Chaque jour, du lundi au vendredi, les
correspondants du Temps à l'étranger vous racontent l'ambiance dans
leur ville (Pékin, Berlin, Paris, New-York et Bruxelles)
Oui, Nicolas Sarkozy avait bien
l'air bizarre pour sa toute première conférence de presse donnée
lors d'un G8.
Mercredi 13 juin 2007 Richard
Werly
Je vous parle en connaissance de cause. J'étais au
troisième rang, juste devant la caméra dont les images du président
français circulent aujourd'hui abondamment sur l'internet. Ceux qui
avaient pu, comme moi, atteindre le centre de briefing
d'Heiligendamm étaient pour la plupart dans la salle. Presque un
exploit: les protestataires anti-G8 ayant bloqué le train à vapeur
reliant le centre de presse à la salle de briefing, distants d'une
dizaine de kilomètres, les rescapés avaient été convoyés dans
l'après-midi en bateau.... ou en hélicoptère. Beaucoup de
journalistes français, coincés et furieux, durent d'ailleurs se
contenter de regarder ce jour-là leur président sur
écran.
Résumons: l'intervention de Nicolas Sarkozy était la
seule à cette heure. Pas de tension particulière ni d'agitation
sécuritaire donc, dans ce centre de briefing monté de toute pièce à
l'extérieur du Grand Hotel Kempinski, pour que les grands de ce
monde ne soient pas importunés par les reporters. Le reste s'est
passé comme ça: Sarko est arrivé en retard, pressé. Eméché ? Cela ne
m'est pas venu à l'esprit. Il ne titubait pas. Il semblait plutôt
étonné d'être propulsé là, au milieu des journalistes, tous leur
carnet de notes en main. Je l'ai senti plutôt angoissé par un grand
vide. Pris de vertige. Un peu comme un trapéziste qui voit soudain
le sol défiler sous lui. Il n'était pas serein (mais lui arrive-t-il
de l'être?). Plus grave: il ne semblait pas non plus très bien
préparé par ses conseillers à son premier punching-ball
diplomatico-médiatique.
Le malaise venait du ton. Je l'ai dit
dès la fin de la conférence à mon collègue Yves Petignat, aussi sur
place pour couvrir le G8. L'hôte de l'Elysée était euphorique. Il
planait. Au point de nous prévenir qu'il avait «gardé son calme»
devant Poutine. Au point de demander, devant ses conseillers un
tantinet éberlués, si « la diplomatie française peut lui accorder un
peu de marge de manoeuvre »...Ce Nicolas Sarkozy paraissait éberlué,
bluffé, étonné lui même d'être enfin là, dans ce «saint des saints»
de la puissance mondiale. «Dans ce G8, on n'a pas une seconde, on
court de réunion en réunion», a-t-il poursuivi. Regards déconcertés
des confrères. Ce président-là ressemblait à un grand ado un peu
perdu, sortant de sa pochette surprise ses propositions pour sauver
le monde: moratoire de six mois sur le Kosovo, annonce d'une
prochaine visite au Royaume uni pour convaincre Gordon Brown de
soutenir son «traité simplifié»...
Je l'ai, pour tout dire,
vraiment trouvé à côté de la plaque. Pas alcoolisé. Plutôt
survitaminé. Comme dopé. Quelque chose sonnait faux dans ses mots.
Il n'était pas ce soir là le chef de l'Etat français. Il était
«Sarko»: cet énergique politicien qui vous veut du bien, vous sourit
mécaniquement, est bourré de tics et ramène tout à lui: la victoire
arrachée à Bush sur le climat, l'arrêt des souffrances au Darfour...
Je l'ai suivi en campagne électorale, avec le correspondant du Temps
à Paris Sylvain Besson. Il est comme ça. Il lui faut du pathos, de
l'adhésion, une bonne dose de «Je», de «moi».
Amphétamines,
alcool, déprime? Laissons de coté les rumeurs qui vagabondent sur
l'internet. Ce qui m'a sidéré, en cette fin d'après-midi au G8,
c'est que Nicolas Sarkozy ne parlait pas de l'état du monde. Il nous
parlait de lui, de sa «franchise», de son «agenda», de son «calme».
D'abord ivre d'être là. Saoulé par ses propres paroles.