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En France, le numérique est aux ordres du pouvoir

jeudi 21 décembre 2017, par anonyme (Date de rédaction antérieure : 21 décembre 2017).

https://www.letemps.ch/opinions/201…

Richard Werly
Publié mercredi 20 décembre 2017 à 15:49
modifié mercredi 20 décembre 2017 à 20:06

Depuis des semaines, la nomination puis l’éviction d’une militante antiraciste du Conseil national français du numérique alimente la controverse. La réalité est que, sous le quinquennat Macron, le monde numérique est aux ordres

Il y a plusieurs manières d’aborder l’actuel spectacle, lamentable et incompréhensible, vu de l’étranger, du Conseil national français du numérique. La plus simple, et sans doute la plus claire, est de redire que, dans l’Hexagone, les soi-disant organes consultatifs – comme l’est ce Conseil créé en 2011, sous Nicolas Sarkozy, pour rendre des avis éclairés sur les enjeux numériques – ne sont que des émanations déguisées du pouvoir en place qui les utilisent pour recaser ses protégés, ou les personnalités qu’il désire récompenser.

En clair : ceux qui croyaient à la possible indépendance d’une institution de réflexion sur l’âge numérique en sont pour leurs frais. Pas question, à l’heure où l’Élysée est occupé par un brillant quadragénaire 4.0 présidant la France au bout de son smartphone, d’accepter que des esprits dissidents liés à l’extrême gauche viennent perturber la célébration ambiante de l’esprit « start-up » techno-libéral qui prévaut en Macronie.

Dérive française

A y regarder de près, la polémique enclenchée par la nomination dans cette instance de la militante antiraciste véhémente Rokhaya Diallo – puis sa révocation brutale en raison de ses propos jugés complaisants sur le voile porté par les femmes musulmanes – relève toutefois d’une autre dérive française : la confusion permanente des genres.

Je m’explique. A quoi devrait servir, normalement, un Conseil national du numérique ? A réunir, sur les sujets technologiques et sociétaux d’avenir, des experts ancrés dans ce monde-là et capables d’en décortiquer les enjeux futurs, y compris financiers. Pourquoi, dans ce cas, avoir convié à y siéger une polémiste connue pour ses prises de position communautaristes, tout à fait acceptables en démocratie dès lors qu’elles ne dérogent pas à la loi et s’inscrivent dans un rugueux débat public ? Pourquoi, ensuite, ne pas laisser le temps de faire ses preuves à la personne concernée, nommée pour deux ans et non rémunérée, avant d’exiger son départ suite à une controverse clairement politicienne alimentée par des députés de droite ?

« Triste France numérique qui continue de mélanger les affaires, la morale, la technologie et le débat politique »

Je ne connais pas Rokhaya Diallo, dont j’ai de temps à autre entendu les chroniques sur RTL. Mais je connais en revanche l’actuel secrétaire d’Etat chargé du numérique, Mounir Mahjoubi, ex-gourou numérique de Ségolène Royal lors de la présidentielle de 2006, devenu entrepreneur, puis lui-même président dudit Conseil (nommé par François Hollande) avant de passer armes et bagages chez Emmanuel Macron. L’homme est fort sympathique. Doué. Clairement bien informé des enjeux de l’époque numérique. A cheval entre l’élite de centre gauche parisienne bobo et les franges plus rebelles issues de l’immigration.

Mais Mounir Mahjoubi est aussi aux ordres. C’est lui qui faisait, lors des meetings du candidat Macron, le pitch d’entrée en scène pour l’actuel président. C’est lui qui inondait Facebook, Instagram, Twitter et autres réseaux des bons mots du futur président. C’est lui qui, lors des soupçons de cyberattaque sur le système informatique d’En marche – des dizaines de milliers d’e-mails internes se retrouvèrent en ligne –, monta au créneau pour dire que tout demeurait sous contrôle. Bref : Mounir Mahjoubi, aussi talentueux soit-il, est le serviteur zélé du « boss ». Lequel, alors ministre de l’Economie, avait tenu à lancer sa précampagne présidentielle en janvier 2016 à l’occasion du Consumer Electronic Show de Las Vegas lors d’une « French Tech Night » organisée sans appel d’offres, avec force crédits débloqués en urgence de Bercy…

L’inutilité des Conseils nationaux

Triste France numérique qui continue de mélanger les affaires, la morale, la technologie et le débat politique. Triste pratique du pouvoir qui aboutit, à l’heure d’écrire ces lignes, à la démission d’une vingtaine de membres du Conseil national du numérique (sur trente), dont sa présidente, Marie Ekeland, fondatrice d’un fonds d’investissement technologique.

Triste manque de sérénité et de recul, alors que bouillonnent toujours dans l’Hexagone les frustrations communautaires des jeunes issus de l’immigration africaine, dont beaucoup réclament une « affirmative action » à l’américaine dans les universités et les milieux économiques. La morale de l’histoire est simple : ce Conseil national du numérique vient de faire la preuve qu’il ne sert pas à grand-chose. Mieux vaudrait demander au secteur privé, et aux universités, de désigner leur institution de réflexion, ou financer un think tank numérique digne de ce nom. Le mélange des genres franco-français aboutit trop souvent à un désastre.

Réponse de do :

L’article est très intéressant pour les faits qu’il dénonce. Mais la conclusion tirée est partiellement fausse. En effet, demander au secteur privé de monter des institutions de réflexions, c’est à coup sûr obtenir des conflits d’intérêts.

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