VIVE LA RÉVOLUTION
Accueil du site > Comment publier un article > L’ÉVASION FISCALE ET LES PARADIS FISCAUX

L’ÉVASION FISCALE ET LES PARADIS FISCAUX

vendredi 5 février 2016

Robert Bibeau. Directeur. http://www.Les7duQuebec.com

3.02.2016

L’éditorial est disponible sur le webmagazine Les7duQuébec.com

http://www.les7duquebec.com/7-au-fr…

Le scandale

Le scandale de l’évasion fiscale du grand capital qui dissimule ses oripeaux dans les paradis fiscaux refait surface à l’occasion de la guerre des clans que se livrent le Parti Québécois – derrière son chef milliardaire, premier actionnaire de l’empire Québecor – et la faction libérale – derrière Philippe Couillard, l’homme de main des milliardaires Desmarais-Power Corporation. Veuillez noter que le même stratagème se mène dans tous les États, de la France aux États-Unis.

La faction de « gauche » de la bourgeoisie apprécie particulièrement ces moments d’intense polémique qui lui permette de se présenter en preux chevalier de la morale, de l’éthique, et de l’équité fiscale. Ainsi, l’Institut de Recherche et d’Informations socioéconomiques s’offusque des allégations du journal La Presse contre l’empire Québecor. Alain Denault, chercheur émérite à l’IRIS écrit :

« Il y a des sujets sur lesquels on ne devrait pas gratuitement entretenir la confusion, surtout si on prétend au métier d’informer. Voici une approche pour appréhender le manque à gagner dans le trésor public que les paradis fiscaux occasionnent (…) Toutefois, lorsqu’il s’agit d’en faire un enjeu de société large valant comme modèle explicatif de la crise financière et économique contemporaine, des scribes sont appelés en renfort pour étouffer la question. » [1]

L’évasion fiscale n’est aucunement un modèle explicatif de la crise financière et économique contemporaine. La gauche bourgeoise gesticule depuis des décennies à propos de l’évasion fiscale des entreprises multinationales, et contre les paradis fiscaux « Offshore ». Les simagrées de l’IRIS, du Réseau Justice fiscale et du Collectif Échec aux paradis fiscaux soulèvent deux questions : A) quels sont les succès enregistrés suites à leurs jérémiades ? B) Pourrait-il en être autrement ? Peut-on imaginer, sous le mode de production capitaliste, un État bourgeois pressurer fiscalement les milliardaires et les entreprises multinationales ?

Poser la question c’est y répondre… Les succès de la montée aux barricades des associatifs de la « justice » par le fisc sont nuls – et ne servent qu’à mystifier la problématique à propos de la fiscalité étatique, ce dont le chercheur accuse justement les comptables du grand capital. Car s’il est une chose certaine c’est que nul État bourgeois n’osera frapper la main qui le gouverne ; la main qui place un clan politique au poste de commande de la gouvernance de l’État des riches. Depuis quand a-t-on vu un serpent se manger la queue ?

Une preuve nous est fournie de ceci par les scribes de l’IRIS quand ils écrivent : « Le Québec est considéré comme étant un véritable paradis fiscal pour les entreprises, compte tenu de la qualité des services que notre État social offre aux sociétés et aux investisseurs, eux qui profitent au premier chef des infrastructures publiques, au vu d’un taux d’imposition bien faible » [2]. Le seul résultat de leurs jérémiades fut d’inciter le gouvernement à transformer le Québec en paradis fiscal pour répondre à la concurrence des autres États de droit bourgeois.

Le rôle de la fiscalité dans les sociétés bourgeoises

Si les idéologues de la go-gauche souhaitent éclairer le débat autour de ce que le droit bourgeois n’appelle même pas de la « fraude », mais de l’« évitement » fiscal, ils doivent commencer par expliquer quelles sont les missions de l’État, et expliciter le rôle de la fiscalité dans le cadre de ces missions. Ceci décrit, nous pourrons ensuite examiner si dans la présente conjoncture économique les États bourgeois remplissent adéquatement leurs missions.

Sous le mode de production capitaliste, l’État joue deux rôles essentiels :

Premièrement, l’État des riches soutient directement le procès d’accumulation du capital. Pour ce faire, l’État assure la construction des infrastructures requises pour le fonctionnement de l’économie (routes, aqueducs, ports, aéroports, oléoducs, électricité, foresterie, pêche, etc.) L’État assure aussi les subventions et soutiens directs aux entreprises. Il fournit les services financiers (monnaies de dépôt et monnaies de crédit, Banque centrale, assurance commerciale), les services consulaires de prospection des marchés, de garantie d’investissement et d’accréditation des clients. Cette mission de soutien de l’État des riches pour la défense des capitaux des multinationales comprend également les services militaires de « maintien de la paix » (sic), habituellement en bombardant et en massacrant les populations civiles dans des pays étrangers. C’est le motif de la présence des troupes à Chypre, en ex-Yougoslavie, en Libye, en Syrie, en Afghanistan, en Irak, etc.

Deuxièmement, l’État assure les conditions de reproduction de la force de travail et des moyens sociaux de production –. L’État organise l’éducation des futurs travailleurs, les services de soins de santé, de culture et de divertissement, et, bien évidemment, de justice et de répression policière en cas de non-respect de la loi, de l’ordre et des institutions bourgeoises. Ainsi, lorsque les syndiqués d’Air France déchirent la chemise d’un cadre de la compagnie, ils écopent de deux années de prison. Quand des policiers assassinent publiquement des citoyens désarmés, ils bénéficient d’un non-lieu. Un prolétaire le moindrement conscient voit et comprend ces éléments d’informations à propos de la justice « à deux vitesses » comme disent ceux de la go-gauche lourdaude.

L’unique source de revenus de l’État bourgeois

Les supputations des réformistes, ces Robins des bois de l’équité fiscale, sont fondées sur l’ignorance d’une loi prescriptive du mode de production capitaliste. Selon la loi impérative de la valeur, l’unique source de la valeur d’échange est le travail salarié – c’est-à-dire, la dépense en force de travail social qui est « investie », ou si vous préférez incorporée, dans le produit semi-fini ou fini. La transformation d’une matière première, ou d’un produit semi-ouvré, accumule (incorpore) la valeur nouvelle à celle déjà incluse dans le produit devenu marchandise par le procès de production et d’appropriation capitaliste. Cette valeur se divise en deux parties, la valeur de la force de travail social – soit le temps de travail nécessaire pour produire la marchandise « force de travail social », requis pour produire cette marchandise commerciale – ainsi que le surtravail – le temps de travail excédentaire – qui est dépensé par le salarié et exproprié par le capitaliste et qui constitue la plus-value. L’État capitaliste ne peut tirer ses revenus que de l’une ou de l’autre portion de la valeur d’échange. Soit du salaire qui rétribue le travail social nécessaire – soit de la plus-value qui valorise le capital. Évidemment, si l’État bourgeois taxe et impose la plus-value et gruge ainsi dans le profit capitaliste celui-ci n’aura d’autres choix – pour maintenir son taux de profit – que de se retourner vers ses employés afin de récupérer son manque à gagner. Le capital procède alors en réduisant les salaires réels des travailleurs, ou encore, le capital exige des hausses de productivité afin de réduire la valeur marchande des marchandises, y compris de la marchandise suprême, la force de travail social. Par cet artifice le capital réduit la valeur du travail social nécessaire augmentant d’autant la portion de surtravail et augmente ainsi la plus-value. La crise – notamment fiscale – s’enlise quand les hausses de productivité ont atteint un palier difficile à surpasser.

Les Don Quichotte de l’équité fiscale invitent les travailleurs à se battre contre des moulins à vent. Ou bien l’État, par ses taxes et ses impôts, ponctionne les salariés et augmente directement leur contribution fiscale ; ou bien l’État augmente indirectement leur contribution fiscale en haussant les taxes et les impôts des corporations et des capitalistes privés qui, en réaction, soient délocaliseront l’emploi vers des paradis fiscaux, soient leurs refileront la facture par des baisses de revenus directs (salaire) ou de revenus indirects (retraites, assurances, bénéfices marginaux et services publics). Dans les deux cas, ce sont les salariés qui vont écoper.

La règle fiscale non écrite

Donc, pour assurer cette gamme complète de services essentiels à la reproduction du capital, l’État policier doit collecter des fonds par le moyen des taxes et des impôts. Il peut également émettre de la monnaie. Et enfin, il peut emprunter pour faire tourner l’économie comme on dit. L’emprunt public (la dette souveraine) ne constitue qu’un stratagème pour reporter dans le temps l’effondrement du système. Étant donné que le capital ne parvient plus à se valoriser en produisant davantage de plus-value, le fait d’emprunter sur la plus-value future ne peut que creuser davantage le précipice du manque à gagner en profits non produits que les spéculateurs boursicoteurs prétendent pouvoir engager sur les marchés boursiers. Rendue à cette extrémité il ne reste qu’à parier sur le moment du krach boursier.

Une règle – non écrite – s’applique cependant : la collecte d’argent de la part de l’État des riches doit renforcer la mission fondamentale de L’État bourgeois. Ainsi, en période de croissance économique, au moment où la productivité du travail est en hausse, il est plausible d’augmenter les impôts et les charges sociales des entreprises qui pourront transférer ces ponctions à leurs salariés. Le même prélèvement ne pourra être effectué en période de récession où la compétitivité du capital national n’est plus assurée et où elle est malmenée par des puissances émergentes (où le capital national a délocalisé) qui pénètrent le marché national via les accords de libre-échange. Voilà une règle non écrite que les thuriféraires de la « justice fiscale » se gardent bien d’expliquer.

C’est dans le contexte de crise économique systémique du capitalisme, qui s’approfondit, qu’il faut examiner les législations fiscales des États capitalistes concurrents. À l’examen de l’ensemble des règles fiscales des différents pays, il apparait que les entreprises canadiennes sont traitées de façon équivalente à leurs concurrentes, ni plus sévèrement, ni plus libéralement, et surtout pas moins « équitablement ». Dans certains pays comme en France et aux États-Unis, les taux d’imposition des entreprises sont supérieurs, mais les programmes de subventions, et les services de soutien aux multinationales sont plus généreux. Prenez par exemple le poste de dépense : « soutien à la défense des investissements à l’étranger » des États-Unis et de la France et vous comprendrez que ces entreprises reçoivent un soutien beaucoup plus conséquent que les multinationales canadiennes.

En examinant la politique fiscale des différents pays, il faut aussi tenir compte du niveau de productivité de la main-d’œuvre. Sous ce rapport, le Canada et le Québec souffrent d’un retard par rapport à leurs concurrents. Un niveau de productivité qui stagne (donc un degré d’exploitation de la force de travail qui régresse) entraine un manque à gagner pour les multinationales canadiennes qui doit être compensé par une plus faible taxation, tenant compte de la loi non écrite qui stipule, nous le rappelons, que la politique fiscale d’un État capitaliste ne doit pas contrevenir à sa mission fondamentale qui est de contribuer au procès d’accumulation du capital.

En aucun cas, l’État des riches n’a l’autorisation de mettre en péril la survie des multinationales installées sur son territoire. D’où nous contestons le sophisme élaboré par la go-gauche à propos de l’enjeu que constituerait la qualité des services publics :

« Quoique le revenu de la plupart des Québécois.e.s stagne, bien qu’ils contribuent de plus en plus à l’assiette fiscale, ceux-ci assistent au démantèlement des services publics. Cette perte d’ordre qualitative représente indéniablement un des couts également d’ordre financier tel que les recours à des services privés en cas de manquement du système public, sans parler de contrecoups éventuels sur le plan de la santé. » [3]

L’évasion fiscale, symptôme de la crise économique systémique

Les services publics ne constituent aucunement un enjeu du mode de production capitaliste, mais plutôt une condition de sa reproduction élargie. Les services publics, c’est-à-dire les services en chargent de la reproduction de la force de travail social, relèvent de la mission secondaire de l’État bourgeois, la mission subordonnée à la principale qui est de soutenir la reproduction élargie et l’accumulation du capital.

C’est cette conjoncture économique régressive qui motive les entreprises multinationales à pratiquer l’évasion fiscale. Si une seule d’entre elles ne pratiquait pas ce type de malversation (légalement admise et encouragée par l’État), elle se retrouverait aussitôt en difficulté et contrainte d’éliminer des milliers d’employés, au grand dam des ouvriers congédiés. Les lois incontournables de l’économie politique capitaliste (en crise) exigent que le fardeau fiscal assurant la valorisation du capital soit désormais entièrement déchargé des épaules des multinationales pour être transféré sur les épaules des salariés.

Que doivent faire les prolétaires du Canada et de la terre tout entière ? Certainement pas de se joindre à la procession des plumitifs qui pleurnichent à propos de l’inévitable iniquité fiscale du monde capitaliste. Les prolétaires savent très bien que de hausser la fiscalité des entreprises ne servira qu’à diminuer les revenus des salariés, ou pires à leur faire perdre leur emploi. Alors que doit faire la classe ouvrière ? Intensifier la guerre de classe notamment par la grève générale illimitée afin d’obtenir des hausses de salaire pour la classe tout entière. Voilà l’unique façon de contrer la fiscalité truquée, jusqu’à ce que la classe prolétarienne décide enfin de se substituer au pouvoir bourgeois.

[1] http://www.pressegauche.org/spip.php?article24947

[2] Gino Lambert, Sylvain Charron, Jean-Eddy Péan, Le système fiscal québécois est-il vraiment progressiste ? Chaire d’études socioéconomiques, Université du Québec à Montréal, juin 2000.

[3] http://iris-recherche.qc.ca/blogue/…

SPIP | squelette | | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0