1 mars 2001

 

Le Festin

Comédie démoniaque en 4 actes

par Jean Allard

Contact : marsonline@hotmail.com

Les personnages :

Humains Démons

Mistral Orca

La concierge Les Yeux

les 3 livreurs Les Fouines

la Prof Sorath/Sol/Bel

Mr et Mme Bradel L’enfant

Le plombier

La Charlatan Silène

La Charlatan Epiméthée

L’aveugle

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Prologue

L’aveugle entre et l’enfant le fait trébucher.

L’aveugle – AAAHH…Je suis collé à cette terre ! Je l’aime tellement, je reste toujours près d’elle, visiblement elle est d’accord, elle ne me repousse jamais, elle ne s’enfuit pas. Et moi (il saute), elle ne me laisse pas partir, jamais loin d’elle. Même dans l’avion, je la sens, je vois mon plateau déjeuner, un assemblage de petites choses à manger, gentiment serrées les unes contre les autres, personne ne bouge, tout est en adoration, puis tout à coup un TROU D’AIR !

…Que vois-je ?

…En même temps que le plateau entier, je vois des milliers de poussières s’élever de la moquette à hauteur des yeux, une foule de petits adorateurs de la terre, de poussières et de miettes, je vois l’eau de mon verre propulsée, tous, moi y compris, nous sommes momentanément éloignés, en suspens une seconde, nous sommes tous là dans cet avion et nous tous n’attendons qu’une seule chose c’est de remettre les pieds sur notre déesse, notre fibre commune …puis son amour revient, inchangés, nous sommes tous à nouveau lourds. BAM, comme un baiser. Il paraît que là-haut dans le ciel, plus haut encore, on l’aperçoit toute entière dans l’espace et que là-haut elle ne nous attire plus, à la dérive, le liquide ne tient pas dans le verre, le verre ne tient pas sur le petit plateau, le petit plateau ne tient pas sur la tablette et ainsi de suite, la fibre est perdue. Fibreless.

Tandis qu’ici, (il se met à courir, et l’enfant le fait trébucher), c’est notre (il tombe) bien aimée, large, toute généreuse qui nous embrasse tous, tous ! Tout ce qui peuple, tout ce qui vit, tout ce qui change, tout, même l’invisible…et croyez-moi, je suis comme vous tous, j’ai votre même fibre, je me fais aimer.

(l’enfant trébuche sur le pied de l’aveugle et tombe à son tour)

Quoi ?

Allez ! Que quelqu’un me montre, là maintenant, qu’une femme, un homme, un démon, que quelqu’un ose quitter cette terre ! ALLEZ ! (hurlant) ALLEZ !

(l’aveugle se couche sur le sol)

à la fin de la journée, parfois, une fatigue m’accueille, la fatigue de l’amour, de la journée solaire, des ébats, des mouvements, mes yeux s’en vont…

je dors…

je rêve…

je rêve que l’amour de la terre s’adresse aussi à des formes étranges, dans ce rêve, je vois le monde autrement, car je cohabite avec des choses sans substance, sans rien, sans rien du tout de commun avec ma terre, mais pourtant nous sommes tous les deux aimé par ma terre,

(l’enfant lui enlève ses lunettes noires)

…et le rêve commence toujours par le lever de voile, comme si tout à coup on éteignait des milliers de petites lumières et que je m’habitue à une nouvelle obscurité, comme si le monde autour de moi se retournait comme un gant, se révélait de l’intérieur,

et là où je m’attends à trouver du noir, j’ouvre grand les yeux et je vois, je vois…

(gestuelles des démons pendant toute la tirade du rêve)

 

ACTE I

Scène 1

Un appartement vide de meubles. Ca et là trainent des Yeux, un enfant est tapis dans la pénombre, des poules pendent du plafond, des bestioles s’agitent par terre. Une ombre dentée dans la salle de bains.

Pas dans l’escalier.

Deux femmes entrent.

Mme Aubépine – Voilà, c’est ici. Comme je vous l’ai dit, le propriétaire…

La charlatan Silène – Taisez-vous !

Mme Aubépine – Je…

Silène – Chhh !

Silène respire profondément trois fois.

Mme Aubépine – Je…

Silène – Mais vous n’arrêtez jamais de vous taire, vous !

Mme Aubépine – Je voulais juste vous dire que…

Silène – Vous vouliez vous répéter ! Voilà tout ! Vous comprenez bien que dans mon métier, j’en rencontre des gens, et de toutes sortes !

Mme Aubépine – Je…

Silène – Je sais.

Mme Aubépine – Vous ne savez pas tout !

Silène – Ah oui ?

Mme Aubépine (gênée) – Je…

Silène – Bien, récapitulons. Je prends mes notes. Vous m’avez fait venir pour un nettoyage de routine en vue d’une prochaine vente de cet appartement, n’est-ce-pas ?

Mme Aubépine – Oui.

Silène – Vous avez fait appel à un charlatan, mais un vrai cette fois, pas comme le faux charlatan de la dernière fois, n’est-ce pas ?

Mme Aubépine – Ouieuh, je…

Silène – Avouez-le, vous avez fait venir quelqu’un de moins cher mais de totalement incompétent, je me trompe ?

Mme Aubépine – Oui, mais je…

Silène – Quelqu’un qui vous fait un tour de passe-passe, qui a réclamé son dû et qui est parti, n’est-ce-pas ?

Mme Aubépine – Euh…oui, mais…

Silène – Vous savez pourtant que seuls, les charlatans officiels peuvent s’occuper de ces opérations délicates, vous le savez n’est-ce-pas ?

Mme Aubépine – Oui. Mais il faut que je vous dise.

Silène – Je vous écoute, mais auparavant je finis ma petite leçon. Demandez-moi mon Sceau !

Mme Aubépine – Votre seau ? Mais de quel seau parlez-vous ?

Silène – Le sceau officiel.

Mme Aubépine – Ah…Bien. Donnez-moi votre seau.

Silène – Je ne peux vous le donner, je vous le montre. Regardez, le sceau part d’une clavicule à l’autre.

Mme Aubépine – On dirait de l’or.

Silène – C’est de l’or madame Aubépine. Et il atteste que je suis reconnu comme charlatan, digne de m’acquitter de cette mission. Nous sommes comme les médecins, vous savez ? Bon, j’ai fini de vous gronder, mais n’oubliez pas : Demandez à voir le sceau, toujours !

Mme Aubépine – Bien. Alors il faut que je vous dise.

(Des cris résonnent)

Silène – J’ai dit, je vous écoute.

Mme Aubépine – Une seconde. (allant à la fenêtre) Madame Bradel ! ça ne sert à rien de crier comme ça, votre mari est plus sourd que ma grand-mère ! (revenant) Excusez-moi…Oui, voilà : Le dernier locataire est parti en courant. Il voulait même pas prendre ses affaires. Après quelques jours, il est venu avec deux gars, et ils ont tout vidé. Et voilà. Mais la première fois qu’il est parti, et ben, il s’est jeté par là ! de la fenêtre ! Un seul étage mais il s’est fait mal. La trouille ! Il a eu si peur, qu’il s’est enfui. Il a laissé l’eau allumée dans la salle de bains.

Silène – Il a dit quelque chose ?

Mme Aubépine – Rien. A l’hôpital, il était muet. Puis, plus revu.

Silène – Vous savez, c’est assez fréquent.

Mme Aubépine – Ah bon ?

Silène – Certaines personnes ont très peur des sales bêtes, pour d’autres ce n’est que gênant. Tout de même, se jeter par la fenêtre.

L’enfant sort de l’ombre et traverse la pièce. Mme Aubépine crie et se jete dans les bras de Silène. L’enfant rit, se met à courir et se jete par la fenêtre.

Mme Aubépine tend l’oreille.

Madame Aubépine – Ah mon Dieu !

Elle se rue vers la fenêtre.

Silène – Il n’y a plus rien, ne cherchez pas.

Mme Aubépine – C’était une sale bête ?

Silène – Oui.

Mme Aubépine – Un enfant ?

Silène – Ils peuvent apparaître sous de multiples formes. Mais ils ne peuvent pas vous toucher et en général, ils ne disent rien. Nous appelons cette variété Coin de l’œil. Auparavant, ils étaient totalement invisibles, mais maintenant il arrive qu’ils se montrent.

Mme Aubépine – Mais je l’ai vu ! Et pas que du k-k-coin !

Silène – Et oui ! Ils sortent de l’ombre…

Mme Aubépine – Mais je le connaissais ! Mon dieu !

Silène – Ah, ah.

Mme Aubépine – mais pourquoi vous rigolez ?

Silène – C’est quand vous dites " Mon dieu ".

Mme Aubépine – Ce n’est pas drôle.

L’enfant réapparaît dans la pénombre sans être vu.

Silène – Si, parce que vous feriez mieux de dire " Mille démons ! "

Mme Aubépine – Ah mon Dieu !

Silène – Ah ah. C’est notre époque qui le veut Madame, il ne

faut plus se le cacher. le voile s’est déchiré. Nous voilà infesté de ces bêtes.

Mme Aubépine – Je n’en ai pas chez moi, Madame !

Silène – Nous en avons tous, madame ! Mais pas tous sont visibles !

Mme Aubépine – Cessez de parler ainsi, je ne le supporte pas !

Silène – Bien. Calmons-nous. Laissez-moi faire mon travail.

Mme Aubépine – Oui, oui…Voulez-vous que je sorte, le dernier charlatan me l’av…

Silène – Vous n’allez pas recommencer ! Encore ! Ce n’était pas un charlatan ! La preuve, nous avons vu l’enfant ici. S’il avait fait son boulot correctement, il n’y aurait plus de sale bête, l’appartement serait pur. Compris ?! Vous vous êtes fait roulée. D’accord ? Bien ! Vous pouvez rester.

Silène sort une petite table, met un récipient dessus, verse de l’eau puis de la poudre blanche.

Silène – Voilà la source.

Mme Aubépine – Qu’est-ce que c’est ?

Silène – Du sel. De l’eau. Il commence à se dissoudre. Je vous demande un peu de silence.

Mme Aubépine – Je n’ai rien…

Silène – Taisez-vous. Et éteignez cette lumière.

Silène est agenouillée devant la source. Silence. Au bout d’un moment, Madama Aubépine s’approche de la charlatan et au moment où elle va pour la toucher, un PAN ! résonne.

Mme Aubépine – AH mon Dieu !

Silène – Ca y est, c’est terminé !

Mme Aubépine – J’ai eu peur, je croyais que vous dormiez, je voulais voir, et ouh, c’était quoi ce bruit ?

Silène – Signe que ça a bien réussi. La source a absorbé les sales bêtes. Vous pouvez rallumer.

L’appartement est vidé de toutes les choses (poules, enfant) sauf l’ombre dans la salle de bains.

Mme Aubépine – Je ne vois pas de différence mais pourtant je me sens mieux.

Silène – Veuillez vider la source dans les toilettes.

Mme Aubépine – Vider la source, vous avez de drôle manière de parler…Pouah, c’est sale ici !

Silène – Merci. Et bien je vous quitte.

Mme Aubépine – Excusez-moi, avant de partir, mais je voudrais savoir si vous…, enfin non, si jamais vous…, non, j’ai une question à vous poser, mais, hum, habituellement je la pose à ceux qui viennent pour les autres sales bêtes, les cafards, mais ce n’est pas ça, je sais que vous, vous êtes un peu comme, enfin pas exterminateur, vous êtes docteur, mais…

Silène – Posez votre question.

Mme Aubépine – S’ils reviennent ?!

Silène – Ah. S’ils reviennent c’est que l’immeuble est infesté, les voisins se les refilent et il faut traiter. Vous avez d’autres cas ? Chez les voisins ?

Mme Aubépine – Ah non !

Silène – Alors tout va bien. Parfois, ça vient de la concierge, vous savez ?. Bien. Je ne vous dit pas au revoir.

Mme Aubépine – Au revoir, merci, oui je n’oublierai pas de demander le seau officiel, allez, merci encore, oui, A bientôt, je veux dire, non…

Scène 2

Entrent la concierge et Mistral.

Mme Aubépine – Voilà, voilà, entrez.

(la concierge tenant l’enfant par la main sans se rendre compte)

Mistral – Vous savez, la vente est déjà signée…

(Mistral entre en tenant un gros tas d’Yeux qu’il laisse tomber par terre)

Mme Aubépine (lâchant l’enfant) – Oui, mais je n’étais pas là, et en tant que concierge de cet immeuble, je me tiens au courant vous comprenez ? On peut pas accepter n’importe qui, surtout par les temps qui courent…comme je vous l’ai dit, le dernier locataire a du être expulsé.

Mistral – Ah oui, pourquoi ?

(l’enfant va lentement dans la salle de bains)

Mme Aubépine – Il est devenu fou. Il s’est mis à crier en pleine nuit, il a inondé plusieurs fois les Bradel, ce sont les voisins du dessous, vous pouvez pas les rater, le monsieur est sourd mais il y voit, la madame entend très bien mais elle n’y voit rien. D’ailleurs elle ne sort pratiquement jamais.

Mistral – Ne vous inquiétez pas.

Mme Aubépine – La vieille Bradel, elle ne cesse de m’enquiquiner parce que les murs font du bruit, vous comprenez ? Elle a pas ses oreilles dans ses poches.

Mistral – Je ne fais pas de bruit, je vis seul et tranquille.

Mme Aubépine – C’est bien, c’est bien. Tenez voilà le double des clés, j’en ai un triple en cas de besoin, et voici l’attestation de pureté, j’ai fait venir une charlatan officielle.

Mistral – Avec le sceau ?

Mme Aubépine – Bien sûr avec le seau ! Vous me prenez pour qui ? Vous savez, ça fait un bail que je m’occupe d’immeubles, vous allez pas m’apprendre à reconnaître un vrai d’un faux charlatan.

Mistral – Non, je…

Mme Aubépine – Il n’y a plus une seule sale bête ici, votre nouvel appartement est pur, Monsieur Mistral, et il est stipulé qu’il est livré en l’état. Si, dans le futur, la charlatan Silène doit revenir, ce sera à vos frais.

Mistral – Bien, madame, bien, laissez-moi maintenant.

Mme Aubépine – Je file.

ACTE II

L’appartement de Mistral est assez simple de décoration. Un canapé deux places occupe le centre. Derrière, au fond, la porte d’entrée. Sur la droite, une moitié de cuisine est visible ainsi que la porte menant à la salle de bain. Tout apparaît " normal " à part une multitude d’Yeux (de la taille d’un ballon de rugby) posés par terre.

L’éclairage divise la scène en deux. A droite une partie éclairée, à gauche une partie obscure.

Scène 1

Le canapé est occupé. A droite, éclairé, Mistral est assis avec les mains sur les genoux. A gauche, Orca est à peine une silhouette, assis lui aussi sur le canapé. A travers toute la scène, Orca ne cesse de se nourrir d’Yeux que Mistral lui donne de manière inconsciente. Au fur et à mesure qu’il dévore, d’autres Yeux apparaissent ça et là, tombant du plafond, de placard, entrent par la porte…

- Je vivais tranquillement, avant.

(bref regard vers Orca)

- Je vivais normalement avant qu’il ne vienne chez moi. Avant que le voile ne se déchire ! …Il y a à peine un mois que tout a commencé. Avant que le torrent de ces bestioles ne viennent, ne viennent,

(il cherche le mot)

ce n’est pas se répandre, l’eau cherche et trouve son niveau, ce serait plutôt un troupeau d’éléphants ne cessant de passer à travers cet appartement, chez moi, mais ce n’est pas ça non plus.

(Il se lève)

C’était avant la visite de

(bref regard vers Orca)

de cette …bête, sale bête, un des géants de leur race ! Comme si j’étais en montagne et tout à coup le soleil est caché, la lumière se dissipe, vous croyez à coup sûr que c’est un nuage qui passe devant lui, mais non !

C’est un être immense.

Vous, si petit, et cette être incommensurable, un ciel tout entier qui vient chez vous.

(Il s’interrompt en regardant l’audience)

chez vous…

Vous pensez que je divague, mais chez vous aussi ! Vous aussi, vous êtes peuplé de sales bêtes !

Vous…

Vous ne devez rien comprendre, rien voir, car votre voile est bien en place, bien opaque,

(doucement)

moi aussi, mais il y a un mois…

Le voile, nous l’avons appris de ceux qui nous engendré et ceux qui nous ont cotoyé, c’est pratique ! Nous sommes d’accord par imitation, c’est pratique !

Mais lorsque le voile se lève...

(il baisse les yeux)

Lorsque ce qui se trouve derrière commence à apparaître…

(coups sur la porte)

Mme Aubépine - C’est la concierge !

Mistral (à Orca) – Va-t-en !

(Silence)

Mme Aubépine - C’est madame Aubépine, la concierge !

Monsieur Mistral vous êtes là ?

Mistral (à Orca) – Allez ! Il ne faut pas qu’elle te voit ici ! Vite !

Mme Aubépine – Mr Mistral ?

Scène 2

La scène s’éclaire complètement. Orca a disparu. Mistral shoote du pied quelques Yeux dans la partie nouvellement éclairée.

Mistral – Oui. J’arrive !

Entre la concierge.

Mme Aubépine – Ah Mr Mistral ! Asseyons-nous, Un verre d’eau, Ah !

Elle s’asseoit à la petite table de la cuisine, et pendant que Mistral s ‘affaire en cuisine, en profite pour jeter un coup d’œil sur son appartement.

Mistral lui donne un verre d’eau et s’asseoit aussi.

Mme Aubépine – Ah Mr Mistral Ah ! Ah là là !

(elle lui attrape le poignet)

Mme Aubépine – Il faut que je vous dise ! L’immeuble est infesté !

Mistral – Infesté, De quoi, des termites ?

Mme Aubépine – Non

Mistral – Des cafards ?

Mme Aubépine – Non plus, pire !

Mistral – Des rats ?

Mme Aubépine – Pire encore.

Mistral – Des…

Mme Aubépine – Des sales bêtes ! On en a trouvé chez les Bradel, vous savez le couple de petits vieux en-dessous de chez vous. Mais ce n’est pas le pire ! Hier au soir, je suis descendu à la cave. Ah là là là ! Oh soleil, que j’ai eu peur ! J’ai sauté comme ça !

(Elle saute de frayeur, Mistral se lève machinalement et donne un œil au canapé)

Mistral – Alors, que s’est il passé ?

Mme Aubépine – Une sale bête, un nain qui m’a couru dessus, et j’ai cru mourir.

Mistral – et ?

Mme Aubépine – Et, et il a disparu, paf, là devant moi…

Mistral – comme ça ?

Mme Aubépine – il s’est vaporisateurisé

Mistral – Vasipo…

Mme Aubépine (lui jetant un regard noir) – Bon, Je vois que vous ne me croyez pas.

Mistral – Mais non je

Mme Aubépine – Taisez-vous. je vais vous expliquer.

noir

Scène 3

La concierge avance avec une lanterne à la main.

Mme Aubépine (off) – Je suis descendu à la cave. En bas, j’ai allumé l’interrupteur.

Une lumière s’allume sur un enfant qui ricane et qui lui court dessus. La concierge crie, tout s’éteint, puis la lumière revient. L’enfant a disparu, mais on distingue d’autres petites silhouettes dans l’obscurité.

La concierge crie encore.

noir

Scène 4

Retour chez Mistral, et la concierge crie encore sur sa chaise. (Un enfant se cache derrière le canapé)

Mistral – Calmez-vous !

Mme Aubépine – J’ai eu une telle peur, ils étaient nombreux.. Bon.

(elle finit le verre d’eau)

Mme Aubépine – Ca va. Donc je suis venue vous voir pour vous prévenir.

Mistral – Ah.

Mme Aubépine – Oui, j’ai fait venir une charlatan.

Mistral- Vous avez bien fait. Mais…

Mme Aubépine – En quoi ça vous concerne n’est ce pas ? Elle est venu tantôt visiter les caves. Une femme très discrete et compétente, c’est elle qui a purifié votre appartement. Une vraie charlatan, enfin vous voyez ce que je veux dire, quelqu’un de capable.

Mistral – Oui.

Mme Aubépine – Elle a trouvé que l’immeuble est infesté. Elle est déjà passée chez les Bradel mais elle va faire la visite de tout le monde. D’accord ?

Mistral – Oui mais…

Mme Aubépine – Je savais que vous seriez raisonnable. On ne peut pas se laisser faire, vous comprenez ? Du nerf !

Mistral – Oui, je…

Mme Aubépine – Oui je sais vous êtes quelqu’un de bien. Vous savez c’est pour notre sureté. Vous vous rappelez du Chou-Fleur ?

Mistral – Du chou-fleur.

Mme Aubépine – Le centre commercial vers l’autoroute ?

Mistral – Celui qui a été rasé ? les Deux-Fleurs !

Mme Aubépine – C’est ça. Et…

Mistral – Il a duré même pas six mois.

Mme Aubépine – Et vous savez pourquoi ils l’ont rasé le centre commercial ?

Mistral – Euh, non, je…

Mme Aubépine – Infesté !

Mistral – NON ; des termites ?

Mme Aubépine (haussant un sourcil) – Mais qu’est-ce que vous avez avec les termites. Vous en avez chez vous ?

Mistral – Non, non, je…

Mme Aubépine – Laissez-moi parler.

Mistral – Bien.

Mme Aubépine – Taisez-vous. le centre commercial était infesté de sales bêtes. Pas les mêmes que celles de la cave, d’autres plus méchantes. Une femme, en revenant de ses courses, s’est électrocutée en ouvrant le coffre de sa voiture. Du dix mille volts ! Son chien était dans le caddie, lui aussi, grillé ! Paf ! Vous me direz, ça fait toujours ça de moins sur les trottoirs. (Se taisant tout à coup) Bon, j’y vais.

Mistral (inquiet) – Non, restez, je vous offre un petit…

Mme Aubépine – Non, ma nièce m’attend. Dites-moi, c’est nouveau ?

Mistral – Quoi ?

Mme Aubépine (en offrant un œil au canapé) – Le canapé.

Mistral – Oui.

Mme Aubépine –Bon, c’est entendu pour demain ?

Mistral – Oui, et…

La concierge sort.

 

Scène 5

Mistral regarde la porte puis s’aperçoit de la présence d’Orca.

Mistral – Et voilà qu’on nous envoit un charlatan !

Orca – SOIS SANS CRAINTE

La partie éclairée s’obscurcit lentement, jusqu’au noir.

- Non, ne fais pas ça ! Non ! Nooooonn !

(Coups des voisins avec quelques cris)

La lumière revient (moitié)

Mistral est debout ; tendu, pétrifié. Puis, progressivement, il se rend compte qu’il s’est pissé dessus.

Mistral – Et merde !

Il fonce dans la salle de bains.

Mistral – Ne fais plus ça !

Des Yeux se rapprochent du canapé et s’y font dévorer. Mistral revient avec une serviette autour de la taille et s’asseoit sur le canapé. Pour le reste de la scène, il donne des yeux à manger à Orca.

Orca – SOIS SANS CRAINTE

Mistral – Ne dis pas ça. Va-t-en d’ici, va chez le voisin, chez n’importe qui. Tais-toi, je n’aime pas quand…

Orca – LE BON BAIN

Mistral va à la fenêtre.

Mistral – Oui, tu as raison ils arrivent. J’en vois un, attend, c’est le sel, non le poisson. Cachons-nous ! Ils vont arriver. Ils montent, bouge ta grosse carcasse.

(Coups sur la porte)

Mistral – Bouge !

Scène 6

La scène s’éclaire, la porte s’ouvre toute seule.

Entrent Livreur1, Livreur2, et Livreur3. Avec eux, entrent une vingtaine d’yeux qui roulent sur la scène.

Tous en même temps :

Livreur1 – Entreprise du Goujon, vous avez commandé un thon entier.

Livreur2 – Entreprise du Salut, vous avez commandé 50 kilos de gros sel.

Livreur3 – Entreprise Maison du Bloc, vous avez commandé 3 pains de glace.

A tour de rôle, chaque livreur apporte un œil au canapé, l’œil s’enfonce et disparaît. (A répéter à discrétion).

Mistral (à Livreur 1) – Mettez la glace dans la baignoire

Mistral (à Livreur 2) – Mettez le thon sur la table

Mistral (à Livreur 3) – Posez le sel dans la salle de bain.

Les livreurs se regardent.

Les livreurs – Vous voulez dire que ?

Mistral – Oui, enfin, du nerf !

Mistral (à Livreur 2, en le poussant vers la porte) – Allez, allez chercher la glace et mettez-le dans la baignoire !

Mistral (à Livreur 3, en le poussant vers la porte) – Et vous le thon, là ! sur la table !

Mistral (à Livreur 1, en le poussant vers la porte) – Et vous, …

Livreur 1 – C’est moi le thon !

Livreur 3 – Non c’est moi !

Livreur 2 – Ah non. Il m’a dit " mettez le thon sur la table "

(Silence)

Tous en même temps :

Livreur 1 – Au fait, c’est pour un diner ?

Livreur 2 – Au fait, c’est pour cuire le poisson ?

Livreur 3 – AU fait, c’est pour le vin blanc ?

L’un après l’autre :

Livreur 1 – Vous savez, nous aurions pu vous le préparer, mais vous n’avez pas voulu.

Livreur 2 – La cuisson à la croûte de Sel, c’est ce qu’il y a de meilleur, mais avez-vous pensé au four ?

Livreur 3 – Evidemment, c’est mieux des glaçons, mais les pains ça dure plus longtemps.

Orca – ALLEZ

Mistral – Allez ! Allez-y !

Les trois livreurs apeurés sortent

Orca – UN BON BAIN

Mistral (vite, comme s’il répétait une leçon) – Oui, c’est ça, un bon bain, un gros poisson. D’abord on nage dans les océans glacés. On met la glace et le sel. On mélange, on touille, on remue, quand le sel est fondu, on se plonge dans le bon bain, voilà, voilà.

Entrent les trois livreurs tenant le thon par la tête, le corps et la queue. L’enfant leur fait un croche patte. Ils entrent en trébuchant et courent en zigzagant autour de la pièce.

Les livreurs – Oooooh !

Près de la cuisine, Mistral attrape la tête du thon et les tire tous vers la cuisine. Ils posent le thon avec grand bruit.

Les trois livreurs se claquent les mains et s’essuient en rythme.

Les livreurs (en sortant la facture et un stylo) – Une petite signature, s’il vous plait.

Mistral – Ah non !

Les livreurs – Comment ça non ?

Mistral – Non, je ne signerai pas.

Les trois livreurs se regardent interloqués. Au bout d’un moment, Livreur 2, Livreur 3 et Mistral regardent Livreur 1.

Livreur 1 (en sortant un miroir de poche et se regardant lui aussi) – Ben quoi ?

Les autres continuent de le fixer.

Livreur 1 (tournant le miroir vers Mistral) – Pourquoi vous ne voulez pas signer ?

Les livreurs fixent Mistral qui se retourne.

Orca – LE FROID ET LE SEL

Les trois livreurs tendent l’oreille tout en donnant un œil au canapé. L’enfant tourne autour du canapé avec hésitation. Les livreurs vont vers la porte qui se referme toute seule. Ils l’ouvrent. Pendant ce temps, Mistral va ouvrir le robinet de la baignoire.

Quand il revient, les livreurs entrent en poussant un chariot sur lequel est posé un tas d’yeux.

Les livreurs – Voilà, voilà, Mr Mistral.

Les trois livreurs enlèvent les Yeux en soufflant, comme s’ils enlevaient de la poussière, et découvrent les pains de glace et le sel.

Mistral (en criant) – Allez !

Les livreurs se ruent dans la salle de bains. Livreur 3 tente un tir de basket avec un œil vers le canapé.

Panier raté :

Orca – UN BON BAIN

Les trois livreurs ressortent en courant

Les livreurs – Bonne-journée-pas-de-signature

Ils sortent.

Panier réussi :

Orca (en jouissant) – MMMMMMMMMMM

Les livreurs ressortent. Livreur 2 et Livreur 3 tentent à leur tour le basket mais le rate à coup sûr.

Orca – UN BON BAIN

Les livreurs (se ruant vers la porte) - Bonne-journée-pas-de-signature

Ils sortent.

 

INTERMEZZO

La scène est éclairée par une lampe plafond unique, sous laquelle se tient la baignoire. Mistral y prend un bain et claque des dents incessament. On aperçoit de temps en temps des enfants qui rôdent dans la pénombre et qui shootent de temps en temps dans des Yeux.

(Musique d’ambiance, un peu inquiétante)

Mistral – Et m’y revoilà encore, clac-clac-clac-claquant des dents-dents. Dans ce bain de glace et de sel, dans ce bain de larmes !

Et vous, le monde ?

Je n’y vois plus très clair dans les abysses et les mers froides où les icebergs s’entrechoquent,

(silence)

Je me rappelle ma prof d’anglais, quand j’étais petit,

…tout allait bien, il n’y avait pas de sales bêtes, elles se tenaient derrière le voile, elles n’existaient pas, sales bêtes…Mon dieu, c’était une autre vie !

Je me rappelle, je dormais en cours, et la prof s’est rapprochée de moi et…

noir

La lumière de la baignoire baisse et une autre s’allume de l’autre côté de la scène.

Un banc d’écolier ou se tient un enfant, assis, de dos. la prof d’anglais se rapproche.

Prof – Encroachment. Encroachment ! Encroachment !!

L’enfant se réveille en sursaut.

La lumière s’éteint et celle de la baignoire se rallume.

Mistral – Vous avez vu, elle avait des gros yeux…Encroachment, ce mot-là je ne l’ai jamais oublié. Encroachment ! L’idée de ce mot, c’est le rapprochement. Deux entités se rapprochent, la distance qui les sépare diminue. Ceux qui naviguent dans le Grand Nord connaissent ce mot, c’est l’histoire du Titanic, les ssssss-icebergs.

Le bateau, encroachment et puis paf !

(Mistral jette un pain de glace hors de la baignoire)

Paf. Et moi, tel un Titanic qui coule au fond, et bien non, je ne coule pas au fond. Je me retrouve là dans l’eau à zéro degré avant de bouffer un demithon, croumf, un quart de thon, croumf, et le dernier quart, croumf.

(Se mettant debout dans la baignoire).

- Voyez, vous, voyez ! Bon sang, voilà ce qu’il m’arrive !

(Se recouchant dans la baignoire, la lumière commence à baisser)

Dire que tout a commencé, il y a à peine quelques jours, c’est un cauchemar. Et maintenant, le Bon Bain. Le voile s’est déchiré et les sales bêtes ont fini le cache-cache, elles ne jouent plus.

(noir)

La première sale bête, je m’en rappelle, c’était juste avant la visite de la concierge.

 

ACTE III

L’appartement de Mistral est sensiblement le même à part le canapé qui n’est qu’un fauteuil une place et les Yeux qui sont tous entassés dans un coin de la pièce. Dans tout cet acte, tous les personnages rangent inconsciemment les Yeux en les jetant en haut du tas, des Yeux retombent, entrent par la porte.

 

Scène 1

Mistral court après un enfant à travers la scène, une fourchette à la main.

Mistral – Aaaaaaarrhh !

L’enfant se cache derrière le fauteuil ; Mistral se jette derrière à sa poursuite, puis se relève, cherchant partout. Une voix ricane dans le placard. Mistral va à pas de loup et entreouvre l’armoire, ricanements, puis il ouvre l’armoire et frappe à l’interieur. Il ressort avec une écharpe au bout de la fourchette.

Il met l’écharpe dur le porte-manteau. Rires dans la salle de bains. Il y fonce mais ressort, cherchant encore, un enfant est assis sur l’accoudoir du fauteuil. Mistral se rue sur lui mais l’enfant lui donne un Œil. Mistral, absent tout à coup, range l’œil dans le coin de la pièce, et ne voit plus l’enfant.

Orca – MIGNON

Mistral, terrorisé, tente de monter sur le tas d’Yeux. Puis il se retourne.

(Coups sur la porte.)

Mistral, terrorisé, tente de monter sur le tas d’Yeux. Puis il se retourne.

Enfant (en sortant du tas d’Yeux et fonçant vers derrière le porte-manteau) – Hi hi hi hi.

Mistral, terrorisé, tente de monter sur le tas d’Yeux. Puis il se retourne.

Silence. Mistral va lentement vers le porte-manteau, et entreprend d’enlever un à un tous les vêtements accrochés. Lorsqu’il arrive au dernier vêtement, une écharpe, un œil lui tombe du plafond, et en même temps que résonne des coups sur la porte :

Orca – MIGNON MIGNONNERIES MIAM

Monsieur Bradel – C’est moi Bradel, voisin du dessous !

Monsieur Bradel – Mistral vous êtes là ?

Scène 2

Mistral lui ouvre la porte.

Monsieur Bradel – Je n’en ai que pour une minute.

Mistral – Asseyez-vous Monsieur Bradel.

Mr Bradel va s’asseoir et met un œil sur le tas sur son chemin.

Monsieur Bradel – C’est à propos de ma femme. Elle est terriblement inquiète.

Mistral – Oui ?

Monsieur Bradel – Ce matin, elle était penchée à la fenêtre pour pendre le linge et elle a entendu des rires d’enfants, puis elle vous a entendu courir comme un fou. Depuis elle n’arrête pas d’insister pour que je vienne vous voir. Vous savez moi je suis malentendant, alors... mais quand idée se fixe chez ma femme, c’est comme un chien qui ne démord pas.

Mistral – Mais il n’y a pas d’enfants ici, votre femme fait erreur.

Mr Bradel, n’ayant pas compris, tend l’oreille.

Ensemble :

Enfant – Hi hi hi hi hihi. Hi hi hihi.

Mistral – Il n’y a pas d’enfants ici. C’est une erreur.

Monsieur Bradel – Oui, c’est ce que je lui ai dit. Mais elle voulait rien entendre.

Il se lève et se dirige vers la porte

Monsieur Bradel – Je ne voulais pas vous déranger. Merci Mistral, Bonne journée à vous. Excusez encore ma femme, des enfants, elle s’en occupé toute sa vie, c’est comme si elle en avait toujours dans la tête. bon allez.

noir

Scène 3

La lumière monte lentement sur la baignoire et le lavabo.

Mistral (off) – Je me rassurais en me disant que j’avais besoin de vacances, que je n’étais pas moi-même en ce moment, que je soufrais de visions. Le lendemain matin, je me levais avec l’intention d’aller voir un docteur, pas un charlatan car j’avais jamais cru que ces gens-là me concernaient.

J’entrais dans la salle de bains.

Mistral, en caleçon maillot, entre avec un œil qu’il donne à la baignoire) et commence à se raser au lavabo. La baignoire est occupée par Orca, caché par un journal ouvert.

Un premier froissement de journal l’alerte, il arrête de se raser, puis reprend.

Un deuxième froissement le fait arrêter et il se retourne vers la baignoire.

Mistral – k - -k – k, que ?

Le journal se baisse lentement. Une forme portant une tête de requin qui fait ombre sur son visage.

Mistral – Qu’est-ce que vous faites ici ?

Orca – SEMBLANT DE LIRE

Mistral – Bon sang, il parle, heu, vous êtes quoi ? Que je sache, hein,

Orca (gesticulant dans le bain) – BIPOMPE, POMPE L’AIR ET POMPE LE SANG

Mistral reçoit une douche, machinalement il goûte à cette eau.

Orca – BIPOMPE,

(musique de blues rock – Ice Cream man)

SUMMERTIME’S HERE BABE

NEED TO KEEP ON PUMPIN’

NOW SUMMERTIME’S HERE BABE

I’M YOUR BODY AND SOUL

STOP ME WHEN I’M PASSING BY

I’M YOUR BODY AND SOUL

AND IF YOU LEMME BE YOU ONE TIME

YOU BE MY REGULAR STOOOOP !!

noir

Scène 4

Lumière monte lentement

Mistral (off) – Je le revis le soir-même, alors que je commençais à peine à oublier ce cauchemar. Je me réveillai d’une sieste lourde et froide, Madame Aubépine criait dans la cour sur les Bradel, ses victimes favorites. Je me suis levé du canapé pour aller aux toilettes…

Mistral recule de plusieurs pas et pendant deux secondes regarde le canapé avec surprise. L’enfant passe devant lui en portant un grand dessin de requin.

Mistral (off) – Je restai longtemps devant lui.

noir puis lumière progressive sur le tas d’Yeux.

Orca – MMIIGNOONNS PETITES BETES

Lumière sur le dessin du requin. Pendant ce temps, Mistral, effrayé, tente de monter sur le tas d’Yeux.

Orca – ACCOUTREMENT DE REQUIN DEBILE, BIPOMPE DERRRRAILLE, REQUIN HA HA HA, CROUMF ! HA HA HON HON !

noir

Mistral (off) – Je tombais à nouveau dans les pommes. Je me réveillai. Je m’étais pissé dessus… et dans la salle de bains,

Lumière sur la baignoire avec Mistral dedans en entrant et sortant de l’eau.

Musique (baroque, Bach, chœur)

GLORIA IN EXCELSIS DEO

ET IN TERRA PAX

ET IN TERRA GLOUB

GLOUB GLOUB

HOMINIBUS BONAE VOLUNTATIS

GLOUB GLOUB

GLOUB ? ERAT IN PRINCIPIO

ET IN SAECULA SACULO-O-O-O-O GLOUB

GLOUB O-O-O-O RUM

(Coups des voisins et cris)

Mme Bradel (au loin) – C’est pas un peu fini, Oh !

Mme Aubépine (plus loin) – C’est pas fini ?

Mistral essaie de vomir dans le lavabo.

Orca – NON JE NE SORTIRAI PAS COMME CA. REQUIN DEBILE, QUE VOIS-TU ?

Mistral se place devant le miroir, se frotte les yeux, sans rien voir. La lumière baisse au noir.

Orca – TU NE VOIS RIEN, VOILÉ, VOILÉ. JE SUIS LA POUR EMPLIR LES MIGNONS, MIGNOGNERRIES, NION ? ET CETTE BAIGNOIRE, QUEL LUXE LE FROID ET LE CHAUD, MAIS PAS D’EAU TRES FROIDE ? DES SSSSSS ICEBERGS ? ET LE SEL, LE SEL POUR LES POMPES, LE SEL ? LE SEL ! LE FROID ! PAS REQUIN DEBILE !

UN TROISIEME ROBINET, EAU TRES FROIDE

UN TROISIEME ROBINET !

Scène 5

Mistral assis sur le canapé (=acte I, scène 1), silencieux.

Mistral (off) – Je dus me plier à tout, y compris à la coexistence, refusant de tout mon cœur d’accueillir en moi cette sale bête. Vous savez, tout le monde ferait pareil, on s’adapte on ferait n’importe quoi pour retrouver une situation où ce n’est pas tout le temps la survie. Partout, les gens faisaient appel aux charlatans, mais moi, je voyais bien que ce n’était pas une de ces sales bêtes comme les Coins de l’œil, où même les enfants ou les nains. Ce n’était pas la même chose, c’était comme s’il y avait deux races de sales bêtes. L’une, plutôt vivable, petite, nombreuse, qui se reproduit, une race qui se vit au quotidien, je dirai même qu’elles aident parfois. Mais l’autre …

(Mistral jette un bref regard à Orca)

L’autre race ne partage pas.

Elle vient de manière totale, sans coexistence possible, on ne cohabite pas, on subit, c’est un nouveau monde, inflexible. Et je mis du temps à comprendre ce qu’il voulait. Je me pliais à toutes ses exigences, pour l’apaiser, mais il est insatiable. Puis je commis une grave erreur, qui me révéla l’appétit étrange qui l’anime. Voulant l’apaiser, je fis venir un plombier pour qu’il me mette sur la baignoire un troisième robinet d’eau très froide. Je m’étais absenté deux minutes pour voir mon courrier. Quand je revins,

Scène 6

Orca est sur le canapé.

Mistral entre chez lui et se dirige vers la salle de bains.

Mistral - Mr le plombier ? Ca avance ?. Vous êtes là… ? Vous êtes là ?

Mistral (off) – Attendez.

Mistral s’immobilise comme si le temps s’était arrêté. Au noir

Mistral (off) – Il vaut mieux reprendre depuis le début.

Orca est sur le canapé. Mistral ouvre la porte.

Mistral - Entrez, entrez.

Le plombier entre et avec lui déboulent une trentaine d’Yeux. Il est habillé d’une chemise à grands carreaux et fume un cigare.

Orca – MIGNOGNERRIIES

Le plombier ressort et ramène son matériel et encore un paquet d’Yeux.

Orca – OOOOOHHHH

Au noir

Mistral (off) – le plombier s’est mis à travailler, j’étais surexcité, je salivais, je suis allé chercher le courrier et…

Orca est sur le canapé, en train de fumer le cigare.

Mistral entre chez lui, il semble ivre de bonheur, rassasié, il chantonne et se dirige gaiement vers la salle de bains.

Mistral - Mr le plombier ? Ca avance ?. Vous êtes là… ? Vous êtes là ?

Mistral se retourne et voit Orca sur le canapé, intrigué il se rapproche, il se met à tousser.

Mistral – Tu fumes ?

Mistral tousse à nouveau.

Mistral – Uh uh, tu as quelque chose, uh, là, uh uh uh. Sur le

coin de la bouche, uh uh.

Mistral tend sa main et attrape un bout de la chemise à carreaux.

Mistral – On dirait une chemise, il y a un bouton là. Tu manges…

Orca – MMMM

Mistral (faisant un bond en arrière) – A qui est cette chemise ? Mon dieu !

Orca – DIEU VA ET VIENT.

Mistral (hurlant) – A qui est cette chemise ?

Orca – MMMM, L’HOMME-BAIGNOIRE TOUT EMPLI DE MIGNONS PLEIN A CRAQUER C’ÉTAIT BON, TU EN APPELLES UN AUTRE ?

Mistral le regarde interloqué, bavant – C’est vrai qu’il était bon, attend il y en a trois pages de plombier…(hurlant) Ciel ! Tu as mangé la chemise du serrurier ?

Orca – JE LUI AI PRIS SON CIGARE POUR POMPER

Mistral – Nous, tu tu tu…

Orca – OUI OUI EN TROIS FOIS CROUMF CROUMF CROUMF

Mistral (hors de lui) – Nooon ! Mon Dieu !

Orca – DIEU VA ET VIENT

Mistral s’agenouille pour tenter de vomir.

Orca – NON NON NON JE NE SORTIRAI PAS COMME CA ! AU FAIT IL N’Y A PAS DE TROISIEME ROBINET

Mistral (lui donnant un œil) – Oui, c’est vrai, j’appelle un autre plomb…

Orca – OUI CROUMF CROUMF CROUMF !

Mistral a de nouveau un haut-le-corps.

Orca – HA HA HA.

La lumière baisse et Orca continue de rire.

INTERMEZZO

Mistral est dans la baignoire et claque toujours des dents.

Mistral – Et m’y revoilà, moi un mangeur de plomb-plombier plein à craquer de mignonneries ! Et demain, la charlatan vient nous voir, il ne faut pas que tu te montres, tu comprends ? Tu comprends ?

Ne veut rien comprendre, comprend que sa panse. Voilà, voilà, on va manger le thon. Croumf, croumf, croumf et rester tranquille, voilà, voilà.

Orca (en même temps que " voilà voilà " de Mistral) – VOILÉ VOILÉ

noir

ACTE IV

Scène 1

Décor de acte I, scène 1. Pas de lumière. On entend des pas dans l’escalier et la voix de Mme Aubépine. Elle frappe à la porte.

Mme Aubépine – Debout Mr Mistral !

Mistral – Oui.

Mistral va ouvrir et allume la lumière.

Entrent Madame Aubépine et la Charlatan Silène.

Madame Aubépine – Voici Siléne, la charlatan que j’ai fait venir, elle passe dans tout l’immeuble.

Silène – Silence s’il vous plait. (A Mistral) Vous, tenez–moi le coffre.

Elle ouvre le coffre et ressort une pincée de poudre qu’elle jette en l’air, elle recommence l’opération plusieurs fois, jusqu’à que Mistral éternue, ce qui fait refermer le coffre.

Silène – Bien. Je vais appeler les Fouines. Braves bêtes ! Elles cherchent et elles trouvent tout ce qui traîne.

Silène – Concentration.

Au bout de quelques secondes, elle ouvre la porte.

Silène (avec la voix de Sorath)– UN !

Une silhouette entièrement en noir rentre.

Silène – DEUX !

Une deuxième silhouette entre.

Silène – TROIS !

Une troisième.

Silène referme la porte.

Silène – Et maintenant laissons les faire.

Les trois fouines cherchent ensemble un peu partout. En arrivant prés d’Orca, elles se prennent chacune une bonne claque. Les Fouines continuent leur chemin comme si de rien n’était. De temps à autre, l’une d’entre elle fait un rapport à la charlatan.

Madame Aubépine (regardant partout) – Laissons quoi faire ?

Silène – Laissons les Fouines faire leur travail. Elles viennent au rapport immanquablement, enfin presque tout le temps.

Madame Aubépine – Des fouines, mais je ne vois rien !

Silène – C’est normal, madame, il y a beaucoup de sales bêtes qu’on ne voit pas… (Donnant un Œil à Orca) mais ça ne veut pas dire qu’elles ne sont pas là.

Madame Aubépine – Mais je ne vois pas !

Silène (en la dominant) – Précisément madame, et je sentirai de dire " encroachment " madame, et je ne sais pas pourquoi, je dirai ce mot, " encroachment "  madame, oui " encroachment ", n’est-ce pas Mr Mistral ?

Mistral – C’est ma prof d’anglais qui…mais comment le savez-vous ? Comment pouvez-vous le savoir ?

Silène – Ce sont mes fouines qui me le disent. Foi de charlatan, ne doutez point de mes talents, car j’en suis une vraie moi !

Mistral (à lui-même inquiet) – Mon Dieu va et vient ! Elle va le voir, grands démons, elle va le voir !

Madame Aubépine – Et les fouines que disent-elles d’autres ?

Silène – Attendez…

Mistral (à lui-même) – Furies ! Je suis pris au rat !

Une enfant sort en courant de la cuisine et en riant, Poursuivi par les fouines, il va vers Orca, se prend une bonne claque, et sort de l’appartement. Les trois fouines se reprennent également une bonne claque.

Madame Aubépine (partant à la poursuite de l’enfant) – Ah la sale bête !

Silène (la retenant) - Laissez !

Madame Aubépine (lui échappant et sortant) - La sale bête !

Silène – Bon… je crois que nous avons fait le tour. Concentration. UN ! DEUX ! TROIS.

Deux fouines disparaissent, une par la porte, l’autre par la fenêtre. Une troisième gesticule à l’entrée de la salle de bains, entre, ressort…

Mistral (à lui-même) – Elle va partir, ouhii elle va partir.

Silène – Trois !

La fouine fait du bruit. Silène va à la salle de bains en bousculant Mistral.

Mistral – Non, je …

Silène – Grands démons, vous faites de la plomberie ?

Mistral – Je fais de …la…plomberie ? Voilà Voilà.

Orca (en même temps que " voilà voilà " de Mistral) – VOILÉ VOILÉ

Silène (en se baissant, ramassant qq chose et le goûtant) – Elixir ! Du Sel !

(bruit de tonnerre)

Silène – Nous avons une grosse bête !

Madame Aubépine (entrant essouflée) – Une grosse bête ?

Silène - Mr Mistral, je dois immédiatement prévenir.

Mistral – La police ?

Silène – Non, ma supérieure, très peu de charlatans s’occupent de grosses bêtes, c’est très dangeureux.

Mistral – c’est un petit requin petit comme ça…

Madame Aubépine – Un requin ? Où ça ?

Mistral – dans la baignoire.

Madame Aubépine va à pas de loups vers la salle de bains et jette un coup d’œil dedans.

Madame Aubépine – Il y a de la glace qui flotte mais je ne vois pas de requin.

Silène et Mistral ensemble (amusés) – il n’y a pas de requin.

Silène – Concentration.

(Silence) Madame Aubépine et Mistral la regardent avec attention tout en donnant un œil à Orca.

noir

Scène 2

Madame Aubépine – Alors ça vient ?

Mistral – Vous ne devriez pas, vous cassez sa concentration avec tous vos bavardages.

Silène – Taisez-vous, elle arrive.

Mr Bradel apparaît à la porte.

Mr Bradel – Excusez-moi, c’est ma femme, elle entend non seulement des enfants mais en plus le tonnerre alors qu’il n’y a qu’un grand ciel bleu et un beau soleil. Elle dit aussi qu’il chante très très mal, mais je vois que vous recevez,

Madame Aubépine – Si c’est pour les clés de la cave, je les ai rendu à votre femme, certes elle entend bien mais elle ne se rappelle pas de tout.

Silène – Taisez-vous !

Monsieur Bradel – A qui le dites-vous, mais elle entend bien. Et c’est pour ça que…

(ses dernières paroles sont couvertes par un vrombissement crescendo, bruit de grosse machine)

noir

Scène 3

Entre la charlatan Epiméthée qui reste sur le seuil, éclairée par un tube de lumière.

Epiméthée – Silène, pour vous servir, j’ai bien reçu ton appel malgré les interférences.

Madame Aubépine – Je vous préviens que je distribuerai les factures, en répartissant équitablement les parts sur les charges, et bien sûr plus pour Mistral.

Silène (s’agenouillant devant Epiméthée) - Apporte l’œil et la source de Sorath, notre soleil. Ici se cache une grosse bête, j’en suis sûre, le signe ne trompe pas. N’est-ce pas Mr Mistral ?

Madame Aubépine et Mr Bradel se tournent de tous les côtés.

Madame Aubépine – Mais où est-il ? Croyez-bien qu’il faudra les payer, ces charlatans, en plus celle-là, ça doit être bonbon, c’est à sa charge, hein Mr Bradel ?

Mr Bradel (admirant Silène) – Ca change rien, Monsieur Mistral, mais allez lui dire, moi ça fait plus d’années qu’il y a dans une vie que je lui dis. C’est comme si elle ne m’entendait pas…alors que c’est moi le sourd, c’est une honte.

Le temps se fige pour tous, sauf pour Epiméthée et Silène.

Epiméthée – Il a faim, un énorme appétit.

Silène – Il a parlé de requin, je ne sais pas.

Epiméthée – Requin. C’est un voilé qui parle, mais pourtant il a vu.

Silène – Et puis il y a de la glace et des kilos de gros sel, je dirai pour prendre des bains.

Epiméthée – Les océans… Nous allons tout de suite savoir.

Epiméthée se concentre et le cercle de lumière autour d’elle s’élargit. Arrivé à l’accoudoir du fauteuil (!) on entend un bruit de claque et le cercle de lumière se rétrécit.

Epiméthée (se tournant vers l’accoudoir) – Grands Djinns ! Il résiste à Sorath. Il est là et il ne partage pas. Quel monstre ! Quelle horreur !

Epiméthée prend une profonde inspiration

Epiméthée (voix de Sorath) – Puissance, obscurité de l’œil solaire ! Sais-tu parler ?

Orca – HA SORATH MON CHER COLLEGUE

Epiméthée – Bien. Je vous laisse discuter entre vous.

Dorénavant, Sorath parle par la bouche d’Epiméthée.

Sorath – JE VOIS TON OCEAN, JE TE VOIS ENFIN ORCINUS ORCA ! QUE FAIS-TU SI LOIN DES MERS DE GLACES ?

Orca – MIGNONS MIGNONNERIES

Sorath – MANGER ?

Sorath frappe des mains et réveille Mr Bradel et Madame Aubépine qui se mettent à ramasser des Yeux et les donner à Orca qui s’allume le cigare

Sorath – TU ES VENU TE FAIRE PETER LE VENTRE DE CES DEMONNETS

Orca – OUUUIII ! ILS PULLULENT ILS PULLULENT !

Sorath – TU FUMES LE CIGARE

Orca – DU PLOMBIER

Sorath – QUE TU AS

Orca – MANGÉ

Sorath – EN FAISANT

La scène s’éclaire totalement. Le canapé est en fait un fauteuil avec Mistral/Orca assis dedans.

Mistral/Orca (en giflant Sorath) – EN FAISANT CROUMF CROUMF CROUMF. ALLEZ A TABLE !

Epiméthée – Un

Silène – bon

Madame Aubépine – bain !

Mr Bradel – bain !

Tout le monde se retourne vers lui.

Mr Bradel – …et un plombier !

Tous les personnages (+ public) donnent un œil à Orca.

Noir brutal.

 

Epilogue

L’aveugle - …et puis le rêve se termine,

(se levant, observant autour de lui) le tout revient…

je suis jeté dehors mais je retrouve mon monde,

celui de l’amour de la terre, amie, aimante, amoureuse, amenant à elle,

l’enfant le fait trébucher

elle,

le gant s’est remis à l’endroit, vous êtes là, mais quel était ce songe ?

A TABLE !

A table, comme c’est étrange…

Sont-ils cachés ? Ou peut-être c’est moi qui me cache ?

…ça y est, partis !

pfuitt !

… je ne les sens plus, je ne les vois plus,

(l’enfant le prend par la main et lui remet ses lunettes noires)

…il y avait un enfant.

 

Rideau

 


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