15 février 2002

 

INTERVIEW DE MICHEL COLLON :

Vous revenez de La Haye. Selon vous, le TPI respecte-t-il le droit ? Cette question commence à être posée. Une telle approche juridique vous semble-t-elle pertinente ?

Michel Collon : Oui. On a raison de se demander si tout accusé a droit à un procès équitable. Et si les principes élémentaires du droit doivent être respectés. Dans ce cas, la réponse est manifestement non.

Ce tribunal n’est pas neutre, il est politique et il viole le droit. A partir de là, un grand nombre de gens, quoi qu’ils pensent de Milosevic, pourront s’interroger sur les véritables motivations de ceux qui dirigent ce procès. Et comprendre qu’il s’agit d’un dangereux précédent pour toutes les guerres que George Bush et Cie sont en train de préparer.

" Pas neutre, le TPI " ?

Michel Collon : Pas du tout. Ecoutez, si vous aviez personnellement un conflit de la vie courante avec un " ennemi ", et que cet ennemi finançait le tribunal, l'accepteriez-vous ? Or, le TPI est financé par le gouvernement US, par des multinationales US et par le supermilliardaire spéculateur George Soros. Lequel a financé à coups de centaines de millions de dollars, en Yougoslavie et à l’Est, des médias pour attaquer Milosevic et des fondations pour promouvoir le capitalisme. Il a aussi financé des séparatistes albanais. Peut-on être à la fois juge et partie ?

Vous accusez le TPI d’être un instrument politique...

Michel Collon : Ce n’est pas moi qui l’accuse, c’est Jamie Shea, le porte-parole de l’Otan, lui-même : « Le TPI, a-t-il dit, n’enquêtera (sur les crimes de l’Otan – ndlr) que si nous le lui permettons. » Rappelons que la présidente du tribunal a aussi remercié la ministre US Madeleine Albright pour son aide en la qualifiant de « maman du tribunal » ! Enfin, Louise Arbour, procureur qui a rédigé l’acte d’accusation contre Milosevic, était allée peu auparavant prendre ses instructions chez Clinton et Blair. Elle a participé à des activités publiques avec des généraux de l’Otan. Elle figure au comité éditorial d’une importante revue US conservatrice. A côté du général Wesley Clark qui commandait les bombardements sur la Yougoslavie. Cette revue, bien sûr, vante l’Otan.

Sachez que j’ai fait mes études de droit. Il y a longtemps, c’est vrai, mais tout ceci viole des principes admis par tous les juristes. Le code pénal dit qu’on peut récuser un témoin qui, par exemple, dînerait avec un accusé. Souvenez-vous : en Belgique, le juge Connerotte avait été déssaisi de l’affaire des enfants disparus car il avait assisté à un « souper-spaghetti » au profit de l’association des parents.

Quelles règles juridiques le TPI enfreint-il exactement ?

Michel Collon : Il peut utiliser des témoins anonymes. Ou des rapports de la CIA comme « preuves » sans les communiquer à la défense. Il peut interdire tel ou tel avocat. Toutes pratiques formellement interdites par les codes traditionnels.

Milosevic a introduit une plainte auprès de l’Etat hollandais en affirmant avoir été kidnappé et être détenu illégalement…

Michel Collon : Sur ce point aussi, il a raison. Regardez les lois qui régissent, partout dans le monde, les procédures d’extradition. Elles sont strictes : seul un tribunal peut décider de l’extradition d’un citoyen vers un autre pays. Sinon, on est dans l’arbitraire politique complet.

Or, la Cour Suprême de Belgrade avait déclaré illégale l’extradition de Milosevic . Qu’à cela ne tienne, le gouvernement de Serbie de Monsieur Djindjic a quand même fourré Milosevic de force dans un avion. Or, le gouvernement de Serbie n’a même pas d’existence internationale, c’est seulement un des « sous-gouvernements » si je peux dire, en Yougoslavie. Imaginez que la plus haute instance judiciaire belge interdise d’extrader telle personne, mais que le gouvernement flamand ou bruxellois réalise quand même l’extradition. C’est exactement ce qui s’est passé. D’ailleurs, chacun sait que le gouvernement Djindjic a effectué ce « transfert » en échange d’une prime que les Etats-Unis n’ont d’ailleurs pas versée ! On en revient à la justice Far West : chasseurs de primes et kidnappings !

Pour vous, ce procès est à relier à la violation des droits des prisonniers talibans à Guantanamo ?

Michel Collon : Absolument. C'est la « nouvelle mode » ! Bush viole les droits des prisonniers de guerre, il instaure des tribunaux militaires dictatoriaux. Lesquels pourront juger demain n’importe quel opposant ou mouvement de libération du du tiers monde. Le Conseil de l’Europe a commencé à suivre Bush en édictant lui aussi des lois qui pourront frapper comme « terroriste » n’importe quel syndicaliste ou manifestant antimondialiste.

Si on ne réagit pas, les Etats-Unis vont éliminer tout vestige du droit international. Le droit les dérange. Dans les années 80, la Cour Internationale de la Justice a condamné le président Reagan pour avoir miné les ports du Nicaragua afin de déstabiliser le gouvernement de gauche sandiniste. Qu’ont fait les Etats-Unis ? Ils ont cessé de reconnaître le tribunal ! Et à présent qu’on parle d’une Cour Internationale qui pourrait juger les crimes de guerre de n’importe quel pays, comment réagit Bush ? En annonçant qu’il est hors de question de jamais juger un citoyen US pour les crimes qu’il aurait commis et que les marines US iront le délivrer par la force n’importe où dans le monde si cela se produisait !

A quels crimes de guerre US pensez-vous ?

Michel Collon : Par exemple, à ceux que l’Otan a commis en bombardant la Yougoslavie. D’abord, la Charte de l’ONU interdit de recourir à la guerre pour « résoudre des conflits ». Ensuite, bombarder en 1999 la TV de Belgrade pour la faire taire (16 techniciens et journalistes tués), c’est un crime pur et simple au regard des Conventions de Genève. Et bombarder des entreprises et des installations électriques pour faire souffrir la population, c’est expressément interdit. 2 000 civils ont été tués, souvent pris volontairement comme cibles.

« Volontairement » ?

Michel Collon : Parfaitement. Des familles de victimes viennent d’introduire une plainte en Allemagne contre le bombardement du pont de Varvarin. Il n’y avait là aucune cible militaire, aucun soldat, des civils ont été bombardés alors qu’ils traversaient un pont. Et l’avion est revenu bombarder une deuxième fois. 10 civils tués, 17 blessés graves. Voilà les crimes manifestes que le TPI refuse de poursuivre.

Donc, vous ne voyez dans le procès de La Haye que le « droit du plus fort » ?

Michel Collon : Oui, les « maîtres du monde » prétendent juger Milosevic, mais refusent de juger Pinochet et Sharon ! Celui-ci peut occuper illégalement la Palestine, pratiquer l’apartheid, le nettoyage ethnique par étapes et la terreur, il continue à recevoir des milliards de dollars et d’euros, et l’Europe ne lève le petit doigt qu’en paroles !

En fait, Milosevic est attaqué non pour ce qu’il aurait commis mais parce qu’il a résisté au FMI et aux multinationales qui voulaient contrôler son pays. Pour moi, c’est d’ailleurs la dimension la plus importante de ce procès au moment où Bush menace de plus en plus de pays « rebelles » : Corée, Irak, voire Iran, Colombie, Philippines, et demain encore bien d’autres. Le but de ce procès, c’est d’intimider tout dirigeant du tiers monde qui suivrait une voie de résistance aux multinationales. Pensez à la situation en Argentine et à tant de pays ruinés par ces mêmes multinationales. Dans ce procès, on ne juge pas le passé, mais toutes les résistances à venir. C’est un procès d’intimidation.

Curieusement, on traite à nouveau Milosevic de « communiste ».

Michel Collon : Oui, ça m’a frappé durant l’audience. Del Ponte a commencé par justifier le fait qu’on ait sans cesse coupé le micro de Milosevic, accusant celui-ci de transformer ce « procès » en un débat politique. Mais immédiatement après, elle et son adjoint ont procédé à une analyse politique (pro-occidentale bien sûr) de ses orientations et de son activité de dirigeant. Et ils ont employé à tout bout de champ le terme de « communiste » pour le dénigrer.

C’est très discutable. Personnellement, comme beaucoup d’observateurs je pense qu’à partir de 89, les idées de Milosevic tendaient au contraire à introduire le capitalisme en Yougoslavie, tout en espérant le « contrôler ».

La vraie discussion, c’est : qu’a donné le capitalisme du FMI aujourd’hui en Yougoslavie ? Des hausses de prix faramineuses, des foyers privés d’électricité, la perte massive d’emplois. La popularité du gouvernement DOS est tombé à moins de 10%. Même le président Kostunica réclame des élections anticipées. Que l’Otan empêchera évidemment.

Mais pourquoi relance-t-on maintenant le terme « communiste » ? Clairement parce que Bush a commencé une campagne de diabolisation de la Corée du Nord et que les multinationales rêvent de mettre définitivement fin au socialisme en Chine.

On entend souvent objecter : « Oui, mais il faut quand même juger Milosevic »…

Michel Collon : Pour moi, si quelqu’un a commis des méfaits, il doit certainement être jugé. Et je pense qu’en Bosnie, des crimes terribles ont été commis par les milices des trois camps. Qui les contrôlait ? C’est une autre question. Mais je voudrais ajouter trois remarques essentielles :

1° Ne croyez pas tout ce qu’on vous a raconté sur les Serbes. Les médiamensonges ont été aussi énormes que durant la guerre du Golfe.

2° J’accuse les Etats-Unis d’avoir utilisé des terroristes islamistes de la mouvance Ben Laden pour faire éclater la Yougoslavie et pour diviser les peuples : en Bosnie, au Kosovo, et en Macédoine aussi. On ne peut comprendre la question Milosevic si on ne répond pas à la question : pourquoi les Etats-Unis ont-ils favorisé ce terrorisme ?

3° D’accord pour qu’on « juge », mais alors à condition de juger équitablement tous les participants. Y compris Clinton, Blair , Helmut Kohl et les services secrets allemands et US pour leur travail clandestin en Yougoslavie. Mais ce procès-ci, c’est comme si Sharon jugeait Arafat.

Pratiquement, que faire maintenant ?

Michel Collon : Dénoncer les tribunaux militaires et la Justice Far West préparés par Bush et Cie pour leurs guerres à venir. Réclamer l’abrogation du TPI car il est illégal. Milosevic doit pouvoir retourner en Yougoslavie et c’est au peuple serbe à régler ses affaires lui-même. Les pays riches n’ont pas non plus le droit d’imposer à la planète leur domination sur le plan judiciaire, les pays riches ne sont pas la solution des problèmes qu’ils ont eux-même créés.


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