Côte d’Ivoire : La face cachée du conflit

(Partisan 175 de mars 2003)
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          "Accords de Marcoussis" aussitôt abandonnés à peine signés. Manifestations à Abidjan, drapeau américain en tête, alors que ce sont les soldats français qui ont sauvé le régime de Gbagbo. Escadrons de la mort avec déjà plusieurs centaines de victimes à leur tableau de chasse. On n'y comprend plus rien en Côte d'Ivoire.

          L'alliance de classe qui s'était établie derrière Houphouët Boigny a volé en éclat avec la crise du café et du cacao. Les politiciens se sont déchirés, autour de la démagogie nationaliste de l'ivoirité ("des nazis noirs", n'hésite pas à dire Alpha Blondy, le fameux chanteur de reggae). Le pays est dans le chaos, les secteurs populaires se terrent, les militants vivent dans la peur de l'exécution sommaire. Mais où va-t-on ?

L'affrontement Ouattara/Gbagbo 

          Depuis longtemps, Alassane Ouattara est considéré comme l'homme des Américains. Ancien vice-président du FMI, ancien premier ministre de Houphouët, il jouit d'un soutien populaire considérable, surtout mais pas seulement dans les populations musulmanes du Nord dont il est originaire.

          Aussi, lorsque la rébellion éclate en septembre dernier à Abidjan, Bouaké et Korhogo dans le Nord, chacun y voit indirectement son œuvre et donc la main invisible des USA. Cela explique l'offensive rapide de l'armée française qui bloque l'avancée des rebelles, prend de vitesse les GI's pour récupérer les enfants d'une école américaine et sauve ainsi le régime de Gbagbo dont l'armée était incapable de résister aux rebelles du MPCI, mieux organisés et mieux armés.

          Craignant pour sa vie, Ouattara se réfugie à l'ambassade de France à Abidjan dont il est expulsé (vers l'étranger) en novembre suite à un voyage éclair et confidentiel de Dominique de Villepin. Les chose semblent claires : Gbagbo = la France; Ouattara et les rebelles = les USA.

          Aujourd'hui, les "jeunes patriotes" nazillons de Gbagbo défilent drapeau américain en tête, et les rebelles s'appuient sur les accords de Marcoussis imposés par la France... N'aurait-on rien compris ? 

          En fait, Français et Américains se moquent comme d'une guigne du peuple ivoirien et des factions en lutte. La seule chose qui les intéresse, c'est le contrôle économique et politique du pays.

          De même que Gbagbo ("socialiste" et "patriote"), Ouattara ("républicain" et "démocrate") et Konan Bedié (successeur de Houphouët et inventeur démagogue de l'ivoirité) n'ont qu'un objectif : garder le pouvoir, ou le conquérir. Et cela quel qu'en soit le coût, d'où l'assassinat de Guëi, et les escadrons de la mort de Gbagbo.

          Mais quel peut-être l'intérêt d'un pays en plein marasme économique ? 

          En novembre dernier, après être revenu sur les affrontements entre les divers courants nous écrivions :

          "Tout faux pas [de l'impérialisme français] pourrait lui être fatal et être exploité par l'impérialisme américain qui lui dispute sa chasse gardée. Il en était ainsi hier en Angola, au Congo Brazza, il en est ainsi aujourd'hui en Côte d'Ivoire qui recèlerait d'énormes réserves d'hydrocarbures dont voudraient s'emparer les compagnies pétrolières US".

          Voilà l'affaire.

          Déjà la Côte d’Ivoire recelait d’importantes réserves de gaz naturel, qui commencent tout juste à être exploités. Mais très récemment, deux énormes gisements de pétrole ("champ Foxtrot" tenu par Bouyghes et "champ Baobab" tenu par la compagnie Ranger Oil) viennent d'être découverts en mer, ainsi que d’autres vers la frontière avec le Ghana. Ces gisements (au minimum 200 millions de barils chacun) mettraient la Côte d'Ivoire à égalité avec l'Angola, le Nigeria et le Gabon comme principaux pays producteurs de pétrole du continent. Et cela n'est sans doute que le début de nouvelles découvertes.

          Il est évident que dans les années à venir, c'est une énorme manne financière qui va arriver, dont le contrôle va être essentiel pour les régimes africains comme pour les impérialistes. 

Le projet des USA 

          Par ailleurs, le projet pétrolier à long terme des USA après le 11 septembre est la diversification de ses sources d'approvisionnement, actuellement en provenance aux 2/3 du Proche Orient. D'où une offensive mondiale, qu'il s'agisse de la Caspienne, du Venezuela, de l'Asie ou de l'Afrique, des gisements ou des pipe-lines.

          Les Etats-Unis ont pour objectif explicite de faire passer la part du pétrole africain dans leurs approvisionnements de 15% à 25% d'ici 2020, d'autant qu'il s'agit le plus souvent d'exploitations offshore (en mer) donc mieux protégées contre les aléas politiques et militaires, et dans des pays qui ne font pas partie de l’OPEP !

          Et pour mieux contrôler tout cela, ils mettent le paquet : rencontre de Bush en septembre dernier avec les dirigeants africains des pays pétroliers, visite de Colin Powell en Angola et au Nigeria, oléoduc Tchad/Cameroun où Exxon et Chevron vont investir près de 4 milliards de dollars, projet d'une base militaire navale US à Sao Tome et Principe, élargissement des troupes US au Ghana et au Nigeria, il est des cartes qui ne sauraient être plus parlantes (voir ci-contre). Rien d'étonnant à ce que l'administration US affirme que "le Golfe de Guinée doit être déclaré “ zone d'intérêt vital ” pour les Etats Unis" !

          C'est dans ce contexte que se place le contrôle de la Côte d'Ivoire, et des tentatives répétées d'y mettre les pieds. 

Des alliances à géométrie variable... 

          Gbagbo est au pouvoir. Il connaît les richesses à venir, et il ne veut pas les partager. Pas question d'accord de réconciliation nationale tant qu'il y a un Ouattara, rival extrêmement dangereux et populaire. Mais il ne peut pas refuser ouvertement les accords de Marcoussis imposés par Chirac, car les soldats français assurent encore sa protection.

          Il va donc saboter insidieusement la mise en œuvre des accords, en jouant la mobilisation des "jeunes patriotes" et en tentant la carte américaine : les contradictions entre les deux grandes puissances impérialistes, (la France et les USA salivent déjà à l'odeur du pétrole !), lui laissent une petite marge de manœuvre qu'il entend bien utiliser à son profit (il a déjà signé un accord pour la livraison de 60 000 barils par jour avec une compagnie US). Qu'importe le renversement d'alliances, seuls les profits comptent... 

          De ce fait, on voit nettement en réaction le rapprochement des prétendus "rebelles" et du gouvernement français ! La France impérialiste joue pour l'instant la carte de la "réconciliation" et de la stabilité, la Côte d'Ivoire (troisième économie sub-saharienne) n'étant pas le Sierra Leone. Et les USA sont pour l'instant obligés d'être conciliants, compte tenu de la préparation de la guerre en Irak.

           Gageons que de nouveaux rebondissements sont à attendre. 

Qui paie la note ? 

          Comme en Angola, au Congo Brazza ou ailleurs, c'est le peuple ivoirien qui va payer la facture du pétrole.

          Sa seule issue, c'est d'en finir avec les politiciens, d'en finir avec la domination des grandes puissances. Les ivoiriens ne manquent pas de dirigeants honnêtes, ils manquent surtout d'un parti vraiment anti-impérialiste, c'est cela l'enjeu du moment dans les difficultés actuelles !

                    A.Desaimes

Encart

Un scénario à la congolaise ?

En 1997, au Congo Brazza, le président Lissouba sent qu'il va perdre les élections et tergiverse. Il provoque ainsi l'offensive de l'ancien président Sassou N'Guesso qui tente un coup de force.

Elf (un état dans l'état au Congo) finance alors Lissouba, président en place, au nom de la stabilité. Mais celui-ci fait une erreur grossière en signant un contrat avec la compagnie US Occidental Petroleum, provoquant le lâchage immédiat par les Français. Sans l'ombre d'un remords, Elf finance alors lourdement Sassou N'Guesso qui prend l'avantage, également soutenu par l'Angola.

La guerre du pétrole sera épouvantable, par miliciens interposés ("ninjas", "cobras" et autres "zoulous"). Des milliers de morts en quelques mois, et la situation se re-stabilise sous le parapluie français courant 1998.

C'est le peuple congolais qui a payé les pots cassés, tout va bien pour TotalFinaElf, rassurez-vous !


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