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Esthétique(s) du conspirationnisme

samedi 24 septembre 2022, par Guillaume Basquin (Date de rédaction antérieure : 24 septembre 2022).

Guillaume Basquin, 24 septembre 2022 :

Le philosophe et écrivain Mehdi Belhaj Kacem, auteur du remarquable « Collaricocovirus », s’est fendu d’un remarquable article en partie sur mon livre dit « L’Histoire splendide » dans Kairos.

Il y parle de 2 autres livres (dont celui de Salim Laïbi), et de la revuu « Ligne de risque » n•3, contre l’infâme politique de Macron…

Guy Debord sur la société du spectacle : Ce dont le Spectacle peut cesser de parler pendant trois jours est comme ce qui n’existe pas. Car il parle alors de quelque chose d’autre, et c’est donc cela qui, en somme, existe. (Le présent perpétuel)

Mehdi Belhaj Kacem : Désormais, tout ce qui se créera d’important, en littérature comme ailleurs, se fera, jusqu’à ce qu’un événement d’ampleur mondiale nous libère, dans la clandestinité.

Kairos - Notre rentrée littéraire

https://www.kairospresse.be/notre-r…

23 septembre 2022

Mehdi Belhaj Kacem

« Seuls les hommes libres sont très reconnaissants les uns envers les autres. » Spinoza

Force est d’en convenir : la plupart des blogs de la résistance (les « complotistes », comme le disent les innombrables officines de la CIA implantées en occident pour encadrer la quasi-totalité des médias grand public), sont souvent très mal écrits. Mon explication, à ce sujet, est d’une désarmante simplicité : Dieu (si vous me passez l’expression) ne fait pas acception de personnes. Ceux qui sont frappés par la grâce de la vérité ont gagné à la loterie, point. Il leur a été donné de toucher du doigt de quelle vérité politique profonde était issue notre époque apocalyptique ; peu importe alors de quelle extraction on procède, on doit participer au dévoilement de cette vérité. On n’a tout simplement pas le choix : il s’agit d’une tâche, d’une vocation à laquelle on ne peut pas couper. Bien des gens cultivés, érudits, diplômés, etc., n’auront rigoureusement rien compris à la crise que nous traversons depuis deux ans et demi ; et bien des gens modestes, à l’orthographe ou à la syntaxe hésitante, « roturiers » comme aurait dit Kant pour illustrer la notion de « respect » (en gros : une grosse tête érudite qui fait le contraire de ce qu’il dit ne mérite que mépris, un paysan inculte qui obéit au doigt et à l’œil à la loi morale force en nous le respect), ont parfaitement compris de quoi il retournait. La vérité parle par leur bouche, peu importe que le langage soit maladroit.

Dieu merci (si vous me passez donc l’expression), il y a aussi dans la résistance des talents de plume considérables, et même du génie. On verra que c’est peu de le dire. Comme l’écrivait à peu près (car je cite de mémoire) Nerval, la République des lettres est la seule qui doive être teintée d’aristocratie : car on ne contestera jamais celle de l’intelligence et du talent. La preuve (roborative) tout de suite.

Mais avant d’entrer immédiatement en matière, signalons que l’intitulé du présent article (« Notre rentrée littéraire »), ne réfère à aucune « actualité » stricte. Tous les ouvrages dont je vais rendre compte ont parus cette année, mais plutôt avant l’été. Voilà qui est salutaire : s’il y a quelque chose qui, depuis plus d’un demi-siècle, nous a prédisposés à assister sans moufter à l’installation d’un totalitarisme dont ceux du vingtième siècle n’étaient que les antipastis, c’est l’un des prédicats principaux que Debord attribuait à la société du spectacle : ce qu’il appelait « le présent perpétuel ». “Ce dont le Spectacle peut cesser de parler pendant trois jours est comme ce qui n’existe pas. Car il parle alors de quelque chose d’autre, et c’est donc cela qui, en somme, existe.” Dans l’insipide monde des gensdelettres français, c’est tout à fait pareil : un « événement littéraire » ne cesse d’en chasser un autre, et, de tout le cirque médiatique qui recouvre depuis un demi-siècle toute vie intellectuelle authentique, il ne reste jamais rien. Suppléments de quotidiens, folklore des prix, tournées médiatiques… Tout est fait pour que des écritures réellement singulières, novatrices, ne surgissent jamais, et laissent place à des livres presque totalement standardisés et aseptisés, ceux qui font ce qu’on appelle si précisément « l’actualité ».

Les deux années et demie qui viennent de s’écouler ont donc officialisé ce que je pressentais depuis longtemps : désormais, tout ce qui créera d’important, en littérature comme ailleurs, se fera, jusqu’à ce qu’un événement d’ampleur mondiale nous libère, dans la clandestinité. Et c’est, somme toute, très bien comme ça : en temps de coercition consensuelle absolue (je dis toujours que le consensus, c’est quand les cons nous sucent le sang), de totalitarisme new look, la liberté et la souveraineté sans laquelle aucune création digne de ce nom n’est possible se doivent de vivre cachées, pour vivre heureuses. Et, par rapport au rouleau compresseur du « présent perpétuel », creuser en sous-sol sociétal une autre temporalité, qui échappe à la sacro-sainte « actualité du jour ».

Et le moindre luxe permis par une telle hygiène temporelle est que, parmi les centaines de livres et les quelques dizaines de revues que j’ai pu lire sur le sujet qui nous concerne (le « Covid », what else ?), on peut à la longue trier sur le volet, et ne sélectionner que le tout meilleur, la crème de la crème, les VIP littéraires de la résistance. On voit alors se dessiner avec émerveillement une véritable culture alternative, une sorte d’underground aristocratique, avec des plumes toutes plus incisives, originales, enthousiasmantes les unes que les autres. J’ai donc choisi ici de faire la chronique de trois livres, et d’une revue.

Je commencerai par le livre incontestablement le plus littéraire de tous ceux dont je vais parler. Il s’agit d’un certain Guillaume Basquin, auteur de plusieurs essais (sur le cinéma, sur des écrivains cultes comme Jean-Jacques Schuhl ou Jacques Henric), d’un premier « roman » qui n’a rien d’un roman (Livre en papier), directeur des éditions Tinbad (où le livre est publié, 2022 donc) et d’une revue éponyme (que je n’ai pas encore pu consulter) et spécialiste de Joyce (et de beaucoup d’autres choses, comme on va voir).

Le livre s’intitule : L’histoire splendide. De quoi s’agit-il ? Laissons parler le principal intéressé, dans le quatrième de couverture : « L’histoire splendide est (…) le titre d’un projet de livre abandonné par Arthur Rimbaud. » Lequel « passait ses journées à lire et écrire au British Museum », pour faire de ce livre « la véritable Histoire, littéralement et dans tous les sens », la dernière phrase est de Rimbaud lui-même. Basquin, dans ce noble sillage, se propose donc de « raconter de façon la plus polyphonique possible les dessous réels de l’Histoire, sur plus de quarante siècles, jusqu’à l’accident global des communications instantanées que fut la crise du coronavirus, tout en mélangeant les langues de façon babélienne ».

Excité par cet alléchant programme, on ouvre donc le livre. La dédicace qui zèbre la toute première page n’y va pas par quatre chemins, et sonne un peu comme le « Vous qui entrez, laissez toute espérance » qui ouvre La divine comédie de Dante : « Pour mes amis complotistes, pas pour le public. » On continue, et voilà qu’on se trouve face à une distorsion radicale de la syntaxe, des règles typographiques, de la ponctuation courante, etc. : « j’imagine le début d’un livre / au commencement n’était ni le verbe ni l’émotion ni le sexe : au commencement était le foutre ! & le foutre était en l’hom’ ». Nous voilà sur les chapeaux de roues. D’emblée se télescopent des références qui reviendront tout du long de ce livre-monstre : le rythme de Céline, les syncopes verbales de Guyotat. Mais nous rencontrerons bien d’autres références dans ce texte-tourbillon : Dante, Rimbaud, Guyotat et Joyce bien sûr, la Bible, les auteurs grecs et romains, Hegel, Marx, Villon, Shakespeare, Sade, Chateaubriand, Lautréamont, Nietzsche, Kierkegaard, Artaud, Debord, Sollers, Daney, Canetti, Deleuze, Beckett, Schuhl, Boccace, Proust, Orwell, Huxley, Melville, Rabelais, Cervantes, Agamben, Pasolini, Genet, Hölderlin, Foucault, Burroughs, et j’en passe.

Cette avalanche d’auteurs, à quoi Basquin n’hésite pas à se mesurer pour nous montrer qu’il n’a pas le covid des yeux, sont aussi bien abondamment cités tout du long du flot textuel torrentiel qui prend le lecteur à la gorge dès la première page : mais sans jamais les moindres guillemets, et sans la plupart du temps dire de qui est ladite phrase. C’est une sorte de blind test pour lecteur lettré, une sorte de Sollers à l’encre sympathique (Sollers a exaspéré toute une partie du public de son époque en passant son temps à citer les auteurs qu’ils lisaient ; pas moi, tant son goût dans la sélection citationnelle est exquis : c’est un érudit virtuose de la plus rare espèce, comparable seulement à Borgès). On songe surtout à Isidore Ducasse, vrai nom civique du comte de Lautréamont : « Le plagiat est nécessaire. Le progrès l’implique. » Et donc à Debord et aux situationnistes, grands lecteurs de Lautréamont : ce qu’ils appelaient le détournement, c’est-à-dire, en effet, extraire une phrase de son contexte et la placer ailleurs, comme du Marcel Duchamp textuel. Walter Benjamin, un écrivain-philosophe majeur qui reviendra à plus d’une reprise dans cet article, rêvait de faire un livre qui ne serait composé que de citations ; et Thomas Mann parlera de l’existence humaine comme étant une « vie dans la citation », ce qui était bien vu, surtout par les temps qui courent : certains préfèrent citer l’OMS, les gouvernements et les médias mainstream, d’autres préfèrent citer Rimbaud, Artaud ou Debord. Il y a de ça dans L’histoire splendide, mais en mode « transe ». Et donc je ferai la même chose en abyme : cet article sera en grande partie « citationnel » (mais avec des guillemets !). Plus généralement, je citerai énormément de passages des auteurs que je chronique, pour donner envie de les lire.

Le véritable atout fatal de L’histoire splendide, qui le rend irrésistible, c’est son rythme. Enivrant, varié, virtuose, c’est lui qui enveloppe toutes les autres immenses qualités du texte (style, encyclopédisme, lyrisme moderne, implacable lucidité sur l’époque). C’est pourquoi, plus qu’à Lautréamont, plus même qu’à Joyce, c’est au Tristram Shandy de Laurence Sterne (un classique injustement méconnu, dans les pays francophones, de la littérature anglo-saxonne) que L’histoire splendide fait penser le plus. Même allégresse constante du ton, même grâce aérienne de la phrase, même liberté digressive, même burlesque quasi psychédélique.

Le livre est découpé en cinq parties. Au commencement, la première, dont nous avons cité plus haut la phrase d’attaque, est une sorte d’autoprésentation hallucinée de l’auteur, doublée d’une exposition de son projet, résolument tourné, comme une machine de guerre, contre la marchandise franchouillarde vendue sous l’étiquette de « roman » : « se limiter à une seule histoire — une story — quelle surignominie ! » Plus loin dans le livre, Basquin dira que « le roman roman tel que le conçoivent la quasi-totalité de mes confrères — confrères entre guillemets que je ne peux rendre ici sans cette périphrase — est un genre moribond & usé par les redites — sans intérêt pour moi — fi de l’intrigue traditionnelle ! » Non, ce roman pour kiosques à journaux (c’est-à-dire du même niveau que l’indigeste paperasse propagandiste que contiennent ceux-ci), très peu pour Basquin (plus loin il écrira : « il n’y a pas de différence de fond entre un journal & un vomitif : quand on l’a dégueulé / on se sent mieux / & il n’y a pas d’autre traitement possible »). Ces romans faisant tout pour ménager le confort de leur lecteur, au sens ferroviaire de la liberté (« tu es libre d’aller où je te dis d’aller » nous dit en substance le système depuis deux ans et demi, c’est-à-dire depuis toujours), est ce que le tourisme de masse est à l’expédition en Amazonie. Non, car « rien n’est plus effrayant qu’un labyrinthe qui n’a pas de centre — ce livre est exactement ce labyrinthe ». Cette jungle amazonienne littéraire, ce véritable OVNI textuel dans le train-train éditorial courant, nous l’avons donc bel et bien sous la main. Les preuves de suite.

La seconde partie du livre s’intitule, à point nommé, « Mille romans ». Il se taille la part du lion livresque. Il est divisé, en effet, en mille fragments, dont les durées vont de quelques mots à quelques dizaines de phrases scandées, là encore sans ponctuation traditionnelle, et d’une poésie parfois presque insoutenable : « la connaissance a tué le soleil / & l’a transformé en une boule de gaz / semée de taches — la connaissance a tué la lune : ce n’est plus qu’une petite terre morte — criblée de volcans éteints comme par la petite vérole ». Ou encore : « je suis un avaleur non de sabres, mais de sabirs — je compile les mystères Égyptiens / les oracles grecs & Latins / les rites et les prédictions des druides ». Ou encore : « l’incantation est la forme originelle de la poésie — & voilà pourquoi Pierre Guyotat fut l’un des plus grands poètes du dernier demi-siècle : les soldats / casqués / jambes ouvertes / foulent / muscles retenus / les nouveau-nés emmaillotés dans les châles écarlates ». On s’y croirait, surtout par les temps qui courent…

Des pépites comme cela, vous en trouverez par centaines dans cette partie-fleuve, fractale, abyssale. Toute cette partie fait songer à un équivalent, dans l’expérience langagière, à la Descente dans le Maelström de Poe, mon poète de chevet, et que Basquin aurait parfaitement pu « détourner » dans sa symphonie métapoétique : « Le bord du tourbillon était bordé par une large ceinture d’écume lumineuse ; mais pas une parcelle ne glissait dans la gueule du terrible entonnoir, dont l’intérieur, aussi loin que l’oeil pouvait y plonger, n’était faite d’un mur liquide, poli, brillant et d’un noir de jais (…), tournant sur lui-même sous l’influence d’un mouvement étourdissant », et ainsi de suite. C’est exactement à ce genre de sensations vertigineuses que s’expose, mentalement, le lecteur de L’histoire splendide. Et il en redemande.

J’ai à dessein utilisé plus haut le mot de durées : tant la question de la musicalité, on l’aura compris, est essentielle pour comprendre la nature de ce livre. Il y a régulièrement, en miroir, un côté « Traité du style », et ce rythme nouveau qu’on rencontre dans l’écriture de Basquin est expliqué point par point, par exemple les raisons pour lesquelles il malmène la ponctuation : « la ponctuation c’est l’embrayage / l’embrayeur de l’écriture — l’équivalent des griffes du projecteur dans le système du cinématographe — ». Puis : « 243 : pour une nouvelle physique livresque : le livre sera quantique ou ne sera pas ! » Et Basquin tient totalement sa promesse : il est impossible, en un petit article, de ne serait-ce qu’effleurer la richesse poétique, sémantique, épistémologique et cognitive d’un tel livre. L’équivalent, en effet, d’une bombe quantique sur le cerveau. Pour faire la transition avec la troisième partie (et aussi la cinquième), citons le fragment 216 : « zombie vient du créole zombi qui désigne un mort sorti de sa tombe & rendu esclave d’un sorcier vaudou : ce sorcier s’appelle par exemple Bill Gates ». C’est ça, la poésie au sens fort : tout dire, en une seule phrase. Et, ici, l’entièreté d’une époque est résumée en une seule sentence fulgurant comme l’éclair.

Chose promise, chose due, mais il s’agit là de la chose la plus impossible à rendre dans un article : c’est la manière dont Basquin parvient à faire se télescoper des époques puisées dans quarante siècles de périples anthropologiques. Par exemple, fragment 57 : « pendant la crise internationale du covid-19 / rien ne fut plus médusant que l’ensemble du PC chinois masqué — la Gorgogne postmoderne nous apparut bien sous cette forme-là — bien peu furent ceux à lui opposer / comme Persée autrefois / un moderne bouclier magique : fermer tous les robinets tous les tuyaux / absolument infectés / des infos en continu ». Ou encore, encore plus dense et enchevêtré, fragment 639 : « dans Epidémies / vrais dangers & fausses alertes du Pr. Didier Raoult j’apprends ceci : la Grande armée de Napoléon / durant sa retraite de Russie / fut en grande partie décimée par une épidémie de typhus propagée par les poux — environ 30% des soldats furent infectés selon une étude rétrospective par prélèvements dans les dents des cadavres dans un cimetière de Vilnius — Raoult nous remet en mémoire un épisode de Guerre & Paix de Tolstoï où Pierre observe les soldats ennemis jetant leurs poux au feu / qui craque — comme quoi très souvent les épidémies jouent un rôle considérable dans l’Histoire / tuant la plupart du temps bien plus que les armes / de la Guerre du Péloponnèse à la Grande Guerre de 14–18 / en passant par les invasions des Amériques par nos aïeux — & si / dans cette crise du covid-19 / la Chine nous avait vaincus sans tirer une seule balle ? » Ou, en moins dense historiquement, mais encore plus édifiant pour aujourd’hui : « finalement / et après moult réflexions / la réaction mondiale au nouveau coronavirus ressemble par beaucoup d’aspects (CONfinements et masques pour tous) à la campagne dite des quatre nuisibles — rats / mouches / moustiques & moineaux — de 1958 à 1962 en Chine lorsque Mao décida la mise à mort de tous les oiseaux qui volaient dans le ciel de la République populaire de Chine & cela parce que les oiseaux du ciel volaient les grains de blé / de maïs & de riz qui appartenaient aux hommes — verbatim : nos camarades doivent tuer les oiseaux parce qu’ils sont des voleurs et personne ne vole impunément la nourriture des citoyens / je dis bien : pas même les oiseaux du ciel n’ont le droit de voler le pain des hommes & des bêtes qui travaillent / & si les oiseaux n’ont pas compris cela / eh bien on les tue tous / comme on tue les criminels — tout camarade chinois a le droit de tuer l’oiseau qui ose se poser sur le sol de la République populaire pour voler des grains — mais quand il n’y eut plus d’oiseaux en Chine pour manger les vers & les insectes / les criquets dévorèrent les récoltes & la terre de Chine ne produisit plus rien — toutes les récoltes furent compromises & il y eut une grande famine & le pays de Chine devint désolation et ruine : 30 millions de morts de faim — voilà ce qui arrive quand on voit les choses sous un seul angle — le manque de pensée dialectique & les grands bonds en avant engendrent bien souvent des monstres & produisent le Mal qu’on ne voulait pas faire ». Je contesterai simplement le dernier point : il n’est pas du tout sûr que Mao, qui tenait plus du sadique pervers que du psychotique « bien intentionné » à la Hitler ou Staline (car Hitler et Staline voulaient sincèrement le bien de leurs peuples respectifs, et donc « collent » bien davantage à la conclusion de Basquin que le cas de Mao), n’ait pas abattu cette calamité absolue, avec quelques autres (Révolution culturelle, etc.), sur son pays de manière tout à fait délibérée. En tout cas, on ne peut qu’apprécier la pertinence de la comparaison avec ce que nous endurons depuis deux ans et demi, et qui fait penser à la remarque du Pr Perronne : comme quoi, pour chasser une mouche de la chambre, nous avons mis le feu à la maison. C’est pourquoi la célèbre phrase de Mao, ânonnée à plus soif par ses groupies, « une étincelle peut mettre le feu à la plaine », m’a toujours semblé avoir été comprise à parfait contresens, comme un appel à la révolte qui, par quelque effet papillon chanceux, pourrait se transformer en insurrection. Elle m’appert plutôt être, à la rétrospection, comme le syllogisme pervers de l’exterminationnisme les plus convaincu et conscient de lui-même qui soit. Et si vous remplacez « Mao » par « Gates », vous ne pouvez plus avoir le moindre doute sur le caractère intentionné de ces politiques de la dévastation ; mais j’y reviendrai plus loin.

Faisons-nous plèze entre amis, en concluant la chronique de la partie la plus sismique du livre, la plus riche, la plus infinie (c’est un livre que je relirai régulièrement toute ma vie, comme tous les classiques), par cet hommage à la philosophie (mais Basquin peut avoir des mots assez durs à son sujet, cf. le fragment 384, je lui répondrai ailleurs), et une dédicace par procuration : « la philosophie nous enseigne à douter de ce qui nous paraît évident — la propagande / au contraire / nous enseigne à accepter pour évident ce dont il serait raisonnable de douter — Aldous Huxley — toute ressemblance avec la situation actuelle du covid-19 serait bien sûr tout à fait fortuite je dédie cette pensée à Jean-Dominique Michel ».

La troisième partie, donc. Elle s’intitule sobrement Terreur, et entend établir quelles sont les racines du Mal qui nous ronge depuis des décennies, et s’est exposé au grand jour depuis mars 2020. Il s’agit, bien entendu, de la Terreur révolutionnaire, initiée pendant la Révolution française et poursuive jusqu’à Pol Pot ou le Sentier Lumineux, en passant par le fascisme et le nazisme, pour culminer de manière absolue dans le covidisme, le covidiotisme, la covidarchie ou la covidocratie, comme on voudra bien l’appeler. Dès les premières lignes de cette partie (« depuis que le monde est monde & que les hommes s’entretuent jamais un crime ne s’est commis sans que son auteur n’ait trouvé un apaisement & ne se soit dit que c’était pour bien public — pour le bonheur supposé d’autrui — »), j’ai su que je rencontrerai les noms de non seulement Nietzsche, mais Joseph de Maistre, l’essayiste favori de Baudelaire, spécialisé dans la polémique contre la Révolution française, et styliste de tout premier plan (comme tous les auteur(e)s dont je parle ici). Bingo.

En tant que philosophe, j’aime dans l’art (littérature, musique, peinture, cinéma…) la force de me déporter violemment hors de ma zone de confort, pour regarder voir si mes conceptions conceptuelles sont assez robustes pour résister à de telles expériences. Je le dit en passant, car cette troisième partie est incontestablement la plus philosophique du livre.

Les aperçus sont en tout cas fulgurants : « c’est au nom de Jean-Jacques Rousseau qu’on a fini par couper le cou des jeunes prêtres & de jeunes nobles enthousiastes c’est au nom de Karl Marx que la dictature stalinienne a fait couler des torrents de sang ouvrier — & c’est au nom des boomers qu’on a détruit un an de vie de notre jeunesse en 2020–21 ». Soit ! Diagnostic impeccable, et sans appel. Mais il n’est pas à exclure qu’on ait fait dire à Rousseau ou à Marx (comme, par exemple, à Darwin) pas mal de choses qu’ils n’ont jamais dites. On y reviendra en son lieu. Ce qui compte ici, c’est la transition vers le dénouement du livre, la « crise sanitaire » : « il ne semble plus rester que la Terreur pour nous obliger à penser qu’il se passe encore quelque chose & voilà pourquoi le covid-19 a tant occupé les pages des médias : la Terreur sanitaire est le dernier combat entre les hommes ».

On approche donc du dénouement, moyennant un « entracte » (Pourquoi j’écris de si bons livres, « détournement » là encore d’un chapitre de l’Ecce homo de Nietzsche), une quatrième partie qui tient en deux pages : la cinquième partie, intitulée « Journal de CONfinement » (bien vu !), qui commence ainsi : « au début était le virus tout près du Big Bang clap ». S’ensuit un torrent, comme à la fin d’Ulysse de Joyce, de prose dénuée de la moindre ponctuation : un « monologue intérieur » sur le monde délirant et irrationnel du covid-19, et sa parodie grotesque de l’impératif catégorique kantien (« vit, pense et agis, en toute circonstance, de manière à ne pas attraper la grippe »). Même si Basquin y est allé, dans la partie antépénultième, de ses diatribes contre la Révolution française, il y a ici un petit côté « Comité de Salut public sémantique », et la guillotine nominale est pour le moins généreuse. Tout le monde de la collaboration biopolitique davosienne y passe : Macron, Buyzin, Véran, Lacombe, Preciado, Barrau, Salomon, Cohen, Thunberg, Cohn-Bendit, Zizek, Blanquer, Coccia, Bergoglio, Depraz… Les têtes roulent les unes après les autres aux pieds du lecteur, à la grande délectation de celui-ci. Je ne vais pas parler ici de la catharsis, dont je suis un spécialiste, mais enfin, je n’en pense pas moins ; et ici, c’est du très lourd, et du très bon.

On y trouve encore de nombreux vibrants hommages au Jean Moulin de la biopolitique contemporaine, nommément Didier Raoult, la personnalité publique la plus diffamée de tous les temps dans le monde francophone. Rembobinons un peu vers la deuxième partie, qui donnait le ton : « le pr Raoult invité chez Pujadas chez LCI / best of : il n’y a pas de science sans conflit intellectuel — il n’y a pas de progrès scientifique sans polémique (du grec polemos / guerre / puis polemikos / qui concerne la guerre) — le défaitisme (on ne peut rien faire / donc restez chez vous & prenez du Doliprane) / c’est la même chose que Pétain en 1940 face aux Allemands : une lâche capitulation : il n’y a plus rien à faire / on se rend : très peu pour lui — je te salue ici / vieux Raoult ! » (Le clin d’œil ici — j’ai parlé plus haut de blind test à l’encre sympathique — est aux Chants de Maldoror, où toute une séquence scande « Je te salue, vieil Océan ! »).

Revenons à la partie conclusive, qui cite Raoult lui-même : « quand l’informateur multiplie par 20 un risque de mortalité & divise par 100 un autre risque nous ne sommes plus dans une exagération nous sommes dans un autre monde putain Dr Raoult on pense tout pareil vous êtes un génie ». En face, le message est plutôt : « vous allez tous fermer fermer vot’gueule oui ou merdre (…) le rêve absolu comme aucun État totalitaire n’en avait seulement rêvé ».

Le livre se conclut par un Epilogue mordant, où la ponctuation « normale » est pour finir rétablie. On y trouve des propositions concrètes pour rendre à tous les collabos de la « crise covid » la monnaie de leur pièce, et que je laisse à la dilection du lecteur.

Car c’est bien de ça qu’il s’agit : de la première guerre civile mondiale de notre Histoire, comme je le dis à la cantonade depuis un an et demi. Basquin : « c’est comme la guérilla telle que théorisée par T.E. Lawrence dit Lawrence d’Arabie : une rébellion peut être menée par 2% d’éléments actifs & 98% de sympathisants passifs — les quelques rebelles actifs doivent posséder des qualités de vitesse / d’endurance & d’ubiquité / ainsi que l’indépendance technique nécessaire pour détruire ou paralyser les communications ennemies ». Première cible : « l’idiot en chef Bill Gates ». Si vous me trouvez enthousiaste, détrompez-vous : me relisant, je me trouve encore trop tendre avec ce chef‑d’œuvre annoncé, et absolu, de l’histoire de la littérature ; si bien sûr la terre n’a pas été transformée en cratère radioactif d’ici-là, pour que l’Ukraine puisse entrer dans l’OTAN.

Passons au second livre, Les indomptables, sous-titré : Au-delà de l’effondrement (éditions Talma, Paris, 2022), et préfacé par Louis Fouché. L’auteur, Tristan Edelman, est une « œuvre d’art totale » à lui tout seul : avant d’être un nouvel écrivain de premier plan, il est chorégraphe, musicien et énergéticien. Il possède le QI d’un physicien d’Oxford, l’érudition de Borgès, le physique d’un dieu grec (il a cinquante ans, mais on lui en donnerait tout juste trente-cinq). Le fil rouge de son livre, lui aussi très digressif et multipolaire (mais dans un style très différent de celui qui précède, plus intimiste et plus lent), est la mort de ses deux parents.

Le livre a la forme d’un Journal. On songe à un improbable mixte de Montaigne (pour l’éclectisme et la variété des styles employés), de Lévi-Strauss (pour la méticulosité des détails anthropologiques) et du Genet de Journal du voleur (pour une certaine poétique de l’errance). Il se divise en deux parties : Niki et Bernard. Il s’agit des deux prénoms de ses parents ; dans le cas de sa mère, il s’agit d’un surnom abréviatif pour « Nicole-Edith ». Les deux parents de Tristan sont morts en 2020, l’année fatidique que nous savons tous ; il s’agit donc d’un livre de deuil, d’une sorte de poème mortuaire en figure libre.

La première partie accompagne la longue agonie de Niki à travers d’innombrables hôpitaux, tous plus sinistres et cruels les uns que les autres. Cette déchéance de l’institution soignante précède la « crise du covid », puisque le livre commence dès janvier 2020. À peine la mère de Tristan aura-t-elle mis les pieds dans ce système qu’elle commence à vivre un véritable chemin de croix, un Golgotha médical. On songe très fort au sublime film de Sokourov (argh ! un russe ! Rauss !), Mère et Fils, dont Les indomptables seraient une sorte de remake littéraire.

Ce que la prose de Tristan donne à voir, c’est cette déliquescence de l’hôpital non seulement public, mais privé : « Le privé, c’est forcément mieux, puisqu’on paye cher. Ils ont acquis du matériel technique performant dernier cri en ce qui concerne les pneumopathies ; ne faisons pas la fine bouche. Le plus important : du matériel, de l’efficacité, de l’expertise et de l’argent ! Les humains, c’est secondaire, nocif : ils font des erreurs. » Tristan tombe donc de haut, et s’aperçoit vite que le privé ne rattrape en aucun cas le public. « J’entre dans la clinique. Une saleté faite de stérilisations et de détritus invisibles. Envie de gerber. Trop de monde. L’immigration s’entasse. Une tension dans l’attente et dans l’accueil. Le personnel saturé semble déambuler par hasard. » Il gagne la chambre de sa mère. « Au fond du lit, empêtrée dans les tuyaux sales, baignés d’un clair-obscur jaunâtre, avec cette odeur persistante d’urine et de javel, j’entrevois le visage de ma mère. Fixant intensément le mur, elle se mord les lèvres. Sous-alimentée, maltraitée, ignorée, elle lutte contre la dépression. En quelques jours, elle a perdu beaucoup de poids. »

Face à ce fiasco du privé, notre héros (comment l’appeler autrement ?) arrache sa mère à cette clinique foireuse pour l’emmener à Bichat. Nous est décrit l’accueil catastrophique, l’attente interminable, l’impossibilité de savoir à temps ce qui arrive à sa mère : au final, « deux AVC consécutifs. Le premier dans la clinique privée Pasteur avant le passage dans l’ambulance, où elle perd l’usage du corps, le deuxième à l’hôpital public Bichat, lors de l’admission où elle perd l’usage de la parole. »

Tristan oscille dès lors entre chronique du calvaire hospitalier, et digressions rétrospectives où il dresse le portrait de sa mère : sa passion de la première heure pour l’activisme politique (et les nombreuses lectures afférentes, notamment Marx et Lénine), son rapport complexe à la parole et à l’écriture, le lien obsessionnel qui l’unit à la vérité et au réel, sa passion pour la psychanalyse, sa pudeur maladive : « Incapable de rapprochements physiques avec ses enfants, ne pouvant exprimer directement ses émotions, dans l’impossibilité de contacter son corps blessé et sa mémoire défaillante, elle avait écouté le fond de sa parole jusqu’à se fondre en elle. »

Tristan constate chaque jour, sans cesse plus effaré, que l’hôpital fait à sa mère beaucoup plus de mal que de bien : « J’aurais dû la garder à la maison ! » Il s’avère dès lors que nous tenons le vrai sujet du livre, sujet qui me tient particulièrement à cœur dans mon travail philosophique : le Mal (Système du pléonectique, Diaphanes, Berlin, 2020, entrée éponyme). « Les mots d’Hanna Arendt, « Banalisation du mal », résonnent autrement : plus le crime est massif, moins on le considère comme un crime. Il devient une fatalité qui pousse à la résignation. L’un des effets de l’industrialisation est de rendre le crime inodore. Le rendre politiquement correct à renfort de chantages, d’infantilisations, de culpabilisations. Mettre en branle une cascade de déresponsabilisations qui s’abat sur le citoyen, afin qu’il se sente coupable d’une barbarie qui lui échappe. Parfois, on ouvre les yeux. L’avenir d’une prise de conscience. Dans mon cas : par la douleur. » On songe ici très fort au mot de Nietzsche : « Comprendre le monde à partir de la souffrance : voilà le tragique. »

Car oui ! Il y a bien, dans le livre de Tristan ; la redécouverte de la voie, oubliée par la tradition philosophique (à partir de l’exclusion par Platon du Poète hors de la Cité), d’une sagesse tragique. Là encore, rien qui ne puisse davantage toucher ma fibre philosophique : puisque je travaille dans le sillage de ceux qui, comme Hölderlin, Schürmann ou Lacoue-Labarthe, auront voulu rouvrir l’accès à ce savoir tragique que l’essentiel de la tradition philosophique aura voulu oublier.

« Ici donc, le système sanitaire détruit Mam : intubation, ventilation artificielle, prise d’anticoagulants sur le tard, protocoles infinis, examens, antibiogrammes, injections, impossibilité de sommeil et de récupération, mauvaise alimentation, erreurs de diagnostic, informations erronées, manque de personnel soignant, manque de lits… Résultat : délabrement physique et mental. » Et tel est le « tragique moderne » selon Schürmann : le pathétique. Il y a déjà deux siècles, Hölderlin avait génialement annoncé ce qui serait cette « condition pathétique » du sujet moderne : là où la mort tragique, chez les Grecs, prenait une forme flamboyante, héroïque et sacrée, nous, nous sommes sommés de raser les murs biopolitiques, et d’endurer une mort atone, misérable et sordidement profane : « Car c’est là le tragique, chez nous, que nous quittions tout doucement le monde des vivants, empaquetés dans une simple boîte ». Ce que Jean Beaufret appelait encore, commentant justement Hölderlin, la « tragédie de la mort lente ».

Comme prévu, la pandémie et ses effets encore plus délétères, comme une sorte de peste de Thèbes cérébrale, s’invitent dans la Tragédie moderne du “covid-19”. Du biopolitique, les réflexions du livre glissent lentement mais sûrement vers le politique, tout court : on organise partout « l’instrumentalisation du virus Covid » pour que, « à partir de la peur de la mort et du chantage à la survie sociale, une oligarchie toujours plus concentrée, s’appuyant sur la confiance et la soumission des foules, organise la terreur. Celle-ci a pour but une banale restructuration du Capital industriel vers le digital, le dressage des peuples pour la normalisation collective, l’accélération de l’utopie du nouvel homme sur le mode du cyberconformisme. »

Ici j’ai irrésistiblement songé aux propos d’un penseur contemporain, philosophe et psychanalyste, que je suis de près depuis plus de deux décennies, et qui répond au nom de Pierre-Henri Castel. Son silence public quant aux événements des deux dernières années et demi m’étonne, tant ce qu’il écrit ces dernières années, et qui est une analyse novatrice et pointue, là encore, de la question du Mal, fût prophétique (je conseille notamment, et toutes affaires cessantes, la lecture d’un des plus importants livres de philosophie des dernières années, Pervers, analyse d’un concept, Ithaques, Paris, 2015). Jugeons plutôt : « Il ne serait absolument pas raisonnable, il serait même politiquement absurde et dangereux de ne pas partir de cette hypothèse : les puissants savent. Ils n’ont pas attendu de lire ces lignes. Or c’est bien pourquoi, au lieu de parler d’insensibilité et d’aveuglement, voir de déni ou d’auto-intoxication à coup de pseudoscience, il faudrait aussi sérieusement envisager, face au Mal qui vient, la possibilité du mensonge conscient et délibéré de la part de quelques-uns dont nous sous-estimons l’intérêt non seulement à nier, mais à aggraver (à leur profit) les déséquilibres sociaux et naturels. Car (…) il suffit que quelques-uns seulement nous devancent aujourd’hui sur le chemin de notre certitude croissante de la fin, et tous les effets pratiques fort réels de cette certitude croissante s’en suivront en cascade, jusqu’aux derniers, c’est-à-dire jusqu’au pire. » (Le Mal qui vient, Cerf, Paris, 2018).

Comme Basquin, Tristan constate le naufrage de l’écrasante majorité des intellectuels face à l’installation pourtant flagrante d’une tyrannie biopolitique délirante, avec une cinglante ironie : « Nouveau coup du destin : le virus du millénaire ! Sans surprise, voilà nos ersatz d’intellectuels de gauche qui filent droit se confiner en critiquant de leurs balcons « la mauvaise gestion ». Toujours leurs balcons. Bien peu ont remis en question le confinement total et la folie du projet 2.0 qui avance gros comme le nez de Pinocchio au milieu de la figure. On s’indigne après coup. On critique après coup. On pense après coup. (…) Eux qui parlent d’ »événement », de « situation », de « capital », de « fascisme »… eh bien… quand cela arrive sous leur grand nez tendu, ils restent interdits. Le bec cloué. Un Gilet jaune, un virus à couronne, plein de flics dans la rue, et les voilà titubants la bouche ouverte. Les mêmes qui faisaient des acrobaties sur la République laïque libre et sans voile sur le visage, les voilà qui braillent dans un masque en plastique, une dose d’ARN artificiel dans le sang et un QR code comme tatouage. » Cruel et sévère, mais parfaitement ajusté. L’intellectuel de gauche rugit comme un lion, mais agit comme un mouton.

Tristan accoste alors (après de très beaux apartés sur ses longs séjours à Vanuata et au Brésil) l’événement crucial que furent, pour lui, les Gilets jaunes. Il dénonce le travail calomniateur des médias, la répression féroce du gouvernement, ainsi que la mécompréhension de l’écrasante majorité de la gauche, « radicale » comprise. Comme me l’a dit un jour un gilet jaune : « L’extrême gauche ? Ce sont des bourgeois blancs diplômés, qui ne parlent qu’à d’autres bourgeois blancs diplômés, tout en prétendant parler du peuple, pour le peuple et au nom du peuple ». La mère marxiste-léniniste de Tristan, après un très bref moment d’hésitation due à sa formation idéologique, rallie le mouvement et se jette dans l’arène des rassemblements, des manifestations et des ronds-points. « Pour une marxiste-léniniste comme ma mère (…), c’était invraisemblable de l’écouter défendre les paysans et pas seulement les ouvriers, défendre les petits entrepreneurs et petits commerçants et pas seulement les salariés et les fonctionnaires, défendre les blancs et pas seulement les immigrés » : j’en connais qui, du côté de la bourgeoisie du « radical chic », devraient en prendre de la graine… L’analyse que développe Tristan sur les Gilets jaunes est l’une des plus justes, au sens de la justesse et au sens de la justice (salut Etienne ! Chouard du nom), qu’il m’ait été donné de lire sous la plume d’un intellectuel.

S’amorce le dénouement proprement dit, comme dans toute tragédie : la fin de l’agonie médicalisée, la mort implosive dans la « boîte » hölderlinienne. Ce sont des pages d’anthologie. « Au centre du crépuscule entre chien et loup, je me réveille. Quand l’heure terrible vous murmure les secrets de votre vie. Les signes tapissent les fenêtres. Les entrebâillements des volets écrivent ce qui doit être écrit. (…) Je retourne dans sa chambre. Je me place à côté d’elle. Soudainement, elle se redresse et me saisit la main. Elle me fixe droit dans les yeux. (…) C’est le moment le plus fort de ma vie. Le plus marquant. Une marque que l’on découvre et qui est là depuis toujours. Une marque qui vous accompagne dès la naissance. Peut-être avant. Le sceau de la continuité entre la vie et la mort, entre la naissance et la fin. Ce à partir de quoi, hors de la grammaire et de la logique des temps linéaires, s’élabore le flux des souvenirs. Écoutez cette marque silencieuse. J’écoute ce silence. Voici le point crucial d’une vie et d’une époque. Le point de rencontre ultime de la transmission. Le dernier message, la clé de l’énigme. J’écoute ce lien sur lequel nous imaginons les constructions les plus folles et les plus contradictoires. » Je ne peux ici qu’inciter le lecteur à découvrir la suite, proprement sublime, au sens philosophique de l’adjectif : ce qui excède de toute part notre capacité à mesurer un événement, ce qui met en défaillance notre raison, ce qui porte le sens des mots à la limite de la syncope.

Passons à la seconde partie, intitulée donc Bernard, du prénom de son père : et c’est pourquoi j’ai toujours ici dit Tristan, et pas Edelman. Ce n’est pas par familiarité déplacée (enfin, quand même un peu, et je conclurai cet article là-dessus !), mais parce que le père Edelman était un juriste et essayiste de très grand renom (« jusqu’à être désigné par ses pairs — de son vivant — comme le plus grand juriste français »). Il m’a semblé qu’à tous égards, étant donnée la nature même du livre, il était plus approprié de l’appeler par son prénom (Tristan bien sûr, pas Bernard).

Incipit : « L’isolement forcé du confinement a exaspéré la mélancolie, la détérioration physique et le besoin de contact. Un grand nombre de personnes au grand âge ayant vécu la Seconde Guerre mondiale se sont laissées dépérir pendant le confinement. On appelle cela le syndrome du glissement. Ils ne veulent pas revivre l’horreur absolue. La sensation d’une telle répétition est insoutenable. Ils préfèrent se laisser glisser consciemment ou inconsciemment — vers la mort. »

Bernard Edelman compte au nombre de ces victimes du « syndrome du glissement ». Il est juif. Il est un juriste de génie. Il comprend parfaitement bien ce qui est en train d’avoir lieu. Son fils lui rend visite, il n’arrive plus à écrire, il erre dans sa bibliothèque comme un fantôme, lui-même hanté par ses propres souvenirs : l’horreur en abyme. Il dit à son fils : « Vois-tu, pendant la guerre, quand j’étais un enfant caché, j’ai vécu les liens comme une menace. Aujourd’hui, tout est fait pour détruire les liens. Avant, j’étais dans la cave, maintenant, je suis dans le mitard. J’assiste impuissant à un isolement par la terreur. J’ai l’impression de retourner en arrière. Je ne t’envie pas mon fils. Tu es dans la fleur de l’âge et tu vas devoir faire avec une fin du monde. »

Tristan se met alors à retracer le parcours du juif ashkénaze soucieux de s’assimiler à la France : il doit montrer patte blanche, et clamer son amour de la France, de la République, des institutions, enfin et surtout de « l’Europe-la-belle-idée », qui nous mène aujourd’hui aux pires des catastrophes imaginables. Cet « impératif catégorique » de l’immigré frais émoulu, décortique Tristan, ne peut mener qu’à un état d’angoisse permanente : « « l’intégré » aura beau faire montre du plus grand zèle possible, il y a toujours meilleur, et personne n’est indispensable ».

Vient la partie augustéenne, ou rousseauiste, de la partie : confessionnelle. Pour donner une idée des liens intimes qui l’unissaient à son père, Tristan n’y va pas de mainmorte : « Mon père s’occupait de moi comme une mère. Une mère juive qui vous remplit sans s’inquiéter de votre capacité à recevoir. » Bernard ne cesse de se projeter dans Tristan, « qui vous met en haut alors que vous vous traînez encore en bas ». « Puis arrive la puberté : vous êtes soudain un rival, un animal sauvage. (…) Cependant, Der mamen (en yiddish, la maman dans toute sa splendeur) souhaite toujours le meilleur pour vous et, surtout, que vous soyez le meilleur, même s’il sera toujours impossible d’être meilleur qu’elle. » Tout est dit en cette phrase à l’humour typiquement juif (Tristan, même s’il n’est pas au départ « techniquement » juif puisque sa mère était goyim, a été converti au judaïsme, par ds Lubavitchs). Mais ce n’est pas fini, le petit Tristan continue à grandir. Et, à l’adolescence, on passe à la phase « tout belle-mère et rien père. » Jugeons plutôt : « Le père s’absente derrière la marâtre balzacienne. Ce n’est plus le féminiarcat fashion mais un matriarcat old school : jugements intempestifs, actes de violence verbale, agressions physiques, rituels militaires, punitions alimentaires, enfermements, mises à l’écart, rabaissements psychiques… »

Ici, on est en droit de se demander si le fait que la mère de Tristan fût une goyim n’explique pas ce précoce « mortel transfert » du père en figure de « Mère fouettarde », comme dit aussi Tristan (j’ai beaucoup écrit sur le sadomasochisme dans mon travail philosophique, on pourra en reparler). Rappelons que Niki, la mère, était férue de psychanalyse, et par ailleurs que Tristan nous fit état de son extrême pudeur et de son avarice totale en termes de signes physiques d’affection. Le père venant à se substituer, balourdement comme il se doit, au manque laissé par la fonction maternelle, le résultat était couru d’avance. Je me trompe peut-être dans cet exercice de psychanalyse sauvage ; à Tristan de me détromper.

Ici, pendant des dizaines de pages, commence un « roman dans le roman », plus exactement un livre dans le livre, puisqu’il ne s’agit pas d’un roman, et plus exactement encore d’un roman dans le livre, mais pas n’importe quel roman : un roman sous forme de dialogue, comme on en faisait tant au dix-huitième siècle. Autant dire qu’il s’agit du passage le plus philosophique du livre, donc celui qui me parle plus ; et, pour cette raison même, c’est celui dont je parlerai le moins (comme avec Basquin…). Car justement, comme dans ces romans dialogiques du dix-huitième, façon Diderot (on sous-estime de manière scandaleuse l’importance cruciale qu’ont eus Le neveu de Rameau ou Jacques le fataliste sur la philosophie allemande qui allait suivre d’une génération), le propos est pour ainsi dire impossible à résumer en un espace bref. Je m’avoue donc à ce point vaincu : ces dialogues sont si denses, si riches en pépites intellectuelles, que je renonce à en rendre le contenu. Surtout, ils obéissent à une logique qui leur est tellement propre, et l’ensemble des propos, sur près de quarante pages, se tiennent tellement les uns les autres (c’est-à-dire qu’il est impossible de comprendre le contenu de telle page sans avoir lu tout ce qui précède) que je me contenterai d’en dresser une sorte de menu (non exhaustif) : à partir d’une dissertation sur la fable du loup et de l’agneau, sont abordés des thèmes aussi divers et aussi brûlants que la propriété privée (salut Davos), la raison et l’instinct, le droit, la guerre, la bioéthique, la technoscience, le transhumanisme, la culture, le salariat, le progressisme, le néolibéralisme, le sacrifice, les intellectuels…

Comme avec la partie précédente, le dénouement arrive à pas de velours. Tristan nous décrit comment, bien avant la « crise Covid », son père accepte sa propre mort, en se résolvant d’abord à être un mort-vivant civique. « Il savait que la folie humaine pouvait revenir à tout moment et tout retourner. Qu’elle pouvait à nouveau faire irruption et vous envoyer aux camps de la mort. » S’ensuivent de pénétrantes considérations sur le rapport au langage : « La France, c’était la langue française. La langue française, c’était son premier et dernier repère. L’écriture, c’était la consécration de la langue. Son bouclier contre le réel, son évasion du réel. » Tout ce passage me parle tout particulièrement, moi qui aie tout appris en arabe jusqu’à l’âge de huit ans : la langue française comme arme. « La rationalité était une arme efficace, mais la langue avait le dernier mot. Bien écrire, c’est bien penser. (…) La modernité déteste la langue. Elle préfère l’algorithme. »

L’agonie du père commence donc par une perte de confiance dans les pouvoirs prophylactiques de la langue : « J’ai vu son sang s’écouler dans les cartouches du stylo, sa peau se fondre dans les papiers des livres et son âme partir dans les hauteurs mélancoliques du signe utopique. (…) Lorsqu’il me confia « Je ne trouve plus de sens à écrire », je compris que c’était sérieux. Il avait perdu l’axe de sa vie. La fin était proche. Il ne bougeait plus de son pigeonnier, de sa tour d’ivoire, de son tombeau. (…) Je compris que si je voulais avoir — enfin — un vrai dialogue avec mon père, il fallait que je retourne, et plonge à mon tour, au saint lieu du crime, là où il avait disparu dans la plus grande discrétion : sa bibliothèque. » Suivent quelques poèmes : l’un de Bernard, l’un de Niki, l’un de Tristan. Rideau.

Le livre se conclut par un épilogue, lequel commence comme suit : « Temps de crise. Des amis chers meurent. Beaucoup trop de myocardites brutales et de cancers qui dégénèrent rapidement. Je suis en deuil permanent. (…) Les gouvernements essaient d’imposer l’idée qu’être un citoyen jouissant de tous ses droits est un mérite temporaire et que devenir un citoyen de seconde zone, un proscrit, un paria est un choix. » Tristan décrit ensuite les innombrables rencontres positives qu’il a faites à la faveur de l’escroquerie covidiste, pour rebâtir le monde sur des bases saines, en construisant de nouvelles structures associatives sur tous les plans : « Nous comprenons, avec notre commando de juristes, parlementaires, journalistes, têtes de réseau et organisateurs de manifestation, que nous sommes arrivés à la limite du droit, de la démocratie, de l’information libre et des réclamations. Quand un gouvernement écrase, avec une jouissance non dissimulée, la Constitution, les libertés, l’information et les gens, il faut passer à une autre forme de contre-pouvoir en même temps qu’une autre forme de société. » Amen.

Le troisième et dernier livre canonisé par cette chronique annonce la couleur sans nous ménager : La fin du monde moderne, de Salim Laïbi (Fiat Lux, Marseille, 2020). De tous les auteurs dont nous traitons ici, Laïbi est, de loin, celui à se coltiner la réputation la plus sulfureuse. À cause de casseroles fréquentationnelles du passé (Soral, Dieudonné, Nabe…), à cause de son panarabisme et panislamisme, Laïbi est un exemple en or de ce que Debord appelait une « mauvaise réputation » (Cette mauvaise réputation, Gallimard, Paris, 1993), dans les milieux intellectuels et bien au-delà. Il a beau s’être expliqué en long et en large, et pas avec le dos de la cuillère, sur ses erreurs passées (Nabe lui voue une haine écumante, Soral le considère aujourd’hui comme son « pire ennemi au monde ») ; il a beau avoir développé, via des dizaines d’auteurs de sa très belle maison d’édition (Fiat Lux), une vision très intelligente, savante et rationnelle de l’islam et de l’ »arabitude », rien n’y a fait. Dans la société du Spectacle, la plus normative qui ne fut jamais, malgré sa promotion incessante et creuse de la « démocratie », de la « pluralité » et de la « tolérance », la réputation et l’image de marque sont tout, l’anathème et l’excommunication, sans appel.

Peu me chaut, sinon rien. Par les temps apocalyptiques et génocidaires qui courent, personne ne m’empêchera de fréquenter Salim (nous avons réalisé un entretien, à sa demande, sur mon Colaricocovirus (Exuvie, Thervay, 2022)) ; il ne me connaissait pas jusque-là, moi je le connaissais), ni surtout de dire le plus grand bien de son travail. Pour une raison très simple : Salim est à mes yeux un Héros et un Juste, au même titre que, mettons, le dr Perrone ou le dr Mac Cullough, le dr Zelenko ou le dr Ochs. Cet homme sauve des vies, et pas qu’un peu. C’est, et de plus longue date que ceux que je viens de citer, un des plus formidables lanceurs d’alerte qui soient aujourd’hui en activité en France ; pour ce, sa tête est quasiment mise à prix dans les médias mainstream. En particulier, ses connaissances quant aux rouages criminels de l’industrie pharmaceutique n’ont que très peu d’équivalents non seulement dans notre pays, mais dans le monde entier.

Laïbi écrit comme il parle (il fait de nombreuses émissions numériques qui sont très suivies dans l’entièreté du monde francophone) : avec une gouaille sui generis. Sa langue est une sorte de créole algérois où la langue française et sans cesse contaminée par des tournures improbables, des adjectifs impronostiques, des ponctuations incongrues, des néologismes géniaux (les « doctateurs », les « zététiciens »…). Il y a véritablement un « argot Laïbi ». Comme le français n’est manifestement pas la langue maternelle de Salim, il visite le français comme un alien, et, comme aurait dit Deleuze, il « fait bégayer la langue » de l’intérieur, ce qui est la condition, ajoute Deleuze, de tout style. D’où le caractère presque toujours « funambulesque » de la phrase laïbienne : à tout instant elle menace de perdre l’équilibre et de tomber, et elle trouve toujours in extremis une expression étrange qui la “repêche” au dernier moment, et donne à l’ensemble de la phrase sa dégaine singulière. La phrase laïbienne ne cesse de trébucher, et finit pourtant toujours par retomber sur ses pieds, au sens métrique du terme : là encore, c’est cette unicité absolue du rythme des phrases d’un auteur qui les frappe du sceau du style.

Le style étant l’homme, comme chacun sait, le tempérament explosif de Salim dans la vie se transfère à son écriture, dont l’énergie contamine irrésistiblement le lecteur, le plongeant dans une étrange euphorie, malgré l’horreur de tout ce qui est décrit. Et pour cause : plus que n’importe quel auteur sur la question, Salim a choisi de le traiter par le burlesque, avec une ampleur panoramique digne d’un grand opéra (genre Wagner, ou Richard Strauss première période) : aussi rit-on beaucoup en lisant ce livre à la démesure de son sujet. Pour un effet comique maximal, Salim ne cesse d’avoir recours au registre psychiatrique : de fait, mars 2020 marque dans l’histoire de l’humanité la date où le monde entier est devenu totalement fou (avec, en avant-première expérimentale quelques mois auparavant, la Chine de Xi Jiping, l’ami de Bill Gates). Le livre décrit un asile planétaire à ciel ouvert, et c’est tout aussi hilarant qu’un sketch des Monthy Python sous LSD.

C’est donc par un saisissant paradoxe que Laïbi rejoint les grands « monstres » de la langue française que furent Rabelais ou Céline, si terriblement drolatiques eux aussi, et avec qui Salim partage un sens stratosphérique de l’imprécation (jaloux, Marc-Edouard ? Accroche-toi au pinceau, j’enlève l’échelle). Fier de son « arabitude » comme Artaban, Laïbi est pourtant bien un auteur français, au sens le plus plein de l’adjectif. Oui, nous avons bien affaire à un phénomène défiant les lois de la nature, à une sorte de Léon Bloy muslim moderne.

De plus, des trois livres dont il est ici fait la chronique, La fin du monde moderne est, et de loin, le plus extraordinairement documenté et sourcé. Fondu dans un flot verbal incoercible, on obtient une sorte d’équivalent français foutraque et exaltant du classique instantané d’un autre Héros, Robert F.Kennedy Junior, et son The Real Antony Fauci (Children Health Defense, Peachtree, 2021) : quand on a lu les deux, difficile de savoir qui le cède à l’autre en matière de connaissance encyclopédique quand à la « covidologie ». Ce sont, en tout cas, deux bibles épistémologiques et cognitives irremplaçables quant au combat que nous menons tous ensemble (« Ouais ! Ouais ! »).

Le livre se divise en six chapitres, une conclusion, plus de nombreuses annexes. Pour des raisons d’économie textuelle (cet article est déjà bien long !) ; parce que le premier chapitre se taille la part du lion (près de la moitié du livre !) ; parce que tout le livre est, je le répète, un geyser inépuisable de connaissances impossibles à résumer en un article ; mais, surtout, parce que les cinq autres chapitres traitent d’autre chose que de la « Crise Covid » stricto sensu, je me contenterai ici, pour mettre l’eau à la bouche du lecteur, de traverser ce chapitre-là, plus un commentaire sur la conclusion, et quelques mots sur les fourmillantes annexes.

Ce premier chapitre s’intitule sobrement : Covid-19 et médias. Laïbi n’avait pas lu Debord lorsqu’il a écrit ce livre (il semble s’être rattrapé depuis, suite à notre interviouve), mais enfin, son analyse le place dans le droit fil de la critique situationniste du Spectacle. Je vous avais dit qu’on riait énormément dans ce livre, et Laïbi commence très fort, en mettant en exergue une citation anonyme tirée d’internet : « La troisième dose augmente l’immunité, donc après la quatrième dose, vous êtes protégé. Une fois que 80% de la population a reçu la cinquième dose, les restrictions peuvent être assouplies, car la sixième dose empêche la propagation du virus. Je suis calme et je crois que la septième dose résoudra nos problèmes et nous n’avons aucune raison de craindre la huitième dose. La phase clinique de la neuvième dose confirme que les anticorps restent stables après la dixième dose. La onzième dose garantit qu’aucune nouvelle mutation ne se développera, il n’y a donc plus de raison de critiquer l’idée de la douzième dose. »

Le chapitre commence par battre le rappel de la chronologie du scénario film-catastrophe « Covid » (car nous savons qu’il s’agissait bien d’une histoire écrite à l’avance, une « plandémie »). Tel Michel Jonasz dans la boîte de jazz, Laïbi se lance tout de suite dans la description de l’ »Absurdistan », quand par exemple « on apprend qu’un sauna libertin est félicité par la police pour son respect du protocole sanitaire, alors que les restaurants sont toujours fermés depuis 10 mois ! La grande roue de Lille sera autorisée à tourner, mais sans public ! »

Laïbi ne décortique ensuite point à point (et, je le répète, son savoir de la question est véritablement encyclopédique, cet homme est un stakhanoviste enragé) les mensonges et les cafouillages sans nombre de la gouvernance « Covid ». Naufrage de l’hôpital public déguisé en « La France est prête, nous avons un système de santé parfaitement solide » de l’arracheur de dents Véran, par la mise hors-jeu de 90.630 médecins généralistes alors qu’ils auraient dû être les premiers réquisitionnés si la « pandémie » en avait été réellement une ; des dizaines de milliers de soignants suspendus maquillés par le même Véran en 3.000 ; annonce d’ouvertures de lits d’hôpitaux alors qu’on en ferme des milliers… le lecteur est d’ores et déjà bombardé d’informations accablantes. Les journalistes, “manipulateurs et mythomanes”, font tout pour amplifier les faits et les chiffres quand ça arrange le gouvernement, puis à les minimiser quand ça l’arrange aussi. L’AFP, mille exemples à l’appui, joue un rôle faisant passer l’appareil d’État de Big Brother pour de la marelle.

Puis arrive le « Lancetgate », « la plus grande fraude scientifique du siècle, certainement de toute l’histoire humaine ». En réalité nous montre Laïbi, cette corruption totale de la littérature scientifique remonte à bien plus loin, et il nous fait l’historique de cette longue décadence, que Debord résumera en quelques phrases comme toujours canoniques : “Quand l’économie toute-puissante est devenue folle, et les temps spectaculaires ne sont rien d’autre, elle a supprimé les dernières traces de l’autonomie scientifique, inséparablement sur le plan méthodologique et sur le plan des conditions pratiques de l’activité des “chercheurs”” (Commentaires sur la société du spectacle, éditions Gérard Lebovici, Paris, 1988). Laïbi : « Le mensonge le plus important sera bien entendu celui de la mortalité. L’INSEE a publié un papier évaluant à 68.000 le nombre de personnes décédées du Covid-19 en 2020 ! Sauf qu’il y a un tout petit problème, un léger souci qui exige d’être résolu de toute urgence. Selon les chiffres officiels de l’INED ou Institut national d’études démographiques, il y a 55.257 décès, toutes causes confondues, supplémentaires en 2020 par rapport à 2019. Comment est-il possible qu’il y ait 13.000 morts supplémentaires dues uniquement aux Covid-19 ? C’est impossible, c’est mathématiquement inconcevable. (…) Alors que l’on nous a présenté l’Italie comme un des très mauvais élèves au niveau de la mortalité Covid-19, il s’avère finalement que sur les 130.468 décès enregistrés par les statistiques gouvernementales au moment de la réalisation de ce rapport (5 oct. 2021), seulement 3783 seraient dus au virus lui-même. Les comorbidités étaient nombreuses et sérieuses : 65,8% d’hypertension artérielle, 23,5% de démence sénile, 29,3% de diabète, 24,8% de fibrillation auriculaire, 17,4% avaient des poumons malades, 16,3% avaient eu un cancer au cours des 5 dernières années, 15,7% d’insuffisance cardiaque… »

On passe ensuite à l’autopsie de l’état de droit dans notre beau pays si notoirement « démocratique » (comme dans tous les pays francophones : Belgique, Québec…), assassiné au nom d’une guerre totale contre la grippe, sans que l’énormité de la chose ne fasse moufter le gros de nos concitoyens. Laïbi pointe l’aberration qui consiste à monter de toutes pièces un « conseil de Défense » pour lutter contre un virus : « ça n’a intellectuellement aucun sens », mais autorise comme on sait le gouvernement à rogner sur tous vos droits jusqu’à suppression totale, pour qu’il ne vous reste plus que des « devoirs ». La constitution d’un « conseil scientifique » tout aussi artificiel pour le soi-disant Bien de tous n’est pas moins démentiel, si on y regarde de près : « « Mme Clarisse Sand, avocate au barreau de Paris, explique dans une vidéo (…) comment le Conseil scientifique qui est en train de détruire l’économie française et la santé mentale des Français en toute illégalité puisqu’il ne respecte absolument aucune règle régissant son fonctionnement ! » Laïbi fait alors l’inventaire copieux des anomalies judiciaires qui ont parsemé la saga covidienne. Puis il passe au « cas Mc Kinsey », ce cabinet de conseil américain qui a déjà des holocaustes chimiques sur la conscience dans son pays d’origine. Parmi les nombreuses preuves à charge, celui des conflits d’intérêts, comme du reste avec le Conseil scientifique ; sauf que pour contrer cet argument, « la presse parisienne a inventé un nouveau concept adapté à cette situation grotesque, celui de conflit d’intérêts par « interférence faible » ! On a donc un conflit d’intérêts, mais ça va, ça passe, il n’est pas trop prononcé. Il est tout petit, insignifiant, à peine visible de près et encore, à l’aide d’une loupe. » (Soit dit en passant, cette dernière phrase est un échantillon parfait du caractère “funambulesque” du style laïbien, dont je parlais plus haut.)

Vient le tour de nos chouchous à tous, les médecins de plateaux télévisés, à commencer par les champions en la matière, les plus corrompus par l’industrie pharmaceutique ; le premier, franc-maçon très haut gradé, a hérité d’un nom qui con-sonne de manière troublante avec le pédocriminel le plus célèbre du Moyen-âge, Gilles de Rais. « Parlons maintenant des conflits d’intérêts des médecins médiatiques, des têtes de gondole, de ce que les Américains nomment les KOL, ou key opinion leaders. Nous allons ici traiter de quelques cas, les plus illustres, ceux de Karine Lacombe et Gilbert Deray. Il y en a une bonne trentaine que tout le monde peut reconnaître sur les plateaux télé puisqu’ils ont passé leur temps à blablater sur les ondes au lieu d’aller soigner les malades tout en affirmant que la situation était dramatique et que les morts se comptaient par milliers. (…) J’ai même été surpris de voir à la télé certains morticoles plusieurs fois le même jour, tôt le matin et tard le soir (Bruno Mégarbane) ! » « Héroïne » de la persécution diffamatoire sans précédent qui a, pendant deux ans et demi, visé sans relâche le Pr Raoult, nommément la pataude Karine Lacombe, Laïbi remet en une phrase les pendules à l’heure, résumant toute la grave délinquance déontologique dont se seront rendus coupables les « doctateurs » médiatiques : « En prenant publiquement la parole et en s’exprimant publiquement sur le sujet, Karine Lacombe n’a jamais fait état de ses liens d’intérêt, privant ainsi le public d’une information cruciale à même de lui permettre de se faire une idée sur la crédibilité des propos qu’elle a tenus ». « Concernant Gilbert Deray c’est encore plus malsain, car ce chef de service en néphrologie n’a strictement rien à voir avec le Covid-19 ! Des internautes ont posté, notamment sur le réseau social Twitter, des informations concernant des conflits d’intérêts évidents entre Gilbert Deray et l’entreprise Gilead. Pourtant, il avait posté sur son compte Twitter le 26 juin 2020 à 19h02 un message dans lequel il niait tout conflit d’intérêts avec Gilead suite à un article publié par le site d’information France Soir. » Nous v’là bien.

Après s’être payé les « têtes de gondoles » médicales des plateaux télévisés, Laïbi fait encore état d’un phénomène consubstantiel à la société du Spectacle : « le présent perpétuel » encore une fois, qui permet au Spectacle non seulement de mentir éhontément sur à peu près tout, mais même de remplacer les mensonges de la veille par de nouveau chaque jour que Dieu (si vous me passez encore l’expression) fait. « On peut se tromper sauf que les morticoles cathodiques semblent dénués de toute humilité et ne s’excusent absolument jamais. Bien au contraire, ils repasseront 5 jours plus tard avec de nouvelles prédictions à la Madame Soleil, toutes aussi fausses que les précédentes avec la même arrogance. »

Dans la série « champion du Raoult-bashing », nous voulons évidemment Patrick Cohen. Celui-ci décrit Raoult, après l’avoir présenté il y a des années comme l’un des plus grands microbiologistes et spécialiste des maladies infectieuses au monde, désormais le dépeint comme « le point de rencontre de la puissance des réseaux sociaux, d’une médiatisation débridée et », tenez-vous bien (c’est moi qui soulignerait), « d’un des pires accès de désinformation et d’offensive anti-science. » Réponse de notre pistolero sémantique « Slim » Laïbi : « Alors que ce clown ne sait même pas ce qu’est un virus et encore moins différencier ce dernier d’une bactérie, alors qu’il n’a aucune idée de ce qu’est une moyenne statistique, un chi‑2 ou encore une régression linéaire, il ose accuser le Pr Raoult de faire de l’anti-science ! »

Laïbi n’a pas son pareil pour détecter les innombrables contradictions que contient la mythologie covidiste et son « terrorisme médical », comme il dit. Quiconque a ouvert ne serait-ce qu’un livre de psychiatrie moderne sait que la psychose naît toujours de ce que les cliniciens de la santé mentale nomment double bind, la double contrainte : deux injonctions psychiques contradictoires, dont chacune tire en sens inverse de l’autre, et coupe donc la conscience du sujet en deux, le rendant psychotique. Mais, avec la covidolepsie qui s’est emparée d’une majorité de nos congénères (plus pour longtemps, s’ils sont « vaccinés »…), ce ne sont plus deux, mais dix, cent, mille injonctions contradictoires qui bombardent le sujet à tout instant, H24 et 7 jours sur 7. Dans la toute dernière Annexe du livre, Laïbi en donne quelques échantillons croquignolets : « confinez-vous, mais allez travailler / ne vous rencontrez pas, mais soyez solidaires / restez chez vous, mais faites du sport / le masque est inutile, mais il est pourtant obligatoire / pour protéger nos enfants, acceptons de les maltraiter / pour sauver nos seniors, laissons-les mourir de solitude dans les EHPAD / pour éviter les attroupements, fermons les petits magasins / pour réserver notre santé, fermons les salles de sport / pour sauver nos hôpitaux, détruisons nos économies, etc. » Ma préférée étant tout de même : « en restant chez moi, je sauve des vies ». Et telle est l’une des plus profondes innovations historiques du « covidisme » : c’est la toute première fois qu’un pouvoir, mondialement coordonné (autre phénomène sans précédent historique), décide sciemment de tout faire pour rendre la population totalement démente.

Mais la contradiction, nous montre Laïbi, est en réalité à tous les étages. Par exemple, et toujours dans le registre psychiatrique qui soutient tout l’humour ravageur du livre : « Allons encore plus loin dans le délire. Si l’état et les télétoubibs — de véritables petits doctateurs -, avaient réellement voulu sauver la vie des Français, il eût fallu qu’ils aillent plus loin, beaucoup plus loin dans cette hystérie et commencer par fermer immédiatement tous les McDonald’s et autres restaurants de junk food, car non seulement ils sont la cause de plusieurs millions de morts chaque année, ils sont, aussi, responsables de la comorbidité la plus grave concernant le Covid-19, l’obésité. Cette dernière est responsable de l’hypertension artérielle et du diabète. Est-il utile de rappeler que les maladies cardio-vasculaires sont responsables de près de 30% des décès en France, juste après les cancers. Cela représente 180.000 personnes sur les 600.000 décès que comptabilise la France chaque année ; bien plus que le Covid-19. » « Et paf dans les gencives », comme l’écrivait Beckett. Évoquant plus loin la famine, Laïbi démontre impitoyablement que « les sociopathes qui font croire au monde qu’ils veulent nous sauver la vie permettent la mort de près de 10 millions de personnes chaque année — dont une majorité d’enfants — depuis des décennies et tout le monde trouve ça normal. »

Après de longues pages consacrées à démontrer l’inefficacité des confinements (autre cas d’école de psychiatrisation du public, puisque les mêmes autorités qui imposent cette mesure reconnaissent officiellement que 80% des contaminations se font en milieu familial), puis à l’apocalypse des effets secondaires dus des vaccins (notamment sur les graves dysfonctionnements de la pharmacovigilance, délibérément organisée pour que le moins de témoignages possibles ne remontent à l’ANSM : génocide bien ordonné commence par…), à la stupidité foncière du passeport vaccinal (toujours et encore la psychiatrisation du public, en le forçant à accomplir des choses absurdes, puisque le vaccin n’empêche ni la contamination, ni la transmission, ni les formes graves comme promis la main sur le coeur par les labos), enfin au scandale des EHPAD (maltraitance sadique, Rivotril, etc.).

Ici, Laïbi s’arrête sur le terrible précédent du produit Oxycontin, un opioïde (on se souvient que Mc Kinsey a donc trempé dans ce « génocide », comme n’hésite pas à l’écrire Laïbi plus qu’à son tour). Tout y est déjà : falsification des données démontrant que ce « médicament » rendait ses consommateurs toxicomanes ; mythologie sur les effets positifs de ce produit vénéneux ; campagnes publicitaires tonitruantes et corruption lourde du personnel médical ; dissimulation, aussi longtemps que possible, des effets secondaires désastreux, en plus de l’addiction quasi systématique ; etc., etc. Toute ressemblance… Laïbi : « Mais là où ça devient démoniaque, là où ça devient réellement un système criminel mafieux, c’est lorsque l’on constate que toutes les associations et autres académies de la douleur aux USA sont également financées par Purdue Pharma [le producteur de l’Oxycontin, NDMBK] (…). Elles sont toutes financées par l’industriel et produisent toutes une documentation qui sera utilisée pour faire la promotion de leur poison mortel. (…) Mais là où c’est véritablement satanique, c’est lorsqu’on s’aperçoit que même les associations de malades, elles aussi financées par Purdue Pharma, font la promotion des opioïdes de synthèse ! (…) Curieusement, seules 2300 plaintes ont été déposées contre Purdue Pharma alors que les décès se comptent par centaines de milliers ! » Toute ressemblance…

Après cette édifiante parenthèse pharmacologique, Laïbi revient aux conséquences de la « gestion lamentable et désastreuse de cette crise », comme la paupérisation de la population à cause du confinement : « 1 million de pauvres venant de toutes les couches sociales (entrepreneurs, artisans, intérimaires, étudiants…), que tout le monde peut observer lors de la distribution de paniers de nourriture (…) les dégâts collatéraux économiques sont dramatiques. Il est également de notoriété publique que la pauvreté engendre plus de maladies et que le chômage est une cause d’augmentation de la mortalité ». Par ailleurs, et c’est ce qui démontre, parmi tant d’autres preuves, que tout ceci est parfaitement concerté et délibéré, sous couvert de « crise sanitaire », la destruction totale du système de santé publique français, qui était l’un des meilleurs au monde il y a encore quatre décennies, s’est intensifiée comme jamais depuis deux ans et demi ; notamment bien sûr avec la révocation des horribles soignantes et soignants « antivaxx » par l’Inquisition biopolitique moderne.

Tant qu’à parler d’Inquisition new look, impossible ne pas en venir aux principaux exécutants des basses œuvres en France de la politique gouvernementale : l’Ordre des médecins. Comme chacun devrait le savoir, mais que presque personne ne sait, ce qui en dit long sur l’état de notre « démocratie » (on ne rit pas), cette institution a été créée en 1941 par le maréchal Pétain, d’abord pour excommunier au plus vite le personnel soignant juif, ensuite pour veiller à ce que les goyim ne fréquentassent sous aucun prétexte des femmes juives et des hommes juifs (quant à les soigner…). Tout était, sous ce rapport, sous haute surveillance, et l’aimable atmosphère de délation qui a marqué la collaboration trouve ici une sorte d’échantillon très concentré, et révélateur de tout le reste. À ce titre aussi, on peut dire que les institutions ne diffèrent pas foncièrement des êtres humains ou des animaux : elles ont un ADN, persistant, dont le « caractère » refait surface avec force ces dernières années, relativisant même l’atmosphère de mouchardise et de calomnie permanentes qui avait cours sous Vichy. J’écris ces lignes le jour même (13 septembre 2022) où le professeur Perrone était convoqué à ce fameux Ordre.

Mais le passif historique ne s’arrête pas là. Laïbi nous en apprend des vertes et des pas mûres sur les autres précédents dudit Ordre. Par exemple : « L’Ordre des médecins, c’est bien cette corporation officielle qui a été condamnée par la justice pour avoir protégé pendant des décennies un violeur en série, le gynécologue André Hazout ! En effet, l’Ordre ne décidera finalement de le radier qu’après sa propre condamnation par la cour d’administration d’Appel pour son absence de réaction et malgré les nombreuses plaintes adressées par les victimes depuis des décennies. Par contre, dès qu’il est question des professeurs Even, Joyeux, Perrone ou Raoult… les décisions pleuvent et sont très sévères. » L’écrivain à qui je pense le plus depuis deux ans ? Sade, que j’ai pas mal commenté dans certains de mes livres (et Castel, le penseur que je citais plus haut, encore beaucoup plus que moi). La cruauté et la torture institutionnalisées, l’atrocité au pouvoir, la « société des amis du Crime », disait le divin marquis.

Suivent des enquêtes scrupuleuses et passionnantes sur les « affaires » hydroxychloroquine et Ivermectine, que je saute allégrement, même si là encore ces passages font vraiment penser à une version beaucoup plus rock’n’roll, et à la franco-algéroise, du Real Antony Fauci de Kennedy-le-neveu. Je vais droit à cette citation fulgurante, qui fait en effet de Laïbi le digne héritier inconscient de Debord (qui utilisait beaucoup, dans ses descriptions définitives du Spectacle, le mot « complot ») : « Le covidisme est une véritable menace pour la santé mentale des Français. Le seul coupable de la mise en place de ce culte n’est rien d’autre que l’appareil médiatique ultra puissant. Alors que les cultes des trois religions célestes n’ont réussi à mettre en place qu’une seule messe hebdomadaire, le culte covidiste a quant à lui réussi à célébrer une messe quotidienne, 24h sur 24 et 7J/7 depuis deux ans. » Ces phrases m’ont irrésistiblement évoqué les phrases d’un immense écrivain et penseur juif allemand, Walter Benjamin donc, qui a vécu très pauvre et est mort suicidé à la frontière espagnole en fuyant les nazis : « Le capitalisme est peut-être la seule forme d’un culte non expiatoire, mais culpabilisant… une monstrueuse conscience coupable qui ignore la rédemption se transforme en culte, non pas pour expier sa faute, mais pour la rendre universelle… et pour finir par prendre Dieu lui-même dans la faute… »

Continuant la déconstruction du Spectacle au bistouri argumentaire, Laïbi attaque cette fois l’arnaque hélas sédentaire, dans nos « démocraties » en peau de lapin, des sondages. Le réveil est dur à ce titre aussi, comme la phrase, prophétique, de Goebbels : « La politique est l’art plastique de l’État » ; et les sondages constituent, à l’intérieur de l’appareil médiatique ultra-subventionné (sinon aucune de ces chaînes télévisées, de ces radios nationales, ou aucun de ces soi-disant « grands quotidiens », ne survivraient une minute de plus, tant ils peinent chaque jour un peu plus à trouver preneurs), les doigts les plus boudinés de la manipulation des masses. Laïbi : « Il faut dire que ces fameux sondages permettent de déblatérer pendant des heures sur les plateaux télé alors qu’il n’y pratiquement rien à dire. » Comme le dit le titre du chef‑d’œuvre du grand cinéaste Douglas Sirk : Écrit sur du vent : et les sondages, c’est, ça a toujours été et ce sera toujours du zéphyr cognitif, une simulation de grand pet collectif, qui permet au pouvoir de dire à la cantonade médiatique : « Voilà ce que le peuple pense ! » Il a envie de voter pour ceci, ou pour cela, il est pour ou contre telle mesure, il est plutôt chair, euh non, il est plutôt poisson : de la flatulence sémantique qui n’a aucun rapport avec la réalité. Du Spectacle. Laïbi : « C’est une façon d’occuper l’espace et le temps et d’habiller ses propos par des chiffres mathématiques qui vont leur donner un semblant de crédit, c’est du moins ce que croient les éditocrates de plateau alors que jamais de toute l’histoire les médias n’ont eu si peu de crédit. Même le baromètre de confiance des médias est manipulé par ces mêmes médias, tout est corrompu jusqu’à la moelle. »

Laïbi analyse ensuite le rôle de « répétition générale » qu’auront joué depuis des décennies les industries du film et des séries télévisées dans l’endoctrinement des peuples, en les habituant à l’avance, par bourrage de crâne, aux absurdités psychotiques d’État qu’ils subissent depuis deux ans et demi. Laïbi cite par exemple Walking dead, ou TWD. Comment ne pas souscrire à cette analyse ? J’ai seulement envie d’ajouter ceci : en plus de ces visions anticipatrices et donc éducatrices de l’horreur que promeuvent tant de films et de séries télévisées (et j’en parle énormément dans mon travail philosophique tant, comme Salim, j’estime le sujet crucial), il y a aussi, de manière au moins aussi visible, depuis quatre décennies à peu près, le gavage des oies médiatiques à coup d’émissions débiles, de chansons débiles, de livres débiles, avec une intensité renforcée d’année en année. Un gueux moyenâgeux n’avait accès à la Culture qu’une fois par semaine : en allant à l’Église, où le Spectacle avait tout même une autre gueule que Loft Story ou Les Anges de la télé-réalité (ou, il y a quatre décennies, Dallas ou Dinasty), et où les chants liturgiques, c’était incontestablement autre chose que les navets sonores de Gold ou Patrick Bruel, que nous sommes obligés de subir de manière incessante dans les conditions du « monde moderne ». Je renvoie à la citation de Benjamin plus haut : le Capitalisme comme Culte le plus extrême et le plus impudemment bouffon qui soit jamais apparu sur terre : culminé aujourd’hui dans le délire à crâne ouvert du « covidisme ».

N’en jetons plus. Tout ce qui précède n’est qu’un timide survol de la quantité de renseignements dont Laïbi nous pourvoit à jet continu, sur près de cinq cents pages très serrées. Et allons droit à la conclusion, laquelle porte un titre léniniste : Que faire ? Réponses : d’abord s’unir et créer des liens. « Il faut donc contrer cette stratégie de la division et de l’atomisation de la société en individus isolés en recréant du réseau (…). Si on prend l’exemple de cette crise sanitaire et l’extrême difficulté pour les malades de trouver, par exemple, de l’Ivermectine pour se soigner, le réseau peut le permettre sans grande difficulté via un simple coup de fil. (…) Il faudra également songer à remettre au centre de nos relations commerciales le troc. Il ne sera pas question uniquement d’échanger de la marchandise, mais des compétences. (…) Les sociétés africaines fonctionnent ainsi depuis longtemps et c’est ce qui leur permet de survivre dans des environnements hostiles, étant gouvernés par des truands. De plus, absolument personne ne peut vous en empêcher tandis que l’argent est traçable et que l’État mafieux peut y mettre le nez à tout moment. » Laïbi, lequel a consacré tout un chapitre de son livre à la crise économique cataclysmique qui arrive (« nous savons que les distributeurs automatiques de billets seront très vite vidés »), chapitre non traité dans cet article, nous prescrit d’acheter de l’or, de faire de gros stocks alimentaires (« au moins trois mois »), de faire un potager dans son jardin si on en a un. La seconde réponse donnée par Laïbi à la question léniniste, c’est de faire sécession (un très bon livre des éditions Fiat Lux s’appelle d’ailleurs Sécession, l’Art de désobéir, par Paul-Eric Blanrue). Il s’agit d’un programme clairement anarchiste, même si l’adjectif n’est jamais prononcé. « L’État s’est transformé au fil des années en monstre aussi incompétent qu’insatiable, incapable d’apporter le moindre bien-être à la société. (…) Les gouvernements détruisent méthodiquement chaque jour ce qui fonctionne depuis des décennies. Les députés votent toujours plus de lois qui freinent toute initiative. Pire encore, cet État qui est censé gérer correctement les affaires des citoyens devient vorace puisqu’il ponctionne plus de 50% du PIB de la richesse du pays tout en répétant à longueur de journée (…) sur les médias que les caisses sont vides et qu’il faut toujours plus de taxes, de cotisations, d’impôts. Bien sûr, plus vous payez d’impôt et moins il y a de service public. » La sécession est donc devenue « la seule solution possible et souhaitable afin de sortir de ce chaos et de la mainmise de cet État ; c’est d’autant plus urgent que nous observons actuellement la fin de l’État de droit depuis deux ans, ce qui lui ôte toute crédibilité. À partir du moment où le gouvernement piétine, en une seule décision, tout autant le Code pénal, que le code de santé publique, la constitution et les différents accords et conventions internationaux signés, il ne doit plus être respecté ; bien au contraire, il doit être combattu, dénoncé et rejeté avec détermination. » Voilà qui n’aurait pas déparé sous la plume d’un Bakounine… Laïbi dénonce ensuite la fantasmagorie du suffrage universel et de la démocratie représentative, qui, comme dit un peu plus haut, ne fait que permettre à l’ »élite » parlementaire de voter des lois chaque jour plus absurdes et contraignantes les unes que les autres. Là-dessus Laïbi a une remarque qui titille mon oreille philosophique : « Les lois communes doivent être peu nombreuses, extrêmement limitées, conformément à un principe du droit connu : « La liberté doit rester la règle, les restrictions l’exception. » » Et en effet, dans mon travail philosophique, où la question du jeu tient une place importante, je démontre, sur la base de la lecture de La lettre volée de Poe (encore lui), que les meilleurs jeux sont ceux dans lesquels les règles sont les plus faciles à assimiler. Pour Poe, comme pour moi, les dames sont sous ce rapport un bien meilleur jeu que les échecs, ou le Whist que le Bridge. Et, dans la même réflexion, je dis explicitement que cette vérité concernant les jeux doit servir de paradigme concrètement politique : le contrat social qui vient doit être minimaliste, et, comme dit Laïbi, « la liberté doit être totale pour tous, sauf en ce qui concerne les grands principes (vol, meurtre, viol…) ». Là encore, c’est tout à fait explicitement que, dans ma réflexion sur le jeu, je me sers de son paradigme pour proposer une conception radicale de la liberté, sur laquelle je ne m’étendrai pas ici, y renvoyant simplement le lecteur (Système du pléonectique, op.cité, entrées éponymes « Jeu » et « Liberté »), avide de comprendre ce que pourrait bien être un concept moderne, clair, distinct et pleinement intelligible, de la liberté.

Bref : je ne peux que saluer avec mon enthousiasme libertaire de toujours le programme conclusif de Laïbi. Le livre se termine ensuite par une trentaine d’annexes passionnantes, qui comprennent de nombreux graphiques statistiques, des chroniques de Laïbi lui-même (souvent au vitriol, sur le loukoum intellectuel Caroline Fourest par exemple), des droits de réponse incendiaires aux calomnies des médias mainstream (Salim passe pas mal de temps devant les tribunaux, et gagne quasiment toujours), des textes d’autres auteurs (Agamben, Vigano…), une ou deux lettres ouvertes… J’ai une faiblesse toute particulière pour l’annexe 15, qui montre des dessins d’enfants de 5 à 6 ans qui regardent moins d’une heure de télévision par jour, puis d’enfants du même âge regardant la télé plus de trois heures par jour. Ça se passe de commentaires. Mon fils ayant à peu près cet âge (il va sur ses sept ans), je lui dédie le présent article. Car il a dit à sa mère, il y a quelques mois, tout simplement de ne plus jamais allumer la télé, trop anxiogène à son goût. Je l’ai congratulé et récompensé pour cela, après coup. Il est des réflexes héréditaires qui ne s’expliquent pas : pour ma part, cela fait plus de vingt ans que je n’ai pas allumé la télévision.

Trois livres fuoriclasse, comme on dit en italien, et, pour finir cette chronique, une revue. Ligne de risque est l’une des meilleures revues littéraires françaises des trente dernières années, et certainement la plus singulière. Elle se plaça, à ses débuts, sous l’invocation de Lautréamont, et sous le parrainage de Philippe Sollers (encore lui, notre Pape bien-aimé de la littérature !). De plus, elle n’a fait, chose rare, que se bonifier avec le temps (l’antépénultième numéro, Dévoilement du Messie, était de très haute volée). La preuve : le dernier numéro est tout bonnement exceptionnel (Ligne de risque nouvelle série, numéro 3, éditions Sprezzatura, Brest, 2020). Il s’intitule : Aperçus sur l’Immonde, et est sous-titré : ou la route de la servitude. En seulement soixante-douze pages, on a une analyse impeccable des événements récents, et qui fournit une perspective encore différente des trois livres que nous venons de parcourir. L’Éditorial plante le décor : « D’un bout à l’autre de cet astre errant qu’est la terre, un étrange virus, à partir de mars 2020, a soudainement privé d’intérêt tout ce qui n’était pas lui. S’arrogeant un pouvoir absolu sur une bulle d’information sans cesse regonflée à son propre vide, il s’est imposé à nous sur tous les plans, à l’instar d’un souverain dominateur qui mettrait sous son joug les vaincus. On ne parlait que de lui dans les médias ; et jusque dans les conversations privées, il n’y en avait que pour lui. Sous l’égide de gouvernants à la fois pervers et absurdes, nous étions en permanence assaillis par des mots d’ordre angoissants et exposés à des recommandations contradictoires, mordant sans arrêt l’un sur l’autre. Bref, nous avons été travaillés, comme on le dit en sorcellerie. On a porté la main sur nous ; et d’abord sur notre appareil psychique. Nos idées et nos manières de sentir, on les a brassés ; on a modifié en profondeur nos conduites, et de même nos automatismes. »

Le sommaire, en plus de l’Éditorial, comprend : un texte baptisé Notes sur l’annulation en cours (sur lequel je reviens très vite), un autre Au nom de la science, signé Sandrick le Mager, qui analyse de manière très fine le déroulement des événements, et à échelle mondiale. Le troisième texte est une sélection de larges extraits du Rapport d’information n°673 du Sénat, où le programme d’installation du totalitarisme le plus délirant qui ait jamais été est avoué à chaque ligne (« si une « dictature » sauve des vies pendant qu’une « démocratie » pleure ses morts, il y a sans doute d’autres questions à se poser », genre. On appréciera l’usage des guillemets, qui détonnent comme deux lapsus). Vient ensuite un savoureux Florilège de citations de collabintellos du crétinisme covidien, d’Onfray à Badiou en passant par Gulcksmann, Einthoven et bien d’autres. Enfin, un court texte de Julien Battisti contre le livre électronique, beaucoup moins hors sujet qu’il n’y paraît à première vue, comme on va très vite le comprendre.

J’ai choisi de me concentrer sur le joyau de ce numéro, Notes sur l’annulation en cours, signé par le principal animateur de la revue, François Meyronnis. Meyronnis est un auteur rare, discret, auteur d’une poignée d’essais, dont un prophétique De l’extermination considérée comme un des beaux-arts en 2007 (Gallimard, « L’infini », 2007), est de quelques romans, dont tout récemment un magnifique Le messie (Exils, 2021), dont je parlerai ailleurs. Le texte s’intitule donc : Notes sur l’annulation en cours, et commence comme suit : « Je le dis depuis longtemps, et mes contemporains se tapotaient la tempe avec l’index, ou du moins refusaient-ils de prendre au sérieux le message. Mon propos était simple, pourtant, et d’une flagrance toujours plus obscène : la fin du monde a eu lieu. Elle a déjà eu lieu. » Meyronnis date de 1914 ce début de la fin du monde, d’un processus d’autoanéantissement qui, malgré les nombreux signes d’alerte rouge surgis depuis, semble ne jamais ralentir, et au contraire aller d’accélération en accélération (de pseudo théoriciens universitaires, « de gauche » comme il se doit, s’étaient crus originaux, il y a quelques années, en se fendant d’un Manifeste accélérationniste pour soutenir que, somme toute, l’accélération technologique toujours plus intense devait être poussée jusqu’au bout, comme on appuie sur la pédale d’une voiture sans volant).

Meyronnis évoque, au sortir de la « der des der », un intellectuel viennois aussi crucial que méconnu du grand public, Karl Kraus, et qui écrit une pièce de théâtre à ce sujet. « Rien que son titre proclamait une vérité terrible, encore valable aujourd’hui — Les derniers jours de l’humanité. Évidemment seule une poignée de séditieux de l’intelligence eurent les oreilles pour saisir la portée d’une telle parole visionnaire ; parmi eux, Ludwig Wittgenstein, Walter Benjamin [tiens tiens, NDMBK] et Elias Canetti », Basquin citant souvent ce dernier dans L’histoire splendide.

Vient à nouveau sur la table la question centrale de toute cette affaire, celle qui hante décidément l’ensemble de mon travail philosophique : celle du Mal. Or, voici ce qu’écrit Meyronnis : « À considérer l’histoire mondiale du siècle précédent, une évidence s’impose — il est arrivé quelque chose au Mal. Cela s’est traduit par une mise hors de ses gonds du néfaste, dont l’étrange lumière nimbe dorénavant notre époque terminale ; une lumière laiteuse et morbide, qui tire sa radiation de ce double foyer : Auschwitz et Hiroshima. »

La phrase de Meyronnis est lente, aristocratique, précise ; elle frappe à chaque fois dans le mille. Et Meyronnis, en commençant son texte par l’évocation des atrocités du vingtième siècle, que nous sommes en passe de surpasser haut la main et de tous les côtés, nous amènent, sous couvert d’une « crise sanitaire » montée de toutes pièces, à rien de moins qu’à un gigantesque camp de concentration numérique. « Qu’on en prenne conscience ou pas, nous voilà devenus les têtes de bétail de la cybernétique. Avec la force de l’éclair, l’instant spectral des réseaux nous expulse du présent, nous privant du passé aussi bien que de l’avenir. (…) En effet, comment serions-nous assez redoutablement vivants pour contrecarrer cet énorme escamotage ? Lequel va de pair avec le raccordement de tous les lieux de la planète ; et avec l’hégémonie de la sans-distance qui s’ensuit, rivant nos corps à une possible annihilation. »

C’est sur cette toile de fond, nous dit Meyronnis, qu’il faut comprendre la soi-disant « pandémie », comme son imprescriptible condition de possibilité. Sans la toile d’araignée cybernétique numérique prenant presque toutes les mouches anthropologiques dans ses fils, pas de « pandémie » du tout (on connaît le fameux slogan des manifestations : « les médias sont le virus »). « Alors que le virus couronné commençait à nous détremper la cervelle, on ne se doutait pas que cet ennemi de l’homme régnerait bientôt du pôle boréal au pôle austral, en passant par tous les méridiens ; ni qu’on allait lui rendre un culte à l’instar d’un dieu païen, tel un vaudou omniprésent et fuligineux. » Benjamin…

Meyronnis bat alors le rappel des mesures : confinement, distanciation, fermeture de presque tout, masques, et, pour couronner le grotesque psychiatrique, « chaque Français [devait] se signer à lui-même une autorisation circonstanciée pour sortir de chez lui, sous peine d’amende ; et pire, en cas de récidive. Le ridicule absolu de cette dernière mesure, son caractère avilissant, ne provoqua aucun soulèvement, pas même un hourvari de protestations : tout juste s’exposa-t-elle aux brocards d’une poignée de récalcitrants (…). Mais loin de tempérer la servilité des conformistes, de tels sarcasmes furent accueillis avec la plus grande dureté par les relais du pouvoir ; comme si les ironistes mettaient en péril, avec leur légèreté, la précieuse santé du troupeau humain. »

Meyronnis voit parfaitement comme, sous couvert d’une inepte « guerre contre le virus », lors même qu’il est « remarquablement peu létal », nous aurons assisté, hébétés, à un glissement tectonique de paradigme civilisationnel. Témoin : l’interdiction, pendant quelques mois, des rites funéraires, l’un des sceaux les plus sacrés, depuis les néandertaliens, de ce qu’est un être humain. « Pourvu qu’on le supposât porteur du virus, le cadavre ne faisait le plus souvent l’objet d’aucunes funérailles : on traitait, ni plus ni moins, la dépouille comme un déchet. » Pour appuyer ce basculement civilisationnel majeur, le « gouvernement s’est (…) mis à mentir chaque jour avec frénésie, épaulé dans cette entreprise par la pègre volubile des médiatistes. On tournait des écrous dans nos têtes, et la fabrique du mensonge marchait à plein régime. »

« Les tourneurs d’écrou commencèrent par expliquer à chaque Terrien qu’il était à découvert, exposé au virus couronné, donc sous le coup d’une menace de mort. »

Évoquant une perspicace expression d’Huxley — le « conditionnement néo-pavlovien » -, Meyronnis entre dans le détail de quelques-unes des techniques de ce conditionnement, comme le nudge : « Ne tombant pas dans les défauts d’une

propagande ordinaire, il instille dans nos esprits des liens, dicte des réponses, suscite des idées et des images que nous n’avons pas formées. » Et Meyronnis en vient très vite à la finalité qui était, dès le départ, celle de cette gigantesque mise en scène, et de ce conditionnement : les « vaccins », « confectionnés à la va-vite ». Comme le dit à peu près Reiner Fuellmich : si vous croyez que les « vaccins » ont été créés pour le virus, vous restez dans le brouillard insensé de la narration officielle. Si vous comprenez que c’est le virus qui a été créé pour les « vaccins », tout fait soudain sens, tout devient cohérent.

Il s’agit donc bien de l’installation de ce que Meyronnis, empruntant le terme à Agamben (cité plusieurs fois dans le texte), appelle un Dispositif. Après l’instauration du pass sanitaire, le dessein poursuivi se précise, est tout près de s’avouer : « Qu’on s’en réjouisse ou qu’on s’en désole, le sésame électronique s’imposait comme le porche de toute vie sociale. À moins de l’avoir, aucun accès à une existence normalisée. » Les « non-vaccinés » devinrent des parias, la lie de la Cité ; et le « président Macron avait fini par proclamer, avec son aplomb habituel, qu’un esprit éclairé ne pouvait que lui dénier le titre de « citoyen » ». Le tout, avec le docte assentiment de nos « élites » intellectuelles (pour de rien ne dire des médias), jamais avares en sermons frappés au sceau de leur belle âme, de leur appartenance au camp du Bien, et de la veille perpétuelle au « plus jamais ça ». Avalisant par là, et en toute bonne conscience, le régime politique le plus abject à avoir régné en France depuis Vichy. De même, dans les autres pays francophones (salut aux amis belges).

« Prérogative du Dispositif : il se tient de tous les côtés à la fois. Indissociable de l’avènement du numérique, il est toujours fluide, n’occupe aucune position déterminée (…) », mais est la création de « fortes oligarchies globalisées, et celles-ci le servent, tout en se servant elles-mêmes. Ainsi, faute de commandement général, a‑t-il au moins des états-majors, connectés entre eux et efficaces. Dans le professeur Schwab, président du forum de Davos, on reconnaît ordinairement l’un des principaux syndicateurs des oligarchies planétaires. Or cet Allemand de pouvoir a publié, dès 2020, un rapport sur la crise sanitaire avec un comparse français, sous-titré dans la langue du comparse — La Grande Réinitialisation. »

La suite, on la connaît : la « pandémie » hologrammatique représente un tournant, un basculement civilisationnel inouï. « Repartir de zéro, tel est l’ordre du jour. (…) Beaucoup de choses persisteront de notre ancienne vie ; seulement, au loin, selon une « nouvelle obsession de la propreté ». Certes, on échangera toujours avec des humains amis, collègues — mais par l’entremise d’un portable ou d’une console. Selon nos guides, et ils ont raison, l’emprise algorithmique s’élargira. (…) On aura peur les uns des autres : on nous repaîtra de cette peur. On portera des bracelets biométriques. On sera toujours plus grégaire, mais on se gardera des rapprochements. (…) Comme l’annonçait Bill Gates, le grand oligarque, on entrera dans l’âge de la « substitution logicielle ». »

Après un nouveau récapitulé des séismes du vingtième siècle et au-delà (les deux guerres mondiales, la guerre froide, l’effondrement du mur de Berlin, le démantèlement de l’URSS, le World Trade Center, la crise des subprimes), Meyronnis serre d’encore plus près la vraie nature du coup d’État mondial de mars 2020. « Grâce à Sa Majesté le virus, le Dispositif, implacablement, organisait son espace de jeu à nouveaux frais. Rien d’autre ne compte dans ce qui arrive, tandis que les placiers en quatrième main de l’opinion, nous étouffant dans la layette de nos lâchetés, mettent l’accent sur le seul aspect sanitaire. Or celui-ci n’a qu’une incidence minuscule comparée à ce qui se passe en effet autour de nous, et qui ne cesse de prendre de l’ampleur. »

Meyronnis enchaîne en évoquant une déclaration d’Elon Musk, en même temps que le début de la « crise sanitaire », où l’on apprend que « le langage, selon le milliardaire américain, n’en avait plus que pour cinq à dix ans, au maximum », ce que relaye allégrement notre Laurent Alexandre national, le chantre officiel des dix doses pour tous. Or, tel fut bien le combat de Ligne de risque pendant vingt-cinq ans, qui l’a fait sortir du lot éditorial courant : un combat pour le dévoilement de la vérité par le langage. Combat non seulement esthétique et littéraire, donc ; mais politique et philosophique. Or, pour la seule France, c’est de longue date que le langage est mis à mal, quatre décennies au moins ; que l’installation définitive du Spectacle s’est accompagnée d’une marchandisation de la littérature, et donc d’une paupérisation de la langue, du style, de la sémantique ; dans un pays qui compte historiquement plus d’écrivains et de poètes majeurs qu’aucun autre, et qui avait donc plus à perdre qu’un autre dans cette pénurie linguistique organisée. Le Spectacle n’en a que pour son propre langage binaire, stéréotypé, qui veut encore faire se passer pour de la « démocratie » ; alors que les deux années et demie qui viennent de s’écouler ont démontré que nous n’étions plus libres de rien, sous peine d’anathème : ni de penser, ni de questionner, ni de parler dans une langue qui nous soit propre.

Le programme du quatrième Reich transhumaniste s’épelle donc comme suit : « la démultiplication indéfinie de la puissance de calcul des ordinateurs entraîne le besoin impérieux de « fusionner » le cerveau avec les nouvelles architectures numériques. Il s’agit d’ »augmenter nos capacités en truffant neurones et synapses de composants électroniques. (…) D’où la proposition, affolante autant que niaise, de Musk : engloutir, avec le monde, la parole qui le porte. Soyons honnêtes : cela ne gêne que moyennement le petit-bourgeois réticulé. Du langage, il se fait une conception tellement indigente et minable qu’il bronche à peine quand un milliardaire cybernéticien lui annonce sa fin avec le toupet d’un représentant de commerce. » Aussi, si « la parole se résume à l’usage quelle moyenne, pourquoi ne pas se débarrasser de cet outil, si l’implant Neuralink donne de meilleurs résultats ? » Aux yeux d’un transhumaniste — qui fera passer, dans quelques années ou décennies, l’appellation « nazi » presque pour un compliment -, « traverser la parole et être traversé par elle, rien de plus superflu. Avec fougue, il choisit cette autre option : traverser le Dispositif et être traversé par lui. »

Le dessein secret de la fausse « pandémie » se montre alors sous une lumière aveuglante ; et Meyronnis, en abyme, de réaliser un tour de force performatif avec ce texte à la prose d’orfèvre, et à la pensée étincelante de lucidité : à faire advenir, à point nommé, la vérité par la parole. Puisqu’à l’évidence, la « pandémie », planifiée depuis des décennies par les « propriétaires du monde » (Debord), est une attaque sous faux drapeaux, un cheval de Troie communicationnel, qui n’aura visé qu’à aplanir le terrain pour « l’aménagement, étape par étape, de cette biocratie cybernétique prônée par les maîtres de la terre ». C’est un peu « Zorglub à l’OMS ».

« Un autre rapprochement donne à la prétendue « crise sanitaire » l’éclairage qui permet d’en saisir, l’espace d’un instant, les véritables contours : on avait cherché à les estomper sous les dehors d’un problème de santé publique, et voilà qu’ils se manifestent brusquement avec leurs bords déchiquetés, méandreux cependant, plein de coudes et de zigzags. En effet, les contours sont ceux d’un crime parfait (…). Il ne s’agit de rien d’autre que de parachever le remodelage du monde depuis le virtuel d’engouffrer ce qui persiste néanmoins d’attesté et d’observable, mais aussi de vivant ! »

La suite du programme ? Zuckerberg (qui consonne avec « Zorglub ») nous l’annonce un certain 28 octobre 2021 : l’avenir sera Meta ou ne sera pas. Le « Métavers » parachève l’installation de l’humanité dans les paradis artificiels du numérique et du virtuel : pour paraphraser Debord, quand le « Métaverse » aura été branché sur tous les “cerveaux disponibles”, tout ce qui était directement vécu se sera définitivement éloigné dans une représentation. « Le Métavers est un monde parallèle en 3D, auquel nous donne accès un visiocasque. Ce que nous y découvrons ressemble à une expérience immersive, où chaque élément de notre réalité sensorielle se trouve simulé. (…) Un programme informatique élaborera artificiellement ce pseudomonde virtualisé, où des milliards de dindons, farauds de leur duperie, pourront interagir en direct, empaumés à chaque seconde par cette mystification qui les fera vivre dans une réalité ayant pour seule consistance les algorithmes (…). Un détail encore — Meta, le nom de la holding de Zuckerberg, désigne assurément son objet : le Métavers. Mais ce mot, en hébreu, a un sens qui n’est pas anodin si l’on songe à la Terre du Milieu. En effet, il veut dire : la « Morte ». »

Apocalypse signifie étymologiquement : dévoilement, à point à nouveau nommé. Et qu’ont fait les « écrivains, les artistes, les intellectuels » en assistant à cette apocalypse littérale, à ce dévoilement de vérité sans précédent dans toute notre Histoire ? Ils se sont empressés de se couvrir de ridicule et de déshonneur, en avalant cul sec la fable de la « pandémie », et en avalisant les « mesures » en aboyant à qui mieux mieux avec la meute médiatique (ou « médiatiste », comme Meyronnis aime à l’écrire). A minima, ils « détournaient les regards ; ils recevaient des prix, des décorations, pour récompenser leur châtrage ; ils bavardaient, caquetaient, jabotaient, en général à propos de superfluités morfondantes. (…) Tels des autruchons, ils se cachaient la tête, et se la cachent encore ; parce qu’ils n’ont absolument pas les réceptacles pour accueillir l’événement qui marche sur eux, comme sur l’ensemble des êtres parlants, avec une rapidité toujours croissante. » Le foutriquet préoedipien qui nous tient lieu, en France, de président (marié, comme chacun sait, à une tortue ninja zombie), les a pourtant prévenus : “La bête de l’événement est là.”

La solution ? Pour commencer, « ne pas perdre tout aplomb devant des mots fallacieux et empoisonnés, des mots tels que « complotisme » et « conspirationnisme » ; car ils ne servent qu’à en imposer aux têtes de linotte. » Ce qui me fait songer à un autre mot de Debord, dans cet immense livre de dévoilement qu’est Commentaires sur la société du Spectacle (op. cité), paru il y a déjà 34 ans, et pourtant c’est comme si c’était hier : « Le complot est devenu si dense qu’il s’étale quasi au grand jour. » Le « complotiste », c’est celui qui a le malheur d’avoir conservé l’une des choses les plus précieuses de l’existence, son âme d’enfant ; et de pointer, comme l’enfant de la fable, lors même que les adultes ne mouftent pas, que le Roi est nu comme un ver, et le complot contre l’humanité, parfaitement transparent.

André Bercoff m’avait interrogé, dans son émission, sur le fait que, dans mon Colaricocovirus (op.cité), j’écrivisse que « Hitler ou Pol Pot, ce sont des scouts à côté de Klaus Schwab ou Bill Gates. » Je passe donc la main à Meyronnis, c’est télépathique (cette télépathie des styles, qu’aucune Intelligence artificielle n’arrivera jamais à coordonner) : « On s’éloigne des Staline, des Hitler, des Mao ; apparaissent maintenant des monstres comme Bill Gates, Jeff Bezos, Elon Musk, Mark Zuckerberg, pour citer les plus redoutables chefs de file de la Silicon Valley. » Meyronnis répond ensuite à l’argument qu’avec ces derniers, les « Zorglub » 1, 2, 3, 4… de la Silicone Valley, nous n’avons quand même pas affaire aux dictateurs fous évoqués plus haut : « On dira peut-être : ils sont beaucoup moins sanglants que leurs devanciers. (…) leur influence s’accompagne rarement d’un déchaînement de brutalité ; tout n’est pas assassinats, tortures et sévices dans leur élévation. » Certes. Mais en un sens, c’est bien pire : Hitler ou Staline (Mao, je l’ai montré, c’est différent) ne dissimulaient pas, ou si peu, où ils voulaient en venir ; ils avançaient à visage découvert, disaient ce qu’ils faisaient et faisaient ce qu’ils disaient, et croyaient réellement bien faire. Avec nos « Zorglub », rien de tel : tout est enveloppé dans une rhétorique de la bienveillance et de l’intérêt public (en particulier, bien entendu, « sanitaire »), et même de la philanthropie. Comme le dit avec mordant un commentateur : dire que Bill Gates est un philanthrope, c’est comme dire que Jack l’Éventreur est un amateur d’anatomie. C’est pourquoi j’avais rétorqué à Bercoff : « C’est pour ça que Colaricocovirus est sous-titré : D’un génocide non conventionnel. À savoir qu’on n’utilise plus des mitrailleuses, des chambres à gaz, ou des machettes comme au Rwanda ; mais des confinements, des masques et des injections. » C’est non seulement beaucoup plus efficace, mais beaucoup plus ravageur : les confinements ont mis à genoux notre économie, plongé des centaines de millions de gens de par le monde dans la misère, traumatisé les enfants et les adolescents des couches les plus pauvres de la population. Les masques, itou : ils ont abêti et martyrisé nos ados et surtout nos gosses, tout en leur fourrant dans le cerveau que, pour la première fois de l’histoire de toutes les Civilisations et de toutes les Cultures sans une seule exception, ce n’étaient plus leurs aînés qui étaient responsables d’eux, mais eux de leurs aînés ; et que s’ils devaient mourir de culpabilité pour ça, eh bien qu’il en fût ainsi. Enfin, les injections expérimentales, faisant de la Terre un Laboratoire à ciel ouvert, ont provoqué une avalanche d’effets indésirables souvent atroces ; l’ampleur des dégâts ne fait donc pas que soutenir la comparaison avec les abominations du vingtième siècle : on s’apercevra qu’elle les aura dépassées, quand les comptes seront à peu près faits. D’où le qualificatif de « génocide non conventionnel », comme on dit « guerre non conventionnelle » : et comme l’ampleur de tout ce qui se sera passé en le minuscule tournemain de deux ans et demi saute aux yeux d’une partie de plus en plus large de la population, rien de mieux que de déclarer une bonne vieille guerre conventionnelle (à l’escalade nucléaire près, encore qu’il y ait le précédent d’Hiroshima), pour étouffer, autant que se faire se pourra, le plus grand scandale humanitaire de tous les temps, par un holocauste encore plus grand. Comme le dit la grande Véra Sharav : « Le « plus jamais ça », c’est maintenant. »

Le mot de la fin, c’est bien le moins, à Meyronnis : « De cette « crise », on retiendra un jour qu’elle fut le moment psychologique de la virtualisation ; et que ce processus ne tend lui-même qu’à une annulation des êtres et des choses, prenant d’ailleurs l’apparence d’une structure en palier. Que serait cette devise, en effet, sinon une injonction à tout enlever, à tout supprimer ; et à le faire graduellement, étape par étape. Avec froideur et méthode. Mais aussi avec une rage décuplée par sa propre violence. »

Résumons-nous : texte magistral. D’une magistralité dont nos caciques universitaires sont devenus, dans leur quasi-totalité, incapables, si l’on excepte Agamben, Esfled, Weber et quelques autres moutons noirs égarés.

Ajoutons pour finir qu’à ceux qui, du fait que je sois lié de près ou de loin à tous les auteurs ici cités, m’accuseraient dès lors de copinage et de renvoi d’ascenseur (Basquin a consacré un article magnifique à mon Colaricocovirus (op.cité), facilement accessible sur la toile), j’opposerai simplement qu’en temps de guerre totale contre les peuples, ce n’est pas simplement un luxe inestimable que d’avoir de tels camarades intellectuels de tranchée : il y va, tout simplement, désormais de survie. C’est pourquoi, à la lumière des événements des deux dernières années et demie, la phrase de Spinoza m’appert avoir été, au futur antérieur, la plus importante de toute l’histoire de la philosophie : « Seuls les hommes libres sont très reconnaissants les uns envers les autres. » Je la dédie à tous les artistes résistants, qui constituent aujourd’hui, comme aurait dit Deleuze, non pas une contraignante « école », mais un mouvement ; et assurément le plus important, de très loin, de ce début du vingt-et-unième siècle. Comme les avant-gardes artistiques dominèrent le début du vingtième siècle, et à peu près pour les mêmes raisons : elles furent une protestation enragée contre la civilisation qui avait accouché de la boucherie de la Première Guerre mondiale. Il y a toute une « culture conspi » qui est en train de se constituer, avec ses films cultes, ses musiques, ses arts, ses jeux (si si, par exemple un jeu hilarant et génial vient de sortir, État d’urgence, créé par Mickaël Dion et Jérémy Ferrari, dont je parlerai bientôt dans Kairos) et, bien sûr, ses grands livres. Bon appétit.

Mehdi Belhaj Kacem

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