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Pays Basque - 18 octobre 2013 - Pas de paix sans amnistie !

jeudi 17 octobre 2013, par anonyme (Date de rédaction antérieure : 17 octobre 2013).

Amnistiarik gabe, bakerik ez

Dans les dernières décennies du XXe siècle, ce slogan était repris dans toutes les manifestations de soutien aux prisonniers et exilés basques, ces valeureux combattants pour la libération d’Euskal Herria qui s’étaient dressés armes à la main contre les États oppresseurs espagnol et français et qui payaient, soit dans l’exil, soit dans de lointaines geôles de France, d’Espagne ou de quelque autre pays leur engage­ment pour la libération de leur terre et de leur peuple. « Pas de paix sans amnistie. » Ou, pour être plus précis, plus explicite dans la tra­duction : « Il n’y aura pas de paix s’il n’y a pas d’amnistie ! » Le slogan n’était pas une simple revendication ; c’était un avertissement aux États français et espagnol, c’était un engagement de tous ceux qui reprenaient cette formule, tel un défi lancé aux autorités, engage­ment à ne mettre un terme (la paix) au combat mené par le peuple basque qu’après l’obtention par celui-ci de la reconnaissance de la légitimité de ce combat (c’est-à-dire l’amnistie, consécutive à un armistice en bonne et due forme, pour les combattants).

Il n’y a plus d’attentat depuis la fin du mois de juillet 2009, et ETA a proclamé unilatéralement l’arrêt définitif de la lutte armée voici déjà près de deux ans, le 20 octobre 2011. Malgré cela, la reprise de ce slogan serait considérée comme un acte d’apologie du terrorisme, en tout cas sur le territoire espagnol. Et, en France, on y verrait à tout le moins la confirmation de la nécessité pour l’État de se montrer vigi­lant devant cette nouvelle manifestation d’un « communautarisme rétrograde » qu’il convient d’extirper avec fermeté avant qu’il ne fasse tache d’huile et ne mette en péril la « cohésion de la République » (française, mais c’est là une précision superflue, n’est-ce pas ?).

Exilés et prisonniers politiques basques, coupables de terrorisme ?…

C’est que les exilés, déportés et prisonniers politiques basques, même s’ils appartiennent à une organisation qui a arrêté le recours aux actions armées, et donc ne présentent plus de danger, n’ont pas encore fait acte de repentance. Or, ne pas se repentir d’avoir fait parler les armes, ne pas passer à une autocri­tique résolue, totale et sans restric­tion, c’est, pour les autorités espa­gnoles, se livrer de façon éhontée à une justification de pratiques qui ne seraient légitimes que dans des régimes dictatoriaux, inégalitaires, fas­cistes et/ou peu respectueux des droits des citoyens ; ni la France, ni l’Espagne Dieu merci, ne présentent de telles caractéristiques, nous dira-t-on. Ce sont des démocraties, l’une et l’autre. Certes, pas des « démocraties directes », mais des démocraties qui connaissent un « régime représenta­tif », le peuple chargeant des élus de le représenter pour que soient prises les décisions conformes aux souhaits de la majorité. Fort bien.

…Ou courageux rebelles dans une so­ciété malade ?…

Mais c’est là un idéal hors de por­tée si, et c’est toujours le cas, les diverses composantes du peuple ne sont pas équitablement représentées par les élus. Prenons le cas de la France. Sa population comportant un nombre à peu près identique d’hommes que de femmes, il devrait y avoir, en raison de la parité homme-femme, autant de femmes-députés que d’hommes-députés ; or, depuis les dernières législatives, l’Assemblée nationale compte moins de 27 % de femmes pour plus de 73 % d’hommes. Et que dire de la parité sociale qui devrait s’imposer à tous dans un pays dont la devise est « LIBERTÉ, ÉGALITÉ, FRATERNITÉ » ? Quand on sait que les ouvriers représentent 12,5% de la population française et qu’il n’y a pas un seul ouvrier député, alors qu’ils devraient être environ 70 sur les bancs de l’Assemblée si la parité sociale faisait loi, à quoi donc se réduit le caractère « représentatif » de la démocratie française ? Est-ce si difficile que cela de mettre en place un système permettant d’équi­librer les effectifs en respectant les proportions d’hommes et de femmes, ainsi que celles des diverses catégories sociales ? Il est évident que si on le faisait, les priorités retenues par les législateurs pren­draient un coup d’« humain », un coup d’« équitable » : à une gestion froide des affaires, obéissant exclusivement ou presque à une logique rigide de rentabilité ou de conformité au droit tel qu’il est actuelle­ment, et servant surtout les intérêts d’une minorité, succéderait cer­tainement une réorganisation du fonctionnement de la société plus soucieuse de permettre à chaque individu d’avoir un toit, un travail même en l’absence de croissance, des services de santé sans désert médical, l’accès à une éducation et à une formation professionnelle de qualité sur la totalité du territoire, et des revenus moins scanda­leusement différents entre les citoyens que ceux que l’on peut voir à l’heure actuelle ; en effet, alors que le SMIC annuel brut est de 17 160 euros, Maurice Lévy patron de Publicis, est rémunéré 4 800 000 euros par an, soit 280 SMIC ; Jean-Paul Agon, patron de L’Oréal, per­çoit 4 000 000 euros, soit 233 SMIC ; et Bernard Arnault, patron de LVMH, 3 900 000 euros, c’est-à-dire 227 fois le SMIC. Comment en est-on arrivé à trouver normaux de tels écarts, ou en tout cas à les accepter ? Quel itinéraire mental nous a conduits à admettre des rémunérations aussi élevées, conçues par des esprits aussi insolemment méprisants envers la plus grosse partie de leurs concitoyens ? Aurions-nous été touchés, tout en étant mis dans l’impossibilité d’en faire le diag­nostic, par une sournoise et générale épi­démie de démence ?

…Ou victimes d’États-voyous où des « élites » ont confisqué le pouvoir ?…

Voilà le tour que prennent les choses quand, sous prétexte que l’on est, en France comme en Espagne, dans des démo­craties représentatives, on donne pour acquise la représentativité des élus alors que celle-ci n’est que partielle, voire mar­ginale. Quelle peut être la légitimité réelle de ces élus quand leur élection a pour prin­cipal facteur l’argent mis illégalement à leur disposition lors de leur campagne élec­torale, et, par-delà ces moyens financiers, les réseaux d’influence qui se constituent chez les puissants en recourant sans ver­gogne à la corruption, aux passe-droits, au favoritisme, et à tout ce qui relève d’une organisation mafieuse ? Qu’on songe à ces scandales de financement occulte de campagnes électorales telles celle d’Édouard Balladur en 1995 qui s’est soldée le 8 mai 2002 par un attentat-règlement de comptes à Karachi, ou encore celle de Nicolas Sarkozy en 2007 avec des fonds libyens non déclarés dans ses comptes de campagne. Qu’on songe aussi aux rémunéra­tions complémentaires au noir dont ont bénéficié de nombreux élus du Partido Popular, parti au pouvoir en Espagne, durant ces vingt dernières années, l’argent venant de la corruption qui a sévi surtout dans l’immobilier. Tant en France qu’en Espagne, les élus sont pour l’essentiel des valets de la finance, des serviteurs zélés de lobbies divers, peu soucieux de l’intérêt général. Tenant tous les rouages de l’État, ils se protègent des assauts de la Justice en contrôlant celle-ci de manière à freiner les ardeurs des juges à leur encontre, ou à ren­dre inopérantes des condamnations éventuelles en jouant sur la pres­cription qui découle immanquablement un jour ou l’autre de la lon­gueur excessive des procédures.

Exilés et preso politiques basques, des gudari, des Résistants, des patriotes

La légitimité du combat que les Etarra ont mené durant des décen­nies est incontestable. Les Basques sont en effet soumis depuis des siè­cles à une gigantesque entreprise de destruction menée insidieuse­ment - ou brutalement - par l’État français en Iparralde, et par l’État espagnol en Hegoalde. On commémorait il y a quelques jours le 200e anniversaire de la destruction de Donostia qui s’était accompagnée du massacre de 20 % de ses habitants. Au Pays Basque Nord, quelques jours plus tard, les troupes napoléoniennes allaient se livrer à de graves exactions, pillant les campagnes, brûlant des maisons, semant la terreur, la désolation, et condamnant à la misère, pour longtemps, une bonne partie de la population. C’était 124 ans avant le bombar­dement de Gernika. Qui, parmi les Basques, connaît ces épisodes de notre Histoire ? Bien peu de gens ; car notre Histoire, on nous l’a volée, on s’est bien gardé de nous l’enseigner dans nos écoles, cela risquant de nous donner des idées d’union des provinces basques dans la Résistance, de sécession, d’indépendance… Ils veulent effa­cer notre Histoire comme ils sont en train d’effacer notre langue. C’est comme cela qu’on annihile chez un peuple, génération après génération, tout sentiment d’identité, toute volonté de libération, d’émancipation, de construction nationale.

Notre situation est-elle très différente de celle des Résistants basques détenus dans des prisons étrangères ? Nous sommes étran­gers sur notre propre sol. À eux, on leur fait payer par l’incarcéra­tion leur volonté de vivre en Basques. Nous, on nous empêche par diverses décisions de type administratif de vivre en Basques. Que Hendaia ou Beskoitze décident en leur conseil municipal de pren­dre en charge leur ikastola, l’école publique et laïque en euskara qu’ont élaborée les Basques pour leurs enfants, et voilà que tombe le veto du représentant de l’État. Nous ne sommes pas maîtres chez nous. Nous sommes leurs éternels subordonnés. L’euskara n’est tou­jours pas langue officielle chez nous. Et chez nous, en Iparralde, ce n’est pas chez nous, car le Pays Basque n’a aucune identité adminis­trative. Chez nous, c’est chez eux. Nos Résistants exilés sont condam­nés à vivre, déracinés, en terre étrangère. Nous, nous sommes exilés sur notre propre sol. Et cela, nous devons continuer à l’accepter ? Au nom de quelle règle démocratique ? Qu’on envisage l’Indépendance en passant par une consultation d’autodétermination, et voilà que sont favorisés des transferts de population qui modifient substan­tiellement la composition démographique du Pays Basque, rendant aléatoire l’émergence d’une majorité abertzale, d’une majorité basque. Quel chemin nous reste-t-il donc, après l’arrêt de la lutte armée, pour récupérer notre pays, pour lui redonner souffle et vie ? Nos compa­triotes prisonniers et exilés se font écraser en détention ou en exil, minute après minute ; nous, les non-prisonniers politiques basques et les non-exi­lés en pays étranger, nous qui vivons en Euskal Herri en ayant l’illu­sion de vivre libres, nous vivons en réalité en liberté surveillée, nous subissons le même sort qu’eux. Enfermés ou pas, nous, les Basques, sommes tous des prisonniers et des exilés. Niés. Méprisés. Neutralisés.

L’honneur d’Euskal Herria : nos preso et exilés, avant-garde du combat contre la mondialisation

Chacun sait que l’ultralibéralisme induit une forme toujours plus aboutie de mondialisation. La globalisation a pour effet l’uniformi­sation. Les deux principales victimes de cette dernière sont la biodi­versité, d’une part, et la diversité culturelle, d’autre part. L’homme en vient ainsi à évoluer dans un environnement matériel et culturel, intellectuel et linguistique, en constant appauvrissement. Si nos com­patriotes gudari en sont venus à prendre les armes dans les années 1960, c’est en raison d’une conscience aiguë de la nécessité de réagir face à des forces mortifères. Destruction de la nature, dépé­rissement de la variété culturelle, appelaient, appellent encore à un sursaut. Défendre la langue et la culture basques et marcher vers la souveraineté et le socialisme en Euskal Herri, c’était, et c’est encore, s’opposer vigoureusement à des forces obscures menant l’humanité à sa perte dans sa planète finie. Ces militants se sont exposés à la tor­ture, à la prison, à l’exil, à la mort dans un combat sans merci contre des forces fascistes, réactionnaires et criminelles se mouvant au ser­vice d’un ultralibéralisme débridé. En œuvrant de la sorte, souvent avec l’approbation souterraine d’une opinion par ailleurs tétanisée par le prix à payer pour ce combat par trop inégal, ils ont amené une bonne partie du peuple basque à prendre conscience de ses droits, à se dresser face à une oppression impitoyable.

Et maintenant, ils vivent la relégation, soit en exil, soit en prison. Tous ont désormais à porter des blessures consécutives au stress post-traumatique de leur vécu dans des conditions souvent épouvanta­bles, blessures psychologiques que certains, mais pas tous, ont réussi à surpasser et pour d’autres, blessures physiques sous forme de maladies souvent gravissimes. Leur engagement était éminemment res­pectable. Il reste intact, même s’il a changé de modes d’expression depuis l’arrêt définitif de la lutte armée.

II convient désormais que les autorités espagnoles et françaises prennent acte de la situation de ces prisonniers et exilés, situation dans laquelle elles ont une grande part de responsabilité, même si elles ne veulent pas le reconnaître. Elles doivent passer à de premières mesures d’apaisement, et le faire tout de suite. En effet, ne pas recon­naître ses droits au peuple basque, c’est prolonger inutilement les souffrances des détenus, de leurs familles, de leurs proches et amis ; c’est continuer à hypothéquer l’avenir, c’est fonder sur la violence de la répression une paix sociale qui serait plus durable si elle était bâtie sur une justice fruit de règles de vie sociale ne résultant pas d’un simulacre de démocratie.

Ainsi, maintenir en détention des prisonniers gravement malades en invoquant de façon imbécile l’aptitude de l’administration pénitentiaire à leur prodiguer en prison les soins que nécessite leur état, c’est faire preuve d’une cruauté gratuite impliquant l’application sadique, à petit feu, d’une peine de mort qui ne dit pas son nom. Il en va de même pour les interminables peines qui s’appliquent de manière aussi cruelle que juridiquement contestable à des dizaines de détenus sous l’appellation de « doctrina Paroi ». C’est l’honneur de la France et de l’Espagne qui est dans la balance, maintenant que les armes se sont tues.

Pour ce qui est de la France, qu’elle se souvienne de la libération de Maurice Papon, malgré tous ses crimes, en raison de son état de santé. Ce qui a été possible pour un fasciste notoire, pourquoi ne le serait-il pas pour des Résistants ? Parce qu’ils sont Basques ?

Bayonne, le 17 septembre 2013
Mikel Mourguiart

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