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Moi Mario Terán, j’ai tué le Che

mercredi 20 novembre 2013, par anonyme (Date de rédaction antérieure : 20 novembre 2013).

Une histoire d’hommes et un épilogue qui est un signe pour ceux qui réfléchissent…

par Víctor Montoya

Moi Mario Terán, j’ai tué le Che.

Quand l’ordre d’éliminer le Che m’est arrivé, par décision du haut commandement militaire bolivien, la peur s’est installée dans mon corps, me désarmant de l’intérieur. J’ai commencé à trembler de la tête aux pieds et j’ai senti l’envie de pisser dans mon pantalon. Par moment, la peur était si grande que je pouvais seulement penser à ma famille, à Dieu et à la Vierge.

Cependant, je dois reconnaître que, depuis que nous l’avions capturé dans la Quebrada del Churo et que nous l’avions déplacé à La Higuera, je l’avais pris en grippe et j’avais envie de lui prendre la vie. Ainsi au moins j’aurais l’énorme satisfaction qu’enfin, dans ma carrière de sous-officier, j’allais tirer contre un homme important après avoir gaspillé trop de poudre sur des vaut-rien.

Le jour où je suis entré dans la salle où était le Che, assis sur une banc, tête basse et avec sa chevelure qui encadrait son visage, d’abord j’ai avalé quelques gorgées d’alcool pour retrouver le courage et pour tout de suite remplir le devoir de lui refroidir le sang.

Le Che, dès qu’il a entendu mes pas en m’approchant de la porte, s’est mis debout, il a levé la tête et il m’a lancé un regard qui m’a fait chanceler pour un instant. Son allure était frappante, comme celle de tout homme charismatique et redoutable ; il avait les vêtements déchirés et la mine pâle due aux privations de la vie de guérillero.

Une fois que je l’avais à mon flanc, à quelque mètres de mes yeux, j’ai soupiré profondément et j’ai craché au sol, tandis qu’une sueur froide a envahi mon corps. Le Che, me voyant nerveux, les mains accrochées au fusil M-2 et mes jambes en position de tir, m’a sereinement parlé et il m’a dit : "Tire. N’aie pas peur. À peine si tu vas tuer un homme."

Sa voix, enrouée par le tabac et l’asthme, a raisonné dans mes oreilles, en même temps ses mots m’ont provoqué une rare sensation de haine, de doute et de compassion. Je ne comprenais pas comment un prisonnier, en plus d’attendre avec tranquillité l’heure de sa mort, pouvait calmer les intentions de son assassin.

J’ai levé le fusil à la hauteur de ma poitrine et, peut-être sans pointer le canon, j’ai lancé la première rafale qui a cassé ses jambes et qui l’a plié en deux, sans gémissements, avant que la deuxième rafale ne le renversât entre les bancs décimés, les lèvres entrouvertes, comme sur le point de me dire quelque chose, et les yeux me regardant encore depuis l’autre côté de la vie.

L’ordre accompli, et tandis que le sang se répandait sur la terre battue, je suis sorti de la salle en laissant la porte ouverte derrière mon dos. La détonation des tirs s’est emparée de mon esprit tandis que l’alcool courait dans mes veines. Mon corps tremblait sous l’uniforme vert olive et ma chemise mouchetée s’est imprégnée de peur, de sueur et de poudre.

Depuis ce temps-là beaucoup d’années ont passé, mais je me rappelle la scène comme si c’était hier. Je vois le Che à l’allure impressionnante, à la barbe sauvage, à la chevelure ondulée et aux yeux grands et clairs comme l’immensité de son âme.

L’exécution du Che a été la plus grave idiotie de ma vie et, comme vous comprendrez, je ne me sens pas bien, ni au soleil et à l’ombre. Je suis un vil assassin, un misérable sans pardon, un être incapable de crier avec orgueil : J’ai Tué le Che ! Personne ne me croirait, même les amis, ils se moqueraient de mon faux courage, en me répliquant que le Che n’est pas mort, qu’il est plus vivant que jamais.

Le pire consiste en ce que chaque 9 octobre, à peine je me réveille de ce cauchemar horrible, mes enfants me rappellent que le Che d’Amérique, à qui croit l’avoir tué dans la petite école de La Higuera, est une flamme allumée dans le cœur des gens, parce qu’il correspondait à cette catégorie d’hommes dont la mort lui donne plus de vie qu’il en avait de son vivant. D’avoir su cela, à la lumière de l’histoire et de l’expérience, je me serais refusé à tirer contre le Che, même si j’avais du payer le prix de trahison à la patrie avec ma vie. Mais il est tard, trop tard…

Parfois, de seulement entendre son nom, je sens que le ciel va me tomber sur la tête et le monde s’ouvre sous mes pieds en me précipitant dans un abîme. D’autres fois, comme cela m’arrive maintenant, je ne peux pas continuer d’écrire ; les doigts se crispent, le cœur bat à l’intérieur et les souvenirs me bouffent la conscience, en me criant depuis le fond de moi même : Assassin !.

C’est pourquoi je vous demande de terminer ce récit, parce que n’importe qui sait la fin, ils sauront que la mort morale est plus douloureuse que la mort physique et que l’homme qui est vraiment mort à La Higuera n’a pas été le Che, mais c’est moi, un simple sergent de l’armée bolivienne, dont l’unique mérite - si on peut le nommer mérite - est d’avoir tiré contre l’immortalité.

recueilli par Victor Montoya, Écrivain bolivien résidant à Stockholm, Suède.
Stockholm, le 8 octobre 2007.


PS. Le Che gagne un nouveau combat

Lisez bien ce nom : Mario Terán. Demain personne ne s’en souviendra, comme cela lui est déjà arrivé il y a quatre décades, quand on l’a transformé en simple nouvelle. Mais maintenant, je vous demande pour un instant seulement, de bien enregistrer ce nom dans vos mémoires, pour que personne n’oublie et que tous nous jugions.

Le fils de ce monsieur s’est présenté au journal « le Devoir » de Santa Cruz, en Bolivie, pour demander la publication d’une note de remerciement aux médecins cubains qui avaient rendu la vue à son vieux père, après l’avoir opéré de la cataracte, grâce à l’Operación Milagro, l’opération d’aide de Cuba aux peuples du monde, un vrai miracle. (*)

Le père de ce Bolivien reconnaissant est Mario Terán. A nous qui sommes plus âgés, il se peut que ce nom nous dise quelque chose. Les jeunes n’en ont peut-être jamais entendu parler.

Mario Terán était le sous-officier qui a assassiné le Commandant Ernesto Che Guevara, le 9 octobre 1967, dans la petite école de la Higuera.

En recevant l’ordre de ses chefs, il a dû avoir recours à l’alcool pour se donner du courage et pouvoir l’exécuter. Lui-même a raconté ensuite à la presse qu’il tremblait comme une feuille devant cet homme qu’il vit à ce moment-là « grand, très grand, énorme ».

Le Che, blessé et désarmé, assis sur le sol de terre de cette humble petite école, le voyant hésitant et craintif, eut tout le courage qu’il manquait à son assassin pour ouvrir sa chemise vert olive râpée, découvrir sa poitrine et lui crier : « Ne tremble plus et tire ici, à peine si tu vas tuer un homme… »

Le sous-officier Mario Terán, en accomplissant les ordres des généraux René Barrientos et Alfred Ovando, de la Maison Blanche et de la CIA, a tiré sans savoir que les blessures mortelles ouvraient des trous près de ce coeur pour que celui-ci continue de marquer l’heure des brasiers.

Che n’a pas fermé les yeux après sa mort, pour continuer à accuser son assassin.

Aujourd’hui, Mario Terán n’a pas eu à payer un seul centime pour son opération de la cataracte faite par des médecins cubains dans un hôpital offert par Cuba et inauguré par le président Evo Morales, à Santa Cruz.

Vieux maintenant, il pourra apprécier de nouveau les couleurs du ciel et de la forêt, jouir du sourire de ses petits-enfants et assister à des matchs de foot-ball. Mais il ne sera certainement jamais capable de voir la différence entre les idées qui l’ont amené à assassiner un homme de sang froid et celles de cet homme qui ordonnait aux médecins de sa guérilla de prendre soin de leurs compagnons d’armes aussi bien que des soldats ennemis blessés, comme ils le firent toujours en Bolivie, tout comme ils l’avaient fait auparavant dans les montagnes de la Sierra Maestra, sur ordres stricts du Commandant en Chef de Cuba, Fidel Castro.

Souvenez-vous bien de ce nom : Mario Terán, un homme élevé dans l’idée de tuer qui retrouve la vue grâce aux médecins venues soigner dans son pays grâce aux idées de sa victime.

Quatre décades après que Mario Terán a tenté, avec son crime, de détruire un rêve et une idée, le Che gagne un nouveau combat. Et il poursuit sa campagne… Hector Arturo

…Il y a des signes pour ceux qui réfléchissent ….

Note (*) :

A l’heure actuelle, quelque 14 000 médecins cubains opèrent dans les barrios (quartiers défavorisés) du Venezuela. Dans la foulée, Caracas et La Havane ont mis en route l’opération « Milagro » (« miracle ») qui, au cours des dix premiers mois de l’année 2005, a permis de rendre la vue, gratuitement, à près de 80 000 Vénézuéliens dont beaucoup, victimes de la cataracte ou du glaucome, durent être transférés à Cuba pour y être opérés (3). Le programme concerne plus largement des Latino-Américains et des Caribéens touchés par la cécité et par d’autres déficiences oculaires. Le Venezuela apporte le financement, Cuba les spécialistes, le matériel opératoire et l’infrastructure pour les soins aux malades pendant la durée de leur traitement dans l’île. Jusqu’à aujourd’hui, aucun gouvernement, aucune entité privée ou organisme international n’était parvenu à structurer un programme médical mondial d’une telle ampleur, capable d’apporter une réponse à grande échelle aux personnes en demande de soins. Dans le cadre de l’opération « Milagro », il est prévu d’opérer des yeux près d’un million de personnes par an…

Quelques heures avant de prendre ses fonctions, c’est avec La Havane que le nouveau président bolivien Evo Morales a signé, en décembre 2005, son premier accord international. Il crée une unité cubano-bolivienne pour pratiquer des soins ophtalmologiques gratuits. Outre l’Institut national d’ophtalmologie de La Paz, récemment équipé par Cuba, le programme disposera d’un centre médical dans les villes de Cochabamba et de Santa Cruz. Les jeunes médecins boliviens qui viennent d’obtenir leur diplôme à l’Ecole latino-américaine de médecine (ELAM) participeront à ce programme.

L’école a été inaugurée en 1998, quand Cuba commençait à envoyer des médecins dans les Caraïbes et en Amérique centrale. Située dans une ancienne base navale, dans la banlieue de La Havane, elle forme des jeunes provenant de familles pauvres de tout le continent américain, y compris des Etats-Unis (mais il y a aussi des centaines d’étudiants africains, arabes, asiatiques et même européens). Les 21 facultés de médecine dont dispose Cuba participent à cette formation. En juillet 2005, les 1 610 premiers étudiants latino- américains ont reçu leur diplôme. Chaque année, quelque 2 000 jeunes sont admis à l’école. Formation, nourriture, logement, ainsi que les éléments pour la pratique leur sont fournis gratuitement. En échange, ils doivent s’engager à retourner dans leur pays pour soigner leurs compatriotes (4). (…)

Lire : Nouveaux « médecins aux pieds nus ». Une Internationale… de la santé :

http://www.monde-diplomatique.fr/2006/08/CALVO_OSPINA/13777

Ainsi était le « Che » Par Ahmed Ben Bella :

http://mai68.org/spip/spip.php?article1379

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