9 janvier 2002

 

Ci dessous, de larges extraits d'une interview du squat dijonnais
PAMPLEMOUSSE (AOÛT 2001), parue dans un fanzine :

* Première question habituelle ; pouvez-vous présenter et donner un
petit "historique" du squat ? Quelles sont les raisons qui vous ont
poussés à ouvrir le Pamplemousse ?

Grenade : La Pamplemousse (pamplemousse est indifféremment masculin ou
féminin, le saviez-vous ?) est située au 18, rue du Midi, à Dijon. 03
80 48 01 14, c'est notre téléphone ; pamplemousse@squat.net, c'est
notre e-mail. Nous avons ouvert le Pamplemousse au début du mois
d'octobre 2000. En ouvrant à six garçons, nous voulions tout
particulièrement travailler ensemble sur nos comportements liés à
notre "masculinité", entretenir des rapports différents de ceux que
vivent les garçons en groupe. Nous avions cette volonté en commun,
mais pour le moment, on ne peut pas dire que l'expérience ait été
extrêmement fructueuse à ce niveau-là... Ce qui ne signifie pas non plus
qu'on n'en ait plus rien à faire, disons que la communication entre
nous n'est pas toujours des plus aisées et que le travail collectif
initialement prévu n'a finalement pas été formalisé.

Abricot : Ouvrir un squat est bien entendu une envie politique, qui
consiste à utiliser un lieu laissé à l'abandon. On sait que plein de
logements sont vides, et que travailler pour payer un loyer en fait
profiter ses propriétaires, c'est très aliénant, n'est-ce pas ? La
solution immédiate est de se servir en combattant la Loi, qui a fait
vou de protéger la propriété privée. Je pense que nous n'avons pas
l'engouement que propose le modèle capitaliste pour "réussir dans la
vie". Je crois que nous voulons justement "réussir notre vie",
c'est-à-dire agir consciemment et complètement sur notre vie, ce qui
implique la destruction de toutes les entraves à cette entreprise.

Ananas : Tout d'abord, le Pamplemousse est le premier squat où
j'habite. A force de me balader dans quelques squats et de rencontrer
des gens vivant ainsi, je me suis dit "Hé, pourquoi pas ?" ; ce n'est
pas vraiment évident au départ de te dire que tu vas sortir du "rang",
et décider de squatter, de ne pas travailler, etc. (ce n'est pas
l'envie qui manque !), mais c'est un choix politique que je ne
regrette pas. Les raisons qui m'ont poussé à squatter sont d'ailleurs
multiples : pas envie d'enrichir un-e patron-ne ni un-e propriétaire,
prendre ce dont tu as besoin sans demander ou attendre qu'on te le
donne, essayer de mettre des idées en pratique, vivre en
collectivité,... Évidemment, il y a des choses qui ne me satisfont pas
vraiment au Pamplemousse par rapport à certaines envies posées au
départ (cf. ce que dit Grenade), mais je ne regrette vraiment pas
d'avoir ouvert ce squat et j'espère qu'il sera le premier d'une longue
lignée !

Pruneau : Peut-être est-ce bon de préciser que le Pamplemousse est
installé dans une maison restée à l'abandon pendant 15 ans, sur 2
étages, un rez-de-chaussée et un jardin (qui ressemblait à une jungle
et une décharge à notre arrivée). Le tout appartient à un propriétaire
privé, qui dispose d'un confortable cheptel de maison (plusieurs
propriétés réparties en France, dont un luxueux appartement à Paris,
dans le 17° arrondissement). Après quelques semaines de travaux,
peinture, nettoyage et aménagement, le Pamplemousse est né !

* Que représente pour vous le fait de vivre de cette façon ? Vivre
dans un tel lieu n'est-il pas la meilleure façon de vivre selon ses
convictions mais aussi la plus difficile à mettre en place ?

Grenade : Vivre en squat, c'est pour moi une des meilleures façons
d'essayer de vivre ses idées ici et maintenant sans attendre le "Grand
Soir". Je suis convaincu que si une révolution doit avoir lieu, elle
ne tombera pas du ciel ; un peu de dialectique mène nécessairement à
vivre le positif et le négatif simultanément : lutter contre
l'oppression permanente, affirmer nos désirs en essayant de la
dépasser.

Abricot : Je ne pense pas que vivre en squat soit plus difficile à
mettre en place que d'aller contre ses convictions, à savoir subir le
"travail-famille-ennui". Il suffit de trouver des gens intéressantes
et motivées.

Ananas : Pour moi, squatter doit être une manière de mettre en
pratique certaines idées, de ne pas attendre que ça change et d'être
dans une société libertaire pour vivre autrement : c'est maintenant
que je veux vivre sans temps morts et jouir sans entraves (ce qui ne
veut pas dire que je réussis à le faire...) ! En plus, je veux aussi que
les choses changent dans mon quotidien, dans mes relations avec les
autres, en essayant d'en finir avec les rapports de domination, etc.
Par contre, je n'ai pas envie de m'enfermer dans un squat en me disant
que c'est cool si j'arrive à vivre d'une manière alternative, etc. :
je pense que ce n'est pas la multiplication de "petits îlots
d'anarchie" ou de Zones d'Autonomie Temporaire qui changeront
radicalement la société, mais une véritable révolution sociale !

Pruneau : Moi, je pense que résister, ce n'est pas seulement affronter
ce qui nous déplaît, mais c'est aussi y créer des alternatives
(dépasser la seule critique...). Même si l'on ne peut prétendre vivre
des alternatives "totales" et pleinement épanouissantes dans le
contexte d'une société aliénée, je pense qu'il est possible, à bien
des niveaux, de prendre sa vie en main et de vivre des choses
intéressantes. Squatter, c'est un de ces moyens. En tout cas, je ne
vois pas ça comme une fin en soi (le squat n'aurait aucun sens dans
une société dépourvue de propriété privée), mais comme une possibilité
de s'épanouir... et d'expérimenter ce qu'on voudrait voir développé à
plus grande échelle. Je ne crois pas non plus à une révolution qui
ferait table rase du passé, qui changerait tout en trois coups de
cuiller à pot. Il s'agit donc dès maintenant de penser ET pratiquer
les bases de nos projets de société... en ayant conscience des limites
que nous imposent ces expériences "limitées". Autant ne pas non plus
oublier que si changement il y a, les autorités ne seront certainement
pas prêtes à l'accepter, et que confrontation et création doivent être
articulées, pas opposées.

* Aux yeux du "grand public", le terme squat est très péjoratif ; y
a-t-il eu des réactions positives ou négatives de la part des voisinEs ?

Grenade : C'est justement parce que le terme est en général discrédité
(un peu comme celui d'anarchie) que nous devons nous l'approprier et
montrer qu'un squat peut être un lieu d'émancipation personnelle et
collective. Dans l'ensemble, nos voisinEs nous ont plutôt bien
acceptés dans le quartier. Nous avons des contacts plus ou moins
fréquents avec certainEs d'entre elles-eux, plusieurs nous ont soutenu
par écrit lors de notre procès, nous ont aidé matériellement (dons de
meubles, par exemple) et/ou sont devenuEs nos amiEs..

Ananas : En parlant des voisin-e-s, on a reçu le petit mot suivant
après la distribution dans les boîtes aux lettres du quartier de notre
flyer/invitation à la "Garden Party" qu'on organisait le 03/06 : "Cher
Pamplemousse, merci beaucoup pour votre invitation de dimanche, à
laquelle nous ne viendrons pas : nous sommes propriétaires, nous avons
des amis juge ou huissier, et nous sommes pour le droit à la propriété
privée et contre le squatt ! D'ailleurs, nous pensons que dans une
dizaine d'années, vous penserez comme nous... Soignez bien le jardin,
amusez vous et ... mûrissez, des voisins." Je tiens quand même à dire
que cette lettre n'est pas représentative de l'attitude du voisinage à
notre encontre : dans l'ensemble les gens s'en foutent tant qu'on ne
les dérange pas (n'est-ce pas d'ailleurs un problème ?), il y en a
quelques un-e-s qui ne nous aiment pas trop (et c'est réciproque en ce
qui me concerne), mais plus (autant qu'on le sache) qui sont assez
sympas et avec qui ça se passe bien. En général quand des voisin-e-s
passent chez nous, je pense qu'elles/ils sont agréablement surpri-se-s
et que ça casse certains de leurs préjugés quant au squat... (même si
nous ne sommes qu'un type de squat parmi d'autres).

Pruneau : Une voisine nous a traité de "nantis", parce qu'on a des
téléphones portables, l'eau et l'électricité. Les "vrais squatteurs"
doivent-ils vivre dans la merde ? Cela dit, je préfère m'attarder sur
tel voisin sympathique qui vient apporter un gâteau et une brique de
jus d'orange à notre goûter avec ses quatre enfants dans les bras pour
discuter, ou encore sur tel autre voisin qui nous indique une maison
vide dans la rue adjacente, que de m'éterniser sur des anecdotes qui
témoignent de l'incompréhension de certaines personnes à notre égard.
De toutes façons, la plupart des gens n'ont pas les clefs en main pour
comprendre notre démarche, pétris qu'ils sont de clichés et de
craintes. Je ne leur en veux pas, j'aimerais juste leur permettre de
changer, et ça peut prendre du temps, je crois. Nos tracts et affiches
sont là pour ça, pour que la mémé d'à côté ou le petit garçon d'en
face viennent nous rencontrer, plutôt que se s'enfermer dans les peurs
et préjugés.

* Vous avez par ailleurs organisé des rencontres avec ces mêmes
voisinEs ; qu'en est-il ressorti ? Pensez-vous qu'un squat ait un rôle
à jouer dans l'idée "Think globally, act localy" en étant plus qu'un
simple lieu d'habitation ?

Grenade : Le 7 janvier 2001, nous avons organisé un goûter "de
quartier" chez nous, c'était un dimanche après-midi et pas mal de
voisinEs sont passéEs, les petitEs comme les grandEs. Nous avions
prévu plein de gâteaux et de jus de fruits, nous ne l'avons pas
regretté, c'était vraiment chouette. Malgré l'enthousiasme qu'a
suscité ce sympathique et convivial goûter, nous n'avons pas souvent
réédité ce type d'expérience (à part la Garden Party de début juin, je
crois que c'est tout d'un point de vue formel...). Il faut dire que
nous sommes des garçons très occupés, un peu comme des hommes
d'affaire, quoi. Le mois de janvier s'est notamment terminé par
l'engagement du Pamplemousse dans la lutte contre le Forum économique
mondial qui se tient tous les ans à Davos, en Suisse. C'est quoi des
hommes d'affaire anticapitalistes ? Des activistes ? Houlala, non, pas
ça... Enfin bon, penser global et agir local, oui, tu peux aussi
remuer le tout, penser local aussi, agir global, tout est possible.

Ananas : Les rencontres avec les voisin-e-s ont été plutôt positives,
et je pense que c'est une chose importante que doivent faire les
squats que de communiquer et de "s'ouvrir" au voisinage. D'ailleurs,
le squat a effectivement, à mon sens, un rôle à jouer dans l'idée
"Penser global, agir local", et ne doit pas être refermé sur lui-même
(au risque, entre autres, d'être trop coupé de la réalité). Mais bon,
le Pamplemousse n'est pas à proprement parler un squat d'activités,
même si nous avons organisé quelques trucs, à destination du quartier
ou plus largement (Semaine Libertaire, etc.). En ce qui me concerne,
je crois que j'ai plus envie de vivre dans un squat "d'habitation" que
dans un squat où il y aurait plein d'activités (hormis quelques
"événements" à destination du quartier). Ce qui ne m'empêche pas de
m'investir dans des lieux d'activités (Tanneries, Local Libertaire),
où d'avoir d'autres activités politiques.

Pruneau : Il me semble aussi très important d'être ouvert sur le
quartier, et sur les gens en général. Vivre en squat peut être une
expérience riche et épanouissante, mais le fait de construire des
alternatives aux rapports normés n'est pas sans problèmes. En se
"libérant", on creuse le fossé entre ceuzécelles qui tentent de mettre
en place une autre société, et cellezéceux qui essaient de s'y
insérer, et qui souvent n'ont pas même idée des critiques que nous
pouvons lui adresser (bien que ces personnes souffrent de la société,
mais c'est ce qu'on appelle l'aliénation). S'ouvrir, c'est donc
permettre à des gens de découvrir "notre univers" : nos envies,
revendications, tentatives de faire, etc., mais aussi l'occasion pour
nous de ne pas perdre pied, de ne pas nous enfermer dans un "ghetto
alternatif" qui nous éloignerait des réalités quotidiennes de quantité
de gens.

* Quelles sont pour le moment les autres manifestations qui ont eu
lieu au Pamplemousse ? Est-ce facile d'organiser des trucs et de faire
circuler des infos sur Dijon concernant vos activités ?

Grenade : Zut ! Nous n'avons pas précisément noté ce que nous avons
organisé à la maison. Nous avons fait une "pendaison de crémaillère"
entre amiEs, un goûter de quartier, une bouffe intersquat, une Garden
Party, une journée thématique sur les squats dans le cadre de la
semaine libertaire à Dijon début mars 2001 (avec expo, vidéo, débat,
bouffe végétalienne, ...), un rassemblement devant la pref', plusieurs
réunions "politiques" (notamment pour l'intersquat dijonnaise), etc.
Sur Dijon, ça n'est pas très compliqué de faire passer des infos ; ce
qui est un petit plus compliqué, c'est de trouver le temps d'organiser
des activités chez nous, parce que le milieu
"anarchiste-squat-tout-ça" est tout le temps pris par plein
d'activités en même temps...

Ananas : C'est vrai que faire passer des infos n'est pas très
compliqué, le problème est juste que les gens s'intéressent à ces
infos, et fassent la démarche d'aller vers nous (et arrêtent de se
comporter en spectatrices/eurs) ! Ce qui d'ailleurs n'est pas un
problème spécifique aux squats...

Pruneau : A Dijon, la diffusion d'infos n'est pas très difficile ; le
milieu alternatif y est relativement développé. Sans pour autant être
légion, les anarchistes & autres contestataires radicaux/radicales
tendent à être un peu organisé-e-s, et disposent de quelques
structures. Qu'il s'agisse des squats d'habitation, d'activités, des
deux mélangés ou du local libertaire, il y a des lieux pour
s'exprimer, organiser diverses manifestations, toucher des gens pas
spécialement politisés. Actuellement, des discussions se mettent en
place entre les actrices et acteurs d'initiatives alternatives au sein
d'une sorte d'"inter-libertaire" dijonnaise, pour connecter le
travail "individuel" des différents groupes militants, et faciliter
la cohésion de projets d'envergure (comme le fut la semaine
libertaire, organisée par divers squats, collectifs et individus, pour
proposer une réponse radicale au carnaval puant des élections
locales). En parallèle, divers squats essaient de se rassembler
régulièrement pour concrétiser des solidarités souvent informelles :
échanger, discuter de nos positions politiques et du sens de nos
occupations... voire préparer des actions communes, bref... plein de
possibilités ! Quant à parvenir à toucher "les gens" sur les sujets
qui nous préoccupent et qui les impliquent également... pas toujours
facile, mais nous avançons petitement.

* Dans une colonne parue dans Desiderata #1 (...), l'un d'entre vous
parlait de l'aspect d'autogestion d'un squat et de la vie en
communauté, etc. Comment sont prises les décisions et les choix
concernant le quotidien, la vie du squat, etc. ?

Abricot : Les prises de décisions concernant le squat se font bien
entendu collectivement. A propos d'autogestion, on a retrouvé des
phénomènes amoindris de chefferie chez nous, qui ne correspondent pas
forcément au schéma-chefs-qui-décident/sous-fifres-qui-exécutent, mais
qui relèvent de l'inégalité d'expression des désirs individuels. Le
principe d'autogestion permet de dépasser cette inégalité.

Grenade : Oui, en théorie ça marche toujours bien mieux qu'en
pratique. Ça paraît simple. Mais nous ne sommes pas éduqués, formés,
formatés, conditionnés en ce sens. Alors nous devons (re)mettre en
question ce que nous avons appris, ce que nous av(i)ons l'habitude de
faire, travailler sur nous-mêmes individuellement et collectivement...
Mais comme le dit la chanson de Johnny Halliday : "ça ne change pas,
un homme ; un homme ça vieilliiiiit...". Je blague bien sûr. Rien
n'est immuable.

(...)

Pruneau : Je suis également partisan d'une organisation un peu
"formelle". Ça peut rebuter, et même sembler contradictoire avec nos
belles idées de liberté, mais je crois au contraire qu'être
organisé-e-s, c'est se libérer de la tyrannie du tout-spontané, qui a
le mérite de ne (presque) jamais marcher, et de faire tout planter
(combien de squats minés par les querelles de vaisselle ?). Je ne suis
pas contre toute spontanéité, mais j'aspire à une spontanéité récréée,
dégagée de nos conditionnements présents. Et je ne pense pas qu'être
"free" en toutes circonstances nous aide beaucoup à dépasser nos
mécanismes merdiques (fainéantise, égoïsme, dominations diverses et
variées, ainsi que tout le tralala de la vie en collectivité). Tout ça
pour dire que les plannings, les réunions et les discussions, ça me
semble indispensable. Et puis sur ce sujet comme sur tant d'autres, le
Pamplemousse m'apporte plus de questions que de réponses définitives :
comment concilier les envies antagonistes, que faire face aux carences
de motivation, comment éviter la spécialisation, quelle place pour les
initiatives individuelles ? Etc.

* Vos avis en ce qui concerne la "législation" française vis-à-vis des
squats ? Elle est plus souple dans d'autres pays comme l'Angleterre,
non ?

Grenade : La justice bourgeoise protège la propriété privée avant
tout. Nous luttons contre la propriété privée. Et contre la justice
bourgeoise, cela va de soi. Pour celles et ceux qui sont sceptiques
par rapport à ça, je conseille d'assister à une petite semaine de
procès au tribunal le plus proche de chez vous. Vous verrez comme
c'est déprimant et révoltant.

Abricot : De toute façon, nous n'avons pas à attendre que la justice
nous accorde une quelconque légalisation, comme l'espèrent certains
squats, car ce serait le début de la fin. La récupération se cache
dans tout rapport entre l'Etat et ses ennemies, sachons récupérer le
pouvoir.

Ananas : En France, la législation est un peu floue quant aux
squats... Elle est peut-être plus souple dans certains pays (comme la
Suisse, les Pays-Bas, etc.), mais souvent au prix d'une "légalisation"
qui ne m'intéresse pas vraiment et qui a mon avis tend plutôt à
endormir les gens (même si évidemment ça doit être agréable...). Il y
a d'autres pays où la législation est sûrement plus dure, et où il
faut vraiment instaurer un rapport de force pour tenir un lieu
(résistance violente aux expulsions, expulsion=émeute, etc.) comme
l'Italie ou l'Espagne, mais ce sont des pays où le mouvement squat est
assez développé et où le côté
"anarchiste-insurrectionnaliste-autonome" est assez fort,
contrairement à chez nous (malheureusement !).

Pruneau : Je pense que le flou légal qui entoure les squats est une
"bonne" chose, car c'est souvent ce qui leur permet de tenir quelques
temps. On peut ainsi jouer sur la notion de domicile (le squat est la
résidence principale de l'occupant-e), qui rend inexpulsable tout lieu
dont l'éviction n'a pas été décidée par un tribunal. En bref, le
propriétaire doit lancer une procédure légale, parfois un peu longue
et compliquée, ce qui est tout à l'avantage des squatteureuses. Pour
autant, rien n'est gagné, car non-seulement la loi protège la
propriété privée (on est certain-e d'être expulsé-e un jour ou
l'autre), mais les flics aiment également bien jouer les cow-boys (les
expulsions illégales sont monnaies courantes) et les propriétaires
préfèrent parfois faire appel à des gros-bras, sans s'encombrer de
procédures ennuyeuses. Cependant, il me semble important de préciser
qu'exploiter la loi pour grappiller quelques délais ne doit pas
déboucher sur une quête de la légalité. Le caractère subversif des
squats réside notamment dans le fait qu'ils pratiquent la rupture.
Avec la loi, la propriété privée, et plus généralement avec le
contrôle social généralisé, qui nous enferme dans des rôles déterminés
et limités. Pour peu qu'il ait une volonté politique de transgression,
le squat peut être un espace "libéré" --au moins partiellement--, et
catalyser les résistances à diverses oppressions et au pouvoir. C'est
par le rapport de force ainsi créé qu'il est possible d'affirmer de
réelles alternatives à la vie standardisée, la d'affirmer la
légitimité contre la légalité, la conquête de soi et l'activité
indépendante contre la résignation et la passivité. En ce sens, je
pense comme Abricot que légiférer le squat serait le début de la fin,
car l'État et les pouvoirs publics savent en jouer. C'est ce qui s'est
passé dans plusieurs pays comme l'Allemagne, la Hollande ou encore la
Suisse, qui doivent impérativement nous servir d'exemples. La
légalisation des squats, outre qu'elle constitue une impasse
politique, s'avère souvent une tactique désastreuse : les squats
légalisés deviennent "bons squats", témoignent de la politique de
"tolérance" de la municipalité, et lui servent de caution pour
criminaliser et expulser les autres squats jugés "dangereux" ou
"inacceptables" (ex: squat politiques radicaux, squats de
sans-papiers, etc.). Cela dit, je ne suis pas systématiquement hostile
à toute possibilité de régularisation. Même si le principe m'arrache
la gueule, je pense qu'il faut savoir jouer stratégique, et que la
possibilité d'inscrire un lieu dans la durée est parfois plus
intéressante qu'une résistance sans compromis mais condamnée à
l'échec. En l'absence de mouvement social d'envergure qui permettrait
de faire tenir des lieux par la pression (cf ce que dit Ananas), je ne
vois pas d'autre moyen, pour faire un travail de fond sur le long
terme, que d'accepter un certain dialogue (avec le pouvoir). C'est
notamment ce qui se passe aux Tanneries, à Dijon, ou plus de 2 ans de
lutte acharnée ont conduit la municipalité à abandonner les projets
d'expulsion. Et si, moyennant un accord (acquis par la lutte, il faut
le rappeler), les Tanneries restent en place pendant 10 ans, il suffit
d'imaginer comment elles pourront servir de base à d'autres ouvertures
et initiatives, permettre à quantité de gens de se politiser et
d'agir... et, comment, au final, elles seront beaucoup plus nuisibles
au pouvoir que si l'expérience n'avait été qu'éphémère. Ce d'autant
plus que les Tanneries refusent le jeu d'une mairie qui voudrait s'en
servir pour faire taire plus facilement les autres squats. Les
Tanneries marquent clairement leur soutien aux autres lieux occupés,
et précisent qu'une éventuelle "légalisation" ne serait une option
tactique, non une prise de position générale en faveur de la
négociation.

* Comment voyez-vous le "mouvement squat" en France actuellement ? Il
est certainement l'un des moins importants d'Europe, qu'est-ce qui
selon vous peut expliquer cela ? Une répression trop grande ? Trop peu
de gens motivéEs et décidéEs à ouvrir un lieu ?

Ananas : Pfou... Je ne sais pas... Je pense qu'effectivement le
"mouvement squat" est assez moribond en France. J'ai même l'impression
qu'il y a de moins en moins de squats, et que cela est plutôt
concentré sur certaines villes. Par exemple, à Dijon il y a pas mal de
squats (7, si je ne m'abuse), si tu regardes la taille de la ville.
Quant à savoir pourquoi...

Abricot : La répression en France contre les squats n'est pas plus
grande qu'ailleurs en Europe, où c'est d'ailleurs souvent pire qu'ici.
Même s'il n'y a pas énormément de squats, ils se répartissent assez
bien dans le territoire français, et j'ai même la vague impression que
l'idée de squatter peut intéresser plus de gens. Pour ce qui d'un
"mouvement", j'espère que les choses vont rapidement évoluer grâce au
réseau dit intersquat dont la première réunion a eu lieu en avril 2001
à Grenoble (au CPA... coucou !) et la deuxième à Toulouse. Lisez "Le
squat de A à Z" !! Ouvrez des squats !!

Pruneau : Ouais, il me semble important d'insister sur cette
intersquat qui est encore en gestation, mais qui s'avère diablement
prometteuse. En France, les tentatives de réseau ont toutes échoué, ou
ont manifesté un manque de recul politique inquiétant. Par exemple,
cette "intersquat" de Février 2000 à Paris, ou divers squats
d'artistes s'étaient mis d'accord à revendiquer l'intervention de
l'État dans la régularisation des lieux squattés, dans l'obtention de
friches industrielles, etc. Je ne veux pas me répéter, mais le
dialogue systématique avec l'État, sur les squats ou autre chose, c'en
est la mort programmée ! Pour revenir à cette "intersquat francophone"
qui est en train de se monter, elle a notamment pour objectifs de
faciliter la communication entre les squats, afin de permettre
l'expression de solidarités, pour peut-être envisager des actions
collectives, la création d'un mouvement squat ou je ne sais quoi. En
tout cas, pour le moment, c'est une plate-forme d'échanges et de
discussions entre squatteuses , squatteurs et sympathisant-e-s, pour
dépasser nos réflexions isolées. Ça marche par le biais de grandes
rencontres (Grenoble, Toulouse...), et aussi par le biais d'Internet,
avec des listes de discussion/diffusion. Pour plus d'infos, écrivez au
Pamplemousse, tiens ! Parce que "plus on est de fous et de folles,
plus on rigole !", et que cette intersquat veut permettre au plus de
squats possible de participer !

* Vous êtes déjà passés en procès en janvier dernier [2001] ; a-t-il
été simple de se repérer face à la machine judiciaire ? Avez-vous subi
quelques pressions ou intimidations que ce soit ?

Ananas : Ça a été assez simple car plusieurs d'entre nous avaient déjà
squatté avant et donc étaient passés en procès pour cela, et d'autres
(c'est mon cas) étaient quand même assez proches de ce milieu, s'y
connaissaient un peu au niveau légal, avaient déjà soutenu des
squats,... Sinon, pas spécialement de pressions ou d'intimidations en
ce qui nous concerne. On a quand même la chance d'avoir un avocat
plutôt sympa, qui s'occupe aussi d'un autre squat, etc.

Pruneau : On est situés dans un quartier calme, résidentiel, à
proximité d'une grande allée bourgeoise (dont une baraque est
d'ailleurs squattée : La Courdémone, chouette lieu d'activités
féministes, 15 cours du Parc, Dijon). Concrètement, ça veut dire un
degré 0 d'agitation. Dans ce contexte, les flics ne sont jamais venus
nous provoquer, contrairement au Saumaise (squat dijonnais à
l'histoire autrement plus agitée, expulsé en avril 2000), ou ils
passaient parfois mettre du gaz lacrymogène sous la porte en nous
traitant de pédés (et alors ?), pour finalement tabasser un habitant
avant de l'inculper (bilan : 3 mois de prison avec sursis et plus de
10000 francs d'amende pour s'être fait péter la gueule).

* Qu'en est-il du verdict de ce procès ?

Grenade : Le verdict est tombé le 30 mars 2001 (avec un certain
retard, donc). Pour résumer : un mois de délai pour déguerpir. Mais la
procédure d'expulsion ne s'arrête pas là. Un huissier est passé fin
mai pour nous laisser le commandement de quitter les lieux. A vrai
dire, je résume, il est passé trois fois nous laisser un commandement
de quitter les lieux, avec à chaque fois un délai différent, sans
raison. En plus, malgré trois commandements différents, l'huissier a
oublié (volontairement, bien sûr) de nous accorder les deux mois de
délai attribués par l'article 62 de la loi du 9 juillet 1991 du code
de procédure civile. Bref, y'a beaucoup de bluff et de coups de
pression dans l'histoire, nous sommes expulsables chaque jour mais
nous faisons un procès au proprio pour non-respect des procédures
d'expulsion. Ce procès aura lieu début septembre [2001], alors nous
espérons ne pas être expulsés d'ici là. A ce moment là, on verra...
Tout ça, c'est juste du blabla pour gagner du temps, et si ça marche
sans qu'on n'ait à trop se casser la tête, pourquoi s'en priver ? De
toute façon, nous ne partirons pas de notre propre chef, évidemment.

Ananas : C'est clair qu'on ne sortira pas de nous-même (en espérant
qu'on ne morflera pas trop) ! Ils vont sûrement nous envoyer une
petite centaine de keufs (ou de gardes mobiles) pour nous jeter, c'est
quand même sympa, non ? Sinon, c'est assez stressant de ne pas savoir
quand ça peut arriver, ni si ça va tarder ou pas... Mais bon, on pense
que ça devrait être pour bientôt, et on est attentifs (tours de garde,
barricadage, etc.).

[Note de fin décembre 2001 : le Pamplemousse est toujours ouvert et ne
sera vraisemblablement pas expulsé avant la fin du mois de mars 2002
puisqu'il bénéficie maintenat de la trêve d'hiver... Après ? Pourvu
que ça dure...]

(...)

* Quels sont vos projets pour le Pamplemousse ou dans vos autres
activités ?

Pruneau : Encore plus de pique-nique-la-propriété dans le jardin !

Ananas : Le barricader à mort pour faire chier ces pourritures de
flics quand ils viendront pour l'éplucher... (...)

(...)

- Des habitants du Pamplemousse, Août 2001

(Les réponses à cette interview sont individuelles et n'engagent donc
pas le Pamplemousse dans son ensemble).


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