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Que fait-on d’une centrale à l’arrêt ?

vendredi 12 juin 2015, par anonyme (Date de rédaction antérieure : 12 juin 2015).

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Le Vendredi 12 juin 2015, par Bernard Wuthrich

Dans la centrale allemande de Biblis. L’un des points délicats est le déchargement des centaines d’éléments combustibles, qui doivent rester environ cinq ans dans des piscines de désactivation avant d’être transférés vers un dépôt intermédiaire. (Laif)

A quoi reconnaît-on une centrale nucléaire mise à l’arrêt ? A l’absence de fumée au-dessus de ses cheminées ? Non. « On la reconnaît à ses parkings, qui sont vides », sourit Ruth Craemer, responsable de la communication du site atomique allemand de Biblis. L’absence de fumée n’est pas un critère selon elle, car les tours de refroidissement ne sont pas toujours actives lorsqu’une centrale est en exploitation.

Située en Hesse, au bord du Rhin, cette usine est composée de deux réacteurs qui ont été arrêtés en 2011. Le bloc B était en révision lorsque s’est produit l’accident de Fukushima. Il n’a jamais repris ses activités. Le bloc B a été arrêté par décision du Ministère de l’environnement du Land de Hesse, le 18 mars 2011 à 22h21. D’abord provisoire, l’interruption est devenue définitive lorsque la décision politique a été prise de fermer les 17 centrales nucléaires allemandes d’ici à 2022. Huit usines ont déjà mis la clé sous la porte. La part de l’énergie nucléaire à l’approvisionnement électrique a reculé de 18% en 2011 à 16% en 2014. Celle des renouvelables est passée de 20 à 26% et celle du charbon de 25 à 26%. Dans le même temps, la part du nucléaire a reculé de 40 à 37% en Suisse.

Le propriétaire de Biblis, RWE Power AG, a déposé plainte en raison des pertes financières qu’elle risquait de subir. La société avait investi 1,4 milliard d’euros dans le rééquipement de ses installations. Mis en service en 1974 et 1976, ses deux réacteurs produisaient la moitié de la consommation du Land de Hesse.

Que se passe-t-il lorsqu’une centrale nucléaire cesse de tourner ? Qui continue d’y travailler ? Que fait-on des installations contaminées ? Ces questions sont d’actualité en Suisse, le groupe BKW ayant annoncé qu’il fermerait Mühleberg en 2019. Pour se faire une idée des expériences menées outre-Rhin, un groupe de médecins sceptiques envers le nucléaire et soucieux de l’environnement s’est rendu à Biblis. Le Temps a pu l’accompagner. A l’arrivée sur place, les parkings sont effectivement bien vides. Mais le centre d’information de Rita Craemer est ouvert. Pour entrer dans le périmètre de la centrale, il faut montrer patte blanche et passer un contrôle de sécurité très poussé : présentation du passeport, détecteur de métaux, fouille corporelle. Plusieurs gardiens sont présents, mais un seul guichet est ouvert alors qu’une demi-douzaine contrôlait naguère les entrées.

Une fois le sas de sécurité franchi, on se retrouve, casqué et muni de lunettes de protection, sur une place asphaltée déserte. Pas un bruit, sauf celui des oiseaux. Pas un chat, à l’exception du conducteur d’un élévateur électrique qui transporte une palette. Toujours sans croiser quiconque, on se rend à l’entrée de la salle des machines.

On pousse la porte. Surprise : alors que les installations sont arrêtées depuis quatre ans, un énorme bruit résonne à l’intérieur. C’est une génératrice. Elle tourne encore en « courant réactif » afin d’assurer l’alimentation de l’installation et de ne pas mettre en péril la sécurité du réseau à haute tension. On ne croise toujours personne. Pourtant, 400 collaborateurs travaillent encore sur place contre 750 durant les années d’exploitation. « Pour la phase de démantèlement, nous aurons besoin d’environ 250 personnes pendant une quinzaine d’années », détaille Rita Craemer.

L’annonce de l’arrêt de la centrale a été brutale pour les employés. « Quand cela tombe comme ça du jour au lendemain, cela provoque frustration et incompréhension. Beaucoup ont eu le sentiment que c’était une décision plus politique que technique », se souvient la responsable de la communication. RWE Power a proposé aux ouvriers rattachés à la production un replacement interne – 68 ont ainsi été recasés –, certains sont partis chercher du travail dans l’industrie nucléaire à l’étranger, mais 32 personnes ont dû être licenciées.

L’exploitant a cependant besoin de garder des compétences pour la phase de post-exploitation, qui a débuté dès l’arrêt des réacteurs, et ensuite pour la phase de déconstruction, qui s’étalera sur une quinzaine d’années. Une formation en démantèlement est proposée aux collaborateurs et certains secteurs, comme les pompiers, doivent être renforcés. Il n’est toutefois pas simple de motiver les gens, car on leur demande de participer à la destruction de l’outil qui les a fait vivre.

Il faudra aussi engager de nouveaux spécialistes. Comme Biblis fait partie de la première volée des centrales débranchées, RWE Power pense pouvoir recruter le personnel dont il aura besoin. Mais ce sera peut-être plus difficile pour ceux qui viendront plus tard. Voilà le groupe BKW averti : le propriétaire de Mühleberg prévoit de se tourner vers le marché allemand afin de trouver des ingénieurs spécialisés pour déconstruire sa centrale.

Après la décision abrupte de 2011, RWE Power a lancé la planification du démantèlement de Biblis A et B. Le 6 août 2012, il a déposé la demande de désaffectation. La procédure d’autorisation est en cours, mais les travaux préparatoires ont commencé. L’un des points délicats est le déchargement des centaines d’éléments combustibles, qui doivent rester environ cinq ans dans des piscines de désactivation avant d’être transférés vers un dépôt intermédiaire. En Suisse, les éléments radioactifs sont centralisés au dépôt Zwilag de Würenlingen. En Allemagne, chaque site doit disposer de son propre lieu de stockage intermédiaire. RWE Power a déposé une demande pour cela en janvier 2013. Mais les deux pays restent confrontés au même problème à long terme : le choix d’un lieu d’entreposage définitif des déchets radioactifs est loin d’être résolu.

Pour le démantèlement lui-même, chaque propriétaire a le choix entre deux méthodes : le confinement sûr ou le démantèlement direct. La première solution consiste à enfermer les parties radioactives sous une cloche hermétique pendant plusieurs décennies et à les détruire une fois que la radioactivité a disparu ou diminué. La seconde consiste à extraire les éléments radioactifs, à les transférer dans un lieu protégé – Würenlingen en Suisse – et à attaquer plus rapidement la démolition des bâtiments.

En Allemagne, une seule des huit centrales déjà arrêtées a été placée en confinement sûr. Toutes les autres sont éliminées par démantèlement direct. C’est la solution retenue par BKW pour Mühleberg et c’est aussi celle qu’a choisie RWE Power pour Biblis. Le groupe allemand a provisionné 1,5 milliard d’euros pour cela. « Mais cette estimation devra être réévaluée régulièrement », précise Rita Craemer. A titre de comparaison, BKW estime les coûts de désaffectation de son réacteur à 800 millions de francs.

Les milieux antinucléaires jugent ces estimations trop basses. Membre du comité de l’association Médecins pour une responsabilité sociale et pour la prévention de la guerre nucléaire (PSR/IPPNW), Jacques Schiltknecht s’en inquiète. « Plusieurs conditions doivent être remplies pour que le démantèlement soit maîtrisé : la technique, la formation du personnel spécialisé, le recrutement, la prise en charge médicale, la sécurité au travail, la sécurité contre des actes criminels, la logistique, le droit, les contrôles, la communication », énumère-t-il. Selon lui, les coûts réels de la désaffectation d’une centrale ne sont « pas démontrés » pour le moment. Il souhaite que des experts externes soient associés à leur estimation.

A l’Institut technologique de Karlsruhe (KIT) se trouve la seule chaire au monde spécialisée dans le démantèlement des installations nucléaires. Elle est dirigée par le professeur Sascha Gentes et a été créée en 2008. Avec son équipe, il a notamment soupesé les avantages et les inconvénients des deux méthodes. « Celle du démantèlement direct est généralement retenue pour éviter de transférer des charges sur les générations futures. L’autre technique pose une autre question : disposera-t-on encore du personnel nécessaire après plusieurs décennies de confinement ? », note l’ingénieur Patrick Kern, assistant de Sascha Gentes.

Comment, lorsque les éléments combustibles auront été retirés, les bâtiments pourront-ils être décontaminés ? A Mühleberg comme en Allemagne, on prévoit de recourir à la robotique. C’est l’un des aspects sur lesquels travaillent les chercheurs de Karlsruhe. Ils ont développé dans une halle d’essais des prototypes de robots, d’abord sous la forme de raclage mécanique des surfaces puis sous celle d’abrasage au laser piloté à distance. L’objectif est de réduire les particules contaminées en microgranulés sans produire de poussière. Mais ces recherches n’en sont qu’à leurs débuts et Patrick Kern est incapable de dire si, un jour, on pourra déconstruire une centrale nucléaire avec des robots.

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