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Japon - Shinzo Abe, exécuté récemment, aimait la guerre

vendredi 15 juillet 2022, par anonyme (Date de rédaction antérieure : 15 juillet 2022).

Shinzo Abe : Un visionnaire controversé

https://www.investigaction.net/fr/s…

11 Juillet 2022

M. K. Bhadrakumar

Source originale : Indian Punchline 10 juillet 2022

Traduit de l’anglais par GL pour Investig’Action

Photo : CJCS – CC 2.0

Les circonstances tragiques de la mort de Shinzo Abe ne doivent pas transformer les nécrologies en éloges funèbres, explique M.K. Bhadrakumar. Il rappelle en effet que l’ancien Premier ministre japonais avait modifié la Constitution sans consultation populaire pour rompre avec la tradition pacifiste qui prévalait depuis la Seconde Guerre mondiale. Abe était également un fervent partisan de l’expansion de l’OTAN en Asie. Le tout dans un contexte de tensions croissantes avec la Chine. Ce qui ne l’empêchait pas de jouer sur plusieurs tableaux… (IGA)

Lorsque des hommes politiques meurent, surtout s’il s’agit d’une mort prématurée dans des circonstances tragiques, les nécrologies ont tendance à en faire trop. Le sens des perspectives se perd lorsque les nécrologies deviennent des éloges funèbres. Mais on ne peut pas falsifier l’Histoire. Et en dernière analyse, ce sont bien les forces de l’Histoire qui écrivent le cours de la politique plutôt que les individus. C’est un fait, le Japon a un passé macabre, un passé impérial sanglant et brutal.

Presque tous les voisins du Japon ont payé le prix fort pour ses ambitions hégémonistes et sa soif de conquêtes territoriales. Le grand-père de Shinzo Abe, qui a fondé le parti au pouvoir au Japon, était lui-même un criminel de guerre.

À l’encontre des peuples conquis, notamment les peuples coréen et chinois, le Japon a commis des crimes innommables, même selon les normes du colonialisme. Par conséquent, lorsque l’héritage d’Abe sera évalué de manière impartiale – ça finira par arriver un jour – ce qui pourrait bien ressortir comme sa contribution la plus remarquable, c’est qu’il a sommairement retourné le Japon « pacifiste » et l’a ramené malgré lui à son passé « militariste ». Cela ne fait aucun doute.

Quelles seront les répercussions politiques en Asie et sur l’économie du Japon à moyen et long terme ? Pour l’heure, la question reste en suspens de manière troublante. De fait, Abe n’a pas cherché à avoir le soutien de ses concitoyens pour modifier la Constitution, il craignait que la nation n’adhère pas à son programme.

Nous ne savons pas ce qui a poussé le jeune assassin à commettre un crime aussi abominable, mais le fait qu’il se soit rendu suggère qu’il était un homme aux convictions fortes et que le meurtre était loin d’être un acte impulsif. Et cela nous rappelle qu’Abe était une figure controversée au Japon.

Le programme de réformes d’Abe a creusé le fossé entre les riches et les pauvres et a alimenté le mécontentement social. Par ailleurs, son abandon du « pacifisme » japonais n’a pas fait l’objet d’un consensus national. Le populisme d’Abe a masqué son véritable programme. Son recours aux instincts les plus bas, tels que les préjugés raciaux et ethniques, ainsi que sa manipulation des médias et la suppression de la liberté de la presse, ont porté atteinte aux fondements démocratiques du Japon.

Il convient donc de remettre en question sa « vision », comme ses admirateurs ont tendance à l’appeler. Franchement, Abe est devenu un polariseur de l’opinion mondiale. Pour dire les choses simplement, les sinophobes monolithiques commencent à l’idolâtrer et, dans la foulée, oublient son héritage boiteux sous un déluge d’émotions.

La troïka de la Quadrilatérale a elle-même utilisé une expression accrocheuse dans son étrange nécrologie. Elle a fait l’éloge d’Abe en le présentant comme un « leader transformateur pour le Japon » et s’est discrètement arrêtée là. La troïka de la Quadrilatérale a raison d’estimer qu’Abe « a joué un rôle formateur dans la fondation du partenariat quadrilatéral et [qu’il] a travaillé sans relâche pour faire avancer une vision partagée d’un Indo-Pacifique libre et ouvert« . Il était en effet un ardent défenseur de la stratégie d’endiguement de la Chine.

Mais Abe était aussi un maître de la langue de bois. Il a non seulement contribué de manière significative à améliorer les relations du Japon avec la Chine, mais il a même exprimé publiquement sa volonté de coopérer avec le projet des « Nouvelles routes de la Soie » ! Pourtant, le Quad a été presque entièrement construit sur la base de la relation qu’Abe a établie avec le Premier ministre Modi, avec lequel il partageait une profonde défiance à l’égard de la Chine.

Quoi qu’il en soit, la politique indopacifique du Japon s’est depuis transformée en une vigoureuse volonté d’accélérer l’entrée de l’OTAN en Asie. Il n’en reste pas moins que, tout au long de son histoire, le Japon a toujours cherché avec ténacité à maintenir son autonomie dans le système international. Reste donc à voir comment cette contradiction sera résolue. Il est clair que le Japon a du mal à s’habituer à son statut, derrière la Chine, dans la dynamique du pouvoir en Asie. Il a besoin du soutien de l’OTAN pour faire jeu égal avec Pékin.

Abe, sans aucun doute, était un ami proche de l’Inde. Sa sympathie remonte au gouvernement de Manmohan Singh. Mais il est difficile de savoir dans quelle mesure l’Inde adhère à cette nouvelle dimension de la stratégie indopacifique du Japon qui vise à créer une « OTAN asiatique ». Traditionnellement, l’Inde n’a jamais eu une mentalité de bloc. En outre, la stratégie quadripartite ou indopacifique ne doit pas non plus être assimilée à la stratégie indienne de l’Act East Policy.[1]

Avec ses neuf années en poste, Abe tient le titre du Premier ministre japonais ayant servi le plus longtemps. C’est largement dû à son charisme, à la force de sa personnalité et à son formidable talent politique. Mais que ce soit avec son ambitieux programme de réformes internes « Abenomics » ou l’augmentation des dépenses publiques et la politique monétaire très souple visant à relancer l’économie stagnante du Japon, Abe laisse un héritage plutôt inégal pour l’avenir du pays. La dette du Japon a augmenté de façon spectaculaire et les réformes d’Abe ont effectivement affaibli le yen.

Avec une économie entravée par une faible productivité, une population vieillissant rapidement et un marché du travail rigide, la promesse de remodeler l’économie s’est avérée intenable. En outre, la COVID-19 a ruiné les bénéfices à court terme qu’avaient apportés les Abenomics, tels que le boom du tourisme, la relance de la croissance et l’augmentation de la disponibilité des emplois. À l’avenir, la mort d’Abe pourrait inciter l’extrême droite japonaise à promouvoir des objectifs politiques populistes, xénophobes, voire extrémistes.

Les deux géants voisins du Japon, à savoir la Chine et la Russie, coordonnent de plus en plus leur présence sécuritaire en Extrême-Orient. Ces deux grandes puissances s’opposeront au partenariat du Japon avec l’OTAN, quoi qu’il en coûte, et cela pourrait devenir le point saillant de la géopolitique de l’Asie-Pacifique dans la période à venir. Moscou a ouvertement accusé le Japon de tendances revanchardes à l’égard des îles Kouriles, tendances qui constituent une menace pour la sécurité et la stabilité régionales.

Si le prestige des États-Unis et de l’OTAN subit un coup fatal en Ukraine, ce qui semble probable, les objectifs politiques et stratégiques du Japon perdront de leur force. En attendant, le Premier ministre Kishida fait feu de tout bois pour donner de l’élan aux liens du Japon avec les grandes puissances européennes – en particulier avec l’Allemagne, avec laquelle le Japon avait autrefois une alliance connue sous le nom de Pacte anti-Comintern (1936) et fondée sur les préoccupations communes de l’Allemagne nazie et du Japon impérial confrontés à l’ascension de la puissance soviétique sous Joseph Staline.

Le chancelier Olaf Scholz et Kishida se sont récemment rendus l’un après l’autre dans leurs capitales respectives pour renouveler ce lien historique dans les circonstances actuelles. De toute évidence, le départ d’Abe intervient à un moment où le Japon pourrait se trouver au carrefour de la politique asiatique et de l’ordre mondial.

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