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Jeudi 20 septembre à 15 heures sur Arte, « Bottled life – Nestlé et le business de l’eau en bouteille ».

mercredi 19 septembre 2012

Le 11 octobre 2007, le trust avait mis en ligne sur son site web le clip de propagande « Saving lives through clean water » en vantant son engagement au sein du camp de Kebribeyah (est de l’Éthiopie), dans lequel s’agglutinent quelque vingt-cinq mille Somalien(-ne)s ayant fui leur pays. L’eau, très ferrugineuse, provient d’une station de pompage de la vallée, située à vingt kilomètres. La corrosion ronge dangereusement les canalisations. Selon Bekele Negash, du Haut-Commissariat aux réfugiés, les « bienfaiteurs » ont abandonné le projet en 2004. Aussi, réclame-t-il des dons, car l’implication de l’Ordre de Saint-Lazare ne suffit pas à subvenir aux besoins élémentaires des trente-cinq mille personnes, y compris celles regroupées à Aw Bare et Sheder, tributaires, beaucoup depuis deux décennies, de l’aide prodiguée par l’instance onusienne.

« Vague à l’âme »…

L’Autrichien Peter Brabeck-Letmathe, qui cornaque toujours le Conseil d’administration de Nestlé après avoir été le PDG, du 5 juin 1997 au 1er avril 2008, aime insister sur le concept de « valeur partagée », sur la « durabilité écologique », « l’équité sociale » (2). Green- ou bluewashing et mensonges éhontés ! Lorsque celui qui avait débuté comme vendeur de glaces itinérant affirme que sa responsabilité première de patron consiste à « assurer et préserver un avenir florissant à l’entreprise », qu’il vitupère contre le partage du travail (3) et les ONG « extrémistes » militant pour que l’ensemble des terrien(-ne)s aient accès sans restrictions à l’eau, un bien public, je lui concède davantage de sincérité quant à la philosophie animant son « assez gros navire », lequel emploie environ deux cent soixante-quinze mille collaborateur(-e)s à travers le monde (quatre cent quatre-vingt-un sites industriels dans quatre-vingt-sept pays). Le sexagénaire au teint hâlé ose même cette saillie : « nous n’avons jamais mieux vécu, nous n’avons jamais disposé d’autant d’argent, nous n’avons jamais été en meilleure santé, ni joui d’une telle longévité… Et pourtant, le vague à l’âme nous étreint… »… Le 19 avril 2007, lors de l’Assemblée générale à Lausanne, il avait déclaré n’avoir nullement honte de sa rémunération : 17,4 millions de FS (14,44 millions d’euros), soit trois cent quatre-vingt-quatre fois la paie du salarié le moins bien loti. L’an passé, alors que le Belge Paul Bulcke, qui lui a succédé à la tête du consortium, a empoché 9,8 millions de FS (8,134 millions d’euros), il a dû se contenter de 6,973 millions de FS (5,79 millions d’euros), une baisse de 16,3% par rapport à l’exercice précédent. S’interrogeant sur la manière d’asseoir la pérennité de sa société pour cent quarante années supplémentaires, il tilta sur l’eau, « une denrée ayant un coût » (4). En avril 2002, après l’absorption de Perrier-Vittel, il initia Nestlé Waters (5), qui a rapporté en 2010 neuf milliards quatre-vingt quinze millions de francs suisses (7,55 milliards d’euros). Son ticket d’entrée dans la Formule un lui rapporterait quelque cinquante millions de dollars (38,3 millions d’euros)… Dans les paddocks, on murmure que le vice-président du C.A. de l’Oréal tiendrait la pole position pour remplacer à la tête du barnum motorisé le Britannique Bernie Ecclestone, qui loua, en juillet 2009, « l’efficacité » (sic) d’Adolf Hitler. Les deux concepteurs du long-métrage de quatre-vingt-dix minutes et neuf secondes n’ont pas bénéficié de conditions de tournage idéales, tant à Vevey (canton de Vaud, au bord du lac Léman), au siège, que dans les pays visités. François-Xavier Perroud, alors chargé de la communication du géant au si charmant logo (6), estima lors d’un déjeuner avec eux au restaurant du « Schweizerhof » à Berne que ce serait le « mauvais film au moment inopportun », prévenant ses interlocuteurs qu’ils trouveraient porte close partout (7). Il les invita à se pencher plutôt, aux frais de Nestlé, sur les gaspillages inhérents à l’agriculture… L’opiniâtre duo n’en démordit pas. Optant pour une tonalité moins rentre-dedans que Michael Moore, il a habilement placé en perspective les artifices de marketing et la réalité, infiniment moins rose, sur le terrain, tout en évitant de s’exposer à d’éventuelles poursuites en diffamation.

Cocktail mortel !

Au Pakistan, comme dans d’autres contrées du Tiers Monde où les systèmes d’approvisionnement s’écroulent, la multinationale engendre des dépendances, puis domine le marché qu’elle a elle-même établi. Ce pays de cent quatre-vingt millions d’âmes, servit de tremplin à Pure Life (8). Ce breuvage, composé d’eau souterraine filtrée, enrichie de sels minéraux, fut lancé en 1997. « Le joyau de notre portefeuille » (John J. Harris, le boss de Nestlé Waters), élaboré dans vingt-sept pays, possède un goût identique partout. La fabrique de Sheikhupura assèche la nappe phréatique près du hameau de Bhatti Dilwan. Deux cents villageois, soutenus par Umar Hayat, ex-conseiller municipal, déposèrent en vain une pétition réclamant que ses dirigeants installent un puits ou un tuyau. À Lahore, ville de dix millions d’habitants « baignée » par le fleuve Ravi, un véritable cloaque, affluent de l’Indus, les classes aisées ont les moyens de se procurer de l’eau potable et de se prémunir contre les risques de maladies graves, qui frappent l’immense majorité des femmes, hommes et enfants. Le pourrissement des infrastructures trentenaires, jamais entretenues, recèle un danger supplémentaire : le chevauchement des conduites transportant l’or bleu cherché dans le sous-sol et celles évacuant les eaux usées. Cocktail mortel ! Insouciants, nullement préoccupés du sort funeste des miséreux, les jeunes de la jet-set se baladent dans les rues du quartier huppé de Gulberg, une bouteille de Pure Life à la main. Signe extérieur de richesse ! Ahmad Rafay Alam, avocat à la Haute Cour, se souvient de l’époque, pas si lointaine, où il recevait gratuitement un verre d’eau. « Maintenant, avant que tu ne réalises, tu débourses quinze roupies ». À Lagos (Nigéria), la plus grande métropole africaine, l’eau la plus prisée est celle, de qualité très douteuse, contenue dans des poches de plastique (cinq nairas l’unité, deux cents). Il existe une enseigne locale, Élan, ainsi qu’Akuro de la fabrique artisanale Golden Dip de Kelvin Olagemju Kayode, qui ambitionne de faire fortune, nonobstant la concurrence d’Eva Water de Coca-Cola, d’Aquafina de Pepsi et de Pure Life, arrivée ici il y a sept ans. Un flacon (60 cl) coûte cent nairas, 55 % de plus qu’un litre d’essence. Dans le bidonville sur pilotis de Makoko, les gens végètent au milieu des immondices. Choléra et typhus les menacent. Sur un budget quotidien de mille nairas (4,82 euros) pour douze personnes, la moitié est dépensée pour une eau guère salubre. Là aussi, la caste au pouvoir, vérolée par la corruption, refuse d’investir dans le réseau public. À l’instar de nombreuses compatriotes, Mary Setondji (16 ans) confectionne des boulettes de kuli-kuli, à base de cacahuètes rôties, qu’elle vend à l’entour. Outre-Atlantique, Nestlé mène une politique tout aussi pernicieuse. Pour trente mille litres de Poland Spring, ses émissaires glissent dix dollars à un propriétaire complaisant qui laisse les techniciens capter l’eau coulant à foison sous ses terres. Conditionnée dans des bouteilles en PET de 50 cl, la marque est vendue jusqu’à deux dollars l’unité. Douze mille fois la culbute !…

Goliath vaincu !

Dans l’État verdoyant du Maine, la révolte gronda. À Fryeburg, le retraité Howard K. Dearborn enjoignit même ses concitoyens à rejeter le contenu des bouteilles dans le lac d’où elle provient. Avec un clin d’œil, il pointe l’étendue du scandale : « C’est la même eau que celle utilisée en face pour se laver les mains ou nettoyer la cuvette des WC ! ». Les gros camions-citernes effectuent vingt-cinq mille trajets par an vers l’usine d’embouteillage. À Kingfield, où certains autochtones apprécient le « bon voisin » pour son financement d’une école et d’une aire de jeux pour les bambins, l’usine produit 750 millions de litres en douze mois. Deux cents kilomètres au sud, au cœur d’une splendide réserve naturelle, des femmes ont organisé la résistance pour empêcher Nestlé de s’emparer des nappes aquifères. Sans solliciter l’avis des autochtones, les géologues-maison ont creusé dix-huit puits pour effectuer des tests de forage. Denise L. Carpenter, infirmière en salle d’opération et fermière, est également remontée contre les politicards du cru : « Le gouvernement doit servir la population et non l’inverse ». Au final, elle, Shelly Gobeille, Eileen Hennessy, Ann Winn-Wentworth et leurs amies imposèrent un vote à l’assemblée municipale. À Shapleigh, 114 personnes votèrent contre les visées de l’ogre helvétique. Résultat peu ou prou similaire à Newfield. Belle leçon de démocratie à la base ! Gloria Gerry avait déniché un paragraphe de la Constitution américaine, octroyant aux communes la latitude d’édicter ses propres règlements administratifs. Alors qu’à Fryeburg les associations, s’appuyant sur la loi commune, ont perdu et que leur adversaire y pompera six cents millions de litres par an (trente six mille voyages de gros cubes supplémentaires !), dans ce paradis naturel, les intrépides défenseuses de l’environnement ont abattu (provisoirement ?) Goliath en septembre 2008. Pourtant, la compagnie continuera de ne s’acquitter que de la taxe foncière et de récupérer à un tarif des plus dérisoires près de quatre milliards de litres par an rien que dans l’État sur la côte est des States jouxtant le Québec. Au marathon de New-York, Poland Spring hydrate les concurrents. Durant la course, deux cent trente mille bouteilles sont offertes aux spectateur(-trice)s, qui, par réflexe pavlovien, l’achèteront en magasin ou se la feront livrer à domicile. Or, soutient la Canadienne Maude Barlow, lauréate en 2005 du Prix Nobel alternatif (9), des robinets de « Big Apple » coule « l’eau la plus propre au monde, provenant des montagnes de Catskill. Les jeunes se laissent berner par le message fallacieux les incitant à boire huit verres d’eau par jour ». La militante altermondialiste rappelle que davantage d’enfants décèdent pour avoir avalé une eau contaminée que du SIDA, des accidents de la circulation, des guerres, de la malaria réunis… 3,6 millions de victimes par an, sept toutes les minutes ! La « combattante passionnée » (10) juge quasiment « criminelles » les agressives méthodes commerciales de Nestlé, ignominieusement dédaigneuses à l’encontre des communautés locales. Selon Gérard Payen, conseiller auprès du secrétaire général de l’ONU, 1,9 milliard d’êtres humains restent privés d’eau potable. Mais Peter Brabeck-Letmathe espère contribuer à la prospérité de notre civilisation afin que celle-ci perdure au minimum encore…quatre mille cinq cents années…

Alors, comment répondons-nous à la question lancinante, formulée sur fond d’images majestueuses de montagnes helvétiques, tournées par Samuel Gyger depuis l’hélicoptère : « À qui appartient l’eau sur notre planète ? ».

Le film, co-produit par DokLab (Berne) et Eikon Südwest (Stuttgart), avait déclenché un tonnerre d’applaudissements lors de sa première, le 22 janvier dernier, dans le cadre des 47es Journées cinématographiques de Soleure. À l’affiche, le surlendemain, dans une salle plus petite que le Landhaus de la belle cité baroque, il suscita un tel engouement que les organisateurs ajoutèrent une troisième séance. Le 15 mars dernier, il figura au programme du Forum alternatif mondial de l’eau à Marseille, qui déplaça cinq mille cinq cents intéressé(-e)s. Pour poursuivre la réflexion, je recommande la lecture de trois ouvrages : « Les scandales de l’eau en bouteille » de Jacques Neirynck, Favre (Lausanne), avril 2009, 128 pages, 13 € ; « Écologie, irrigation, diplomatie, comment éviter les guerres de l’eau » de Frédéric Lasserre, chez Delavilla Management, octobre 2009, 250 pages, 17 € ; « Les autres voix de l’eau », ouvrage collectif comportant quinze auteurs, sous la coordination de Hanna Aubry, La Dispute, mars 2012, 103 pages, 6 euros.

(1) Soixante-six marques dont treize commercialisées dans l’Hexagone : Acqua Panna, Carola, Contrex, Hépar, Nestlé Pure Life, Quézac, Perrier, Plancoët, Saint Lambert, Sainte Alix, San Pellegrino, Valvert, Vittel. Pourtant, pour la plupart d’entre elles, seule l’appellation d’origine apparaît sur l’emballage. (2) Je reviendrai incessamment sur d’autres exactions et malversations, singulièrement en contradiction avec les ronflantes déclamations « humanistes ». (3) Le natif de Villach en Carinthie fut un des quarante-quatre membres de la Commission pour la libération de la croissance française, présidée par Jacques Attali. Le 23 janvier 2008, celui-ci avait remis à Nicolas Sarkozy les 316 propositions ultra-libérales, comme l’instauration de fonds de pension, la réduction du taux, déjà ridiculement bas, de la fiscalité dans le secteur de la finance et la suppression du principe de précaution, que même le chef de l’État réfuta… (4) Vers la fin de « We feed the world », le saisissant documentaire de l’Autrichien Erwin Wagenhofer. Sorti en France le 25 avril 2007, il y attira 187 998 aficionados dans les salles obscures. (5) Entité installée à Issy-les-Moulineaux (Yvelines). (6) Deux oisillons dans un nid recevant la becquée de leur maman ! (7) Pour un documentaire de 49 minutes sur l’histoire du chocolat suisse, « Der bittere Weg zum süßen Erfolg » (sorti en DVD, le 24 juin 2011, projeté sur 3 Sat, le 14 septembre 2012), Christa Ulli et Kathrin Winzenried avaient obtenu les laissez-passer désirés. Elles avaient pu pénétrer dans le Centre d’excellence inauguré, le 7 septembre 2009, au-dessus de l’usine Cailler à Broc (canton de Fribourg), interviewer Didier Focking, le directeur de cette unité « premium-luxe » et rencontrer aux archives de Nestlé à Vevey Tanja Aenis, l’historienne de la boîte. (8) Depuis fin 2011, sous nos latitudes, Pure Life (« pour Bébé et toute la famille ») remplace sur les gondoles des magasins Aquarel, laquelle, en dépit de son sponsoring du Tour de France, entre 2001 et 2007, n’a pas réussi à percer. (9) Le philatéliste suédois Jakob von Uexkull céda pour un million de dollars sa collection de timbres pour fonder en 1980 le Right Livelihood Award, doté de cinquante mille euros. Le prix est décerné chaque année dans l’enceinte du Riksdag, la Chambre des députés à Stockholm, à la veille de la cérémonie des Nobel officiels à Oslo. (10) Ann Farrell, dans un long texte mis en ligne, le 2 janvier 2003, sur le site féministe canadien section 15. ca, rattaché la Nancy’s very own Foundation.

René HAMM Bischoffsheim (Bas-Rhin) Le 18 septembre 2012

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