Bonjour Do,
C’est grâce à toi que j’ai découvert Guy Debord et je t’en remercie, j’ai vu une référence à son livre "La société du spectacle" quelque part sur ton site. A vrai dire, j’avais vaguement entendu parler de l’ouvrage, mais le titre (qui n’est compréhensible qu’à ceux qui l’ont lu) me faisait croire à une énième analyse sur le pouvoir des médias, alors…
Et j’ai donc vu que l’ouvrage était présenté sur ton site. Bon, Do n’a sûrement pas mis sur son site un ouvrage sans intérêt révolutionnaire . J’achète l’ouvrage (et aussi les Commentaires) et je lis. Et je découvre un penseur (denrée plutôt rare à notre époque), un penseur et un esprit libre. Quelle intelligence, quelle finesse dans l’analyse, quelle profonde connaissance des penseurs qui l’ont précédé : Marx et Engels naturellement, Lénine, Bakounine etc… Textes que je connaissais assez bien ce qui m’a permis d’apprécier.
Debord se présente comme le continuateur de Marx et il l’est réellement. Il utilise la pensée marxienne, la prolonge et corrige les illusions que Marx a pu entretenir (il n’est pas sans illusions lui non plus). Cette pensée lui permet de comprendre ce qu’est le capitalisme à notre époque, de remettre tous les évènements historiques sur leurs pieds, d’en donner une interprétation que je considère comme irréfutable (pour quelqu’un ayant un niveau suffisant et de la bonne foi). Sa critique du rôle joué objectivement par les syndicats et autres leaders du mouvement ouvrier est ravageuse et sans réplique.
Comment sortir de là ? Comme les autres grands penseurs révolutionnaires, il pense que les travailleurs mettront à bas ce monde aliénant. Debord pense que ce ne peut être que sous la forme des conseils ouvriers fugitivement apparus ça et là. Je le cite :
« La révolution prolétarienne exige que les ouvriers deviennent dialecticiens et inscrivent leur pensée dans la pratique ; ainsi elle demande aux hommes sans qualité bien plus que la révolution bourgeoise ne demandait aux hommes qualifiés qu’elle déléguait à sa mise en œuvre : car la conscience idéologique partielle édifiée par une partie de la classe bourgeoise avait pour base cette partie centrale de la vie sociale : l’économie, dans laquelle cette classe était déjà au pouvoir. Le développement même de la société de classes jusqu’à l’organisation spectaculaire de la non-vie mène donc le projet révolutionnaire à devenir visiblement ce qu’il était déjà essentiellement. » (thèse 123).
Magnifique, admirable conception, mais qui à mon sens se heurte à un mur infranchissable : l’être humain n’est pas tombé du ciel. L’homo sapiens sapiens, l’homme actuel a été formé par l’évolution afin d’être adapté à des conditions particulières : survie dans un environnement difficile. Il fallait des chefs, il fallait de l’obéissance et nous en sommes toujours là, les êtres humains en général ne peuvent pas se passer de chefs, ne peuvent se passer d’obéir, quittent à être eux-mêmes éventuellement des petits chefs. Cette tendance est hélas inscrite dans nos gênes et elle correspondait à un vrai besoin, il y a 40000 ans. Marx a ignoré les travaux de Darwin ou du moins n’en a pas tenu compte dans ses idées de la pratique révolutionnaire. Lénine, lui, a bien vu cette réalité (et Hitler et Mussolini et Staline, etc…).
Cette idée des ouvriers qui deviennent miraculeusement dialecticiens ça fait penser à un mythe qui a beaucoup servi : le mythe de l’homme nouveau. D’accord la pratique des pays "socialistes" était critiquable, mais dans ce système se formerait l’"homme nouveau" qui lui résoudrait tous les problèmes.
C’est pourquoi, mon cher Do, je suis infiniment sceptique quant à l’apparition d’ouvriers (même au sens le plus étendu) dialecticiens qui réussiront une merveilleuse révolution. Pour ma part, j’essaie surtout de faire grandir une "conscience écologique" avec les hommes tels qu’ils sont. Oui, ce n’est pas très enthousiasmant ! (Attention ça ne veut pas dire que je milite de quelque façon que ce soit avec les Verts, ces illusionnistes).
Mais ça ne m’empêche pas de respecter infiniment le travail que tu fais et que je juge nécessaire, nous avons tous besoin d’espoir.
Pierre