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Le gaz israélien redessine la géopolitique au Levant

mercredi 18 mai 2022, par anonyme (Date de rédaction antérieure : 18 mai 2022).

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18 mai 2022

Assawra

Jérusalem souhaite vendre du gaz à l’Europe sous dix-huit mois. Les découvertes de gisements en Méditerranée orientale apportent une richesse dont Israël tire profit pour conforter la paix avec ses voisins. Seul le Liban résiste.

Et si Israël livrait du gaz à l’Allemagne ? La question paraît saugrenue et ressemble à une mauvaise blague à la Pierre Desproges. Et pourtant ! L’idée d’exporter du gaz exploité en Israël vers l’Europe est bien à l’étude à Jérusalem. Les récentes découvertes de gaz en Méditerranée orientale, notamment au large de l’Egypte, d’Israël et de Chypre sont en train de changer la donne géopolitique du Proche-Orient et peut-être bientôt de tout le bassin méditerranéen.

Jusqu’aux années 2000, aucun des Etats riverains de l’Est méditerranéen (Turquie, Grèce, Chypre, Syrie, Liban, Israël, Egypte et Libye) ne songeait à s’approprier les fonds marins et à délimiter ses zones économiques exclusives. En deux décennies, tout a basculé. Pour Israël, c’est une révolution. Imaginez un Etat encerclé d’ennemis, qui durant des dizaines d’années a recherché, en vain, des traces d’hydrocarbures dans tous les coins de son territoire et qui finalement, peut rejoindre le club des exportateurs de gaz grâce à ses gisements offshore !

En vingt ans, Israël est devenu non seulement quasi autosuffisant pour sa consommation énergétique, mais aussi exportateur vers l’Egypte et la Jordanie, ce qui modifie considérablement ses rapports avec ses voisins. Essentiellement avec l’appui de l’entreprise américaine Noble Energy qui a découvert l’essentiel des gisements identifiés à ce jour.

Quinze ans de découvertes

La première découverte a lieu en 1999, à 30 kilomètres des côtes au sud face à Gaza. Le champ Noa offre une capacité limitée de 7 bcm de gaz (milliards de mètres cubes, NDLR). Il a fallu ensuite attendre dix ans et des centaines de forages infructueux avant de découvrir l’important gisement de Tamar au nord du pays, à 120 kilomètres de Haïfa ! Avec 300 bcm, il s’avère deux fois plus productif que prévu. Et en 2010, c’est le jackpot avec la découverte de Léviathan, deux fois plus important que Tamar. A l’époque, le quotidien « Haaretz » représente le Premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou, en roi du pétrole avec un keffieh sur la tête, coiffe traditionnelle des leaders arabes. Israël s’imagine devenir le Qatar, tandis que de nombreux citoyens protestent contre les risques de pollution.

Et l’histoire continue. Les dernières découvertes datent de 2012-2013 avec les gisements de Tanin et Karish (100 bcm au total) situés plus au nord. Pendant ce temps, l’Egypte trouve les champs de gaz Zhor (850 bcm) ; Chypre, ceux nommés Aphrodite (120 bcm). A ce jour, le total des découvertes du bassin levantin s’élève aujourd’hui à environ 2.000 bcm, dont la moitié en Israël. A l’aune des réserves mondiales de gaz, dont plus de la moitié est détenue par l’Iran, le Qatar et la Russie, c’est une goutte d’eau, mais pour Israël et ses voisins immédiats, c’est un torrent.

Israël, dont l’électricité était produite à partir de charbon (80 %) et de pétrole (20 %) importés, est désormais quasi-autonome. Alors que ses voisins souffrent constamment de coupures de courant, elle produit une électricité issue à 70 % de « son » gaz. La part du charbon est encore de 20 % et celle des énergies renouvelables de 10 %. Mais Karin Elharar, ministre de l’Energie, annonce sans aucune hésitation que le pays éliminera le charbon en 2025 pour le remplacer par des énergies renouvelables.

Du gaz mais aussi de l’eau. « Israël n’a plus non plus aucun problème d’eau », précise-t-elle lors d’une rencontre avec l’association française des journalistes de la défense. Avec le gaz, le pays peut faire tourner sans limite ses usines de désalinisation d’eau de mer (10 % de la consommation électrique du pays). Mieux : le pays a signé deux accords avec la Jordanie et les Emirats arabes unis, consistant à échanger de l’eau contre de l’électricité solaire produite dans le désert du royaume hachémite. Les conflits sur le partage des eaux du Jourdain sont de l’histoire ancienne.

Chevron, qui a racheté Noble Energy en 2020, a repris le flambeau de l’exploitation en Israël, notamment de Léviathan, opérationnel depuis 2019. Sa production est partagée entre un tiers pour la consommation israélienne, un tiers pour l’Egypte et un tiers pour la Jordanie. Un nouvel acteur, la société Energean, doit installer sa plateforme sur le gisement Karish avant la fin de l’année. « Nous allons connecter notre troisième plate-forme gazière offshore cet été et ainsi augmenter d’un tiers nos réserves et la production de gaz », a annoncé Karin Elharar. Une hausse qui permettra l’exportation de gaz vers l’Europe. « Nous envisageons avec le ministre égyptien de l’Energie d’exporter du gaz naturel liquéfié (GNL) vers l’Europe dans des quantités non négligeables dans les 18 mois à venir », confirme-t-elle.

Sur 1.000 bcm de réserve, Israël pourrait en exporter 500, dont la moitié pour la région et l’autre pour l’Europe. « Toute la difficulté est de trouver le bon compromis entre la technologie, la rapidité d’extraction et le coût des investissements », explique l’ambassadeur de France en Israël, Eric Danon. La Commission européenne a dégagé jusqu’à 70 millions d’euros pour financer les études pour le gazoduc EastMed qui relieraient les gisements israéliens et chypriotes vers la Grèce et la botte italienne. Mais l’enthousiasme pour ce projet de gazoduc de plus de 2.000 km faiblit. Trop cher (plus de 6 milliards d’euros), trop complexe (il faut descendre à 3 km de profondeur), trop long à construire (4 à 5 ans). Et les quantités ne semblent pas à la hauteur des enjeux.

L’Europe importe 150 bcm par an de Russie. « On peut faire quelque chose pour l’Europe, mais ce ne sera jamais qu’une aspirine », note Oded Eran, ancien ambassadeur auprès de l’Union. « On ne peut pas remplacer le gaz russe, mais nous pouvons participer à la diversification de l’approvisionnement de l’Europe via les installations de GNL existantes ou en construisant notre propre plate-forme de GNL, confie Yossi Abou, PDG de NewMed Energy, acteur historique de l’industrie gazière du pays. Après tout, il reste encore un gros potentiel : 25 % seulement de notre zone économique exclusive a été explorée. » NewMed Energy estime que dans deux à quatre ans, Israël et Chypre pourraient livrer quelque 20 bcm par an à l’Europe, soit 13 % du volume du gaz russe actuel. Et de souligner que l’Egypte a fait preuve de leadership en ouvrant deux stations de gaz liquéfiés à Damiette et Ikdou, qu’elle ouvre à ceux qui ont des projets de développement gazier pour les marchés locaux et mondiaux.

Nouvelle diplomatie régionale

Si Israël souhaite renforcer ses liens avec l’Europe, sa priorité est néanmoins d’utiliser le gaz pour tisser de nouveaux liens diplomatiques et redessiner sa carte géopolitique régionale. Karin Elharar parle d’un outil pour « apporter de la stabilité à la région » . « Israël cherche avec le gaz l’équivalent de ce qu’avait réalisé l’Europe avec le charbon et l’acier », résume David Amsellem, cofondateur du bureau d’intelligence économique Cassini. Ainsi quand en septembre dernier, NewMed Energy met en vente 22 % du gisement de Tamar, elle choisit l’offre de la société émiratie Mubadela Petroleum aux dépens d’une offre européenne similaire en raison de « la valeur ajoutée d’une collaboration régionale » .

De fait, grâce au gaz, l’Etat hébreu a solidifié ses liens avec Chypre et la Grèce, deux Etats historiquement propalestiniens. Il a consolidé ses accords de paix avec ses voisins immédiats - Jordanie et Egypte - grâce à des contrats d’exportations de gaz. Il fortifie son alliance avec l’Egypte, avec laquelle il étudie la création d’une alliance pour l’exportation de GNL. Et après dix ans de brouille diplomatique, la Turquie a invité le président d’Israël en grande pompe à Ankara en mars dernier.

Dans son discours d’accueil, le président Erdogan a prononcé au moins huit fois le mot « gaz » ! « Le projet EastMed a déjà rempli sa mission, à savoir fédérer une partie des acteurs régionaux tout en isolant la Turquie », remarque avec malice Michael Harari, ancien ambassadeur d’Israël à Chypre. La Turquie s’imagine en hub gazier et plaide contre l’EastMed pour un gazoduc plus modeste qui passerait par son territoire. Aussi souhaite-t-elle à présent rejoindre le Forum du gaz de l’est de la Méditerranée, né en 2019 avec 8 membres : Israël, l’Egypte, la Jordanie, l’Autorité palestinienne, Chypre, la Grèce, l’Italie et la France.

Sous la menace du Hezbollah

Reste une ombre au tableau : Israël n’est pas parvenu à trouver un accord avec le Liban sur les limites de leurs zones économiques exclusives. En dépit des efforts de médiation américains, le Liban a fait marche arrière sur une proposition de compromis en réclamant 1.430 km2 en sus d’une zone de 860 km2 convenue, ce qui inclurait dans ses eaux territoriales une partie du gisement de Karish. Cela n’inquiète pas Shaul Tsemah, PDG de Energean, qui doit connecter Karish au réseau israélien de gaz cet été. « Nous avons reçu l’assurance que ce gisement était dans la ZEE d’Israël, dit-il. Le gaz est une bénédiction pour nous tous, c’est une source de coopération, pas de conflit. Ce que nous voulons est qu’il soit utilisé pour stabiliser la région et le moyen d’y parvenir est de le développer. »

Malheureusement, à peine la première goutte de gaz avait-elle été extraite de Tamar que Hassan Nasrallah, secrétaire général du Hezbollah, menaçait d’envoyer des missiles détruire les installations offshore. « Le Liban est en banqueroute, possède des réserves de gaz sans doute équivalentes aux nôtres mais ne les exploite pas, un comportement stupide voir criminel », commente sèchement Oded Eran.

Le gaz a donc apporté une prospérité mais aussi obligé Israël à doubler le budget de sa marine ! Israël a commandé trois sous-marins et six nouvelles corvettes de guerre au chantier allemand TKMS. Et le pays a annoncé le développement d’un système intégré de lutte antimissile, le « C Dome », qui doit être en mer l’équivalent sur terre de son célèbre « Dôme de fer » . Avec sa toute nouvelle autonomie énergétique, Israël n’a jamais été aussi confiant dans son avenir. Elle a désormais les mains libres pour se consacrer à son ambition de devenir la première « start-up » nation. L’an dernier, son PIB a rattrapé celui des Emirats arabes unis. Avant même de vendre la moindre goutte de gaz à l’Union européenne.

Anne Bauer et Catherine Dupeyron
Les Échos du 18 mai 2022

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