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La gauche en Pologne et le conflit en Ukraine

samedi 25 juin 2022, par anonyme (Date de rédaction antérieure : 25 juin 2022).

http://www.defenddemocracy.press/la…

24 juin 2022

Bruno Drweski

Depuis 1989, alors même qu’il existe dans la société polonaise, une forte sensibilité socialisante, anticapitaliste, et souvent nostalgique à l’égard des aspects sociaux de la Pologne socialiste, aucune force de gauche sociale conséquente n’a pu voir le jour de façon durable, car la gauche a été d’abord monopolisée par l’ancienne aile droite du parti « ex-communiste » au pouvoir dans les années 1944-1989 (Parti ouvrier unifié polonais – PZPR) qui s’est alignée totalement après 1989 sur une ligne pro-capitaliste, néolibérale, pro-OTAN, pro-UE, sociétale, et très superficiellement pro-sociale ou même seulement pro-laïcité. Le seul mouvement de masse qui a pu émerger après 1989 sur une ligne de « gauche patriotique » a été l’éphémère syndicat agricole et parti « Autodéfense » dirigé par Andrzej Lepper qui a publiquement posé la question de l’OTAN, de la participation de la Pologne aux agressions contre l’Irak et de sa participation au programme des prisons secrètes de la CIA. Ce mouvement a finalement disparu, son fondateur ayant été trouvé « suicidé » dans des conditions troubles et son ancien porte-parole parlementaire, Mateusz Piskorski, ayant été emprisonné plus tard trois ans sous l’accusation d’espionnage au profit de la Russie et de la Chine, et qui n’a dû sa libération, conditionnelle, que sous la pression du Bureau des Nations Unies contre les arrestations abusives.

Aujourd’hui, dans la foulée de la guerre en Ukraine, la Pologne subit une campagne médiatique et politique de chasse aux sorcières visant tous les dissidents politiques mais aussi les intellectuels, les universitaires ou les journalistes « dissidents » (voir : http://www.reveilcommuniste.fr/2022… ). Dans ce contexte, ce n’est pas seulement la « gauche officielle », social-démocrate, regroupée au sein de l’Alliance de la gauche démocratique (SLD) qui soutient pleinement toutes les initiatives polonaises et des pays de l’OTAN pour armer l’Ukraine et combattre « l’impérialisme de Poutine » mais c’est également le fait des mouvements de la gauche socialiste en principe plus radicaux comme le parti Razem (« Ensemble »), la revue « Krytyka Polityczna », « Le Monde diplomatique – Pologne », le Parti socialiste polonais PPS, la Chancellerie de justice sociale, etc, qui étaient connus jusque là pour leurs jugements critiques envers l’OTAN et les politiques néolibérales. Ces groupes n’hésitent plus à « soutenir la lutte du peuple ukrainien en guerre contre l’invasion russe », sans même oser mentionner le rôle que jouent dans le gouvernement de Kiev les capitalistes-oligarques ukrainiens semi-mafieux, la secte religieuse loubavitch de l’oligarque Kolomoïsky, le financeur de la campagne électorale de Zelensky, l’extrême droite nazie ukrainienne et européenne ou les puissances de l’OTAN dans le mécanisme qui a mené à la guerre actuelle. Oser poser ce genre de questions en Pologne équivaut aujourd’hui à être stigmatisé publiquement et dénoncé comme « suppôt de Poutine », « agent de Poutine » ou « financé par Poutine ». Au point où l’on a vu que lors de la préparation de la manifestation du 1er mai cette année, Piotr Ikonowicz, un leader socialiste issu de l’aile gauche de Solidarnosc d’avant 1989 et qui avait eu le courage de se rendre en Yougoslavie lors des bombardements de 1989, proposer que le meeting de la fête internationale des travailleurs cette année se tienne devant …l’ambassade de Russie, en témoignage de « solidarité avec le peuple ukrainien ». Cette manoeuvre a toutefois échoué face à la résistance de quelques groupes plus à gauche qui ont le courage d’avoir des positions plus critiques envers la chappe de plomb qui s’est abattue sur la Pologne, et en particulier sur la gauche polonaise depuis février 2022. Cinq petits groupes de gauche radicale et sociale ont donc publié des déclarations qui s’éloignent de la bienpensance des « salons de la gauche varsovienne » et qui rejoignent des sentiments répandus dans les classes populaires polonaises largement atomisées mais bien plus conscientes du caractère inique du système social dans lequel elles vivent et de l’histoire du nazisme ukrainien en particulier. Il faut à cet égard constater que la droite radicale polonaise soutient aussi dans l’ensemble les positions les plus extrêmes de l’OTAN et des USA sur l’Ukraine, mais que c’est aussi à droite que l’on trouve les publications qui étudient avec le plus de sérieux le phénomène du fascisme ukrainien, du système politique russe et des raisons qui expliquent pourquoi la Russie s’est sentie obligée de lancer « l’opération spéciale » de février 2022. Publications et sites internet qui se heurtent, au même titre que les secteurs de gauche radicale, aux pressions, répressions, stigmatisations et interdictions de la part du pouvoir politique, des gros médias et de l’appareil de justice polonais.

A gauche, nous trouvons donc quelques organisations qui font entendre un son de cloche dissident par rapport aux choeur des défenseurs de l’ordre établi. Le Front rouge (« Czerwony Front »), membre de la Tendance marxiste internationale d’obédience trotskiste dissidente, soutient ainsi « La position de la TMI (dont le Front rouge est membre) à l’égard du conflit en Ukraine, il condamne sans équivoque l’attaque russe, exprime sa solidarité avec le peuple ukrainien et soutient son droit à l’autodétermination, sans dépendance vis-à-vis de l’Occident ou la Russie. En même temps, il ne soutient aucun État bourgeois dans ce conflit, ni dans aucun autre. De plus, il essaie d’enquêter sur les causes qui ont conduit au conflit en Ukraine et sur ses conséquences possibles ». Un autre groupe d’obédience trotskiste, « Démocratie ouvrière » (Demokracia pracownicza), considère que « Pour les États-Unis et leurs alliés occidentaux, il s’agit simplement d’une “guerre par procuration” contre la Russie menée par les Ukrainiens. Les États-Unis soutiennent donc les autorités ukrainiennes pro-occidentales de toutes les manières possibles. Bien sûr, pas pour des raisons humanitaires ou des raisons et des préoccupations en faveur des habitants de l’Ukraine – les puissances occidentales elles-mêmes ont en effet sur leurs mains des hectolitres de sang. Leur but est d’étendre l’influence du “monde occidental” en Europe de l’Est et de maintenir l’hégémonie américaine en ruine dans le monde non seulement contre la Russie mais aussi contre la Chine. » Cette organisation mène par ailleurs une campagne contre la russophobie dans la culture et les guerres impérialistes, même si elle avait pris des positions ambiguës au moment de la guerre en Syrie.

Parmi les organisations communistes se revendiquant de la tradition issue du « stalinisme », le point du vue du Parti communiste de Pologne (KPP), aujourd’hui en butte à la répression et menacé d’interdiction, est son soutien au communiqué du Conseil mondial de la paix qui « exprime sa profonde inquiétude face à la tension grandissante dans la région de l’Europe de l’Est, en particulier en Ukraine, et qui résulte principalement de l’expansion croissante et agressive de l’OTAN à l’est de l’Europe et du déploiement de les forces de l’alliance de la mer Baltique à la Bulgarie, formant une ceinture entourant la Fédération de Russie. Depuis le coup d’État de Kiev en 2014 et la prise du pouvoir par des forces réactionnaires profascistes parrainées par les États-Unis, l’OTAN et l’Union européenne, l’Alliance atlantique a planifié et mis en œuvre une nouvelle expansion de la plus grande machine de guerre au monde, responsable de guerres, de crimes et de coups d’État ». Le Parti ouvrier polonais (Polska Partia Robotnicza – PPR), un parti constitué récemment par de jeunes militants critiquant le KPP pour son manque d’activisme et de radicalité sur le terrain considère que « L’attaque de la Russie contre l’Ukraine a été provoquée par l’Occident qui a militarisé agressivement ce pays. Poutine s’est cependant laissé entraîner dans la guerre et a ainsi commis une erreur stratégique. Sur cette base, nous ne soutenons pas l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Pendant de nombreuses années, l’Ukraine a traversé un processus de bandérisation, avec le consentement et le soutien de l’Occident, ce qui a permis la promotion du fascisme et la réhabilitation du nazisme. Nous soutenons donc le combat des troupes russes contre ce phénomène qui devrait être complètement éradiqué. Nous appelons à la fin de la guerre et à l’arrêt de toute aide militaire, car cela alimente le conflit et augmente le nombre de victimes ».

Quant au Front maoïste, il déclare « …en tant que Front maoïste, nous pensons qu’il s’agit d’une guerre de deux pays capitalistes causée par les ambitions impérialistes de l’OTAN et de la Russie, ainsi que par la politique agressive du régime de Kiev. Nous condamnons fermement la guerre, nous appelons les deux gouvernements concernés à arrêter les opérations militaires et nous soutenons l’approche de ce conflit formulée par les gouvernements de Biélorussie et de Cuba ». On doit également souligner le courage de la revue en ligne de gauche radicale assez connue « Strajk » (La Grève) qui a pris des positions très critiques envers l’OTAN et le gouvernement ukrainien et analyse avec recul les causes de l’attaque russe.

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