citoyens. Elle constitue en outre une violation du droit international coutumier codifié dans l’article 14 du Protocole II aux Conventions de Genève, qui énonce :
«Il est interdit d’utiliser contre les personnes civiles la famine comme méthode de combat. Il est par conséquent interdit d’attaquer, de détruire, d’enlever ou de mettre hors d’usage à cette fin des biens indispensables à la survie de la population civile, tels que les denrées alimentaires et les zones agricoles qui les produisent, les récoltes, le bétail, les installations et réserves d’eau potable…»
Les déplacements de population constituent en eux-mêmes des atteintes aux droits humains. Ils ne sont pas des conséquences inévitables de la guerre, et la tactique utilisée au Soudan, qui vise délibérément à chasser les gens de chez eux au nom d’objectifs politiques et économiques, est à tous égards condamnable.

Les recommandations d’Amnesty International

Amnesty International a formulé un certain nombre de recommandations visant à améliorer une situation des droits humains désastreuse qui, durant plus de trois décennies, a coûté la vie à plusieurs dizaines de milliers de personnes et provoqué le déplacement de plusieurs centaines de milliers d’autres. La recherche d’une solution durable est subordonnée à l’enga-gement de chacun de protéger les droits du peuple soudanais. Amnesty International adresse donc les propositions qui suivent au gouvernement soudanais, aux groupes d’opposition armés, aux compagnies pétrolières ainsi qu’à la communauté internationale dans son ensemble.

Si elle ne prend pas position sur les questions touchant aux sanctions économiques ou autres, aux retraits de capitaux ou aux boycottages, Amnesty International estime néanmoins qu’il est de la responsabilité des entreprises de contribuer, où qu’elles se trouvent, à la promotion et à la protection des droits humains.
En conséquence, l’Organisation demande aux compagnies pétrolières présentes au Soudan :

• de s’assurer que leurs activités au Soudan ne favorisent pas les violations du droit international relatif aux droits humains ni les atteintes aux droits humains dans ce pays ;

• d’enquêter, lorsque cela est possible, sur les violations qui sont signalées dans la sphère d’activité de la compagnie ; de faire part de leurs préoccupations à ce sujet au gouvernement soudanais ou à l’Armée populaire de libération du Soudan, selon les cas ; d’encourager toutes les parties au conflit à respecter le droit international humanitaire et à prendre des mesures concrètes pour protéger la population civile ;

• de discuter avec le gouvernement soudanais des conditions du retour des civils déplacés de force dans l’État du Haut-Nil occidental/Unity ;

• de faire en sorte que le personnel de sécurité qu’elles emploient pour protéger leurs effectifs et leurs intérêts économiques reçoive une formation appropriée en matière de défense des droits humains, et de veiller à ce que ce personnel de sécurité respecte strictement les normes internationales relatives aux droits humains, notamment le Code de conduite pour les responsables de l’application des lois (ONU) ;

• de veiller à ne pas participer à des transferts d’équipements, d’armes, de services ou de personnel, dans les domaines militaire, de sécurité ou de police, susceptibles d’être utilisés pour commettre des atteintes aux droits humains ;

• de ne pas embaucher comme personnel de sécurité des personnes ayant commis des violations des droits humains, et d’évoquer avec le gouvernement soudanais leurs préoccupations concernant le recours à des compagnies privées militaires ou de sécurité pour entraîner les forces alliées au gouvernement dans le but de protéger les installations pétrolières ;

• de veiller, conformément aux conventions de l’OIT, à ce que le personnel de la compagnie ne soit pas exposé au danger de voir ses droits humains bafoués du fait de la présence de ladite compagnie au Soudan ;

• de faire pression sur les autorités concernées pour qu’elles garantissent aux organismes humanitaires et aux observateurs indépendants des droits humains, notamment aux rapporteurs spéciaux des Nations unies, un accès illimité à l’État du Haut-Nil occidental/Unity ;

• de fournir des garanties aux termes desquelles les infrastructures de la compagnie ne serviront pas à des fins militaires pouvant donner lieu à des atteintes aux droits humains ;

• de fournir des garanties aux termes desquelles la compagnie s’engagera à ne pas être le témoin silencieux d’atteintes aux droits humains.

Amnesty International demande au gouvernement soudanais :

• de condamner publiquement les atteintes aux droits humains commises par l’armée gouvernementale, par les Forces de défense populaire (FDP) et par d’autres milices alliées au gouvernement, notamment les exécutions extraju-diciaires, les viols, les déplacements forcés et les enlèvements dont est victime la population civile vivant dans les zones de gisement de l’État du Haut-Nil ocidental/Unity et dans les zones de conflit ;

• de s’engager publiquement à respecter en toutes circonstances l’article 3 commun aux Conventions de Genève ainsi que le Protocole II qui s’y rapporte ;

• de prendre des mesures concrètes pour assurer la protection des civils se trouvant dans les zones de guerre, notamment lors des opérations militaires menées dans l’État du Haut-Nil occidental/Unity en vue de protéger l’oléoduc, les champs pétrolifères et le personnel des compagnies pétrolières ;

• de prendre toutes les mesures nécessaires pour traduire en justice, dans le respect des normes internationales relative à l’équité des procès et sans recourir à la peine de mort, tout membre des forces gouvernementales ou des forces alliées au gouvernement qui se serait rendu responsable de violations des droits humains ;

• d’ouvrir une enquête indépendante sur les atteintes aux droits humains qu’auraient commises des membres de la Brigade pétrole contre des civils dans l’État du Haut-Nil occidental/Unity, et de mettre immédiatement fin à l’utilisation d’enfants soldats au sein de cette Brigade ;

• d’ouvrir une enquête indépendante sur le recours à des compagnies privées militaires et de sécurité pour entraîner et soutenir les forces chargées de protéger les champs pétrolifères et les installations pétrolières ;

• d’autoriser les organismes humanitaires et les observateurs indépendants des droits humains, notamment les rapporteurs spéciaux des Nations unies, à accéder sans restriction à toutes les zones contrôlées par le gouvernement, y compris l’État du Haut-Nil occidental/Unity.

Amnesty International demande à l’Armée populaire de libération du Soudan (APLS) et aux autres groupes armés :

• de condamner publiquement les exactions commises par leurs forces dans le cadre de la guerre civile ;

• de s’engager publiquement à respecter en toutes circonstances l’article 3 commun aux Conventions de Genève ainsi que le Protocole II qui s’y rapporte, et de prendre des mesures concrètes pour assurer la protection des civils se trouvant dans les zones de guerre ;

• d’autoriser les organismes humanitaires et les observateurs indépendants des droits humains, notamment les rapporteurs spéciaux des Nations unies, à accéder sans restriction à toutes les zones placées sous leur contrôle.

Amnesty International demande à la communauté internationale :

• de condamner publiquement les atteintes aux droits humains commises dans le cadre de la guerre civile au Soudan par l’armée gouvernementale, par les Forces de défense populaire (FDP) et par d’autres milices alliées au gouvernement, notamment les exécutions extrajudiciaires, les viols, les déplacements forcés et les enlèvements dont est victime la population civile vivant dans les zones de gisement de l’État du Haut-Nil occidental/Unity ;

• de faire pression sur toutes les parties au conflit soudanais pour qu’elles respectent le droit international humanitaire et prennent des mesures concrètes destinées à protéger la population civile ;

• d’exercer un contrôle strict sur les investissements commerciaux réalisés au Soudan, en s’appuyant sur des critères transparents en matière de défense des droits humains ;

• de contrôler de façon rigoureuse les transferts d’équipements, d’armes, de services ou de personnel dans les domaines militaire, de sécurité ou de police (MSP) destinés à l’une ou l’autre partie au conflit, et de mettre un terme à tous les transferts MSP qui pourraient permettre de perpétrer des atteintes aux droits humains au Soudan ;

• de faire pression pour que les organismes humanitaires et les observateurs indépendants des droits humains, notamment les rapporteurs spéciaux des Nations unies, puissent accéder sans restriction à toutes les régions du pays, y compris à l’État du Haut-Nil occidental/Unity.


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Notes :

(1) La version originale en langue anglaise du document résumé ici a été publiée par Amnesty International, Secrétariat international, 1 Easton Street, Londres WC1X 0DW, Royaume-Uni, sous le titre Sudan: The Human Price of Oil. Seule la version anglaise fait foi. La version française a été traduite et diffusée aux sections francophones et au Secrétariat international par LES ÉDITIONS FRANCOPHONES D'AMNESTY INTERNATIONAL - ÉFAI – mai 2000.

(2) C’est ce qu’a déclaré Jim Buckee, directeur de Talisman, lors de rencontres avec des organisations non gouvernementales (ONG). C’est également ce qu’a soutenu la société Lundin en réponse à une lettre d’Amnesty International adressée à différentes compagnies pétrolières opérant au Soudan.

(3) La guerre conventionnelle est définie comme l’affrontement entre les troupes gouvernementales et les forces d’un groupe d’opposition armé dans le contexte d’une guerre civile.

(4) BBC, 16 mai 1999.

(5) Julie Flint, The Observer (Londres), mars 2000.

(6) Communiqué de presse du 10 juillet, PAM, Nairobi.

(7) Damien Lewis, Sudan : Oil Wars [Soudan : les guerres du pétrole], 1999.

(8) Lettre envoyée par Alan G. Hevesi à James Buckee, président-directeur général de Talisman Energy, 27 septembre 1999.

(9) Reuters, 4 janvier 2000.

(10) AFP, 31 août 1999, informations reprises de Gazeta Wyborcza.

(11) Al Sharq al Aswat, 28 janvier 2000.

(12) Plusieurs rapports ont été publiés sur le recrutement forcé d’enfants de moins de dix-huit ans. Le rapport de la Coalition pour en finir avec l’utilisation d’enfants soldats, publié en mars 1999 sous le titre The Use of Children as soldiers in Africa [L’utilisation d’enfants soldats en Afrique], cite plusieurs sources qui confirment que les FDP enrôlent de force des garçons âgés de seize ans ou moins. Le ministre de la Défense, Omer Abdul Marouf, avait expliqué sa politique en matière de conscription en ces termes : «Nous avons dit clairement aux parents que tout élève qui ne se présente pas pour accomplir son service militaire ou suivre un entraînement militaire perdra ses chances d’entrer à l’université, de se rendre à l’étranger ou de faire des affaires dans le pays» (IPS, 23 octobre 1997, citation d’un discours du ministre de la Défense prononcé à la télévision nationale).

(13) La Convention a été adoptée à l’unanimité par les 174 États membres en juin 1999.

(14) La Charte africaine des droits et du bien-être de l’enfant, qui n’a pas été ratifiée par le Soudan, mais qui définit les droits des enfants africains approuvés par l’OUA, dispose que toute personne de moins de dix-huit ans est un enfant et interdit le recrutement d’enfants soldats et leur participation aux hostilités.

(15) La sécurité humaine au Soudan. Rapport de la mission d’évaluation canadienne, préparé à l’intention du ministre des Affaires étrangères, Ottawa, janvier 2000, par John Harker, du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international.

(16) Protocole additionnel aux Conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à la protection des victimes des conflits armés non internationaux (Protocole II), 1977.

(17) Une définition codifiée de ce qui constitue une attaque sans discrimination figure dans l’article 51 du Protocole I aux Conventions de Genève :
« 4. Les attaques sans discrimination sont interdites. L’expression "attaques sans discrimination" s’entend :
• des attaques qui ne sont pas dirigées contre un objectif militaire déterminé ;
• des attaques dans lesquelles on utilise des méthodes ou moyens de combat qui ne peuvent pas être dirigés contre un objectif militaire déterminé ; ou
• des attaques dans lesquelles on utilise des méthodes ou moyens de combat dont les effets ne peuvent pas être limités comme le prescrit le présent Protocole ; et qui sont, en conséquence, dans chacun de ces cas, propres à frapper indistinctement des objectifs militaires et des personnes civiles ou des biens de caractère civil.
5. Seront, entre autres, considérés comme effectués sans discrimination les types d’attaques suivants :
• les attaques par bombardement, quels que soient les méthodes ou moyens utilisés, qui traitent comme un objectif militaire unique un certain nombre d’objectifs militaires nettement espacés et distincts situés dans une ville, un village ou toute autre zone contenant une concentration analogue de personnes civiles ou de biens de caractère civil ;
• les attaques dont on peut attendre qu’elles causent incidemment des pertes en vies humaines dans la population civile, des blessures aux personnes civiles, des dommages aux biens de caractère civil, ou une combinaison de ces pertes et dommages, qui seraient excessifs par rapport à l’avantage militaire concret et direct attendu. »

(18) Document de l’ONU, E/CN.4/1998/53/Add.2.


Index AI : AFR 54/001/2000 3 Mai 2000



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