12 novembre 2000

 

 
 

17 octobre 1961, en plein Paris,

un crime d'Etat contre des Algériens

Officiellement, il ne s'est rien passé à Paris le 17 octobre 1961. Le meurtre de plusieurs centaines d'Algériens par la police française agissant sur ordre du préfet Papon, le crime d'Etat commis alors au nom de la répression d'un 'acte de guerre' du FLN (1) n'auraient donc pas eu lieu. Trente-neuf ans après, le massacre est toujours occulté: malgré des centaines de témoignages concordants, malgré de nombreuses enquêtes de journalistes, malgré des films et des livres d'historiens... Qui donc sait que, ce soir-là, des hommes, des femmes et des enfants, mêlant le vert et le blanc du drapeau algérien interdit, défilant pacifiquement sur plusieurs grandes artères de la capitale, furent sauvagement chargés, piétinés, frappés, noyés par dizaines dans la Seine, abattus, tués dans les cars de police et les commissariats, blessés, raflés, arrêtés, enfermés...? Aujourd'hui encore - comble de l'horreur -, on ne sait pas combien, parmi eux, moururent: 200, 300, 400? Il n'y a pas eu, il ne peut pas y avoir de 'bilan' officiel pour un crime d'Etat qui, officiellement, n'a pas eu lieu...

La chasse à l'homme

Le récit de ce massacre a pourtant été fait des dizaines et des dizaines de fois. Dès le lendemain, 18 octobre 1961, par exemple, dans une page de 'l'Humanité'... On sait donc que, le 17 octobre, à partir de 18 heures, plusieurs dizaines de milliers d'Algériens ont manifesté dans le calme, en 'costume du dimanche', presque joyeusement... On sait qu'ils n'avaient pas d'armes et qu'ils voulaient seulement protester contre le couvre-feu qui leur était imposé, et témoigner de leur solidarité avec les combattants algériens: 'FLN au pouvoir', 'Algérie algérienne' ou encore 'Libérez Ben Bella'... On sait que, vers 21 h 30, le préfet de police Papon a déployé un véritable dispositif de chasse à l'homme dans les rues de Paris et de sa proche banlieue: tirs aux Champs-Elysées, à la Concorde, à l'Opéra, sur les Grands Boulevards, notamment devant le cinéma Rex; blocages des ponts, singulièrement celui de Neuilly, à partir desquels les policiers ont noyé des manifestants, leur ont fracassé le crâne, les ont abattus... Hommes, femmes et enfants... Le crime d'Etat n'a pas eu lieu, mais le 'bilan' de la répression d'un 'acte de guerre du FLN' a eu droit, lui, à un communiqué officiel: 11.538 Algériens arrêtés dans la soirée...

Officiellement, le crime d'Etat n'a pas eu lieu, mais... Mohamed Chelli, présent à la manifestation, a raconté (2): 'Les policiers tapaient avec des bâtons, leurs poings, leurs pieds. On a entendu des coups de feu. Ma femme a été blessée'... François Lefort, quinze ans à l'époque, était à la fenêtre de son appartement, avenue de Neuilly: 'Il y avait des corps inanimés, allongés par terre, près du pont, que les policiers manipulaient et emmenaient. Il y a eu des coups de feu, ma mère m'a demandé de quitter le balcon'... Henri Carpentier, alors médecin au dispensaire Poissonnière: 'J'ai franchi les barrages en expliquant que je voulais soigner les blessés. Un officier m'a conduit devant un tas de corps humains empilés dans une encoignure de porte et m'a dit: 'Si vous avez du temps à perdre, servez-vous, prenez un client, choisissez'... Claude Toulouse, alors gardien de la paix: 'Le 18 au matin, j'ai été affecté comme gardien de la paix à Police-Secours. Je me suis donc rendu avec le car au stade de Coubertin (...). Il y avait du sang partout: des plaies ouvertes, des membres brisés'...

Une responsabilité 'directe, personnelle, écrasante': c'est en ces termes que l'historien Jean-Luc Einaudi, auteur de 'la Bataille de Paris, 17 octobre 1961', évalue le rôle de Papon dans ce massacre. Préfet de police de Paris depuis 1958, c'est lui qui, le 5 octobre 1961, agissant sous l'autorité de Roger Frey, ministre de l'Intérieur - le gouvernement Debré négociant alors avec le FLN à Evian -, a astreint les Algériens vivant dans la capitale à un couvre-feu: 'En vue, écrit-il, de mettre un terme sans délai aux agissements criminels des terroristes algériens'... C'est encore Papon qui, dès le 2 octobre, avait demandé aux policiers de tirer les premiers lorsqu'ils se sentaient 'menacés' (sic): 'Vous serez couverts, je vous en donne ma parole'... Suit cette phrase par laquelle Papon à la fois signe par avance le crime et réduit à néant ses contre-vérités d'aujourd'hui sur de prétendus 'règlements de comptes' internes au FLN (3): 'D'ailleurs, ajoute-t-il, lorsque vous prévenez l'état-major qu'un Nord-Africain est abattu, le patron qui se rend sur les lieux a tout ce qu'il faut pour que le Nord-Africain ait une arme sur lui'...

Reconnaissance officielle?

Dès le 18 octobre 1961, dans une déclaration, le Bureau politique du PCF dénonçait 'les forces de répression (qui) ont agi dans la capitale avec une brutalité sans précédent'. Il exige notamment la libération immédiate de tous les emprisonnés et internés du 17 octobre, l'arrêt des expulsions en Algérie et la levée des mesures discriminatoires prises à l'encontre des Algériens'... Ce même jour, il y eut des prises de parole et des débrayages dans plusieurs usines de la région parisienne. Des intellectuels, dont Aragon, Jean-Paul Sartre, Pierre Boulez et Pierre Vidal-Naquet, signèrent un manifeste où l'on pouvait lire: 'En restant passifs, les Français se feraient les complices des fureurs racistes dont Paris est désormais le théâtre'... Trente-neuf ans après, alors que l ancien ministre de l'Intérieur, Jean-Pierre Chevènement, s'était dit 'prêt à chercher à faire la vérité (sur la répression du 17 octobre 1961), en respectant le devoir de mémoire', le temps n'est-il pas venu d'un geste fort de l'Etat français, qui permette d'aboutir à la reconnaissance officielle de ce crime? Pour la mémoire et au nom d'une certaine idée de la France...

(1) Front de libération nationale algérien.

(2) Voir 'l'Humanité' du 17 octobre 1991.

(3) Déclaration faite à l'audience du 16 octobre 1997 du procès de Bordeaux.


 

 

 

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