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« Nous l’avons tant aimé, la révolution » de D. Cohn-Bendit en 1986

lundi 27 février 2017

« Nous l’avons tant aimé, la révolution » de D. Cohn-Bendit

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n°631 (2 oct. 1986) | Expressions

Mai 68 ça a toujours été mon Amérique à moi. Imagine ! T’as treize ans, des nattes, un cœur gros comme ça d’absolu, t’es pour les Indiens contre les cow-boys, tu rêves d’un prince charmant qui s’appellerait Robin des bois… et pendant que les grands (ceux de 20 ans) sont en train de vivre tes rêves dans le fracas d’un monde qui s’écroule malgré les charges endiablées d’un 20e de cavalerie qui ne sait plus où donner de la matraque, tu dois te contenter de rêver ta vie parce que les parents t’ont enfermée à double tour dans ta chambre ! La révolution, Maylis, tu la feras quand tu seras plus grande !

Plus grande ! J’en pleurais ! Je les aurais bouffés ! La haine ! Et j’ai dû ronger mon frein. Quelques années. Le temps de me sentir assez grande. Assez forte. Pour oser couper le cordon. Pour oser être. Pour oser vivre. Et un jour, ça a pété. « Bye bye dad ! » Bonjour la liberté, la vie, les luttes, l’espoir, la révolution ! Ohé les grands, j’arrive !

Mais déception, j’eus beau regarder partout autour de moi, pas trace de mes idoles d’un printemps trop bref. Tout juste quelques troisièmes couteaux ici et là, roides de trotskysme caporalisé et de maoïsme militarisé. Mais de tous ceux que j’avais entraperçus dans mes rêves, de tous ces enragés de liberté et d’égalité, de tous ces troubadours de l’espoir, de tous ces barbares féroces et joyeux… Point ! Évanouis, disparus !

Aussi, quand j’ai appris que l’un de mes disparus préférés avait mené enquête pour savoir quel avait été l’itinéraire des héros de mon adolescence, je me suis précipité sur son bouquin et je l’ai littéralement dévoré.

Il faut dire que ce genre de livre se lit bien. Difficile en effet de rester insensible à des témoignages aussi poignants que ceux de Hans Joakim Klein, Valério Morruci, Adriana Farranda. La lutte armée, l’engrenage terroriste, la fuite en avant permanente jusqu’à… Que de vies brisées, usées, gâchées ! Difficile également de ne pas vibrer en écoutant Gabriel Ceroni, J.-P. Duteuil, Barbara Koester, Abbie Hoffman… qui, pour avoir parcouru en tous sens les espaces infinis de l’éternelle révolte de la jeunesse, n’en continuent pas moins vingt ans plus tard à crapahuter hardi tiens bon sur les chemins escarpés de la nouvelle jeunesse de la révolte. Difficile enfin de ne pas hurler de rage devant le patchwork de cynisme et de pitoyable qui suinte goutte à goutte des propos de ces arrivistes chromosomiques que sont les July et autres Jerry Rubin !

Mais s’il se lit bien, ce livre ne m’a cependant guère apporté d’élément de réponse par rapport à mon interrogation initiale. Les témoignages c’est bien, mais une vingtaine d’itinéraires personnels ça ne permet que de se faire une vague idée de l’itinéraire d’une génération. Pire, le choix des témoignages m’a laissée perplexe. Pourquoi n’avoir pas interviewé certains anciens du 22 mars qui, aujourd’hui, à la L.C.R. ou ailleurs continuent à se réclamer de la révolution ? Pourquoi n’avoir interrogé qu’un seul libertaire qui, comme par hasard, est quasiment le seul à être resté fidèle à sa jeunesse ?

Pire encore, pourquoi se permettre d’être sarcastique à l’encontre d’un Roel Van Duyn qui, s’il « a l’imagination qui déraille », n’en continue pas moins à se battre pour les mêmes choses qu’il y a deux décennies, alors que l’on fait preuve d’une indulgence étrange à rencontre d’un July et que l’on discute « coolos » avec lui sur le meilleur moyen de reformuler la démocratie ? Et pourquoi, quand J.-P. Duteuil refuse de se laisser embarquer dans la galère de la défense de la démocratie bourgeoise, lui asséner à grands coups de mauvaise foi la question à cent balles qui traîne partout dans la presse d’Hersant : « Mais qu’est-ce que tu préférerais : vivre dans une démocratie bourgeoise ou dans une démocratie populaire ? ».

Bref, j’ai comme l’impression que le choix des témoignages comme la manière dont ils ont été réalisés visent plus à étayer un itinéraire personnel… vers la défense de la démocratie bourgeoise, qu’à essayer d’approcher le pourquoi et le comment de l’itinéraire d’une génération. Et ça c’est dur à avaler. Chacun a le droit d’évoluer et de découvrir sur le tard les vertus d’un système qui permet à trois millions de chômeurs de choisir d’être chômeurs, aux immigrés de choisir d’être pressés comme des citrons et renvoyés après usage « chez eux », aux réfugiés politiques de choisir d’être expulsés… mais de grâce qu’on ne nous fasse pas le coup du « on l’a tant aimé la révolution ». Car, comment peut-on avoir aimé vraiment quelque chose hier et aimer aujourd’hui le contraire ?

Soyons sérieux, l’usure du temps et le poids des ans n’expliquent pas tout, et aujourd’hui comme hier il convient de dire haut et fort que « si nous ne sommes pas contre les vieux nous sommes en revanche violemment contre tout ce qui les fait vieillir ».

Maylis O’Brian

1 Message

  • Cela s’explique tout simplement par la trahison !

    Salut Maylis,

    Tu demandes : « Car, comment peut-on avoir aimé vraiment quelque chose hier et aimer aujourd’hui le contraire ? »

    Cohn Bendit est devenu l’icône du mouvement de mai 68 parce que les journalistes au service du pouvoir l’ont voulu. Ils préféraient parler de lui plutôt que des situationnistes parce qu’il était bien moins dangereux qu’eux. Ce n’est en effet pas lui qui a été capable de déclencher ce mouvement, mais les situationnistes ! :

    http://mai68.org/spip/spip.php?article1389

    Cohn Bendit fut en mai 68 un révolutionnaire sincère mais sans génie. C’est seulement vers la fin des années 1970, quand il a trahi la révolution, ou quand il a cru que la révolution l’avait trahi et ne se réaliserait jamais (*), que, le sol s’écroulant sous ses pieds, il s’est raccroché aux branches qui se présentaient à lui.

    Bien sûr, quand le sionisme fait sa propagande à visage découvert, il la fait essentiellement auprès des Juifs, et il la fait auprès d’eux sans relâche. C’est pourquoi, quand un révolutionnaire juif abandonne la révolution, ou quand il se sent abandonné par elle, il devient quasi-automatiquement sioniste.

    Et, comme chacun sait, ou devrait le savoir, le sionisme étant l’idéologie de la classe dominante juive (**), elle est par essence contre-révolutionnaire :

    http://mai68.org/spip/spip.php?article4974

    Bien à toi,
    do
    http://mai68.org

    (*) C’est ainsi qu’un peu plus tard, en octobre 1986, Cohn Bendit écrivit « Nous l’avons tant aimée la révolution ».

    (**) Chez les juifs aussi, il y a une classe dominante et une classe dominée.

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