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1971, Oman : des jeunes femmes contre l’impérialisme (vidéo 1’24)

samedi 17 février 2018, par anonyme (Date de rédaction antérieure : 17 février 2018).

https://lundi.am/1917-Oman-des-jeunes-femmes-contre-l-imperialisme

Paru dans lundimatin#133, le 12 février 2018

« L’heure de la libération a sonné »

Contre l’image stéréotypée d’un golfe Persique immuable et uniforme, un documentaire de 1974 nous plonge dans une guérilla omanaise qui plaçait l’émancipation des femmes au centre de son projet.

C’est un film rare qui a été diffusé ce 9 février au cinéma de L’Écran à Saint-Denis. L’Heure de la libération a sonné a été montré en France à la Semaine de la critique du Festival de Cannes en 1974. Sa réalisatrice, Heiny Srour, Libanaise née en 1945 est ainsi restée comme "la première femme arabe à aller à Cannes". Produit grâce à des dons de militants arabes émigrés, le film été tourné sur pellicule 16 mm au Dhofar, dans le sud du sultanat d’Oman, en 1971, alors que la région est bombardée par l’aviation britannique. Une insurrection socialiste et panarabe, soutenue par le Yémen du Sud alors sous orbite soviétique, s’oppose au sultan Saïd Ibn Taymour puis à son fils Qabus, dont l’armée est dirigée par des Britanniques qui ont conservé intérêts et bases militaires dans le pays.

L’Heure de la libération a sonné - Bande annonce

Cliquer sur l’image pour voir la vidéo.

La mémoire du "Front populaire de libération d’Oman et du Golfe arabe" s’est étiolée avec le temps. Et celle du film avec, quoiqu’on peut encore en entendre parler, ça et là. Ainsi le très médiatique Gilles Kepel se souvient, dans Passion arabe, paru en 2013 : "Étudiant, j’avais vibré au documentaire d’une réalisatrice libanaise (…), L’heure de la révolution a sonné, vu au cinéma Champollion, où l’on donnait alors des films militants pour le public soixante-huitard." L’auteur concède ne plus bien se souvenir du récit mais peut encore décrire l’affiche annonçant le film : "une jeune femme à la peau cuivrée, en short kaki, les cheveux courts bouclés, assise en tailleur à même le sol (…) tenant droit un fusil sont la crosse reposait à terre, sourire conquérant aux lèvres." Étonnement, il ne relève pas que la même photographie figure en couverture du roman Warda, de l’égyptien Sonallah Ibrahim, dans sa version arabe et dans sa traduction française (Actes Sud, 2002). Le livre prend la même guérilla comme cadre. Et comme le documentaire, il se concentre sur deux de ses aspects : la jeunesse de ses partisans et la place importante qui occupe les femmes. En octobre 1974, Ignacio Ramonet vantait déjà les vertus didactiques de ce film dans Le Monde diplomatique. Avec le temps, le "souci de didactisme militant" qu’évoquait le journaliste s’apparente surtout à une voix off dont le vocabulaire semble un brin poussiéreux. Mais qu’importe : la caméra de Srour est allée là où personne d’autre ou presque n’allait alors et a enregistré les paroles d’une lutte menée dans une région qui, encore aujourd’hui, est le plus souvent décrite par le truchement de divers spécialistes et de manière simpliste. Wahhabisme, pétrodollars et puissants émirs sont les lignes directrices des analyses occidentales sur la péninsule Arabique, alors que la guerre et la révolution au Yémen sont restés des sujets traités de manière lointaine.

Le film, lui, insiste sur la place des femmes dans l’insurrection : le Front les considère comme doublement opprimées, par l’impérialisme et par une société décrite comme patriarcale. Les rares fois où la caméra cesse de montrer des plans d’ensemble, c’est pour se rapprocher du visage de jeunes femmes - cheveux courts pour éviter les poux -, qui décrivent en langue himyarite leur implication dans un mouvement qui leur permettrait selon elles de s’émanciper du poids de leur tribu. Mona, bergère de quinze ans, mèche rebelle, visage poupon et fusil en bandoulière explique ainsi son combat avec une organisation qui se promet de défaire le vieil ordre tribal, sans pour autant affronter la piété religieuse. « Il nous faut rendre grâce à Dieu, car Il nous a mis sur le chemin de la révolution. », souligne un homme, déjà repris par Ramonet en 1974. En plus de se battre, elles reçoivent une instruction. Srour plante en effet sa caméra dans une étonnante école, faite de quelques tentes et toute entière aux mains d’enfants, d’adolescents et de quelques jeunes adultes, tous en uniformes. Certaines scènes sont étonnantes : dans un paysage quasi-désertique et vallonné, des jeunes montent par eux-mêmes une leçon d’histoire aux accents anti-impérialistes dans une sorte de reconstitution théâtrale où chaque élève incarne une nation. Les jeunes femmes, comme leurs camarades masculins, sont tenues de participer à différents travaux, comme la construction de petits barrages et de systèmes d’irrigation, dans une région habitée par des nomades. Le Front et le documentaire insistent sur le besoin de "développement" du Dhofar. Mais l’expérience révolutionnaire est vite avortée par les efforts de l’impressionnante coalition liguée contre elle. En 1976, la rébellion est défaite. L’exploitation du pétrole explose. Aujourd’hui, le sultan Qabus Ibn Saïd règne toujours. Il est souvent présenté comme un réformateur et un esprit conciliant : les médias occidentaux ont relevé le décret royal qui en 2010, a offert aux Omanaises la possibilité de s’opposer à un mariage arrangé par leur famille ou la neutralité du sultanat dans la guerre au Yémen, lui offrant un rôle de potentiel médiateur.

Le film de Srour, lui, devrait de nouveau être montré dans une version restaurée dans les temps à venir, après une nouvelle sortie annoncée en 2016 mais peu suivie de projections. Il témoigne de la vivacité d’un documentaire militant arabe qui aujourd’hui encore, accompagne différents mouvements d’émancipation.

Jules Crétois

1 Message

  • Un film de Heiny Srour sur le Dhofar

    « L’heure de la libération a sonné »

    https://www.monde-diplomatique.fr/1974/10/RAMONET/32687

    Octobre 1974, page 37

    Par Ignacio Ramonet

    Le 23 juin 1970 à Mascate, capitale du sultanat d’Oman, sous la lumière blafarde des crépuscules du début de l’été arabique, un coup d’Etat discret avait lieu, réalisé sur la pointe des pieds par les services de renseignement britanniques. Le décrépit sultan Saïd Ben Taymour, qui gouvernait son Etat depuis 1932 avec des méthodes extrêmement rétrogrades, se voyait déposé et remplacé par son fils, supposé plus moderne, Qabous, ancien élève de l’académie militaire anglaise de Sandhurst.

    Les raisons invoquées (bienfaits du progrès technique et de la modernité) semblèrent suffisantes pour dissiper les possibles reproches des chancelleries alliées de Ben Taymour. Toutefois ces raisons ne parviennent pas à expliquer de manière satisfaisante Pourquoi la diplomatie britannique, en phase de reflux dans cette partie du monde, avait agi de la sorte.

    Deux événements paraissent apporter une justification à ce dernier sursaut colonial du vieux lion britannique. D’une part, le 5 juin 1970, les conservateurs reviennent au Pouvoir et se résignent mal à appliquer les décisions des travaillistes d’évacuer militairement le Golfe avant décembre 1971 ; ils décident de laisser derrière eux un ordre Politique qui soit entièrement favorable à leurs intérêts : ainsi s’impose l’élimination du sénile Ben Taymour, dont la haine de l’imprimerie ou de l’électricité, par exemple, empêchait l’épanouissement de l’exploitation Pétrolière et nuisait aux intérêts de la Brirish Petroleum et de la Shell. D’autre part, le 12 juin 1970, dans les montagnes du djebel Akhdar, s’ouvre un deuxième front de lutte armée qui menace directement la capitale, Mascate et confirme la volonté d’une stratégie offensive enveloppante souhaitée par le Front de libération du Dhofar ; les troupes de Ben Taymour, mal organisées, résistent mal à la combativité de l’armée populaire : une réorganisation paraît indispensable aux Anglais ; Qabous, qui sort d’une de leurs académies les plus prestigieuses, leur laisserait les mains libres. Les Britanniques le portent au pouvoir.

    Le film qu’a réalisé la sociologue libanaise Heiny Srour est un document d’une grande rigueur historique qui apporte, avec originalité et talent, une information attendue sur les assises politiques de cette longue guerre oubliée. Produit grâce à des collectes réalisées auprès des travailleurs omanais émigrés en Angleterre, tourné dans des conditions difficiles, ce film s’articule de manière souple en quatre volets qui tentent de fournir, dans un souci de didactisme militant, des éléments objectifs pour une information juste sur une lutte anti-féodale et anti-impérialiste, qui s’est donné la prise des pouvoirs pour but et la guerre du peuple pour moyen.

    La première partie fait appel à de nombreux documents filmés ou photographiques pour exposer brièvement les origines de la lutte armée. La coalition des sultans avec l’impérialisme britannique et avec le sous-impérialisme iranien est dévoilée, ainsi que l’aspect caricatural de l’indépendance du sultanat d’Oman où non seulement le responsable des forces armées (le colonel Hugh Oldman), mais encore le ministre de la défense et le ministre des affaires étrangères, sont des fonctionnaires anglais (1).

    Le film insiste ensuite sur un des aspects les plus originaux de la révolution omanaise : la participation des femmes à l’élaboration des décisions, à l’organisation des tâches et à l’exécution des projets. « La femme doit se battre en tant que moitié de la société », explique un militant dhofari. Heiny Srour reconnaît que le rôle exercé par la femme dans le Front de libération du Dhofar, rôle exceptionnel dans le contexte culturel arabe, a été déterminant dans sa décision de tourner un film sur la lutte populaire en Oman. Elle estime, et les militants dhofaris hommes le déclarent, que c’est au degré de libération des femmes que se mesure la réussite d’une révolution. Ainsi le titre même du film permet une double lecture, car si, en effet, l’heure de la libération a sonné pour les Omanais, Heiny Srour pense qu’elle a sonné également pour la femme arabe.

    Sur un autre plan, le Front a une attitude aussi réaliste envers la religion islamique : il ne considère pas la pratique religieuse comme une contradiction principale et néglige de l’attaquer radicalement ; il compte en effet beaucoup plus sur l’effritement progressif. Cela permet à un sentencieux vieillard de déclarer : « Il nous faut rendre grâce à Dieu, car Il nous a mis sur le chemin de la révolution. »

    Paroles à peine surprenantes dans un pays désertique, de bergers nomades, où le Front a tout réalisé : il a construit les premières routes, les premières citernes, les premières écoles, les premiers dispensaires. « La révolution, explique un dirigeant, se bat d’une main et bâtit de l’autre. » Pour fixer les populations et développer un plus grand sens communautaire de solidarité, le Front a créé une ferme pilote, il a installé la première pompe à eau offerte par un pays socialiste. A ce stade, le film acquiert une intéressante dimension de document ethnographique, il s’attarde à décrire les pratiques artisanales des populations libérées, leurs modes vestimentaires, leurs rites de cure, leurs exorcismes… Cela confère au discours politique un ancrage sociologique qui l’explique davantage et qui justifie la ligne théorique du Front.

    Dans sa dernière partie, le film rappelle la nécessité de l’action armée tout en faisant remarquer que les idées sont plus fortes que toute technologie. On assiste au harcèlement et à la prise de la base de Takbit, défendue par des mercenaires originaires du Beloutchistan iranien. Des dirigeants expliquent les raisons de cette victoire : chez eux, l’idéologie guide le fusil et organise la violence révolutionnaire.

    On sait que, depuis le tournage de ce film (1972). les données militaires de la guerre du Dhofar ont été modifiées par l’arrivée sur le terrain d’un corps expéditionnaire i r a n i e n composé de cinq mille hommes. Ceux-ci ont peut-être ralenti la progression des combattants dhofaris, mais l’information fournie par le long métrage de Heiny Srour et les leçons de l’histoire suggèrent qu’ils seront incapables de résister plus longtemps face à une armée constituée d’hommes et de femmes pour qui l’heure de la libération a sonné.

    (1) « Golfe : la révolution dans une nouvelle phase », in El-Jabha (organe du comité Yémen-Palestine-golfe Arabique), n° 2, mai 1973.

    Ignacio Ramonet
    Directeur du Monde diplomatique de 1990 à 2008.

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