27 février 2003

 

INSURRECTION AU NÉPAL

          Kathmandu,

          Maintenant parlons du Nepal. Je ne parlerais que des dix dernieres annees... J`en ai vecu une grande partie ici. À la suite d`enormes et sanglantes manifestations populaires en 1988 et 89, le Nepal est devenu, sous le dernier roi, Byrendra, une monarchie constitutionnelle.

          Dans les années qui ont suivi, il y eut jusqu`a 41 partis politiques dans le pays, temoignant des 60 ethnies et des dizaines de castes qui se disputent le royaume. Dans la vallee de Kathmandou, les plus riches, ce sont les Newars et les Chettris, qui se partagent 70 pour cent du pouvoir (admnistration royale, bussiness et propriétés foncières). Ces deux ethnies, qui sont en fait "aussi" des castes (ça ! c'est toute la magie du sous-continent indien), sont bien representées dans le parti du Congrés népalais, dirige par Koroila. Il fut longtemps en exil en Inde où son parti est né... (pour la petite histoire, sa nièce est une star de Hollywood). Si tu otes l`aspect caste et éthnique, qui ici est déterminant, la couleur du Congrés serait plutot social-democrate ; mais les nationnalistes népalais (parmi lesquels je range sans conteste les maoistes) denoncent le Congrés népalais comme un agent d`influence de l`Inde. Le Congrés népalais fut le parti qui a eu plus d'occasion de diriger le pays dans les dix dernières années.

          Le Népal est un petit royaume de 23 millions d`habitants coincés entre la monstrueuse et prolifique Inde (plus d`un milliard d'habitants) et l`inaccessible Chine, deux superpuissances qui s'affrontent "économiquement" sur leur sol. Elections et democratie oblige : en 1995, pour seulement 10 mois, le royaume connut un premier ministre communiste. Ce fut un échec. Et le parti communiste nepalais se scinda en plusieurs fractions, dirigées par des personnages charismatiques : CPN-ULM, marxiste-leniniste, d`un côté, avec deux versions : une stalinienne (citadine et institutionnelle) et l'autre, maoiste (estudiantine et rurale)... Attardes-toi sur cette difference, car, c'est de cette "infime" différence que naitra la strategie maoiste de "popular war" [Note de do : guerre populaire]. La légende veut (j`ai lu ça dans une revue sérieuse Himal), qu'en 1994, des membres du Sentier lumineux peruvien auraient instruit les cadres de la future "popular war"...

          Le chef charismatique des "maopatis" est Prachadad, c'est son nom de guerre. En fait, c'est un ancien architecte, issu de la petite bourgeoisie "frustrée" népalaise. Son nationnalisme est certain (il parle dans une interview datée de 2 ans, d`affronter à terme la puissante armée indienne) et son intention de supprimer les castes, aussi. Quant à son communisme... Je n`ai pu juger sur pieces, n`ayant pas eu encore accès aux territoires "libérés". Toutefois, on parle de réforme agraire, de partage des terres, de la fin des landlords, d`une éducation "communiste" et de soins gratuits...

          En fait de soins gratuits, ça a été, depuis bientot huit ans que dure la guerre civile, massacres et repressions des deux côtés. Les régiments royaux ayant créé, comme pendant la guerre du Vietnam, les Americains, des commandos "Search and destroy" [ndd : "chercher et détruire"], qui sèment la terreur dans les collines et montagnes. Les maoistes n'étant pas en reste, supprimaient et suppriment tout ce qui peut ressembler à un espion ou un un traitre. Deux paranoïas qui s`affrontent sur le
dos d`un peuple martyr.

          C`est le massacre mystérieux, il y a deux ans, de toute la famille royale, qui a poussé la guerre à son paroxysme. Jusqu`alors le roi Byrendra refusait d'envoyer l`armée royale contre les maos, seule la police les réprimait. Avec le nouveau roi, Gyrendra, son frère, dont beaucoup murmurent ici qu`il fut le réel instigateur des meurtres, ce fut le délire répressif. Appuyé internationalement par l`Inde, les USA, la Grande Bretagne et, bizarrement, parfois la Chine, la Russie, et la Belgique.

          Il envoyait la troupe, les hélicoptères, les parachutistes et les milices villageoises contre les paysans révoltés et leurs cadres ; il décréta par deux fois l'état d`urgence : couvre-feu, répression et interdits surréalistique à la chilienne. Sais-tu que l`année dernière, on ne pouvait ni porter un tee-shirt rouge, ni la barbe, ni un pantallon kaki dans les rues de Kathmandou...

          En octobre, il dissout le parlement et rétablit la monarchie... Tout ca en vain ! Aujourd`hui, le roi doit signer un agréement directement avec les maos... Les mauvaises langues disent que ce sont les derniers, indirectement, qui peuvent lui donner comme un semblant de légitimité. Les maos profitent de cette faiblesse et des contradictions entre les démocrates, l'extrême-droite, et le roi, pour avancer leurs pions.

          Bon, ca suffit pour aujourd`hui, si tu es interessé(e), je continuerais un prochain jour...

          N`oublies pas le systeme des castes est très important ici.


                    Amitiées libertaires
                    Himalove

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REMARQUES ET QUESTIONS de do :

Cher Himalove,

Qu'entends-tu par nationalisme ?

Tu dis que le Parti Communiste du Népal est parvenu au pouvoir, mais que ce fut un échec. Pourrais-tu nous dire en quoi et pour quelles raisons ?

Tu dis : « CPN-ULM, marxiste-léniniste, d`un côté, avec deux versions : une stalinienne (citadine et institutionnelle) et l'autre, maoiste (estudiantine et rurale)... Attardes-toi sur cette difference » Quelle différence y a-t-il entre la version stalinienne et maoiste ? Quelles étaient les divergences entre Staline et Mao ? Étaient-elles avant tout idéologiques où était-ce surtout une question de rivalité de pouvoir ?

J'ai plutôt entendu dire du mal du Sentier Lumineux péruvien et de leur président Gonzalo. Il paraîtrait qu'ils étaient sanguinaires et que, dès qu'ils prenaient un village, la première chose qu'ils faisaient était de tuer les femmes adultères. Mais peut-être n'était-ce que propagande américaine ?

Tu dis : « En fait de soins gratuits, ça a été, depuis bientôt huit ans que dure la guerre civile, massacres et répressions des deux côtés. » Ce serait bien, si tu arrivais à savoir à propos des "massacres et répressions" côté mao, dans quelle mesure ils étaient réels ou simulés par le pouvoir pour faire de la propagande (Par exemple des commandos "search and destroy" déguisés en maos !) Et si tu es persuadé qu'ils étaient effectivement le fait des maos, n'hésite pas à le confirmer. Merci.

Tu dis du nouveau roi : « En octobre, il dissout le parlement et rétablit la monarchie... Tout ça en vain ! Aujourd`hui, le roi doit signer un agréement directement avec les maos... Les mauvaises langues disent que ce sont les derniers, indirectement, qui peuvent lui donner comme un semblant de légitimité. » Pourrais-tu nous dire ce que soupçonnent ces mauvaises langues ?

Merci Himalove pour toutes ces infos qui sont très précieuses.

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RÉPONSE D'HIMALOVE :

                    Cher do,

          La situation politique au Népal est à l'image de Kathmandou où l'on attend incessamment un énorme tremblement de terre (c'est officiel) d'ici l'an 2020... Les plaques tectoniques, indienne et asiatique, qui ont constitué, il y a des millions d'années, les Himalayas, avancent de 2 cm par an ; le mont Sagamartha ou Cholomgma (noms népali et tibétain) du mont Everest pousse de deux centimètres par an.

          Eu égard à la concentration urbaine dans la vallée de Kathmandou, les 8 000 morts de la guerre populaire, et la question de savoir le pourquoi de l'échec du Premier ministre communiste en 1995 paraitront insignifiants. Ça aussi, c'est le charme du sous-continent indien où les calamités naturelles s'ajoutent aux catastrophes politiques.

          Ce préambule pour te dire que mes réponses à tes questions sur la définition du "nationnalisme", ou sur le "maoisme" et le "stalinisme" seront toutes relatives. Je survis en Asie, comme les gens, au jour le jour, et je ne dors pas dans un amphithéatre de la Sorbonne ni dans un hôtel 4 étoiles. Pourtant, j'agrée à cette formule d'un libéral anglais (dont j`ai perdu le nom) : « le communisme, dans ses modèles soviétique et chinois, ont été les voies les plus douloureuses pour aller d`un capitalisme à l'autre. »

          Le nationnalisme des maopatis ressemble à celui de son grand frère chinois, en ceci qu`il a intégré le républicanisme du docteur Sun Yat Sen qui voulait fédérer tous les peuples vivant dans l`Empire, y compris les Tibétains, "Cinq peuples en une Chine", disait-il, en finir avec les landlords, les seigneurs de la guerre, et amorcer une réforme agraire que les soldats-paysans de Mao Tse Toung achèveront.

          L'idée de nation est un concept occidental. Le républicanisme du Docteur Sun Yat Sen, du reste, vient d`Europe. En Asie, on parle plutôt de roi et d'empereur. Au Népal, c'est le roi qui est toujours le symbole de la nation. C'est pourquoi le mouvement maopati est obligé d'avoir affaire avec le roi, pour en extirper l'idée de nation... N`oublie pas : ici, on est dans les campagnes, comme sous l`ancien régime en France. Les paysans insurgés de l'ouest du Népal ne connaissent du nationnalisme que leur lopin de terre et l`image jaunie d`un roi, Byrendra, dans leurs chaumières. Il y a plus de 50 ethnies et langues différentes, seuls la langue népali et l'idée du roi étaient jusqu'à présent vecteurs d`unité.

          Paradoxalement, la plus grande victoire des maopatis n'a pas été de leur fait. Il s'agit de l`assassinat fantastique — on peut parler d'une éradication — de toute la famille royale en juin 2001 ; qu'importe si c'est le fils de l'actuel roi, Pranas, assassin et mafieux notoire (sais-tu qu`il est interdit de séjour aux USA ?) qui a organisé le massacre, ou son père (connu pour son machiavélisme et son ambition politique), ou les services spéciaux indiens ou américains, ou que sais-je encore ? ou tout simplement comme l'indique la version officielle le fils dégénéré, Deependra, bourré de cocaïne et d`alcool. En tout cas, comme me disait un pauvre porteur népalais, sur un marche en Inde, les larmes aux yeux (j'étais a Manali, dans l`Himachal Pradesh, à ce moment-là) : « Le Népal, c'est fini ! »

          C'était l'impression du Népal profond, pas celui des villes, mais celui des collines et des montagnes où les villages se trouvent parfois à dix jours de marche d'une route. Et c'est sur ce Népal rural, miséreux — dont l'espérance de vie des hommes est de cinquante deux ans et des femmes, d'une quarantaine d'années, qu'une poignée de rebelles, étudiants et intellectuels, chassés des villes et de leurs partis, se sont appuyés et ont commencé leur longue marche à la manière de Mao.

          En chemin, des femmes, des jeunes filles, des gamins, des gamines, tous promis à la prostitution et à l'esclavage, les ont rejoint. Ils ont assassiné leurs premiers policiers et landlords avec leurs mains, attaqué leur premier poste de police avec des pierres et des vieux fusils. Ils étaient des milliers a Dang, une garnison du Rolpa, Ouest du Nepal, en septembre-octobre 2001, en guenilles, nus pied dans des tongs, la moitié à peine armée, à prendre d`assaut la caserne.

          Oui ! Il y a un certain héroisme dans cette épopée. C'est pourquoi, même parmi les fils et filles des nantis des villes, certains rêvent de les rejoindre. Bien sûr qu'il y a eu de terribles "debordements" : tu ne donnes pas, sans risque, une kalachnikov ou le kurkuri, et le permis de tuer, à un gamin qui était jusqu'à peu cireur de chaussures ou porteur pour 10 roupies... Braquages de banques, extortions, exécutions sommaires, vengeances, etc. Comme dirait Trosky, on fait pas une révolution sur un parquet ciré et en gants blancs.

          Faut venir au Nepal et voir cette misère... Ça fait trente ans que les trekkers occidentaux viennent gambader dans les montagnes et ils n`ont rien vu... Quelle honte ! Et, après, ces mêmes gandins veulent donner des lecons de démocratie...

          Pour revenir à tes questions sur l'échec en 1995 du Premier ministre communiste, il est certes venu au pouvoir grâce aux elections, mais il a été nommé par le roi. Son échec était programmé : comment parler de socialisme sous un régime féodal ?

          Quant au "puritanisme" des maopatis ? Il est avéré : ils ont prohibé l`alcool dans leurs territoires — l`alcoolisme est un énorme fléau chez les Népalais. Un exemple : dans le sud du Sikkhim en Inde, où vivent une majorité de Népalais, il y a un couvre-feu pour les hommes à partir de 8 heures pour les empêcher de se ravitailler en alcool et de provoquer des rixes. Ce ne sont pas les femmes Népalaises qui s`en plaindraient...

          J'arrête parce que ma note de frais au café internet va être trop importante...

                    À bientot camarade,
                    Himalove

La suite du reportage d'Himalove, en direct du Népal, est en AG 614


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