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UKRAINE : ÉTAT A L’AGONIE ? Essai de décryptage juridique par Me Corneille Yambu–A-Ngoyi

dimanche 11 mai 2014, par anonyme (Date de rédaction antérieure : 11 mai 2014).

Par :
Me Corneille Yambu–A-Ngoyi
beningoyi 4zt yahoo.fr

INTRODUCTION

La République d’Ukraine va-t-elle bientôt rejoindre la Yougoslavie et l’URSS au musée d’Empires et d’États disparus ? Va–t-on bientôt parler de l’ex-Ukraine ? La question ne procède pas d’un esprit en mal de sombres prophéties. Sa pertinence est à la mesure de son actualité et de la gravité de la situation. Ce qui nous incite à la considérer avec une sérieuse attention à l’aune des outils du droit.

Notre objectif est de poser le diagnostic d’un mal contre lequel les soins administrés risquent d’emporter le patient, l’Ukraine. Le zèle de ses puissants parrains risque de compromettre sa souveraineté, et la fronde révolutionnaire et contre révolutionnaire de ses nationaux est en passe d’altérer ses conditions d’existence en tant qu’État. Notre réflexion concerne la période des soubresauts politiques dont le point de départ se situe à novembre 2013. L’avenir est incertain pour en déterminer la limite.

Il convient de confronter les événements aux normes juridiques et conceptions doctrinales. Cela renseigne sur la méthodologie. De cette façon, le débat s’enrichit d’un apport théorique qui permet de s’éclairer dans le brouillard médiatique, de prendre une certaine distance face aux tendances politiques et idéologiques ainsi qu’aux considérations d’ordre économique et géostratégique.

Dans le souci d’examiner avec neutralité la problématique soulevée, la Constitution de la République d’Ukraine, la Charte de l’Organisation des Nations Unies et la jurisprudence de la Cour internationale de justice(CIJ) en matière de non ingérence offrent d’utiles matériaux. Le legs des théoriciens de l’État, classiques et modernes, est mis à contribution.

Réfléchir aux effets néfastes subséquents à l’effondrement éventuel d’un État sur le sol européen et vouloir les limiter, voire les éviter est, pensons-nous, faire œuvre utile sur le plan pratique.

Les leviers manœuvrés par les mentors opposés, laissent péniblement à l’Ukraine des capacités de demeurer souverain (1) les turbulences internes ne lui permettent pas de sauvegarder ses conditions de survie (2).

1. UKRAINE UN PAYS EN PERTE DE SOUVERAINETÉ

La souveraineté est, selon Sofiène BOUIFFROR et David K. NANOPOULOS, le caractère de l’État qui est supérieur à toute autre entité interne et n’est soumis à aucune entité extérieure. C’est la qualité propre à l’être dont les gouvernants tiennent le pouvoir.

R. ARON (Paix et guerre entre les nations) définit le pouvoir comme « la capacité d’une unité politique d’imposer sa volonté aux autres unités ». Il y a lieu de tester l’Ukraine au prisme d’éléments substantiels de ces deux définitions. Considérons-là à travers une triple question.

L’Ukraine est-il encore souverain ? Existe-il un pouvoir souverain en Ukraine ? Est-il possible de l’identifier ? Les réponses permettent de vérifier la réalité ou l’absence du monopole de contrainte physique légitime d’une part, et l’effectivité ou non du monocentrisme juridique, d’autre part.

L’intérêt de ce questionnement tient au poids de la souveraineté en tant que critère de l’État moderne. Elle est considérée comme telle selon la tendance dominante de la doctrine classique en dépit de la controverse qu’elle suscite. Clairement cela veut dire qu’il n’existe pas d’État sans souveraineté.

Il importe de parler successivement de l’État en Ukraine, de la souveraineté de l’Ukraine, et de la souveraineté dans l’État d’Ukraine.

1.1. De l’État d’Ukraine

Max Weber définit l’État comme « une entreprise politique de caractère institutionnel lorsque sa direction administrative revendique avec succès dans l’application des règlements le monopole de la contrainte physique légitime ; le tout à l’intérieur d’un territoire géographique déterminable ». Dans le Savant et la politique, il précise que : « comme tous les groupements politiques qui l’ont précédé, l’État consiste en un rapport de domination de l’homme par l’homme fondé sur de la violence légitime ».

En droit la question de l’existence de l’État ukrainien ne devrait pas se poser, car constitutionnellement l’État d’Ukraine est une évidence depuis son indépendance en 1991.

L’article premier de sa Constitution dispose : L’Ukraine est un État de droit souverain, indépendant, démocratique et social ». Et le constituant d’ajouter : « L’Ukraine est une République » L’affirmation ne suscite ni débat ni controverse. Le pays est enregistré comme membre des Nations Unies, et reconnu par l’ensemble de la Communauté internationale. Cela aussi est incontestable.

Est-ce vouloir ouvrir une porte ouverte que d’en parler ? Je ne le pense pas, car il est admis que les États et les Républiques naissent vivent et meurent. Le souvenir de la Yougoslavie avec son cortège d’horreurs léguées à l’Europe ne devrait pas si tôt s’émousser de nos mémoires.

Rappelant les circonstances de son naufrage, on peut penser que Paul Garde nous met en garde contre l’excès d’insouciance dans une formule qui devrait tous nous interpeller : « un jour de 1914, nos pères ont lu distraitement dans leur journal qu’un archiduc avait été assassiné à Sarajevo, en Bosnie. Ils ne savaient pas qu’un million et demi d’entre eux venaient d’être condamnés à morts, et que quatre ans plus tard il y aurait un vaste cimetière français à Bitola, en Macédoine. » Qui sait si les victimes d’Odessa et de la Place Maïdan ne signent pas aussi notre condamnation à mort ou celle de nos enfants ? Néanmoins l’on ne pourra prétendre que nul n’aurait pu le prévoir.

L’Ukraine, un État à l’article de la mort ! Pourquoi pareille hypothèse ? Comment la démontrer ?

On serait fondé de le croire en prenant appui sur une savante métaphore du célèbre philosophe politique anglais. Thomas Hobbes compare l’État à un homme artificiel. Il écrit : « La concorde est sa santé, les troubles civils sa maladie, et la guerre civile sa mort. »

Quand les nuages planent sur l’espace ukrainien, peut-on espérer qu’elles n’assombrissent sa souveraineté ?

1.2. La souveraineté de l’État d’Ukraine

Dans Lexique de termes juridiques, Raymond Guillen et Jean Vincent distinguent deux sens de la souveraineté de l’État. Au sens initial, elle est définie en tant que caractère suprême du pouvoir étatique. Au sens dérivé, elle désigne le pouvoir étatique lui-même, pouvoir de droit en raison de son institutionnalisation, originaire c’est-à-dire ne dérivant d’aucun autre pouvoir, et suprême, en ce sens qu’il n’a pas d’égal dans l’ordre interne ni de supérieur dans l’ordre international, où il n’est limité que par ses propres engagements et par le Droit international.

Il convient de mettre en exergue, deux éléments tirés de ces définitions, un pouvoir de droit, un pouvoir suprême pour se rendre compte que la situation de l’Ukraine ne correspond plus à ces deux concepts même dans les proportions minimales.

Déjà en 2011, un ancien Observateur en Ukraine publiait : « Est-Ouest à la croisée des chemins ». Parlant des influences extérieures il dit : l’Union européenne, soucieuse de maintenir de bonnes relations avec la Russie, n’a jamais donné de signes clairs à l’Ukraine par rapport à son avenir. La Russie par contre a fait preuve d’ingérence dans les événements. La Pologne, voisine de l’Ukraine, trouva le courage de soutenir cette dernière, percevant clairement les enjeux puisqu’elle-même s’était récemment émancipée en recouvrant sa souveraineté et son indépendance ».

Ce commentaire concerne les faits se rapportant à la Révolution orange. L’on peut noter que l’auteur relève l’ingérence de la Russie mais la Russie aussi a systématiquement dénoncé celle des occidentaux. En cela, libre à chacun de penser à partir de ce qu’il entend et voit. Dans le même article Zénoin Kewal poursuit : Si nous parlons ici de bilan « provisoire », c’est que l’Ukraine se trouve à la croisée des chemins entre une aspiration européenne et des pressions pour un repli vers l’espace post-soviétique »

En cela, le cours des événements lui donne raison. Le point capital pour nous est dans la manière dont l’Est et l’Ouest ainsi que l’Ukraine entendent gérer cette aspiration dichotomique. L’Occident et la Russie vont-elles traiter l’Ukraine à la manière du bébé vivant que la sagesse de Salomon jugea utile de couper en deux pour satisfaire par morceaux, les deux mères qui se le disputaient ? Qui décidera de sauver l’enfant ? Les jours à venir sont déterminants pour le savoir. Nous pensons qu’à la différence du cas précité, ici le sort de l’enfant tient à l’entente de tous.

Le Doyen Charles Debbasch s’appropriant les définitions de Laferrière et de J.Bodin, clarifie encore la notion de souveraineté de manière qui nous convient fort bien : « Pouvoir de droit originaire et suprême ». En droit international, la souveraineté de l’État est la marque de l’indépendance et de la plénitude de ses compétences internationales ».

Il est aisé de constater ici, que la doctrine reflète l’esprit de la Charte de l’Organisation des Nations Unies qui stipule : « l’Organisation est fondée sur le principe de l’égalité souveraine de ses membres. » (art.2, § 1, Charte).

Paul Reuter voit, dans la souveraineté, la notion clef de la structure de juxtaposition qui prévaut dans les relations internationales. Le lien qu’il établit entre l’égalité des États et la souveraineté nous semble fort intéressant pour des applications à la crise ukrainienne.

Le principe énoncé à l’article 2 de la Charte précitée a donné lieu à une théorie juridique importante : la distinction de la répartition et de la réglementation des compétences. Elle consiste en ce qu’aucun État n’a le droit d’étendre ses compétences par une décision unilatérale sous peine de porter atteinte à la souveraineté des autres États. Appliqué au sujet qui nous occupe, c’est autant dire qu’en tant qu’État souverain l’Ukraine exerce une compétence exclusive dans sa gestion interne sur son territoire sauf autorisation de sa part à un autre État en conformité à son ordre constitutionnel.

Dans les faits on constate que depuis l’origine de la crise, l’Ukraine semble avoir perdu les commandes de l’État. Le refus du Président Viktor Ianoukovytch de signer l’accord d’association avec l’Union européenne le 21 novembre 2013 a déclenché une émeute, et l’occupation des lieux publics ayant abouti à sa destitution, le 22 février 2014, suivi des conséquences fâcheuses dont nul ne sait présager de l’issue.

Il est opportun de rappeler que les français et les néerlandais avaient mis en échec l’aboutissement du traité sur la Constitution européenne sans qu’aucune puissance extérieure vienne entraver le cours de la Consultation, ni qu’à la suite de ce refus des dirigeants politiques en soient bannis. Comment alors comprendre que la volte-face du Président Ukrainien élu ait mis le pays à feu et à sang de manière quasi irréversible et assombri considérablement le ciel de relations Washington-Moscou ? La question peut trouver un début d’explication, une tentative d’explication, dans le déficit de souveraineté. La crise ukrainienne est à notre avis une crise de souveraineté.

Partant des exemples précités, dire que face au choix entre l’accord d’association avec l’UE ou l’accord douanière avec la Russie, les puissances impliquées n’auraient pas laissé aux ukrainiens le droit reconnu à leurs peuples respectifs (la consultation populaire, la consultation d’experts et des juridictions internes), il n y a qu’un pas.

Nous pensons que la terminologie de « pro-russes et pro-européens » hâtivement introduite dans l’opinion par les media a eu un effet dévastateur, car elle véhicule un esprit conflictuel où les attitudes irrationnelles sont exacerbées. Elle emprisonne la pensée, y compris celle de dirigeants des puissances protagonistes, dans un carcan manichéen où il n’y a plus ni milieu, ni tolérance de penser autrement, ni même peut-être de pensée.

Si les ukrainiens se traitaient eux-mêmes en peuple souverain, et si les puissances occidentales et russe les considéraient comme tel, les prérogatives constitutionnelles dévolues aux autorités démocratiquement élues seraient exercées comme dans les démocraties libérales ; où, par exemple, le gouvernement britannique, sous le Premier Ministre David Cameron, ne fait aucunement mystère de son intention de soumettre la question du retrait de l’Union Européenne au peuple par référendum avant 2017 sans que les "europhiles" et les "europhobes" ou "eurosceptiques" anglais s’entretuent et démolissent leurs institutions constitutionnelles. C’est là la grandeur de la démocratie et sa force : le bouclier constitutionnel et son expression dans l’attitude collective. C’est ce que les États en déficit de démocratie devaient apprendre ; et, logiquement, c’est aussi ce que les puissances démocratiques se devaient d’encourager.

Le fait de voir Monsieur Obama, Président des États-Unis, et Monsieur Poutine, Président de la Fédération de Russie, être en première ligne du conflit peut prêter à penser, à tort ou à raison, que les Ukrainiens ont renoncé à leur souveraineté ou que l’Occident et la Russie sont en train consciemment ou inconsciemment de la brader. Et pourtant, telle n’est l’intention avouée de personne. Tous proclament la main sur le cœur respecter ou défendre la souveraineté l’Ukraine.

1.3. La souveraineté dans l’État d’Ukraine

Qui a le droit de commander et d’exiger obéissance au nom de l’État d’Ukraine, et qui a le droit de conférer un tel pouvoir ? Les réponses passent par la Constitution.

La Constitution de la République d’Ukraine en son article 5 dispose : « Le titulaire du pouvoir et la seule source du pouvoir en Ukraine, c’est le peuple. Le peuple exerce directement le pouvoir par l’intermédiaire des pouvoirs publics et des collectivités locales. Le droit de déterminer l’ordre constitutionnel en Ukraine appartient au peuple et ne peut être usurpé par l’État, ses organes ou ses fonctionnaires. Nul ne peut usurper le pouvoir d’État. »

A ce jour, ce texte est quasi vide de sens pour deux raisons.

La première est que le peuple ukrainien selon ce libellé n’est plus facilement repérable en faits. Le peuple visé comprend les populations avec lesquelles l’État ukrainien entretenait une relation juridique par le statut de nationalité, et se reconnaissant de la même patrie. Or, le rattachement de la Crimée à la Russie, et l’activisme des mouvements séparatistes de l’Est remettent en cause la notion abstraite de peuple d’Ukraine. Il est dès lors difficile de savoir à qui elle se rapporte.

La deuxième, tient à ce que le peuple, n’a pas été consulté pour exercer sa compétence constitutionnelle, c’est-à-dire confier le pouvoir aux personnes habilitées à parler en son nom.

Il en résulte qu’en l’absence d’un tel mandat, il y a également absence de licéité et de légitimité dans le chef d’Autorités auto-investies à Kiev ou autoproclamées à Donets et ailleurs. Dans le contexte actuel, l’on peut soutenir que de jure le peuple d’Ukraine est titulaire de la souveraineté, mais que de facto il y a carence de souverain primaire et absence d’organes souverains.

Ce point de vue se conforte à l’examen des pratiques ayant conduit à la destitution du Président de la République d’une part, et à la conquête du pouvoir par les autorités actuelles d’autre part.

La procédure prescrite par la Constitution en ses articles 108 et 111 a été superbement ignorée. Le premier détermine les cas où il est mis fin aux fonctions du Président de la République, incluant la procédure de destitution par empêchement ; le second précise l’organe compétent, et les étapes de la procédure :

« Le président de l’Ukraine peut être destitué par la Rada suprême par la procédure de l’empêchement dans le cas où il est coupable de haute trahison ou d’autres crimes.

« L’initiative de la question de la destitution du président de l’Ukraine par la procédure de l’empêchement appartient à la majorité de la composition constitutionnelle de la Rada suprême.

« Pour conduire l’enquête, la Rada suprême établit une commission spéciale d’enquête temporaire dont la composition comprend un procureur spécial et des enquêteurs spéciaux.

« Les conclusions et propositions de la commission d’enquête temporaire sont examinées par une séance de la Rada suprême.

« Dans ce cas, la Rada suprême prend la décision de mettre en accusation le président de l’Ukraine à la majorité des deux tiers au moins de sa composition constitutionnelle.

« La décision de destituer le président de l’Ukraine par la procédure de l’empêchement est adoptée par la Rada suprême à la majorité des trois quarts au moins de sa composition constitutionnelle, après examen du cas par la Cour constitutionnelle, qui statue sur la conformité à la Constitution de la procédure d’enquête et réception de l’avis de la Cour suprême sur le fait que les actes dont le président de l’Ukraine est accusé contiennent des éléments de haute trahison ou d’autres crimes ».

En bousculant l’ordre constitutionnel on débouche sur l’inconnu, et on cautionne instantanément, momentanément ou durablement le règne de l’arbitraire et de la violence politique. C’est ce qui se passe actuellement en Ukraine. Dans une autre contribution nous pourrons traiter à fond de cette question pour montrer les limites de la force dans le contexte de la démocratisation exportée ou imposée. Elle génère des situations paradoxales par rapport aux principes des démocraties libérales, et engendre et nourrit les forces antidémocratiques.

Les fonctions constitutionnelles sont d’une telle importance pour le maintien de l’État qu’on ne peut les effacer sans briser sa charpente même. Le Professeur Francis Delpérée l’exprime de manière magistrale : « ôtez la Constitution ! C’est l’État et les institutions qu’elle crée qui s’effondrent. Détruisez l’État ! C’est le droit que les autorités publiques élaborent et mettent en œuvre qui est sapé dans ses fondements ».

En plus, les pratiques et méthodes qui consistent à provoquer des soulèvements et rebellions, même pour évincer une dictature dans le pire des cas, finissent par déverrouiller la structure constitutionnelle. Et il devient très difficile, voire impossible, dans une génération de bâtir une démocratie sur les cendres de l’État. L’usage de la force comme moyen de conquête du pouvoir démolit le cadre des institutions et le moteur même de la démocratie : la Constitution et l’État.

Dans ce sens, le professeur Francis Delpérée qui écrit : « En créant et en organisant les pouvoirs constitués, la Constitution permet au droit de l’État de s’épanouir. C’est elle précisément qui précise à quelles conditions la règle de conduite est assortie d’un caractère contraignant et obligatoire. C’est elle qui institue en droits protégés et en devoirs sanctionnés ce qui ne serait autrement que droits naturels de l’individu et préceptes de morales sociales ; C’est elle qui crée les organes chargés de dire le droit en toute matière. C’est elle qui fixe le statut des institutions qui, par des mesures concrètes, ont pour tâche de pourvoir à l’exécution des lois, des décrets, des règlements ou des justement ».

A notre époque, nulle manifestation de rue, nulle méthode violente ou interventions extérieures ne sauraient se substituer à l’arbitrage constitutionnel. Les faux substituts de la légitimité par les révolutions sans fondement juridique ni préparatifs politiques solides ne peuvent qu’éroder les éléments constitutifs de l’État.

2. L’ÉROSION DES ÉLÉMENTS CONSTITUTIFS DE L’ÉTAT EN UKRAINE

L’État requiert la concomitance de trois éléments constitutifs que d’aucuns appellent conditions d’existence de l’État : le territoire, assise physique de l’État, la population et la puissance publique, gouvernement ou pouvoir. La portée de ce qui a été dit sur la souveraineté équivaut à ce qui devrait être dit sur le pouvoir comme élément constitutif de l’État. Il nous reste à ne parler que du territoire et de la population.

2.1. Ukraine : un territoire divisé

Se référant au professeur Georges Scelles, P. Fraisseix définit le territoire en tant qu’« espace géographique déterminé comprenant outre le sol, le sous-sol, l’espace aérien, les eaux territoriales (douze milles nautiques à compter de la côte, y compris le plateau continental), les espaces visées par la règle de l’extraterritorialité ».

Or, le 16 mars 2014, la Crimée, dont nous avons déjà parlé, s’est prononcée au terme d’un référendum pour un rattachement à la Russie. Rattachement que la Russie a approuvé conformément à sa Constitution. Aussi, l’Ukraine a perdu une de ses subdivisions administratives importante : la République autonome de Crimée.

Outre l’idée que la réussite de l’opération fait des émules à l’Est du pays, il est important de relever que cette séparation soustrait l’entité concernée de la compétence étatique de l’Ukraine et inversement y étend la compétence équivalente de la Russie qui l’intègre en son sein. En plus des larges régions de l’Est échappent davantage à l’Autorité de Kiev. Certes, on peut dire que cela ne suffit pas pour conclure à ce qu’elles échappent, de jure, à la compétence territoriale de l’État. Mais, si elles se déclarent indépendantes, la situation peut variablement s’interpréter : soit, sur base du principe du "droit des peuples à disposer d’eux-mêmes", en faveur des séparatistes ; soit sur la base du principe de "la défense de l’intégrité territoriale", au bénéfice du pouvoir central de Kiev. L’opposition théorique entre les deux conceptions peut se traduire par un affrontement armé sur le terrain.

Dans ce contexte, il est raisonnable de s’interroger sur la validité et le sens des dispositions de l’article premier de la constitution de l’Ukraine : « la souveraineté de l’Ukraine s’étend sur tout son territoire » ; « l’Ukraine est un État unitaire » ; « le territoire de l’Ukraine dans ses frontières est inviolable ». Le moins que l’on puisse dire est que cette disposition devient un vœu pieu sans emprise sur un peuple disloqué.

2.2. Ukraine : une population disloquée

Selon le Professeur Nguyen Quoch Dinh, la population est la masse des individus rattachés de façon stable à l’État par un lien juridique, la nationalité, le lien de nationalité.

Les différents incidents et violences ont eu pour conséquence majeure de casser le lien entre l’État-institution et cette population. L’homogénéité minimale et le vouloir vivre ensemble décrits comme ciment de la nation sont en dissolution et le lien juridique dont nous venons de parler se tend dangereusement. D’une part, l’on constate non seulement une déchirure horizontale du tissu social ukrainien, mais aussi une rupture verticale des liens entre gouvernés et gouvernants ; d’autre part, en plus de la résurgence des tendances extrémistes, on voit l’apparition de pôles de revendications identitaires concurrents. En Ukraine, on peut dire que les individus vivent désormais dans une sorte de juxtaposition spatiale sans se vouloir un corps social, au point qu’il serait difficile à certains de se reconnaitre dans l’expression : « citoyens ukrainiens » ou « peuple d’Ukraine ».

CONCLUSION

Après avoir clarifié le concept d’État nous l’avons confronté à la situation de l’Ukraine.

Notre analyse axée essentiellement sur la théorie générale de l’État, et les éléments du droit international relatifs à l’État, conduit à confirmer l’hypothèse que l’Ukraine est en voie de disparaitre en tant qu’État par la perte progressive de ses conditions d’existence : le territoire, la population et le pouvoir, la souveraineté. Il est facile de relever que l’Ukraine en crise est écartelée entre deux extrêmes aux visions opposées : l’Occident et la Russie.

Nous avons relevé qu’en interne, le pouvoir souverain s’est évaporé et que par rapport aux puissances extérieures les Autorités autoproclamées à Kiev comme dans le reste du pays ne font pas le poids pour assurer l’effectivité d’indépendance au pays dont les débris risquent de tarder à être récolés.

On constate que malgré la guerre des mots, les puissances en présences affichent une sorte de retenue pour armer leurs poulains. On pourrait peut-être y voir le mérite du droit international qui condamne l’ingérence et protège l’intégrité des États. On notera que la Cour Internationale de Justice s’était prononcée contre les USA au sujet de son soutien affiché aux rebelles contre le pouvoir établi au Nicaragua. On peut espérer que cela freine l’ardeur des puissances internationales non mandatées par l’Organisation des Nations Unies dans le conflit.

Par rapport à l’évolution de la situation et aux tentatives de solution, il convient de formuler quelques observations :

  • Au niveau interne, on assiste à une sorte de marathon entre les différentes Autorités, toutes juridiquement illégales actuellement, vers une légalisation susceptible de leur conférer un début de légitimité par les élections pour les Autorités auto-investies de Kiev, et par des référendums pour les Autorités autoproclamées de séparatistes. Nous pensons que les unes et les autres ne peuvent sauver l’Ukraine en s’ignorant. S’ils disposent des armes de guerre, ils ne disposent pas des armes du droit. D’où un dialogue de sourd.
  • Au niveau extérieur, les instruments engagés semblent non conformes aux buts et aux principes de l’Organisation des Nations Unies qui proscrit le recours à la force et aux menaces dans les relations internationales, et préconise le règlement pacifique des conflits. Les puissances impliquées principalement les États-Unis et la Russie, bien que recherchant la désescalade, s’expriment davantage en termes de menaces, de sanctions, de démonstrations de forces et de représailles. L’on peut bien admettre qu’il s’agisse des tactiques de surenchère préalables à la négociation, mais l’on ne sait pas à quel moment le point de non retour peut être atteint et dépassé.
  • La rhétorique virulente entre les protagonistes, et l’amplification médiatique qui leur est réservée, constituerait aisément ce que le professeur Paul Reuter appelle "un phénomène d’opinion qui donne au conflit un caractère collectif, et aussi une sorte de préparation de l’opinion préalable à l’ouverture des hostilités".
  • Le conflit est en train d’atteindre la phase où, par l’effet de la psychologie collective, sa prise de conscience finit par échapper à tout contrôle. On aura constaté que, généralement, les conflits qui durent finissent par échapper à ceux qui les ont déclenchés ou commandités. Rien ne permet de croire que celui de l’Ukraine fasse exception.
  • La dégradation de la situation politique, juridique et sécuritaire, et l’échec répété des initiatives diplomatiques prises à chaud appellent un changement de stratégie.

Que faire ? Plusieurs pistes sont possibles pour une solution. Mais nous pensons qu’aucune d’elle ne saurait aboutir sans remettre en scelle la Constitution de l’Ukraine comme unique source de légalité, et le peuple ukrainien dans sa totalité comme source de légitimité. Max Weber a bien raison d’écrire : « La légitimité donne au pouvoir sa plénitude et sa force », il montre que sans la légitimité le pouvoir est paralysé et finit par imploser. Dans le même sens, Guglienno Ferrero soutient à juste titre l’idée que la légitimité exorcise la peur qui tenaille gouvernés et gouvernants, et Hannah Arendt n’a pas tort de dire qu’elle conjure la violence et le mensonge.

Au regard de tout ce qui a été dit, la solution peut être envisagée avec pour priorité de rétablir un pouvoir politique légitime sur toute l’étendue du territoire national ukrainien ou sur ce qu’il en reste en vue de restaurer un ordre juridique régissant la conduite sociale. Cela passe par quelques étapes :

  • Amorcer une désescalade verbale propice à une désescalade des forces aux fins d’une accalmie entre protagonistes. Le lien avec le droit tient à la nécessité d’un environnement favorable à l’élaboration d’un cadre juridique pour une nouvelle Ukraine démocratique.
  • Convenir d’une concertation en vue d’inventorier les pertes et profits pour l’Ukraine, l’Occident et pour la Russie découlant respectivement et éventuellement de l’accord d’association avec l’Union européenne ou des accords proposés à l’Ukraine par Moscou, car l’idée que le conflit trouve sa cause originaire dans un désaccord à caractère économique et commercial entre les deux puissances ne doit pas être oubliée.
  • Étendre cette investigation aux domaines sécuritaires et géostratégiques pour tous. Travailler dans un esprit de bonne foi et partant du principe gagnant-gagnant ; tenter de repérer les divergences légitimes par un travail préalable des juristes, diplomates et financiers ukrainiens, russes et européens en gardant le statu quo sur terrain. En tirer des conclusions exploitables par les plus hautes Autorités impliquées qui auront à décider des nouvelles conférences.
  • Convenir de mettre à disposition du peuple ukrainien l’expérience européenne et russe dans les négociations politiques délicates qui ne manquent pas dans des pays plurinationaux. L’objectif serait de rapprocher les frères ennemis dans un débat politique global visant à définir les options politiques et administratives du pays, et à rétablir un climat favorable à une décrispation durable entre l’Occident et la Russie.
  • Se faire violence pour respecter, le moment venu, le choix souverain du peuple ukrainien apaisé et pacifié.

Nous voudrions achever notre propos avec ces mots du Doyen FABRE : « La République meurt dans l’anarchie. Il en est ainsi quand la République qui doit être le type même de l’État, n’est plus en mesure de remplir les grandes fonctions nationales de puissance publique : la défense du territoire, le maintien de l’ordre, la garantie de la monnaie. »

Tel est, nous parait, l’état d’agonie duquel il importe de sortir l’Ukraine plus par le droit que par la force. La paix vaut plus que toutes les raisons d’y poursuivre la guerre.

NOTICE BIBLIOGRAPHIQUE :

Ouvrages et Revues :

  • BIBLE, TOB, Paris, Biblio-Société biblique française, 2010
  • BOUIFFOR et D.K.NAPOULOS, Droit constitutionnel. Méthodologie, Paris, Vuibert, 2006
  • C. DEBBASCH et Y. DAUDET, Sous dir.), Lexique de politique, 6è éd., Paris, Dalloz.
  • F. CHALTIEL, La souveraineté de l’Etat et l’Union européenne, l’exemple français, recherches sur la souveraineté de l’Etat membre, Paris, LGDJ, 2000.
  • F. DELPEREE, Droit Constitutionnel, t.1.2è Ed., Bruxelles, Ferdinand Larcier, 1987.
  • M. LEFEBWRE, Le jeu du droit et de la puissance. Précis de relations internationales, Paris, PUF, 2000.
  • O. CHORTEN, Méthodologie du droit international public, Bruxelles, éditions de l’Université de Bruxelles, 2009.
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  • P. REUTER, Droit international public, Paris, PUF, 1958.
  • R.GUILLIEN et J. VINCENT (Sous dir.), Lexique des termes juridiques, 10è Ed., Paris, Dalloz.
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Sites Internet :

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3 Messages de forum

  • Bonjour à toutes et à tous,

    Cette étude, bien qu’enfermée à peu près totalement dans un juridisme d’où l’auteur semble lui-même enfermé par déformation professionnelle, est extrêmement intéressante et bien documentée. On y apprend beaucoup de choses. Notamment, comment raisonner en juriste. Je n’ai vraiment pas regretté de lire en entier et attentivement ce texte pourtant long et dont je voyais bien, au fur et à mesure que je le lisais, que, malgré la très honnête volonté de bien faire de son auteur, je ne pourrais pas être en accord total avec ses conclusions.

    L’on y voit aussi les faiblesses d’un tel raisonnement enfermé dans l’idéologie juridiste qui refuse quasiment de voir qu’une telle situation échappe évidemment au juridique. En effet, les actuels événement d’Ukraines sont un prolongement de la guerre des impérialistes anglo-saxons, commencée par eux au moins au milieu du XIXe siècle contre la Russie (et la Chine) aux pieds mêmes de ce pays, en Afghanistan déjà, comme en 1978.

    Si l’on veut savoir QUI a raison, ce qu’il faut faire, c’est bien remarquer que ce sont les Anglais qui, au milieu du XIXe siècle, ont été chercher noises aux Russes juste à côté de la Russie, en Afghanistan, bien loin de l’Angleterre. L’on ne peut vraiment pas reprocher aux Russes d’être allés bien loin de la Russie pour venir tout près de l’Angleterre, par exemple en France ou en Irlande, faire la guerre aux Anglo-saxons !

    La période "communiste" de la Russie a été pour les Anglo-saxons — les USA, fille de l’Angleterre prenant le relais de celle-ci — un argument supplémentaire de propagande auprès de leur propre population et des populations occidentales pour justifier cette guerre. Cela se voit bien au fait qu’après la disparition du "communisme" en Russie, la guerre des Anglo-saxons contre la Russie, loin de s’arrêter, s’est prolongée, et continue en ce moment même.

    Ces quelques remarques permettent aussi de bien voir à quel point l’Occident tout entier a fini par être colonisé, grâce à cette guerre, par l’impérialisme anglo-saxon, c’est-à-dire aujourd’hui par l’impérialisme américain ; puisque l’Occident prend généralement tout entier parti pour les USA contre les Russes. Alors qu’en 14 comme en 40 la Russie était l’allié naturel de la France.

    Remarquons aussi que, déjà à partir de 1933, pour faire la guerre aux Russes, les Amerloques avaient financé Hitler et les nazis. Et remarquons bien qu’après la défaite d’Hitler contre l’URSS, les Américains ont continué la guerre contre la Russie sous forme de "guerre froide".

    Ce sont aujourd’hui aussi des nazis que l’impérialisme américain a utilisé en guise de mercenaires pour faire un coup d’État en Ukraine contre la Russie.

    Je souhaite de tout mon coeur que, de même que l’URSS nous a débarrassé des nazis, la Russie réussisse à nous débarrasser de l’impérialisme américain.

    Une dernière remarque : à la télé occidentale, l’on nous a avoué que c’est en Ukraine qu’est née la Russie.

    Je suppose que les choses vont se terminer ainsi : La Russie va récupérer, avec l’assentiment des Ukrainiens concernés, tout l’est industriel de l’Ukraine, et aura l’intelligence de laisser momentanément l’ouest agricole de l’Ukraine aux occidentaux. Ainsi, la Russie aura la partie intéressante de l’Ukraine, et l’Occident héritera tout de même de l’État ukrainien et de sa dette, avec laquelle, pour sa punition, il devra se débrouiller.

    Bien à vous,
    do
    http://mai68.org

    1978 : Les USA ont poussé l’URSS à intervenir en Afghanistan (par Zbigniew Brzezinski, conseiller de Carter) :

    http://mai68.org/spip/spip.php?article1127

    Pour faire la guerre aux Russes, les Amerloques ont financé Hitler et les nazis :

    http://mai68.org/spip/spip.php?article3490

    Des nazis commandités actuellement par l’impérialisme américain en Ukraine pour faire un coup d’État contre la Russie :

    http://mai68.org/spip/spip.php?article6895

    • Très intéressant comme éclairage, au moins pour une analyse complémentaire, j’ai relevé pour signalement. En effet on a trop tendance à oublier ou vouloir effacer ce qui est manifeste dans cette affaire : des fondements juridiques foulés aux pieds (dès le départ par les protagonistes) et la réalité des rapports de force internationaux, qui commande les marionnettes politiques depuis des lustres, avec évidemment pour le commun (et là, je vous rejoins tout à fait) l’oubli de l’Histoire…

      Mais faut-il s’en étonner avec certains olibrius qui ont prôné justement "la Fin de l’Histoire" et s’habillent du "politiquement correct", en prenant soin de monopoliser le devant de la scène et corrélativement de limiter les moyens de contestation ? etc. ;-)
      http://www.jj-pat-rey.com/

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