https://www.letemps.ch/economie/ube…
Publié dimanche 10 juillet 2022 à 20:30
Modifié lundi 11 juillet 2022 à 06:38Anouch Seydtaghia
Un consortium de médias a eu accès à de très nombreux documents sur la société basée à San Francisco. Ils éclairent les pratiques discutables d’Uber pour conquérir le monde, que ce soit en charmant Emmanuel Macron ou en dénigrant Joe Biden
C’est une enquête qui résonnera forcément de manière particulière ces prochains jours en Suisse. Et notamment à Genève, après la récente décision du Tribunal fédéral affirmant qu’Uber doit considérer ses travailleurs comme des salariés. Dimanche soir, un consortium de médias a commencé à publier une vaste enquête sur les méthodes de lobbying de la multinationale basée à San Francisco. Engagée dans une expansion planétaire effrénée, la société, qui vaut aujourd’hui 43 milliards de dollars en bourse, a usé de tactiques à la limite de la légalité pour asseoir sa domination mondiale.
Les « Uber Files » sont le résultat d’une analyse d’un volume impressionnant de données : 124 000 documents transmis au quotidien britannique The Guardian, comprenant des e-mails ainsi que des échanges via iMessage et WhatsApp, entre les plus hauts représentants de la multinationale. On y trouve aussi des mémos, des présentations et quantité de documents internes. Ces informations concernent 40 pays (dont possiblement la Suisse, ce n’était pas encore clair dimanche soir) sur la période 2013-2017, durant laquelle Uber était dirigé par Travis Kalanick. The Guardian a partagé ces données avec 180 journalistes de 29 pays via l’International Consortium of Investigative Journalists (ICIJ).
« We’re just fucking illegal »
Que montrent ces documents ? Qu’Uber n’a pas renoncé à grand-chose pour son travail de lobbying, afin que les dirigeants politiques créent des lois facilitant l’expansion de ses activités. Plusieurs fois, ses responsables ont revendiqué, à l’interne, le fait d’opérer dans l’illégalité (« We’re just fucking illegal », écrivait par exemple à l’interne un dirigeant de la société). Travis Kalanick a aussi estimé, en interne, qu’il était justifié d’envoyer des chauffeurs Uber à une manifestation en France, les exposant à des risques de violence de la part d’opposants en colère appartenant au secteur des taxis : « Je pense que ça en vaut la peine. La violence garantit le succès », avait écrit le directeur.
Les Uber Files mettent aussi à jour le travail considérable de lobbying effectué en France, lorsque Emmanuel Macron était ministre de l’économie. Selon The Guardian, l’actuel président avait secrètement aidé l’entreprise en France, permettant à Uber un accès fréquent et direct à lui-même et à son personnel. Emmanuel Macron semble s’être mis en quatre pour aider Uber, selon le quotidien britannique, allant jusqu’à dire à l’entreprise qu’il avait négocié un « accord » secret avec ses opposants au sein du cabinet français. Aux Etats-Unis et dans plusieurs pays européens, les « Uber Files » dévoilent ce travail considérable de lobbying.
Les « kill switch », si utiles
Il faut mentionner aussi les « kill switch », des dispositifs permettant de débrancher immédiatement les ordinateurs des serveurs. Un outil très utile pour rendre quasiment inoffensive les perquisitions de la police chez la multinationale. « Pendant près d’un an, alors qu’Uber se développait dans le monde entier, la société a utilisé ce « kill switch » à de nombreuses reprises pour empêcher la police d’accéder à des informations sensibles, écrivait dimanche soir France Info. Cela a été le cas lors de perquisitions conduites par la police en France, mais aussi au Canada, aux Pays-Bas, en Belgique, en Inde, en Hongrie et à Hong Kong. »
En 2016, Travis Kalanick a rencontré à plusieurs reprises Joe Biden, alors vice-président de Barack Obama. Dont une fois à Davos lors du Forum économique mondial. Joe Biden est alors en retard. Le directeur d’Uber s’impatiente : « J’ai demandé à mes collaborateurs de lui faire savoir que chaque minute de retard équivaudrait à une minute de moins qu’il aura avec moi », s’emporte Travis Kalanick. Il charme ensuite Joe Biden. Celui-ci « semble si impressionné qu’il modifie son discours pour vanter les mérites du patron d’Uber », raconte France Info.
« Pas d’excuses »
Confronté à ces révélations, Uber a publié la déclaration suivante : « Nous n’avons pas cherché et ne chercherons pas d’excuses pour un comportement passé qui n’est manifestement pas conforme à nos valeurs actuelles. Au lieu de cela, nous demandons au public de nous juger sur ce que nous avons fait au cours des cinq dernières années et sur ce que nous ferons dans les années à venir. »