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Philippe Madelin
Journaliste
Publié le 06/12/2008 à 15h44
Seul moyen pour que votre téléphone ne puisse pas servir de micro d’ambiance à la police : enlever la batterie. Et encore…
Les Ecoutes, c’est encore pire que ce que je croyais. La technique permet désormais tout. Et le reste. On m’interroge souvent, on me pose ce genre de question : « J’entends des cliquetis dans mon téléphone, je crois être écouté. Qu’en penses-tu ? »
Eh bien, je n’en pense rien. Parce que je peux vous l’affirmer : nul ne peut détecter quand il est écouté ou non. Un de mes amis spécialisés dans ce genre de pratique m’a expliqué en long et en large que comme l’interception porte sur les ondes radio électriques, totalement immatérielles, il n’existe aucun moyen technique connu pour détecter les écoutes. Judiciaires, administratives ou sauvages, même topo.
Quand les liaisons téléphoniques transitaient par des fils de cuivre, quand les enregistrements étaient effectués sur des magnétophones -j’en ai vu beaucoup en parcourant des locaux de police pour une raison ou une autre-, il était possible de détecter les détériorations de signal provoquées par les branchements. Aujourd’hui, avec le numérique, c’est fini.
Des millions de micros sauvages
Téléphone ouvert ou fermé, les experts peuvent accrocher votre ligne sans le moindre problème.
Donc, où que vous soyez, du moment que vous portez sur vous un téléphone cellulaire, on peut récupérer non seulement les communications transmises, mais encore tout ce qui se passe autour de vous. Le téléphone devient en quelque sorte un micro d’ambiance.
Même avec un téléphone fermé ? Même avec un téléphone fermé, précise mon interlocuteur. Mieux, l’agent chargé de l’écoute peut ouvrir à distance votre téléphone à votre insu. Vous croyez que votre portable est fermé alors qu’il est ouvert.
On entend tout ce que vous dites, tout ce qu’on vous dit, on perçoit -et donc on enregistre- toutes les conversations autour de vous. L’écoute fonctionne comme une téléconférence, c’est-à-dire qu’un troisième partenaire silencieux, dormant, vient s’insérer dans votre dialogue.
A Paris seront bientôt installées des milliers de caméras dans la rue, comme à Londres. Mais déjà des millions de microphones sauvages sont en opération : vos téléphones portables.
Si vous voulez éviter l’écoute sauvage, précise mon interlocuteur, il faut retirer la batterie de l’appareil. Et même dans ces conditions il y a probablement un moyen de vous suivre à la trace !
En vérité, le seul moyen d’échapper aux écoutes, ou au moins de les retarder, c’est le cryptage. Une technique horriblement coûteuse, donc hors de portée de l’utilisateur moyen. J’ai bien écrit « retarder », car à ce jour aucun cryptage ne résiste bien longtemps aux efforts pour le casser.
Des logiciels spéciaux permettent également de corriger le son, d’effacer les parasites, d’amplifier des voix trop faibles.
Il y a mieux encore : votre téléphone peut être utilisé comme « radio balise », grâce à l’appoint du système GPS, il permet de suivre tous vos déplacements, de vous localiser au mètre près.
D’assez nombreuses sociétés de transport -taxis et camions- utilisent d’ailleurs cette faculté pour suivre en direct le déplacement des véhicules. Des contrats spéciaux dits de « tracking volontaire » sont conclus dans ce sens avec les sociétés spécialisées dans les écoutes. Elles fournissent toute la gamme de prestations, y compris les services de traduction instantané. Dans toutes les langues possibles.
Elle est loin l’époque où le grand système des écoutes était installé dans les sous-sol de la caserne de La Tour Maubourg, sur le boulevard éponyme, à Paris. Dans ce temps-là, des dizaines de postes de travail étaient alignés, des officiers de Police judiciaire devaient prendre en note tous les propos recueillis dans les écouteurs.
Ce temps préhistorique -quelques années seulement- est révolu. Maintenant, tout le process technique est accompli à distance. A Paris, on peut écouter en temps réel tout ce qui est dit en Martinique.
A Langley, le siège de la CIA, on peut pirater tous les secrets d’Etat qui transitent par le téléphone. C’est pourquoi, d’ailleurs, à peine élu, Barack Obama s’est vu confisquer son Blackberry ; dont il était un utilisateur quasiment maniaque. Sécurité nationale oblige. Mon Omniprésident, qui est un « adicté » du portable, pourrait en prendre de la graine.
Une Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité
En principe, ces écoutes légales sont sévèrement encadrées et contrôlées par la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité.
Les enquêtes de PJ, soit les demandes émises par les magistrats instructeurs, 20000 par an, doivent transiter par une super plateforme dépendant du ministère de la Justice, capable de traiter voix, images, mails et SMS à un rythme industriel.
Les sociétés prestataires ne peuvent travailler que sur réquisition judiciaire en bonne et due forme. Coût : moins de 8 € par connexion, un coût divisé par 5 en deux ou trois ans. Un service spécial du ministère de l’Intérieur est chargé de contrôler la légalité des écoutes.
Pour les écoutes dites « administratives », c’est-à-dire pratiquées hors poursuites judiciaires, par exemple pour surveiller des « terroristes » potentiels, l’autorisation doit être délivrée de façon formelle par le cabinet du Premier ministre. On en compte 6000 par an.
Mais la technique va plus vite que la loi. Aujourd’hui, n’importe quel bon bidouilleur informatique peut intercepter votre téléphone. Et entrer sans la moindre difficulté dans la mémoire et dans l’intelligence de votre ordinateur.
Pour les policiers traditionnels, les vieux, cette pratique des écoutes généralisées présente un défaut majeur. L’un d’eux -non, je ne citerai pas ma source- me confie :
« Avec cette pratique des écoutes, les jeunes policiers perdent l’habitude d’enquêter, ils ne se fient plus qu’à la technique, on ne va plus sur le terrain. »
Alors, les écoutes tueraient-elles Sherlock Holmes ? J’avais déjà repéré que les James Bond modernes de la CIA, de la DGSE ou du Mossad répugnaient à aller au contact pour recueillir du renseignement. Apparemment le mal s’étend à la police judiciaire.