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Canicule : en prison, les détenus cuisent

mercredi 3 août 2022, par anonyme (Date de rédaction antérieure : 3 août 2022).

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3 août 2022 à 10h11 Mis à jour le 3 août 2022 à 11h47

Alexandre-Reza Kokabi

Déjà infâmes en temps normal, les conditions de vie dans les prisons françaises prennent un tournant infernal en période de canicule. Des détenus témoignent pour Reporterre.

Des chambres surpeuplées et mal aérées, le sommeil perturbé, des tensions qui flambent… Pendant les vagues de chaleur, les détenus cuisent en prison. « On passe nos journées et nos nuits à suffoquer. C’est une double peine pour nous », déplorent Jérémie et Alexandre, détenus à la prison de Roanne (Loire), joints par téléphone.

Dans le huis clos de leur cellule, ils décrivent — parfois à voix basse, pour éviter d’attirer l’attention des surveillants — leur vie « sous la fournaise ». Ils soutiennent qu’ils « étouffent », écrasés dans « des murs de béton qui absorbent la chaleur le jour et la restituent la nuit ». L’air ne circule pas, faute de pouvoir ouvrir en grand une fenêtre obstruée par des caillebotis en acier et de « faire courant d’air » en ouvrant une porte qui reste désespérément fermée.

Les « ventilos », vendus « trois fois trop chers » que dans le commerce, « brassent de l’air ». Le frigo, « fatigué », vient de lâcher : une tannée dans une prison où l’eau courante est « en permanence tiède ». Alors, Jérémie et Alexandre tentent de faire avec les moyens du bord : « On mouille le sol et nos serviettes, ou on fabrique des "pschitt, pschitt" avec une bouteille d’Ajax, explique Jérémie. Il ne nous reste que la débrouillardise. » Mais pour se dérober aux fortes températures, « en prison il n’y a pas d’échappatoire », résume-t-il.

« Il n’y a pas un légume ou un fruit frais »

En dehors des cellules, la détention est tout aussi pénible. Les promenades se déroulent « sous le cagnard, de 14 h 15 à 15 h 30, quand le soleil est au zénith ». Les espaces accessibles aux prisonniers sont goudronnés, sans l’ombre d’une plante. « L’administration [pénitentiaire] pense certainement qu’on va prendre des branches pour se taper dessus, et creuser dans la terre pour s’évader… » maugrée Alexandre.

Le terrain de football, constitué d’un tapis synthétique recouvert de sable, est brûlant. Et à la cantine, point de réconfort. Les plats proposés, « trop consistants, comme le lapin mangé ce midi, ballonnent le ventre ». « Il n’y a pas un légume ou un fruit frais à se mettre sous la dent », dit Jérémie.

Quant à l’atelier où Alexandre travaille, il a été aménagé « sous la tôle, où le ressenti est à 60 °C, sans un frigo où stocker une bouteille d’eau pour se rafraîchir ». À la fin d’une journée au turbin — à fabriquer différentes pièces mécaniques pour une paye largement inférieure au Smic —, « la tête tourne ». Dans cette ambiance les codétenus, victimes de malaise, « tombent les uns après les autres ».

Les nuits, elles, ne sont pas réparatrices. Hormis aux aurores, où se diffuse « un soupçon de fraîcheur », dormir correctement se révèle « mission impossible ». C’est généralement le moment où les esprits s’échauffent. « Les uns tournent en rond, râlent ou écoutent de la musique, et réveillent les autres, raconte Jérémie. Ça crée de vraies tensions qui se règlent le jour. L’été, beaucoup de détenus explosent et finissent au mitard [1] ».

La prison des Baumettes, à Marseille : du bitume où il est très dur de créer des courants d’air.

Les faits relatés par Jérémie et Alexandre ne sont pas isolés. Et encore : eux ne sont « que » deux dans leur chambre. Or, quand les vagues de chaleur déferlent, une grande partie des 71 000 détenus de France les affrontent entassés les uns contre les autres. « Les fortes chaleurs viennent aggraver une situation préexistante déjà indigne : les prisons françaises sont surpeuplées », dénonce Odile Macchi, responsable du pôle enquête de l’Observatoire international des prisons (OIP). « Imaginez-vous, à 40 degrés, vivre à trois ou quatre dans une cellule de neuf mètres carrés, vingt-deux heures sur vingt-quatre, partager des toilettes non cloisonnées, sans intimité, dormir sur un matelas posé au sol, vivre parmi les cafards et les puces de lit, entre quatre murs mal isolés. C’est ce que de nombreux détenus vivent en ce moment. »

Surpopulation, indignité, condamnations

Quarante-deux établissements ont, à ce jour, été condamnés par la justice administrative française en raison du trop grand nombre de détenus qu’elles enferment. Le 30 janvier 2020, la France a également été sanctionnée par la Cour européenne des droits de l’homme pour l’indignité de ses prisons. Malgré ces jugements, la surpopulation des établissements français bat toujours des records : au 1ᵉʳ juillet, le taux d’occupation moyen des maisons d’arrêt [2] était de 140,7 % et dépassait les 150 % dans cinquante-trois prisons. Cinq affichaient même un taux égal ou supérieur à 200 % : Perpignan (215,8 %), Carcassonne (214,1 %), Bordeaux-Gradignan (212 %), Nîmes (207,5 %) et Foix (200 %).

Dans la plupart des cas, les infrastructures n’ont pas été « pensées et aménagées pour faire face à des températures extrêmes », précise Odile Macchi. Quelques exemples : à la maison d’arrêt de Nîmes, ville au climat méditerranéen, « il n’y a aucune isolation thermique ni système d’aération ». Au centre pénitentiaire des Baumettes, à Marseille, suite aux doléances des riverains, le ministère de la Justice a décidé de remplacer les 117 fenêtres des trois étages supérieurs du quartier des femmes par des fenêtres « anti-bruit ». Résultat : « Seule une partie étroite peut s’ouvrir et dans les cellules orientées au sud, la chaleur est insupportable », dit Odile Macchi.

L’Observatoire international des prisons a réalisé cette carte des établissement français condamnés pour leurs conditions indignes de détention. Observatoire international des prisons-section française

D’autres établissements sont en état de délabrement, comme à Bois-d’Arcy, où « les systèmes électriques sont défaillants, alors certains détenus ne peuvent avoir de frigos ». La situation est désespérée à la maison d’arrêt des hommes du centre pénitentiaire de Bordeaux-Gradignan, où Dominique Simonnet, la contrôleuse générale des lieux de privation de liberté, a estimé le 13 juillet dernier qu’« eu égard à l’état du bâti […], l’hébergement d’êtres humains devrait y être proscrit ».

Elle rapportait des températures très chaudes l’été et très froides en hiver, « les fenêtres ne fermant pas correctement, voire pas du tout dans le bâtiment B où la plupart des vitrages en plexiglas ont été ôtés pour assurer un minimum de circulation d’air ». Les personnes détenues doivent parfois s’abstenir de douche pendant 72 heures. Une « contrainte majeure pour trois détenus enfermés dans moins de 8 m2 et parfois soumis à des températures caniculaires », a-t-elle insisté.

Entraves aux soins

Dominique Simonnet a également identifié des entraves majeures dans l’accès aux soins de la population pénale. À Bordeaux-Gradignan, « l’équipe de l’unité sanitaire est dimensionnée pour dispenser des soins à une population carcérale théorique de 430 personnes détenues mais doit en réalité prendre en charge plus du double, à effectif constant », « les agents de surveillance sont trop peu nombreux et trop peu disponibles pour accompagner les détenus vers l’unité médicale », indiquait-elle notamment. « Ce constat est malheureusement très répandu dans les prisons françaises, où les populations sont pourtant de plus en plus âgées et dépendantes », observe Odile Macchi.

Selon un rapport publié par l’Observatoire international des prisons le 6 juillet dernier, l’accès aux soins spécialisés — comme la pneumologie pour les personnes asthmatiques, particulièrement sensibles à la chaleur — s’avère très périlleux, voire impossible. S’y ajoutent des conditions matérielles difficiles pour les soignants comme pour les patients, avec des locaux inadaptés et mal équipés. Enfin, les dispositifs pour permettre la remise en liberté des personnes dont l’état de santé n’est pas compatible avec la détention sont en pratique très peu utilisés.

« La prison nous met en danger »

« Nous sommes emprisonnés avec des gens qui ont besoin d’être soignés et souffrent de la chaleur, des personnes à la mobilité réduite, des hommes qui ont jusqu’à quatre-vingt-dix ans et qu’on retrouve complètement déshydratés… Rien n’est fait. La prison nous met en danger », alertent Jérémie et Alexandre, marqués par le malaise d’un codétenu un peu plus tôt dans l’été. « Après avoir été secouru, il a été remis en cellule illico. On lui a juste conseillé… d’aérer la pièce. C’est du foutage de gueule… » soupire Jérémie.

Reporterre a contacté l’administration pénitentiaire par téléphone et par courriel, le lundi 1ᵉʳ août. Nos questions sont restées sans réponse. Néanmoins, nous nous sommes procurés une lettre transmise, le 7 juillet 2021, par la direction de l’administration aux directeurs interrégionaux des services pénitentiaires. Celle-ci contient la « nouvelle doctrine de gestion sanitaire des vagues de chaleur », destinée à « préparer et gérer les impacts sanitaires des vagues de chaleur et protéger les populations », « notamment les plus fragiles ». Parmi les directives évoquées : « favoriser plus des trois douches hebdomadaires réglementaires », « éviter les tours de promenade ou les activités extérieures de 12 h à 15 h », ou veiller à ce que les repas distribués « soient adaptés à la saison ». « Les témoignages que nous recevons à l’OIP montrent que ces mesures ne sont généralement pas respectées », dénonce Odile Macchi.

Dans un rapport publié enjuin 2022, l’OIP et Amnesty International soutiennent des solutions de salubrité plus radicales, comme la mise en place d’un plan national d’action contre la surpopulation et le renoncement aux programmes d’extension du parc pénitentiaire.

La prison de Carcassonne est occupée à plus de 214 %. CC BY-SA 3.0 / Андрей Романенко / WIkimedia Commons

« La pandémie de Covid-19 nous a montré qu’avec un peu de volonté politique, tout était possible », dit Cory Le Guen, journaliste indépendant spécialisé dans les questions carcérales. Craignant une propagation de l’épidémie en prison, le ministère de la Justice avait publié le 25 mars 2020 une ordonnance pour favoriser certaines libérations anticipées. En particulier celles des personnes condamnées à une peine de moins de 5 ans et qui n’avaient plus que deux mois de détention à effectuer.

« Face à la répétition d’évènements climatiques extrêmes, on pourrait faire pareil, et imaginer de désengorger durablement les prisons, poursuit Cory Le Guen. Cela pourrait passer par la dépénalisation de certains délits, comme la légalisation du cannabis, et le développement de mesures non privatives de liberté. » La France s’inscrirait alors dans une dynamique européenne, puisqu’à l’échelle de l’UE elle est le seul pays qui voit sa population carcérale augmenter.

« L’aspect sécuritaire et le tout carcéral dominent et accaparent tous les moyens »

L’OIP et Amnesty International militent aussi pour une révision des priorités budgétaires en faveur de l’amélioration de la prise en charge des détenus et de leurs projets de réinsertion. Ce n’est pas la direction empruntée : pour 2022, le budget dévolu à la prévention de la récidive et à la réinsertion était seulement de 90 millions d’euros, soit dix fois moins que celui alloué à la construction de nouvelles prisons. « Ce sont l’aspect sécuritaire et le tout carcéral qui dominent et accaparent tous les moyens », regrette Cory Le Guen.

Pour lui, les vagues de chaleur jettent une lumière crue sur « la difficulté, en France, à penser à l’humain en détention. C’est un sujet de société important, car pour l’instant, les conditions de vie des prisonniers les empêchent de se concentrer sur leur projet de retour à la société. Ce devrait pourtant être le but premier de la prison. Puisque tôt ou tard, la très grande majorité reviennent vivre en société. »

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