22 février 2003
La torture des enfants palestiniens
sous l’occupation israélienne
« Amnesty International avait jadis établi que la torture est la seule forme de violence qu’un État niera toujours sans jamais oser la justifier. Israël a fait mentir Amnesty, c’est le seul pays au monde qui ait légitimé la torture tant du point de vue juridique que rhétorique. » Eitan Felner, directeur de B’Tselem
Un thème souvent ignoré ou à peine abordé est la torture. Peut-être cela vient-il du fait que beaucoup ne veulent pas admettre qu’un mot si atroce ait un sens de nos jours ou à notre époque, encore moins qu’il soit une réalité. Peut-être est-ce parce que le sujet est si pénible et réellement répugnant que peu ont les tripes d’écrire à son propos. Bien sûr, il y a aussi le fait que ceux qui commettent des actes de tortures font en sorte de couvrir leurs exactions sous d’ignobles interprétations en vertu du concept de nécessité, de telle façon qu’une plainte ne soit jamais déposée, ou en s’assurant que le bureau des plaignants ignore tout simplement leurs actions illégales. Sinon, tout simplement, on torture si durement la victime qu’elle est ensuite incapable de témoigner, et tant mieux si elle en meurt.
Cependant, ne faites pas erreur, ces pratiques sont largement employées, et les Palestiniens sont depuis longtemps les destinataires bien malgré eux de traitements cruels et inhumains entre les mains des Renseignements Militaires Israéliens et de l’Agence de Sécurité Israélienne (ISA), auparavant les Services de Sécurité Générale (GSS).
En 1999, le nombre de plaintes au sujet de l’utilisation de la torture par Israël contre les Palestiniens a obligé la Haute Cour de Justice israélienne à exclure quatre méthodes de torture, à savoir le droit de « secouer » un homme, de le tenir dans la position du « shabach », de le forcer à s’agenouiller dans la position de la grenouille (« quambaz »), et de le priver de sommeil d’une manière autre que ce qui est inhérent à l’interrogatoire. Beaucoup ont confondu cette décision avec l’abolition de l’usage de la torture en Israël, mais en y regardant de plus près, le Comité Public contre la Torture en Israël révèle que cette décision a laissé des brèches qui font que la torture et les mauvais traitements subis par les Palestiniens peuvent continuer lors des interrogatoires du GSS et des Renseignements Militaires Israéliens.
Les rapports les plus dérangeants sont ceux qui parlent de la torture infligée aux enfants palestiniens âgés entre 13 et 18 ans. DCI/PS [Défense Internationale des Enfants, Section Palestine] rapporte que rien ne s’est amélioré depuis la décision de 1999 — confert les témoignages de tous les enfants palestiniens emprisonnés sur les méthodes de torture, ou autres traitements cruels, inhumains ou dégradants utilisés à leur encontre —. En fait, de nouvelles formes de tortures ont été développées et sont utilisées beaucoup plus fréquemment, incluant davantage de techniques axées sur la psychologie, tel l’usage de l’isolement, l’utilisation de collaborateurs palestiniens pour arracher des confessions, ou des pressions sur les enfants pour qu’ils coopèrent avec les soldats israéliens. Depuis septembre 2000, la Défense Internationale des Enfants, Section Palestine (DCI/PS) estime qu’environ 700 enfants palestiniens ont été arrêtés par l’armée israélienne [on est en février 2003], plus de 160 restent incarcérés. 95% d’entre eux ont été arrêtés pour avoir lancé des pierres et sont torturés jusqu’à ce qu’ils avouent avoir lancé 150 pierres et dénoncent les autres ayant pris part à de telles activités. Si une confession est arrachée à l’enfant durant un interrogatoire mené par les Renseignements Militaires Israéliens ou l’ISA (Agence de Sécurité Israélienne), il est envoyé au poste de police afin qu’il y fasse la même confession, de façon à ce qu’elle soit reconnue juridiquement.
Il est important de noter que la décision de la Haute Cour de Justice israélienne mentionnée ci-dessus s’applique uniquement aux pratiques de l’ISA ; cependant, des enfants palestiniens furent torturés aussi par les Renseignements Militaires Israéliens et par la police israélienne. Donc, essentiellement, la décision a réussi à réduire avec succès les inquiétudes sans perturber le travail des autres bureaux qui pratiquent la torture. En outre, l’ISA est libre, tout comme les autres bureaux, de développer de nouvelles méthodes de torture, tant la décision est strictement spécifique en ce qui concerne les pratiques interdites, ce qui laisse beaucoup de marge de manoeuvre. Étant donné que le débat est fréquemment étouffé par l’argument de « la bombe à retardement » [1], la question de la torture est continuellement replacée dans le contexte de « la sécurité » d’Israël et de la menace contre son existence, ce qui fait que l’on justifie quasiment toujours l’usage de la torture. De plus, la décision de la Haute Cour de Justice israélienne est dénuée de clause ou même de référence au sujet de l’utilisation de la torture sur les enfants.
L’armée israélienne s’est engagée dans une campagne d’arrestations sans précédent, emprisonnant des milliers de Palestiniens, dont un nombre significatif d’enfants. Le critère pour être incarcéré paraît principalement reposer sur l’âge et le sexe des prisonniers, à savoir être de sexe masculin et âgé de 14 à 60 ans. Les jeunes Palestiniens continuent à souffrir des conséquences de l’occupation, treize enfants de 16 ans ou moins ont été tués durant le seul mois de janvier, ce nombre augmentant de six si l’on inclut ceux qui ont 18 ans ou moins, pour arriver à un total global de 19 morts. Selon des chiffres récents de LAW, le nombre total d’enfants âgés de 17 ans ou moins tués depuis le 28 septembre 2002 s’élève à 451 [Et on est seulement en février 2003 !]. Environ un tiers des 21 086 blessés sont des enfants. De plus, on estime que 45% des jeunes Palestiniens souffrent de troubles nerveux post-traumatiques.
Le DCI/PS estime qu’au moins 15% des Palestiniens nouvellement détenus sont des enfants. Selon les témoignages répétés provenant de ceux qui sont relâchés, les enfants palestiniens sont traités de la même manière que les adultes, souvent soumis à la torture. Il est important de réaliser que depuis que les autorités israéliennes ne font plus aucune distinction entre les enfants de 16 ans et les adultes, il est difficile d’obtenir le nombre officiel de tous les enfants palestiniens emprisonnés. De plus, le nombre des enfants enfermés en centre de détention militaire en Cisjordanie est inconnu. Enfin, la difficulté de garder la trace de tous ces jeunes détenus est augmentée par l’effet « tambour », car ils sont continuellement arrêtés, relâchés et repris quelques semaines après.
Notez que d’après les lois internationales, la détention d’un enfant peut être employée uniquement comme une mesure de dernier recours et ce pendant la période appropriée la plus courte possible. Néanmoins, il apparaît que la politique israélienne à l’encontre des jeunes Palestiniens est contraire aux normes internationales, avec une détention le plus souvent utilisée comme une mesure de premier recours. L’emprisonnement est la seule sentence appliquée aux enfants. Le DCI/PS note qu’il n’y a aucun cas d’enfant palestinien entre 14 et 17 ans, reconnu coupable d’avoir commis « un crime » par un tribunal militaire israélien, condamné à toute autre peine qu’à une peine de prison. Les deux dernières années montrent qu’au lieu d’adhérer au principe de la « période appropriée la plus courte », la longueur des peines qui leur sont infligées actuellement commence à s’allonger.
Lors des récentes invasions israéliennes, des enfants palestiniens furent arrêtés soit à la suite des fouilles de maison en maison, et rassemblés dans la rue, soit après un appel au mégaphone des soldats israéliens demandant instamment aux hommes d’une certaine catégorie d’âge de sortir de chez eux et de se regrouper dehors.
Les deux types d’arrestations furent effectués par des troupes israéliennes lourdement armées qui, souvent, terrorisent les familles palestiniennes et détruisent leurs biens pendant le processus. Ils bandent les yeux, attachent les mains des personnes qu’ils arrêtent, et les emmènent dans un centre de détention. Les enfants palestiniens sont régulièrement battus pendant le voyage.
Dans certaines zones, des détenus sont dirigés vers des installations provisoires établies dans des écoles palestiniennes ou d’autres emplacements plus grands, puis ils sont transférés dans une installation militaire située dans une colonie israélienne. Les autres sont amenés directement au camp militaire.
Arrivés au camp militaire israélien, les détenus palestiniens sont informés verbalement qu’ils sont détenus selon des décrets d’urgence, datant du temps du Mandat Britannique en Palestine. Le 5 avril 2002, le commandant militaire pour la Cisjordanie a émis un nouvel arrêté militaire (n°1500) qui permet aux soldats israéliens d’arrêter n’importe quel Palestinien de Cisjordanie sans fournir de raison, ni de justification. De plus, l’ordre stipule que ces personnes peuvent être enfermées pendant une période de 18 jours avant que toute procédure légale ne soit engagée. Il s’appuie sur des ordres publiés précédemment, exigeant que les détenus soient présentés devant un juge sous 8 jours. L’arrêté militaire n°1500 est rétroactif, s’appliquant à toutes les personnes interpellées depuis le 29 mars 2002.
Après 18 jours, le détenu palestinien est supposé être amené devant un « tribunal » militaire improvisé (en fait, sous une tente avec pour tout mobilier une chaise et une table), où le juge peut prolonger sa détention, lui donner un ordre de détention administrative, ou le relâcher. Fréquemment, les juges servant dans ces tribunaux en Cisjordanie et dans la Bande de Gaza manquent de formation et d’expérience ; au lieu de ça, ce sont des officiers militaires de carrière des Renseignements Militaires Israéliens [Note de do : on s’entend habituellement pour dire qu’il ne faut pas être à la fois juge et partie ; mais, dans les "tribunaux" israéliens dont il est ici question, le juge appartenant aux Renseignements Militaires, il est donc simultanément juge, partie et tortionnaire]. Ces tribunaux ne répondent pas aux normes en vigueur, mais dépendent plutôt d’un système d’arrêtés militaires israéliens émis par l’autorité militaire. L’arrêté militaire définit la situation comme « une situation de guerre », pourtant les prisonniers palestiniens ne sont pas considérés comme des prisonniers de guerre. Les ordres de détention administrative sont généralement délivrés à partir de « preuves tenues secrètes ». Le prisonnier ne peut avoir connaissance des éléments secrets retenus à son encontre, et n’a pas de représentation juridique. Ceux qui se retrouvent avec un ordre de détention administrative sont transférés à Ansar III, récemment rouvert (Ketziot), une prison faite de tentes dans le désert du Néguev.
La plus grande et la plus frustrante barrière que les avocats palestiniens doivent franchir, est d’essayer d’obtenir des informations sur les prisonniers en centres de détention. Des visites sont autorisées uniquement après 18 jours, mais on exige des avocats qu’ils aient les noms des personnes qu’ils désirent voir. Les autorités en charge de ces centres ne fournissent pas les noms ou le nombre des Palestiniens qu’ils gardent en détention ; de ce fait, les renseignements doivent être trouvés du côté de ceux qui sont relâchés ou des membres de familles (qui ne savent pas où leurs proches sont gardés). Les Palestiniens ne sont pas nécessairement détenus près de leur lieu de résidence ; par exemple, DCI/PS fut informé de deux enfants du camp de Jénine détenus près de Ramallah. Une fois, une liste de noms fut présentée à la personne responsable du centre, mais c’est selon l’humeur qu’ils autorisent l’avocat à visiter ses clients. DCI/PS fut informé d’avocats qui furent obligés d’attendre deux semaines avant qu’on leur donne l’autorisation de rencontrer des détenus.
Durant leur détention ou emprisonnement, les enfants palestiniens sont régulièrement déplacés d’un centre à un autre, afin de leur donner l’impression qu’ils sont seuls et que personne ne peut les aider. Ils passent des périodes prolongées coupés du monde extérieur, du fait qu’on leur refuse la visite de leur famille et même de leur représentant juridique, et quand ils sont autorisés à voir leurs parents, les couvre-feux incessants, les bouclages et autres restrictions empêchent les membres de leurs familles de parvenir jusqu’aux centres de détention. Chaque enfant palestinien prisonnier est enfermé seul dans une cellule de confinement sale et malodorante de 2 m par 1m50 connue comme « zinzaneh », dont le sol peut être mouillé ou couverts d’excréments humains. La cellule peut soit être presque totalement dépourvue de lumière, soit en être inondée constamment. Si le prisonnier essaye de dormir, un garde vient le ou la réveiller. De plus, les enfants sont souvent privés de nourriture et n’ont pas accès aux toilettes.
Le dossier constitué par le DCI/PS fait état d’enfants palestiniens aux yeux bandés, aux mains attachées, ainsi que de tabassages au cours des interrogatoires. En outre, les méthodes exclues par la Haute Cour de Justice israélienne sont malgré tout utilisées sur des enfants palestiniens qui sont violemment secoués — certains cas graves pouvant entraîner des dommages au cerveau —, qui sont ligotés sur de petites chaises dans des positions inconfortables obligeant le corps à rester recroquevillé durant des périodes étendues, qui sont exposés à des changements de température extrêmes, par exemple en enlevant les vêtements du prisonnier et en l’enfermant dans une petite armoire, après quoi un système de climatisation est activé pour produire une chute brutale de la température. En outre, il y a plusieurs cas documentés où des gardiens de prison ont tenté de violer des enfants palestiniens, et quand ils n’y parviennent pas, les enfants sont placés au milieu d’une population criminelle d’adultes israéliens qui les maltraitent et leur font subir divers sévices sexuels sous l’oeil attentif des gardiens. Les pressions psychologiques et les abus physiques dont sont victimes ces enfants lors de leur incarcération ont évidemment des effets durables et débilitants pour le reste de leur vie.
À leur libération, les enfants palestiniens détenus sont conduits en pleine nuit dans des zones éloignées où ils sont exposés à des situations dangereuses sans moyen de rentrer chez eux. Leur vie est en grand danger quand ils se retrouvent dans des secteurs déclarés sous couvre-feu par l’armée israélienne (C’est-à-dire que les résidents se font tirer dessus quand ils s’aventurent hors de leur maison) ou dans des secteurs peuplés de colons israéliens (qui ont un lourd passé bien documenté de violence contre les civils palestiniens).
La torture n’est pas réservée à ceux qui sont détenus ; en effet, en plusieurs occasions, les forces israéliennes ont fait subir aux civils palestiniens des traitements inqualifiables. Mi-octobre, The Guardian rapporta une affaire où un commandant israélien, le Lieutenant Colonel Geva Saguy, ordonnant à un garçon palestinien de se mettre nu, de tenir un papier enflammé sous ses testicules, l’a menacé de lui enfoncer une bouteille dans l’anus, l’a battu et terrifié en lui disant qu’il allait lui tirer dessus. Bizarrement, le tribunal militaire l’a relevé de son poste ; pourtant, la cour militaire justifie la plupart des cas de torture, et les tortionnaires agissent en toute impunité. Selon le Washington Post, les forces israéliennes ont aussi adopté récemment une pratique appelée « la loterie », où tout Palestinien pris en train de violer le couvre-feu est obligé(e) de choisir parmi des bouts de papier pliés, où sont écrites diverses punitions telles que « jambe cassée », « main fracassée », « tête fracassée », et les soldats administrent alors la punition sélectionnée. On pense que cette pratique est liée à la mort récente d’Amran Abu Hamediye (18 ans), que des témoins palestiniens ont vu être sévèrement molesté au niveau de la tête.
La description ci-dessus de la vie des enfants palestiniens prisonniers n’est rien moins que terrifiante. Il est essentiel de bien se rendre compte que le but des tortionnaires est d’augmenter la vulnérabilité des enfants à un point tel qu’ils en soient émotionnellement brisés. La perte forcée de l’enfance et de l’innocence est déjà en soi un crime, cependant les sévices les plus invraisemblables perpétrés par le GSS et l’armée sont infiniment pires. La plupart d’entre nous aimeraient croire que les tortionnaires israéliens et les responsables de tels actes ne sont pas des êtres humains. Pourtant, bien que de tels individus soient sadiques, ils sont néanmoins des êtres humains, et ceci révèle le mal absolu de notre société. Ils sont de la même espèce que nous, et nous devons exposer leurs atrocités pour rendre justice aux victimes, au lieu de nous contenter de continuer à vivre confortablement en nous disant que de telles personnes doivent être anormales et en refusant de voir à quelle fréquence la torture continue d’être administrée.
Sources :
B’Tselem
Defence
for Children International
The
Guardian
LAW
The
Palestine Monitor
The
Public Committee against Torture in Israel
The
Washington Post
The World
Organization against Torture
Traduit initialement de l’anglais par Eric Colonna, The Torture of Palestinian Children Under Israelian Occupation
Note du traducteur [1] : Dans le rapport de la commission d’enquête officielle présidée par le juge Moshe Landau en 1987, l’argument de la « bombe à retardement » justifie le recours à la véritable torture afin de découvrir une bombe sur le point d’exploser dans un bâtiment rempli de monde.
MIFTAH est une institution palestinienne indépendante, fondée en janvier 1999 et basée à Jérusalem, qui a pour objectif l’intégration de plusieurs démarches : la construction et la prise de pouvoir d’une nation palestinienne fondée sur les principes de la démocratie, du respect des droits humains, d’un gouvernement représentatif ; la réconciliation et la coopération avec les autres nations.
Source/auteur : MIFTAH : http://www.miftah.org