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DSK - 24 mai 2011 - Ce qu’il disait il y a trois semaines...

mardi 24 mai 2011, par anonyme (Date de rédaction antérieure : 24 mai 2011).

DSK : CE QU’IL DISAIT À « MARIANNE » IL Y A TROIS SEMAINES

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23 mai 2011

Une tragédie française

Alors favori dans la course à l’Elysée. Dominique Strauss-Kahn évoquait en « off » le 29 avril dernier, devant la direction de notre journal, sa décision d’être candidat, sa future campagne, ses handicaps. Des déclarations qui prennent un relief inattendu à la lumière des derniers événements.

Vendredi 29 avril 2011.13 heures. Un salon particulier d’un restaurant dans le XVIIe arrondissement de Paris. Dominique Strauss-Kahn boucle dans ce trois-étoiles un ultime tour de chauffe médiatique français avant de se lancer officiellement dans la bataille de la primaire socialiste à la fin du mois de juin prochain.

Au cours de la semaine, il a déjà rencontré les rédactions du Nouvel Observateur et de Libération. Ce jour-là, DSK déjeune avec quatre journalistes de Marianne : Maurice Szafran. Jacques Julliard, Nicolas Domenach et l’auteur de ces lignes. Anne Hommel l’accompagne.

Cette ancienne collaboratrice de l’un de ses proches, Jean-Christophe Cambadélis, est chargée de ses relations avec la presse en France avec Stéphane Fouks, Ramzi Khiroun et Gilles Finchelstein, tous sous contrat de l’agence de communication Euro RSCG.

DSK est souriant et détendu. C’est encore le temps des jours heureux et des certitudes. Par rapport au reportage que Canal + lui a consacré quelques semaines plus tôt, il paraît aminci.

Affûté. Comme un signe de maîtrise de lui-même, il ne commandera d’ailleurs pas de dessert et ne goûtera qu’à peine le grand cru de bordeaux.

Le but de ce déjeuner est évident : sans se déclarer, il entend afficher sa détermination à se présenter à l’élection présidentielle. Pour autant, il fixe les règles du jeu. Un off complet. L’engagement est pris autour de la table de ne rien dévoiler des échanges qui vont avoir lieu. Il sera respecté. Evidemment, les événements de New York délivrent notre parole et rendent même nécessaire de publier la teneur de cette conversation pour mieux éclairer la personnalité de DSK.

Le directeur général du FMI avait insisté sur ses contraintes. Si paraissait le moindre propos de sa part. il serait obligé d’abandonner ses fonctions dans l’heure car le règlement du FMI ne lui laisse aucune marge de manœuvre. Or il devait encore participer à plusieurs grandes échéances avant de dévoiler publiquement ses intentions électorales. Notamment, une réunion des ministres des Finances de la zone euro, le lundi 16 mai à Bruxelles, pour entériner les prêts accordés à la Grèce et au Portugal, et le G8 qui doit se tenir à Deauville les 26 et 27 mai sous la présidence de la France.

Au passage, il souligne le rôle qu’il a joué au printemps 2010 quand l’Europe s’est portée une première fois au secours de la Grèce en faillite.

Angela Merkel y paraît alors peu favorable. Nicolas Sarkozy fait ouvertement pression sur elle et donne le sentiment d’emporter sa décision. Sans nier le rôle de l’Elysée, il le minimise.

DSK précise que la chancelière n’était pas, elle-même, bloquée sur ce sujet mais qu’elle devait alors affronter un climat politique électoral allemand très défavorable à cette assistance financière. Il explique qu’il s’est rendu à Berlin afin d’aider Angela Merkel à trouver les arguments pour convaincre son opinion. Avec succès. De toute évidence, il n’entend laisser le seul mérite à Nicolas Sarkozy.

L’Europe est au centre de sa réflexion. Il dessine les lignes de sa future campagne et suggère que le futur européen sera au cœur de son programme. Son souhait est de réconcilier les Français avec l’Union car, s’il est convaincu de l’avenir du pays, il l’est tout autant de la nécessité d’utiliser l’Europe pour y parvenir. Il esquisse un slogan : « Pas d’Europe sans la France, pas de France sans l’Europe ».

Au passage, il égratigne les gouvernements français successifs qui, à ses yeux, ont envoyé des représentants médiocres à Bruxelles.

II enchaîne sur la question de l’immigration relancée à la fois par l’arrivée de boat people dans l’île de Lampedusa en Italie et par le débat orageux que la majorité a ouvert sur la laïcité et l’islam. Là encore, son point de vue est forgé : le respect des principes traditionnels de la République est plus que jamais nécessaire. Il souhaite un retour aux sources, notamment à la loi de 1905 pour régler le problème de l’islam en France.

II ne juge pas nécessaire la modifier, contrairement aux intentions prêtées alors au chef de l’Etat et à l’UMP.

La conversation est libre, ponctuée de rappels souriants, et pleins de sous-entendus, à ses obligations de directeur général du FMI. Mais il est parfaitement à l’aise dans cet exercice de funambule.

Au passage, il montre son intérêt pour la fonction qu’il exerce et son inquiétude devant la situation de la Grèce. Tout en soulignant les difficultés économiques de la France, il précise qu’elle n’est pas sous la menace du FMI et dans une situation qui n’a rien à voir avec celles, dramatiques, de la Grèce et du Portugal. Pour l’avenir, il souligne que les marges sont faibles mais que le redressement est possible. D’un jugement tranchant, mais sans recourir à des mots blessants, il met en cause la politique de Nicolas Sarkozy dont il dit ne pas voir le sens ni la cohérence. Toujours avec prudence, et sans imaginer alors l’effet boomerang de son propos, il égratigne le chef de l’Etat et l’image qu’il donne de la France sur la scène internationale. Ce n’est pas encore un combattant déclaré mais on comprend qu’il affûte ses armes et n’hésitera pas à donner des leçons de maintien à son futur adversaire.

Avec une surprenante agressivité et un ton soudain plus impératif, il retourne à Maurice Szafran les interrogations sur le chef de l’Etat et lui demande crûment si Marianne souhaite bien que la France soit débarrassée de « ce type-là » [Nicolas Sarkozy] en 2012.

Avec un sourire amusé, Sans imaginer alors l’effet boomerang de son propos, il égratigne le chefde l’Etat et l’image qu’il donne de la France sur la scène internationale.

Le président de Marianne ne répond pas mais DSK ne s’en tient pas à sa question. Il insiste et dit que Marianne n’a pas d’autre choix que de le soutenir dans ce combat.

Il se découvre, peu soucieux à cet instant précis de l’indépendance des médias, pas menaçant, mais pressant. Il est clair son Propos est délibéré et pas du tout improvisé. Ce déjeuner devient, durant quelques instants une opération électorale, une préparation de terrain. Le masque est tombé. Plus de propos allusifs. Si la requête est choquante, elle a le mérite d’être claire et de montrer la conception qu’a Dominique Strauss-Kahn de la presse : c’est un rapport de soumission qu’il sollicite, un engagement militant.

Le déjeuner avançant, sa prudence initiale se relâche sa candidature devient une évidence. Son calendrier est arrêté. Fin juin, début juillet, il se déclarera. Il avoue qu’il aurait préféré que la primaire survienne plus tard, fin novembre, pour pouvoir demeurer à la tête du FMI jusqu’au G20 qui se tiendra à Cannes les 3 et 4 novembre prochain sous la présidence de Nicolas Sarkozy. Il ne le dit pas mais on comprend qu’il aurait pu alors apparaître, comme lui, au milieu des plus grands dirigeants de la planète et mettre en valeur devant les Français son propre rayonnement sur la scène internationale.

« C’est vrai, moi, depuis l’âge de 15 ans, je ne pense pas à l’élection présidentielle. Je pourrais vivre sans être président de là République. »

Ses mots manifestent une tranquille assurance et trahissent, par moments, une certaine arrogance. Il souligne le sacrifice que représente son renoncement à la direction du FMI. Il suggère, en quelque sorte, qu’il s’apprête à faire don de sa personne à la France alors qu’il pourrait rester dans un poste prestigieux et passionnant où il réussit parfaitement.

Son registre change légèrement, comme si tout lui était dû, comme s’il devait être plus nommé qu’élu. Son approche de la présidentielle paraît plus esthétique que charnelle et habitée. Elle est dionysiaque au sens nietzschéen du terme. On devine un homme plus déterminé que guerrier, peu disposé à dilapider ses forces et son talent dans des batailles secondaires : « C’est vrai, moi, depuis l’âge de 15 ans, je ne pense pas à l’élection présidentielle. Je pourrais vivre sans être président de la République. »

Dans l’arène socialiste, il n’imagine donc guère d’autres gladiateurs. Chacun doit comprendre que son statut de favori rend, selon lui, inutile une vraie primaire face à d’autres combattants. Il y perdrait du temps, des forces, et la gauche aussi.

Il passe alors en revue la liste de ses rivaux. Il n’a aucun problème avec Martine Aubry puisqu’un pacte les unit.

Ségolène Royal, à ses yeux, n’est plus un obstacle. Il ne tarit pas de compliments sur elle, souligne ses progrès. Il affirme même que la femme politique qu’elle est devenue en 2011 l’aurait emporté face à Nicolas Sarkozy en 2007. L’éloge est si appuyé qu’affleure l’arrangement secret et qui, semble-t-il, devait être définitivement scellé au cours d’un rendez-vous qui avait été fixé au mardi 17 mai avant que le château de cartes ne s’écroule à New York.

DSK sait sans doute par l’un de ses plus proches lieutenants, qui a été témoin de la conversation, que Ségolène Royal a confié à Martine Aubry : « En tout cas, il y en a un qui ne sera jamais président, c’est François ! »

De fait, le ton est différent dès lors qu’il évoque la candidature de François Hollande. En préambule, il précise qu’il s’est toujours bien entendu avec lui et qu’ils n’ont pas de contentieux.

Il ne lui veut que du bien et lui promet un bel avenir à ses côtés. Puis il met les points sur les « i ». Certes, les qualités d’Hollande le promettent à de beaux postes, mais, s’il se maintient dans la course élyséenne au-delà du 13 juillet, date de clôture des candidatures à la primaire, alors « sa vie politique s’arrêtera et il n’aura Rien. Il insiste sur la sanction qui tombera, il évoque même l’âge de François Hollande, qui lui interdira tout rebond par la suite. Une véritable fatwa.

S’il ne s’élève pas, le ton de la voix est brutal, impératif. La perfidie affleure : « On sait que François s’est lancé dans la présidentielle pour une raison matrimoniale. » Ou encore : « C’est le candidat de l’Elysée parce que, pour Sarkozy, il est plus facile a battre. »

L’homme de pouvoir apparaît alors à l’état brut. Dur, impitoyable. Moment révélateur car il dévoile la face cachée du convive enjoué et charmeur. Attention à ceux qui voudraient se mettre en travers de son chemin ! Menaçant, le propos sonne comme un message à transmettre à François Hollande lui-même. Un avertissement sans frais qui ne semble guère, à ce moment, frappé par la loi du off.

Pour la primaire qui se profile, toutes ces confidences, parfaitement dosées, sont autant de cartouches d’information dans notre besace de journalistes. Nous ne les tirerons que le jour de l’ouverture de la chasse. Pas question, néanmoins, de laisser les questions dérangeantes de côté. La première concerne ses convictions socialistes dont doute une partie de la gauche qui commence, d’ailleurs, à le harceler.

Est-il socialiste ? Il maîtrise son agacement et décline ses arguments avec vivacité. Sa vie, dit-il, témoigne pour lui. Il avance des origines sociales modestes. Sans forcer le trait, cependant, car son père était tout de même conseiller juridique et fiscal et sa mère, journaliste. Ensuite, il rappelle que, malgré ses diplômes, il n’a pas choisi le monde des affaires, préférant enseigner à l’université. Sous- entendu : je ne suis pas un homme d’argent. Enfin, il évoque son rôle au FMI. Un plaidoyer pro domo. Grâce à lui, explique-t-il, la ligne du Fonds monétaire international, traditionnellement ultralibérale, a changé. Sa gestion de la crise en est la preuve : il a défendu la régulation, contribué à réhabiliter le rôle des Etats, démontré les vertus oubliées ces dernières années du keynésianisme.

« Les femmes ? J’en ai sans doute fait un peu trop dans le passe mais cette page tournée. Et les Français ne sont pas choqués par cette question. »

II nous prend alors de court et lance : « Bon, il faut aussi parler de mes Handicaps dans cette campagne. » La suite sent l’argumentaire bien rodé : « J’en ai trois : l’argent, les femmes et la Judaïté. »

Justement, nous allions en parler mais il ne nous laisse pas placer un mot car ses réponses sont prêtes. L’argent : « Je ne vais tout de même pas m’excuser parce que ma femme est riche. Cela ne veut pas dire que je suis un homme d’argent, mon existence le montre. Par ailleurs, le fait d’avoir de l’argent peut devenir un bon argument : je ne suis pas corruptible et je ne risque pas d’être tenté de profiter du pouvoir pour m’enrichir. » Les femmes : « C’est vrai que j’en ai sans doute fait un peu trop dans le passé mais cette page est tournée. Et puis les Français ne sont pas choqués par cette question. » Le judaïsme, enfin : « C’est, sans doute, sur ce terrain que je serai le plus attaqué. » Autours de la table, certains ne le suivent pas sur ce terrain, d’autres si. Il insiste : « Je serai attaqué là-dessus. »

L’heure avance. Il est près de 15 heures. Dominique Strauss-Kahn a d’autres rendez-vous dans l’après-midi. Il doit respecter son agenda car il repart le lendemain pour Washington. Anne Hommel le lui rappelle discrètement. Ultime aparté entre lui et Jacques Julliard pour s’expliquer sur les différends politiques qui ont pu les opposer au cours des derniers mois et rétablir des relations normales entre eux. Tout le monde se sépare sur le seuil du restaurant. DSK est rayonnant, sûr de lui, sans doute heureux des messages divers et bien préparés qu’il a pu faire passer à deux mois de son entrée dans la mêlée présidentielle française. C’était il y a trois semaines. Une éternité…

Denis JEAMBAR
Marianne N° de la semaine du 21 au 28 mai 2011

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