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Pourquoi la guerre aujourd’hui ?

lundi 23 novembre 2015, par anonyme (Date de rédaction antérieure : 23 novembre 2015).

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Par Jean-Sébastien Mora | Publié : 20/11/2015

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Quelques outils pour penser après les attentats de Paris.

« Nous ferons front ensemble pour gagner la guerre contre le terrorisme […]. Je vous le promets nous attraperons Ben Laden, mort ou vif ».
Georges Bush, 2001.

« La France est en guerre contre le ‘’terrorisme djihadiste’’. […]
Nous allons mener le combat et il sera impitoyable ».

François Hollande, novembre 2015.

C’est un constat bien étrange. La rhétorique du gouvernement Hollande ressemble désormais à s’y confondre à celle du président George W. Bush, quatorze ans plus tôt après les attentats du World Trade Center. Une rhétorique d’autant plus déroutante que cette politique a mené au désastre actuel dans le Moyen-Orient. Désormais on se souvient à peine du discours remarqué de Dominique de Villepin à l’ONU en faveur d’une solution diplomatique en Irak et de ces manifestations monstres dans toute l’Europe contre l’intervention américaine. « Pour peu que la peur, l’angoisse, l’insécurité se répandent chez un peuple, il aura tendance dans sa majorité à s’en remettre à ses chefs sans trop se soucier des motifs réels de ceux qui détiennent le pouvoir » rappelle le philosophe Réné Major. Celui-ci vient de publier « Pourquoi la guerre aujourd’hui ? » qui revient sur un débat qualifié d’exceptionnel entre les philosophes Jacques Baudrillard et Jacques Derrida sur l’utilité présupposée des interventions militaires. Car pour la majorité des Français, après les attentats des Paris la guerre contre le terrorisme est une évidence.

La « guerre » donc, mais jusqu’où ? Manuel Valls, le premier ministre avait déjà lancé une surenchère va-t-en-guerre, le 13 janvier, dans son discours post-Charlie. Aujourd’hui il est question de « détruire le terrorisme », de « guerre totale »… Pourtant une autre solution consisterait à penser que « pour gagner la guerre en France, il faut gagner la paix au Moyen-Orient, souligne le sociologue Edgar Morin, le rôle fécond de la France aurait été, non pas d’accompagner les frappes américaines qui ne peuvent en aucun cas gagner une guerre […] mais d’œuvrer pour une coalition générale des moins barbares (y compris Russie, Iran et nous mêmes) ». En effet, la deuxième poussée du recrutement djihadiste intervient en août 2014, quand les États-Unis mènent une coalition dans des raids aériens contre Daech : « le caractère exclusivement aérien, par ailleurs limité, fait le jeu de l’Etat islamique, qui peut se présenter et mobiliser contre une nouvelle croisade » analyse Jean-Pierre Filiu, professeur d’histoire du Moyen-Orient, auteur de « Les arabes leur destin et le nôtre ». Dans cette courte intervention récente Dominique de Villepin rappelait aussi le caractère contre-productif d’une guerre contre Daech. Depuis les attentats du 11 septembre, les conflits, de moins en moins inter-étatiques, présentent de nombreuses caractéristiques nouvelles : la privatisation de la guerre par des sociétés, l’usage des drones, les tensions communautaires, le fondamentalisme religieux, le tout dans un contexte de libéralisation des marchés et d’affaiblissant historique d’une pensée antimilitariste / pacifiste. Et « gagner une guerre militaire, cela ne va nous dire quel ordre politique reconstruire ! On revient à la case départ. Comment faire pour gouverner le pays après ? » interroge ainsi Patrick Haimzadeh, ancien diplomate français à Tripoli (2001-2004). Lire aussi « Au cœur de la Libye de Kadhafi ».

La France fabrique depuis longtemps la guerre

« Les Français avaient l’impression d’être en guerre ? Je ne suis pas sûr » reconnaît Manuel Valls dans le Monde du mardi 17 novembre. En effet, pour la plupart ils ignorent tout des activités militaires, souvent secrètes, de leur gouvernement, de la vente d’armes aux pétromonarchies et des alliances contre nature avec les dictatures du Golfe. Jamais cette politique n’a été discutée au Parlement et peu de médias s’y sont réellement intéressés. « Si la France veut vraiment vaincre Daech, il faut qu’elle arrête de vendre des armes aux États qui sont à la fois la source idéologique et même sécuritaire de Daech » soulignait la journaliste Claire Talon dans un débat organisé par Mediapart.

En effet, au cours des derniers mois, la France a signé un contrat de 3 milliards de dollars avec l’Arabie Saoudite pour la livraison d’armes au Liban, un de 7 milliards avec le Qatar et un autre de 5 milliards avec l’Égypte pour la vente de Rafale. Tout récemment, l’ouvrage Hollande l’Africain , du journaliste Christophe Boisbouvier rappelle aussi que l’exécutif Français a rarement été engagée dans autant de conflits militaires en Afrique : après l’intervention libyenne de Sarkozy, à partir de 2013, les troupes françaises sont en effet entrées au Mali avec l’opération Serval, puis Barkhane, où 3000 soldats combattent les groupes terroristes, et un an plus tard en Centre Afrique avec l’opération Sangaris. Alors qui « riposte » à qui ? Septembre 2014, dans une grande opacité, la France annonçait aussi avoir mené ses premières frappes en Syrie : « Cessons de nous sanctifier. Continuons à dénoncer leurs monstruosité ici et là-bas, mais ne soyons pas aveugles sur les nôtres. Car nous utilisons aussi à notre mode occidentale, tueries et terreurs » poursuit Edgar Morin. On sait en effet que les principales victimes des drones et des bombardements sont les populations civiles. « La machine à tuer » un dossier publié en octobre par le site d’investigation The Intercept est accablant pour les Etats-Unis. Or dès dimanche les forces françaises ont bombardé la ville syrienne de Raqqa, fief supposé de l’État islamique, sans qu’il ne soit précisé bien sûr combien de civils sont morts pendant les opérations « riposte ». « Quiconque lutte contre des monstres devrait prendre garde, dans le combat, à ne pas devenir monstre lui-même » mettait en garde Nietzsche : depuis sa nomination en 2012, François Hollande, serait le président français qui « assume le plus les opérations clandestines notamment les assassinats ciblés ». C’est ce que défend le journaliste Vincent Nouzille dans son nouveau livre, « Les tueurs de la République » où il retrace l’histoire d’une cellule clandestine du Service Action de la DGSE.

Les musulmans sont les premières victimes de la violence islamiste

« Et nous ? ». Ces deux mots tout simples résument la réaction de nombreuses personnes du monde arabe face à l’émotion planétaire suscitée par les attentats de Paris. En l’espace de deux semaines, Daech a en effet réussi à détruire un avion russe en vol, à assassiner un éditeur au Bangladesh et à ensanglanter un quartier chiite de Beyrouth, faisant 43 morts, la veille des attentats de Paris. Pour autant ces victimes n’ont pas connu la même réprobation internationale. Il faut ainsi rappeler, n’en déplaise aux théoriciens du conflit de civilisation, que plus de 80 % des victimes du djihadisme sont des musulmans. Par le passé, à titre d’exemple, la guerre civile algérienne, « la décennie noire », opposant le gouvernement algérien et divers groupes islamistes à partir de 1991 coûta la vie à plus de 60 000 personnes. (Algérie : chronique d’un massacre annoncé, La Découverte). Désormais, plus que jamais, les musulmans vivant en France sont également victimes d’une autre violence, une symbolique : « dans les milieux intellectuels, chez les académiciens, il est accepté de cibler l’islam et les musulmans en général comme notre problème de civilisation », explique Edwy Plenel , fondateur de Mediapart, dans « Pour les musulmans » (éd. La Découverte).

Vers un Guantanamo à la Française ?

Le premier ministre Manuel Valls n’a pas évacué d’emblée la proposition du député Laurent Wauquiez (Les républicains) de placer en centre d’internement toutes personnes avec une fiche « S ». La fiche S (pour « atteinte à la sûreté de l’État » ) est une des nombreuses catégories d’un fichier vieux de plus de quarante ans : le fichier des personnes recherchées (FPR), créé en 1969 et qui comporterait plus de 400 000 noms. Cela fait du monde ! Il s’agit d’évadés de prison, de membres du grand banditisme, de personnes interdites par la justice de quitter le territoire, mais aussi de militants politiques ou écologistes (antinucléaires, anarchistes, etc.). À l’aube de la COP 21, cela fait réfléchir ! Une bien meilleure solution serait de se demander « qu’est-ce-que Daech ? » à l’image Myriam Benraad, politologue, spécialiste de l’Irak et du monde arabe : « Daech renvoie à ce que l’on est, notre modèle de société, nos propres lacunes, notre propres parias qui trouvent dans Daech le mouvement militant qui leur permet d’exprimer un rejet de l’ordre ». Même regard pour Olivier Bobineau, sociologue des religions et spécialiste de l’islam, qui estime que le problème posé par le salafiste en France est social, non pas religieux : « La violence ne vient pas de l’islam, cela vient des problèmes politiques, économiques et sociaux de la banlieue et des quartiers ».

Alors peut-être que cette guerre n’en est pas une, qu’elle se déroule avant tout en Europe, et qu’il devrait avant tout être question dans les débats de réduction des inégalités sociales ? Or, opportunisme ou réelle préoccupation sécuritaire, le gouvernement français a décidé l’annulation de la grande manifestation qui devait se tenir à Paris, dimanche 29 novembre, à la veille de l’ouverture de la COP21, de même que les événements prévus le dimanche 12 décembre, au lendemain de la clôture de la conférence.Sans mobilisation visible de la société civile, le rapport de force avec les chefs d’États du monde entier sera forcément pipé.

Enfin, il est aussi question pour l’exécutif français de réviser la loi sur l’État d’urgence adoptée pendant la guerre d’Algérie en 1955. Que des bons souvenirs ! Pascal Ory, professeur d’histoire contemporaine met donc en garde : « Le bilan de la première grande expérience terroriste moderne, – les radicaux russes de la Volonté du Peuple, dans les années 1880 – ne s’est pas traduite par l’effondrement du régime tsariste, mais son durcissement. Le résultat immédiat d’une politique de la terreur est, outre la mort – ou l’enfermement mental – de ses victimes, le recul des libertés publiques (les "lois scélérates de la Troisième république contre l’extrême gauche") ». En Janvier 2016, Pascal Ory fera paraître « Ce que dit Charlie. Treize leçon d’histoire » (Gallimard). A lire en attentant « Une histoire du terrorisme » de Mickael Prazan et « Le terrorisme, un concept piégé » de Frédérique Neyrat.

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