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Palestine - En Cisjordanie occupée, une hécatombe silencieuse

dimanche 26 juin 2022, par anonyme (Date de rédaction antérieure : 26 juin 2022).

En Cisjordanie occupée, une hécatombe silencieuse

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26 juin 2022

Assawra

Les raids menés par l’armée israélienne dans le territoire palestinien causent la mort de nombreux civils.

Nidal Salah suit de son doigt les contours d’une large tache foncée sur la coque d’un smartphone. « C’est son sang, dit-elle, il avait son téléphone avec lui. » Elle fait mine de ranger l’appareil dans sa poche arrière. Elle n’a toujours pas eu la force de l’allumer. Il appartenait au plus jeune de ses fils, Zaid Ghnaim, 14 ans, tué le 27 mai par l’armée israélienne à Al-Khader, près de Bethléem, en Cisjordanie occupée. Ces derniers mois, il avait poussé d’un coup, s’était mis à piquer les fringues de ses deux grands frères, à sortir avec ses copains. « J’avais peur pour lui, qu’il fume, qu’il fasse des mauvaises rencontres… J’avais tout imaginé sauf ça, raconte sa mère dans un filet de voix, comme absente. Je n’ai toujours pas réalisé, jusqu’à aujourd’hui… Des fois, je l’appelle, je crois qu’il est là, à la maison. » Sa dernière phrase s’étrangle dans un sanglot. Dans la chambre que se partageaient ses trois fils, elle lisse délicatement les plis du costume flambant neuf que Zaid s’était choisi pour le mariage de sa sœur, prévu début juin. « Il ne l’a jamais porté », souffle-t-elle.

Combattants et civils

En 2021, sur les six premiers mois de l’année, marquée par de violents affrontements à Jérusalem et une guerre à Gaza, cinquante-quatre Palestiniens avaient été tués en Cisjordanie, parmi lesquels l’ONG israélienne anti-occupation B’Tselem avait dénombré neuf mineurs. Depuis le début de 2022, le ministère de la santé palestinien a recensé soixante-huit personnes tuées dans ce territoire, dont quatorze mineurs.

L’armée israélienne a intensifié ses raids au début du printemps, après une série d’attaques meurtrières en Israël, menées par des Palestiniens isolés, qui ont fait dix-huit morts. Dans le camp de Jénine, d’où étaient originaires deux des assaillants, les incursions quasi quotidiennes débouchent souvent sur des affrontements armés. Parmi les Palestiniens tués, certains étaient donc des combattants. Mais d’autres étaient à l’évidence des civils. Parmi eux, la journaliste d’Al-Jazira Shireen Abu Akleh, dont le meurtre a soulevé une vague d’indignation internationale qui n’a été suivie d’aucun acte concret ; Nabil Ghanem, 52 ans, abattu par l’armée le 19 juin, alors qu’il essayait de franchir la barrière de séparation à Kalkiliya pour aller travailler en Israël ; Ali Harb, 27 ans, poignardé dans son champ, dans le village d’Iskaka, dans le centre de la Cisjordanie, alors qu’il s’opposait à une descente de colons juifs ; et Zaid Ghnaim, donc, l’adolescent d’Al-Khader.

Le jour où il a été tué, il se rendait chez ses grands-parents. En chemin, il a été touché par un premier tir, dans des circonstances qui restent à élucider. La presse israélienne a évoqué des jets de pierres sur des soldats, mais le père de Zaid, Mohamed Ghnaim, dément catégoriquement : « Il n’y avait rien, pas d’affrontements. L’armée était là, mais elle est toujours postée dans ce coin », dit-il.

Zaid aurait alors couru se réfugier dans un garage tout proche. « Il y avait du sang sur une voiture, comme s’il avait tenté de se cacher dedans, explique Nidal. Les militaires israéliens l’ont poursuivi et ont tiré. » « Ils n’étaient pas un ou deux, mais plus d’une douzaine de soldats », précise le père. Il assure que son fils a été tué à bout portant, de six balles, dans la jambe, dans le dos et dans le cou.

« Beaucoup de tirs dans le dos »

Le porte-parole de l’armée israélienne, contacté par Le Monde, indique avoir ouvert une « enquête criminelle ». Assis à côté de portraits de son fils, Mohamed hausse les épaules, les traits tirés et les yeux humides. Cette investigation, il n’en veut pas. Il pressent d’avance, comme c’est quasiment la règle dans ce genre de situation, qu’aucun soldat ne sera puni. « Cette année, il y a eu trois martyrs dans le village », rappelle Nidal Salah. « Ils viennent pour tuer, pas pour blesser, enchaîne son époux. Avant, les soldats utilisaient des balles enrobées de caoutchouc, des grenades assourdissantes pour éloigner les gens. Aujourd’hui, non, ils tuent, directement. »

Pour lui, cette politique remonte à l’installation du gouvernement dit « du changement » venu remplacer celui de Benyamin Nétanyahou, il y a tout juste un an. Eclectique coalition soutenue par un parti arabe et dirigée par un premier ministre d’extrême droite, Naftali Bennett, elle vient de tomber, le 20 juin, minée par les désaccords. « Nous menons des recherches sur les Palestiniens tués en Cisjordanie et, dans beaucoup de cas, nous avons trouvé que le tir était injustifié », souligne Dror Sadot, de l’ONG israélienne anti-occupation B’Tselem, qui dénonce « beaucoup de tirs dans le dos ».

Selon Ori Givati de l’ONG pacifiste israélienne Breaking the Silence, qui regroupe des vétérans de l’armée, la situation actuelle est le résultat direct de la politique d’occupation, conduite par des soldats « éduqués à croire que tous les Palestiniens sont mauvais ». Elle est aggravée, à ses yeux, par le silence coupable de la communauté internationale : « Les vies palestiniennes ne sont pas seulement ignorées par Israël, elles le sont aussi par ceux qui ont le pouvoir de tenir Israël pour responsable. »

Lourdes séquelles

Quand elle ne tue pas, cette violence laisse de lourdes séquelles. A Bethléem, dans le quartier qui jouxte le camp de réfugiés de Dheisheh, Reda Abu Aker a « peur de sortir ». Le 29 mai, ce Palestinien de 12 ans a été blessé par un tir israélien, juste à côté du cœur. C’est un miraculé. A quelques millimètres près, la balle transperçait son aorte. L’enfant allait chercher du pain, comme tous les matins, dans une épicerie à deux minutes de chez lui. L’armée opérait dans le camp voisin, mais tout semblait calme, se remémore sa mère, Maha Abu Aker.

Reda a passé quatre jours à l’hôpital, « quasiment muet, lui d’ordinaire si bavard, dit-elle. Maintenant, il dort à côté de moi, il n’ose plus aller dans sa chambre, en bas. Il est sous le choc ». En ce début de vacances, il est privé de football et reste enfermé au domicile familial, avec ses sœurs et le bébé. « J’ai encore un peu mal quand je fais certains mouvements », murmure le garçon, sur un ton morose.

Les médecins lui donnent deux mois pour s’en remettre. Un morceau de la balle est toujours fiché dans son corps, tout près du cœur – l’enlever aurait nécessité une opération trop risquée. « Avant, l’armée menait des incursions très tôt le matin. Maintenant, c’est à n’importe quelle heure de la journée et ils ne réfléchissent plus à deux fois avant de tirer à balles réelles », note sa mère. Se tournant vers la fenêtre de l’étroit salon familial, elle ajoute : « Reda commence à aller un peu mieux, il va se mettre à oublier, il va avoir moins peur. Et puis, un jour, les soldats vont revenir. »

Clothilde Mraffko
Le Monde du 24 juin 2022

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