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Au Liban, pour avoir son propre argent il faut braquer la banque !

mercredi 21 septembre 2022, par anonyme (Date de rédaction antérieure : 21 septembre 2022).

Épidémie de braquages hors norme dans les banques libanaises

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31 septembre 2022

Assawra

Plusieurs clients armés ont fait irruption dans leurs établissements financiers, qui restreignent depuis deux ans l’accès à leurs économies

La colère, longtemps étouffée, explose. Cinq actions coups de poing ont été menées par des déposants, vendredi 16 septembre 2022, contre des banques, à Beyrouth et dans d’autres localités libanaises. Muni d’une arme factice, d’un véritable revolver ou d’un fusil de chasse, chacun de ces clients a fait irruption dans son agence bancaire pour réclamer son propre argent. Cette série de braquages est de mauvais augure pour les dirigeants politiques et financiers, qui parient, afin de sortir leur épingle du jeu de la gravissime crise au Liban, sur la prostration d’une population épuisée et inquiète d’un chaos généralisé.

Le profil des cinq hommes, dont les péripéties ont tenu en haleine le pays, est varié ? : chauffeur de taxi, commerçant, policier… Deux jours plus tôt, deux assauts similaires se produisaient. Lors de l’un d’entre eux, une architecte d’intérieur, Sali Hafez, a obtenu plusieurs milliers de dollars, destinés aux soins de sa sœur, malade du cancer. Ces images ont fait le tour de la Toile.

Des activistes ont reconnu avoir coordonné l’opération avec la jeune femme. Mais nul n’a revendiqué la planification des braquages de vendredi. L’une de ces confrontations a échoué  : à Beyrouth, Abed Soubra, commerçant criblé de dettes, est ressorti sans un sou de la succursale bancaire, au terme de longues heures. Il a été arrêté.

Plusieurs quotidiens locaux voient dans ces gestes radicaux le début d’une «  révolution  » des déposants contre les banques. Depuis l’automne 2019, date du dévoilement au grand jour de la banqueroute du Liban, les établissements financiers ont multiplié, sans aucun cadre légal, les restrictions draconiennes à l’encontre de leurs clients ordinaires. Ces derniers n’ont accès qu’au compte-gouttes à leurs économies, dont la valeur s’est effondrée.

Les disputes verbales entre épargnants et employés de banque sont régulières. Mais, jusqu’aux récents braquages, seuls deux Libanais avaient pris en otage les salariés, avec arme et bidon d’essence, pour exiger leurs fonds ? : l’un parce qu’il était endetté, l’autre pour soigner son père.

«  Le risque de dérapage existe  »

Les banques du pays se barricadent derrière des panneaux de métal. Vendredi, elles ont dénoncé des «  attaques répétées  » et annoncé, en réaction, leur fermeture pour trois jours. Certaines ont averti leurs clients qu’ils devront désormais obtenir un rendez-vous pour accéder aux guichets. La série de braquages inaugure-t-elle une nouvelle ère, plus violente ?? «  Le risque de dérapage existe , considère Fouad Debs, avocat et cofondateur de l’Union des déposants, une association qui défend des plaignants face aux banques. C’est le résultat de la violence économique et sociale à laquelle sont, depuis trois ans, soumis les Libanais par l’oligarchie politico-financière.  »

L’épidémie de hold-up hors norme se produit sur fond d’aggravation de la crise. La livre libanaise a repris sa plongée face au dollar sur le marché noir. A cela s’ajoute une flambée des prix. Responsables politiques et financiers refusent toujours d’assumer la paternité du désastre. « ?La clique des banquiers et des politiciens a sabordé tout plan de redressement juste, depuis 2019. Ils ne veulent pas débourser un sou. Pour eux, c’est à la population et à l’Etat, dont ils entendent privatiser les ressources restantes, de régler l’ardoise. C’est un sabotage délibéré ? » , tempête Fouad Debs.

Craignant un risque de «  chaos total  » , le gouvernement sortant a annoncé, vendredi, un renforcement des mesures sécuritaires autour des banques. «  Le ministre de l’intérieur [sortant, Bassam Mawlawi] nous dit qu’il faut respecter la loi. Mais de quelle loi parle-t-il  ? Le travail de toute une vie, celui des épargnants, a été volé, et la justice libanaise est du côté des puissants [les plaintes de clients ont le plus souvent échoué ou ont été paralysées]   » , s’agace Alaa Khorchid, à la tête du Cri des déposants. Des militants de ce collectif ont accompagné Sali Hafez, mercredi, lors de son braquage. D’autres ont manifesté, vendredi, devant l’une des banques prises d’assaut.

Selon Alaa Khorchid, les inégalités de traitement entre déposants exacerbent la colère, d’autant que les initiés ont fait sortir à temps leur argent du pays, aggravant l’ampleur de la crise. « ?Des pays, comme la France, disent qu’ils veulent aider le Liban. Mais que font-ils contre les filiales des banques libanaises sur leur sol, contre l’argent volé placé dans d’autres établissements ??? » , accuse-t-il.

Jusqu’à maintenant, les braquages insolites ont bénéficié de la sympathie d’une grande partie de la population. Mais des Libanais redoutent que leur épargne soit entièrement gelée si ces opérations se poursuivent. D’autres s’inquiètent d’une extension de l’insécurité  : des fusillades, sans lien avec les banques, se sont récemment succédé.

«  Les actions individuelles pour obtenir son argent sont le signe d’un ras-le-bol. Elles ne sont pas la solution. Mais leur multiplication va amener l’oligarchie politico-financière à négocier et à accepter un règlement plus juste pour la population que les plans actuellement dans les tuyaux  » , estime Fouad Debs.

Laure Stephan
Le Monde du 20 septembre 2022

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