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Crise d’Evergrande vue par NPA DR

mardi 9 novembre 2021, par anonyme (Date de rédaction antérieure : 9 novembre 2021).

Evergrande, crise énergétique, recul de la croissance, tensions internationales, la Chine au cœur de la tourmente du capitalisme mondialisé

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7 novembre 2021

Par François Minvielle

Fin octobre, Evergrande, géant de l’immobilier en Chine, a évité de justesse le défaut de paiement qui le rapprochait un peu plus de la faillite. In extremis, le groupe a pu verser un peu plus de 71 millions d’euros aux propriétaires d’obligations, dette qu’il n’avait pas pu honorer un mois auparavant.

Mais rien n’est réglé. Evergrande est au bord du gouffre, devant une dette de 260 milliards d’euros, à peu près le montant des recettes nettes de l’État français. Sa faillite aurait des conséquences d’une brutalité terrible : chômage pour 200 000 salariés directs, et 3 millions indirects, entre 1 et 2 millions de logements abandonnés en cours de construction, perte grave pour des milliers d’épargnants qui ont acheté ces logements non achevés…

La crise d’Evergrande participe d’une crise globale, touchant tout le secteur immobilier. Elle se répercute et se combine avec un ralentissement de la croissance, la hausse du chômage, une crise de la production et des prix de l’énergie. A la crise économique, s’ajoutent la crise environnementale et les tensions orchestrées par les USA pour l’affaiblir : la Chine se retrouve, comme son principal concurrent, au cœur de toutes les contradictions de la mondialisation capitaliste.

Les conséquences frappent d’abord les travailleurs chinois, mais le niveau d’interdépendance des économies est tel que, comme avec la crise financière de 2007-2008 qui avait commencé avec les subprimes américains en 2007, la crise de l’immobilier chinois pourrait bien inaugurer un nouvel épisode aigu de la maladie endémique qui a atteint l’ensemble de l’économie mondiale.

Le pouvoir chinois réagit. Xi Jinping devrait annoncer cette semaine de nouvelles mesures pour encadrer l’endettement et la folie spéculative, enrobant sa politique de discours sur la « prospérité commune ». Certains y voient un retour maoïste, d’autres ont des illusions sur la super-puissance de l’État prétendument communiste pour contenir la crise, l’illusion que « en Chine, quand le gouvernement parle, les banques écoutent ». Certes l’État chinois garde une bien plus grande indépendance vis-à-vis de ses capitalistes et financiers que les États des vieilles grandes puissances mais en réalité sa politique, qui n’a rien de socialiste, de communiste ou de populaire, sert globalement leurs intérêts. Elle leur est soumise socialement. Chacune de ses mesures ouvre et accentue d’autres failles, prépare une nouvelle étape de la crise, soulignant l’impasse des solutions étatiques nationales qui ne visent qu’à sauver les intérêts de ceux qui possèdent l’économie. Derrière le nationalisme, en Chine comme ailleurs, se masquent les intérêts des classes dominantes.

Les conséquences des spéculations immobilières…

Le patron d’Evergrande définissait ainsi la stratégie de son groupe : « Endettement élevé, effet de levier, roulement important, coût bas ». La cavalerie financière assumée cyniquement : payer ses dettes en vendant de nouveaux projets eux-mêmes financés par de nouvelles dettes. Rien d’original, c’est le principe même de la spéculation, qui a été le moteur de la croissance de l’immobilier dont la mécanique s’enraye aujourd’hui.

Evergrande n’a plus de trésorerie. Le pouvoir chinois lui a interdit de s’endetter davantage, pour essayer de contenir la bulle spéculative. Evergrande ne peut plus s’endetter pour lancer de nouveaux projets et alimenter ses caisses… et il ne peut pas non plus achever les plus de 200 000 logements prévendus sur plan, avant construction.

Les répercussions touchent déjà le secteur bancaire, les fournisseurs de matériaux, les entreprises de construction et de transports, et donc des centaines de milliers de travailleurs. Sont touchés aussi les acquéreurs de ces logements prévendus, près de 1,2 millions de ménages qui y perdent leurs économies… et des grands bailleurs menacés à leur tour de faillite. Sans oublier les actionnaires chinois et internationaux dont les pertes se répercuteront sur l’ensemble du système financier.

Pour Evergrande, la seule façon de sortir de la spirale descendante serait de vendre ses biens pour reconstituer sa trésorerie. Mais le recul général de la croissance appauvrit la population et impacte l’immobilier. Les ventes s’effondrent, 17 % de moins en un an, ainsi que les prix du m2 qui ont reculé de 30 % en un an dans la plupart des grandes villes. D’après un article du Monde, il y aurait en Chine environ 100 millions d’appartements qui restent vides, et 30 millions qui ne trouvent pas acquéreur, de quoi loger 340 millions de personnes.

Bien d’autres sociétés de l’immobilier se retrouvent du coup dans la même situation qu’Evergrande. China Fortune a été en défaut de paiement en février pour 800 millions de dollars d’obligations ; Hong Kong Sinic pour 246 millions ; Fantasia Holdings pour 205 millions de dollars d’obligations. La banque américaine JPMorgan estime que 11 sociétés pourraient faire faillite, représentant 30 milliards de dollars.

… produits des réponses à la crise des subprimes de 2008 pour rétablir la croissance des profits

La fuite en avant spéculative de l’immobilier est à la fois une des causes de la crise actuelle et le produit de la précédente. La crise économique de 2007-2008 a eu pour conséquence la destruction de millions d’emplois en Chine, dont près de 30 millions de migrants contraints de retourner dans les campagnes. Les salariés de l’atelier du monde ont été directement frappés par le recul de la demande internationale.

Elle mettait fin à dix ans de croissance forte de la production de richesses en Chine, une progression du PIB de presqu’un point tous les ans, de + 7,85 % en 1998 à + 14,23 % en 2007. La chute de 2008 a été particulièrement brutale, un recul de cinq points, avec une croissance ramenée à + 9,65 %. Certes, elle était encore largement au-dessus de la croissance du reste de l’économie mondiale, dont certains pays avaient connu des moments de récession, mais ça a été un coup de massue terrible pour les salariés.

Pour relancer les profits des groupes capitalistes chinois, Xi Jinping et les sommets de l’État ont voulu alors que l’économie chinoise soit moins dépendante des exportations, en développant le marché intérieur et en favorisant les investissements étrangers et la concurrence. Ils ont relâché le contrôle de L’État en permettant aux capitaux étrangers de contrôler majoritairement et même jusqu’à 100 % des filiales en Chine et aussi de participer aux transactions financières dans le pays.

Pour la relance intérieure, l’État a favorisé le logement et la construction d’infrastructures. Et, comme les autres états capitalistes, la RPC a mis en œuvre un plan de relance de 600 milliards de dollars, principalement en direction de l’immobilier.

Vont suivre dix ans de croissance rapide du secteur, le « chaofang » ou « faire frire de l’immobilier », attirant les spéculateurs et provoquant l’explosion de groupes comme Evergrande, fondé en 1997, qui est devenu en 2016 le plus grand promoteur du pays. Dans cette période, l’urbanisation engagée depuis la forte croissance de la production industrielle, se poursuit. En vingt-cinq ans, plus de 500 millions de personnes sont venues travailler dans les villes. Le niveau de vie de cette nouvelle classe ouvrière s’est amélioré, la demande d’achats de logements a augmenté, d’autant que des lois ont favorisé l’acquisition. Les entreprises ont massivement revendu à leurs salariés les logements qu’elles leur louaient.

Mais pour répondre à la demande, la construction va être financée par l’endettement et la spéculation, attirant d’autant plus les capitaux que les prix explosent. En 20 ans, ils sont multipliés par 7 dans les grandes villes.

L’État chinois au service du capital impuissant à réguler l’immobilier…

Cette politique a produit une bulle spéculative que le pouvoir cherche maintenant à contenir, après l’avoir encouragée. Il a imposé trois règles, surnommées « les trois lignes rouges », pour limiter l’accès à l’endettement des groupes immobiliers s’ils ne présentent pas un certain nombre de garanties. Et une nouvelle législation restreint aussi les possibilités de vendre un bien avant l’achèvement des travaux. Ce sont les deux moteurs de la croissance de promoteurs comme Evergrande qui sont visés.

Le gouvernement sait aussi qu’en cherchant à contenir ou à réduire la bulle, ce sont des groupes comme Evergrande qui peuvent s’effondrer avec des conséquences sur toute l’économie. En prenant ce risque, il ne règle rien au cercle vicieux qui s’est enclenché dans l’immobilier, la demande qui recule, avec un « stock » massif de logements invendus.

Chaque mesure prise par le pouvoir pour sauver les intérêts des capitalistes et renflouer leur système ici, ouvre une brèche ailleurs… Xi Jinping prétend qu’il veut favoriser les groupes plus « vertueux », moins spéculateurs et il l’enrobe d’un discours social : « le logement est pour y vivre et non pour la spéculation ». Depuis la mi-octobre, il se déclare en faveur de « la prospérité commune » s’inquiétant de la « polarisation entre riches et pauvres et l’effondrement de la classe moyenne [qui] ont mené à une désintégration sociale, à une polarisation politique et à un populisme rampant. ». Ajoutant que « ceux qui s’enrichissent les premiers devront aider ceux qui ne le sont pas encore ».

Avec ces discours, il s’agit surtout de faire croire que le pouvoir garde le contrôle de la situation, renforcer la confiance, comme ils disent. Le gouverneur de la Banque centrale chinoise assure « globalement, nous pouvons contenir le risque systémique posé par Evergrande », trouvant l’appui du FMI : « les autorités chinoises ont les moyens de faire face à la situation ». Le groupe financier Bloomberg est plus cash : il faut « éviter un état de panique ». La méthode Coué pour éviter le krach.

… comme l’ensemble de l’économie

Peut-être que l’État aura la force de contenir la crise financière qui serait consécutive à la faillite des groupes comme Evergrande. Les banques centrales de tous les pays l’avaient fait en injectant des milliers de milliards en 2008-2009, mais elles n’avaient pas pu contenir les répercussions sur l’ensemble de l’économie.

En Chine, l’immobilier représente entre 20 et 25 % du PIB, et il a été un des piliers du développement de ces dernières décennies. Les budgets publics en dépendent fortement. Les pouvoirs locaux vendent les terrains propriétés d’État pour avoir des recettes, ce qui les a amené aussi à être largement complices de la spéculation immobilière en vendant aux groupes comme Evergrande. Avec la crise, ces rentrées s’effondrent. 27 % des terrains proposés par les gouvernements locaux n’ont pas été vendus en septembre.

L’énergie aussi est en crise. La production ne suffit pas à satisfaire la demande, des villes et des usines subissent des coupures. L’État a mis à l’arrêt ces dernières années un grand nombre de centrales à charbon et de mines pour diminuer les émissions de CO2 et limiter les dégâts environnementaux, la Chine est devenue alors le premier importateur mondial de gaz.Mais avec la reprise chaotique d’après le Covid et la spéculation sur les matières premières qui l’accompagne, les prix mondiaux de l’énergie, du gaz en particulier, se sont envolés.

Début octobre, l’État a décidé alors de rouvrir des centrales à charbon, contredisant les engagements environnementaux de Xi Jinping. Mais la mesure a été insuffisante pour que les capitalistes du secteur relancent fortement la production, l’encadrement des prix limitant leurs profits alors que le prix du charbon est à la hausse. Quelques jours après, le pouvoir a permis une libéralisation des prix de l’électricité, jusqu’à 20 % au-dessus du prix régulé, en espérant que cela relance la production… Mais là encore, ce n’est que déplacer le problème en aggravant l’inflation et la crise environnementale.

L’inflation touche aussi les denrées alimentaires, dont 28 viennent de connaître une hausse de 16 % en un mois. Un ministère a lancé un appel le 1er novembre aux « ménages à stocker une certaine quantité de produits de première nécessité afin de faire face aux besoins quotidiens et aux cas d’urgence », sans préciser si c’est pour une crainte de regain de Covid ou pour l’inflation.

Les crises de l’immobilier et de l’énergie participent au recul de la croissance. L’épidémie de Covid et la désorganisation de la production ont pesé, avec des ruptures en cascade des approvisionnements. Mais, depuis la crise de 2008, la croissance a fortement ralenti tombant à moins de 6 % avant le Covid. Et si l’État prétend que le taux de chômage est autour de 4,9 %, beaucoup estiment que ce taux est sous-évalué.

La Chine entraînée dans la faillite du capitalisme mondialisé

La période semble finie quand la Chine était la locomotive de la mondialisation du capitalisme financiarisé en s’intégrant elle-même au marché mondial.

Aujourd’hui, deuxième puissance économique mondiale, elle subit les conséquences de la folle concurrence spéculative des multinationales, les amplifie, les répercute à son tour, dans une chaîne d’interdépendances dont elle est devenue un des maillons majeurs. Un économiste d’un cabinet de conseil anglais alerte : « Le niveau d’activité n’avait pas été aussi faible depuis la fin des années 1990. C’est un choc pour l’économie mondiale, qui passe inaperçu à côté d’autres préoccupations du moment comme la pandémie de Covid-19 ou l’inflation ».

Les mesures prises par Xi Jinping en réponse à la crise de 2008 pour favoriser l’entrée de capitaux étrangers a renforcé cette interdépendance : 3,5 % du marché des obligations chinoises sont détenus par des capitaux étrangers, environ 1000 milliards de dollars rien que pour les capitaux américains investis en Chine. D’après un article du Monde diplomatique, il pourrait y avoir près de 800 milliards supplémentaires passant par des filiales domiciliées dans les paradis fiscaux.

Il s’est fait le promoteur zélé de cette mondialisation financière : « nous devons promouvoir la libéralisation et la facilitation du commerce et de l’investissement […] en vue de construire une économie mondiale ouverte… […] L’érection de murs ou le découplage vont à l’encontre des lois économiques et des principes du marché ».

Il plaide pour le libéralisme commercial et financier qui permet aux capitalistes chinois de se tailler une place de premier plan sur la scène économique mondiale. Il se heurte aux mesures protectionnistes et aux menaces militaires des USA qui entendent bien ne pas céder leur rang de première puissance économique mondiale.

L’exacerbation de leur concurrence ne peut qu’accélérer la crise et conduire vers une phase plus aiguë encore. Le risque de faillite d’Evergrande annonce à tous les financiers de la planète que leurs obligations peuvent ne pas recevoir leur rente et perdre toute valeur. Ces titres décrédibilisés s’ajoutent à tous ceux qui pourrissent déjà la finance mondiale.

La Chine est prise dans la tourmente, la spirale infernale de la crise mondialisée qui nous menace tous, travailleurs et classes populaires de tous les pays qui la subissons en première ligne. Le fait que rien ne semble pouvoir arrêter la brutalité des rapports de classe et l’effondrement de ce monde, fait grandir et partager aussi la conscience qu’il faut exproprier la classe capitaliste. C’est un pas vers la conscience que la seule classe internationale qui peut apporter une issue, est celle qui n’a aucun privilège à défendre. La classe ouvrière, plus nombreuse que jamais à l’échelle du monde, en Chine et sur tous les continents, n’a rien à perdre en mettant fin à la spéculation et à l’exploitation, et tout à gagner en imposant son contrôle sur l’économie et la société, dans la perspective d’une autre organisation sociale, réellement communiste et démocratique.

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