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Après trois jours d’audience, la Commission d’enquête sur la participation du Royaume-Uni en Irak a déjà permis d’éclaircir quelques points, notamment celui des armes de destruction massive dont la supposée existence a servi à justifier l’invasion de l’Irak en mars 2003.
Tony Blair savait que l’Irak n’avait plus d’armes de destruction massive (ADM) avant d’envoyer ses troupes dans le pays. C’est ce qu’a indiqué mercredi William Ehrman, haut responsable au ministère britannique des Affaires étrangères entre 2000 et 2002, alors qu’il témoignait devant la commission Chilcot, qui va enquêter durant plusieurs mois sur les relations entre le Royaume-Uni et l’Irak de 2001 à 2009.
William Ehrman a affirmé que Londres avait reçu, dans les jours précédant le début du conflit, des informations selon lesquelles Saddam Hussein avait renoncé à son programme d'ADM. «Nous obtenons dans les derniers jours avant l'engagement militaire quelques renseignements (selon lesquels) les armes chimiques et biologiques avaient été détruites et (l'Irak) pourrait ne pas avoir les munitions pour les lancer». «Il y avait des renseignements contradictoires», a-t-il toutefois tempéré. L'ancien responsable aux Affaires étrangères a finalement reconnu que les connaissances occidentales sur le programme d'ADM irakien étaient extrêmement parcellaires.
L'Irak pas en tête de liste des préoccupations
Un autre témoignage remet sérieusement en cause la raison invoquée par la coalition Bush-Blair pour envahir l'Irak, celui de Tim Dowse, chef du service de contre-prolifération nucléaire au ministère des Affaires étrangères entre 2001 et 2003. Ce dernier a expliqué que l'Irak n'était pas en 2001 «en tête de liste» des préoccupations britanniques pour le risque de prolifération nucléaire. Des propos corroborés par William Ehrman, qui témoignait en même temps: «Pour ce qui était de mes préoccupations quand je suis entré en fonction en 2001, je dirais que la Libye et l'Iran devançaient l'Irak».
Les deux anciens diplomates ont également nié l'existence de liens approfondis entre le régime de Saddam Hussein et le réseau terroriste Al Qaeda, avancée par l'ex-président américain pour mieux justifier l'intervention. «Nous avons trouvé des preuves de contacts entre des responsables irakiens et des membres d'Al Qaeda à la fin des années 1990», a expliqué Tim Dowse, «mais nous en sommes arrivés à la conclusion qu'il s'agissait de contacts très sporadiques (...), qu'il n'y avait rien qui s'apparente à une relation entre les Irakiens et Al Qaeda».
Influence de Bush sur Blair
Jeudi, la commission Chilcot a évalué comment une rencontre privée entre Bush et Blair dans le ranch de Crawford (Texas) en avril 2002 aurait influencé l'ancien résident de Downing Street. Christopher Meyer, ex-ambassadeur britannique à Washington a reconnu qu'il ne savait pas précisément «quel degré de convergence a été en quelque sorte signé au ranch de Crawford», mais a évoqué une coïncidence troublante puisque dès le lendemain, Tony Blair prononçait un discours mentionnant un «changement de régime en Irak». «A ma connaissance, je peux me tromper, mais c'était la première fois que Tony Blair parlait de changement de régime en public», a-t-il poursuivi.
S'il est possible d'envisager que les deux hommes se soient mis d'accord un an avant l'intervention militaire pour renverser Saddam Hussein, ce ne sont pour l'heure que des hypothèses. Et pour cause, la Commission manque de preuves pour mener son enquête. Les médias britanniques ont dénoncé l'existence de «documents diplomatiques cruciaux qui n'ont toujours pas été remis à la commission»: cinq télégrammes diplomatiques auraient été envoyés à Londres entre 2001 et 2003 dont un message destiné à Tony Blair juste avant sa rencontre en tête-à-tête avec le président américain, souligne le Times.
La légitimité même de la commission est toujours controversée. «Sir John Chilcot perpétue le sentiment que le Royaume-Uni ne peut tout simplement pas entendre la vérité quand cela revient à dévoiler la culpabilité du gouvernement britannique dans la fabrication délibérée d'une affaire de guerre contre l'Irak, dont tout le monde savait, ou aurait du savoir, qu'elle était fausse», s'est insurgé dans le Guardian Scott Ritter, ex-inspecteur des Nations-Unies en Irak.