Bulletin Comaguer n° 494
21 Novembre 2022
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« HIROSHIMA » A TEHERAN ?
GUERRE NUCLEAIRE : ETAT DES LIEUX
Le conflit en Ukraine a fait revenir à la une des médias et des propos officiels la question de l’utilisation éventuelle de l’arme atomique. Il importe de situer ce nouveau discours public dans l’histoire plus longue de cette histoire commencée voici 77 ans.
Les bombardements d’Hiroshima et Nagasaki ouvrent une nouvelle phase de la compétition impérialiste. Sont exclus de la course à la domination mondiale les deux grands vaincus : Japon et Allemagne et le camp des vainqueurs regroupe deux vieilles puissances coloniales affaiblies : La France et le Royaume Uni. l’URSS qui a subi l’énorme agression nazie dont elle est sortie victorieuse mais avec d’énormes pertes humaines et économiques. Les Etats-Unis qui ont subi de très faibles pertes et dont la puissance industrielle a été portée par la guerre au plus haut niveau mondial ne peuvent que revendiquer la position de pays impérialiste dominant.
La possession et l’utilisation de l’arme atomique viennent à point pour afficher cette position en lui donnant une dimension militaire terrifiante pour toutes les autres nations. Un pays et un seul : l’URSS, ne prend pas peur et décide de rattraper au plus vite son retard. Il y parviendra en 1949. Depuis cette date l’URSS et la Russie qui lui a succédé ont réussi à neutraliser la puissance atomique étasunienne c'est-à-dire à empêcher un nouveau recours par les Etats-Unis à l’arme atomique.
Tout le discours sur l’équilibre de la terreur qui présente deux protagonistes également prêts à passer à l’acte est historiquement faux. L’URSS a passé tout son temps depuis 1945 et jusqu’à sa dissolution à ne pas se laisser distancer par son rival dans toutes les courses qui ont été menées pour « moderniser » l’arme atomique c'est-à-dire à multiplier pas plus de mille la puissance des bombes et à mettre au point les divers vecteurs capables de transporter ces armes de plus en plus vite et en plus grand nombre chez l’adversaire : bombardiers, sous-marins et missiles. En de rares occasions l’URSS a pris l’avantage (Spoutnik en 1957) et elle a alors décidé non pas de pousser son avantage mais de négocier avec les Etats-Unis des accords de limitation des armements. Sans cette quasi-parité nucléaire l’impérialisme étasunien n’aurait jamais négocié.
Ce rappel historique permet de comprendre pourquoi le 3 Janvier 2022 les 5 puissances atomiques membres du Conseil de sécurité ont signé un document dans lequel elles reconnaissent qu’une guerre nucléaire qui anéantirait l’espèce humaine ne peur pas être menée. Ce document résultat de négociations discrètes menées depuis l’arrivée de Biden à la Maison Blanche est signé par Jo Biden, Vladimir Poutine, Xi Jinping, Boris Johnson et Emmanuel Macron.
Nous joignons à ce bulletin la version française publiée par l’Elysée et la version anglaise publiée par la Maison Blanche. Nous avons mis le premier paragraphe de la version français en italique car la comparaison avec la version anglaise montre qu’il s’agit d’un ajout de l’Elysée qui ne fait pas partie de l’accord.
De ce jour là les trois signataires occidentaux savaient que la Russie n’utiliserait pas l’arme atomique dans le conflit qu’ils soutiennent en Ukraine, conflit qu’ils préparaient depuis 2014 et qui n’a été une surprise que pour les opinons occidentales distraites, et ils le savaient d’autant plus que la doctrine stratégique russe en la matière est clairement établie et affichée : le recours à l’arme atomique n’interviendrait qu’en riposte à une attaque nucléaire du territoire russe.
INSERER LA DOCTRINE NUCLEAIRE ETASUNIENNE DANS CE SCHEMA D’ENSEMBLE
Résumons :
1- La guerre nucléaire entre puissances nucléaires est impossible et reconnue comme telle
2- La Russie n’utilisera son armement nucléaire que si elle est attaquée
Mais qu’ils aient ou non approuvé la signature de Biden à l’accord du 3 Janvier 2022, le Pentagone, le complexe militaro-industriel, les fanatiques de la suprématie impériale ne renoncent ni à leurs rêves, ni à leurs budgets plantureux, ni à leurs projets.
Il sort de leurs débats un document connu sous le nom de NUCLEAR POSTURE REVIEW (NPR).
Bien qu’assorti d’un point d’interrogation la question symbolique qui donne son titre à ce bulletin est posée par les Etats-Unis dans le nouveau document officiel sur la stratégie nucléaire de l’Hégémon rendu public fin octobre sous le titre NUCLEAR POSTURE REVIEW.
Créé pour la première fois en 2002 – donc sous Bush GW – ce document est établi par le Pentagone tous les 4 ans dans la première année du mandat du nouveau président. Il est transmis au Congrès qui est ainsi informé de la doctrine officielle en matière de stratégie nucléaire. Il est suivi d’un document plus technique sur le mode d’utilisation des armes nucléaires (Nuclear Weapons Employment)
En 2002 le première NPR était classifiée mais depuis OBAMA elle est publiée par le département de la Défense. Etaient visés à l’époque la Russie les trois membres de l’axe du mal nommés après le 11 Septembre Iraq, Iran, et RPDC (Corée du Nord) – mais aussi la Chine, la Libye et la Syrie ce qui voulait dire expressément que 3 pays qui ne possédaient pas l’arme nucléaire : l’Iran, la Libye et la Syrie étaient cependant considérés comme une menace suffisante pour justifier le recours à la menace voire à l’utilisation contre eux de l’arme atomique. La Libye et la Syrie ont subi, on le sait, d’autres types d’assauts militaires allant jusqu’à la destruction de l’Etat libyen
A noter que la menace nucléaire russe est présentée en 2022 comme « plausible mais pas préoccupante » vu l’accord du 3 Janvier.
Un changement apparait en 2009 au moment de la présidence Obama. La nouvelle politique dans le monde arabe : lancement des « printemps » par le discours d’Obama prononcé le 4 juin 2009 au Caire devant l’université du Caire et l’Université islamique Al Azhar. Obama lance sa stratégie de conduite des opérations « par l’arrière » c'est-à-dire comme on l’a vu en Libye il laisse à son allié Sarkozy le rôle de chef de l’opération que celui-ci jouera avec un zèle démonstratif, l’armée étasunienne en assurant la couverture par ses satellites, ses avions radar et son systéme intégré de communication
La Libye et la Syrie où le renversement des régimes est en préparation dans ce cadre de cette nouvelle politique où le Frères Musulmans sont appelés à jouer un rôle central de contre révolution préventive ne sont plus menacés de l’arme atomique. Par contre l’Iran et la République Populaire et Démocratique de Corée (Corée du Nord) restent évidemment sur la liste des ennemis « nucléarisables ».
Sa politique nucléaire sera énoncée l’année suivante dans un discours prononcé à Prague. Il annonce un accord sur la réduction simultanée des arsenaux nucléaires de la Russie et des Etats-Unis qui sera concrétisée dans l’accord Start de 2015. Mais il introduit en même temps une ambigüité grave. En effet le recours à l’arme nucléaire contre des Etats non détenteurs de la bombe n’est pas exclu en cas de « menace grave à l’ordre international » menace dont la réalité est livrée à l’appréciation discrétionnaire des Etats-Unis. Ainsi on se souvient que dans les préparatifs de la guerre du Golfe en 1991 les Etats-Unis ont décidé seuls du moment où ils attaqueraient l’Irak en sachant très bien, contrairement à leur campagne mondiale mensongère, que l’Irak n’ayant pas l’arme nucléaire ni aucun autre arme de destruction massive il suffisait d’écraser l’armée irakienne sous des millions de tonnes de bombes classiques et de détruire les infrastructures du pays.
D’OBAMA à BIDEN
Entre les deux se situe la présidence Trump. elle se caractérise d’une part par son unilatéralisme et par le retrait unilatéral des Etats-Unis de tous les accords ayant un lien avec la question nucléaire comme avait commencé à le faire Bush pour l’accord ABM (Missiles anti balistiques) : accord avec l’IRAN, traité de survol, d’autre part par l’augmentation des budgets militaires et ceux consacrés à l’arme atomique. La Russie ne peut que prendre acte de ces dispositions et elle va bientôt expérimenter et dévoiler sa nouvelle arme : le missile hypersonique indétectable, inarrêtable qu’il soit porteur ou non d’une charge nucléaire. Cette avance russe reconnue est considérée comme une menace nouvelle et conduit nécessairement la nouvelle présidence à reprendre le chemin de la négociation ce qui s’est traduit dés l’arrivée au pouvoir de Biden par la prolongation de START jusqu’en 2026 et par l’accord du 3 Janvier. Mais comme dans les périodes précédentes la négociation est un moment où l’ouverture diplomatique sert de paravent à une tentative intense pour rattraper à coup de dizaines de milliards de dollars le retard constaté.
Mais ce moment est un moment tactique opportun et la nouvelle posture nucléaire stratégique publiée en Octobre 2022 montre bien que les projets de domination demeurent. Cette publication est tardive, Biden est en fonction depuis 21 mois, le document classifié a été transmis en Mars 2022 au Congrès qui n’en a pas débattu. Le NPR 2022 n’est pas un document d’orientation à moyen terme mais un document d’actualité marqué par les deux face à face militaires avec les adversaires stratégiques, Chine et Russie : Ukraine et Taiwan.
Il souligne que l’action diplomatique est primordiale c'est-à-dire que les Etats-Unis veulent passer beaucoup de temps à négocier mais surtout à ne pas conclure. Le traité de non prolifération reste dans l’état où il est c'est-à-dire que les Etats-Unis ne sont pas prêts à entamer le processus de désarmement nucléaire qui est un de ses objectifs ce qui a comme conséquence que tant que les Etats-Unis ne feront pas le premier pas, rien ne se passera. Mieux le document annonce, sans preuve, que la Chine va porter son arsenal nucléaire à un millier de bombes, autre argument pour ne pas songer au désarmement.
Cette ambigüité étasunienne qui consiste à appliquer une partie du TNP : le contrôle sévère des autres pays signataires et pas l’autre, donc l’absence de toute action pour son propre désarmement n’est pas nouvelle. Elle est connue de la Russie qui s’en accommode préférant un traité imparfait à pas de traité du tout.
QUE CONTIENT LA NPR 2022 ?
Ce document de 28 pages est pour la première fois intégré en tant qu’annexe à un document plus global de 80 pages intitulé NATIONAL DEFENSE STRATEGY (Stratégie de défense nationale). Cette intégration a deux conséquences importantes
- la NPR n’inclut pas le principe réclamé par les groupes progressistes aux Etats-Unis du refus de la première frappe nucléaire c'est-à-dire que le pays se réserve le droit d’être le premier à utiliser l’arme nucléaire dans un conflit
- la NPR admet que l’arme nucléaire peut être utilisée contre un pays non nucléaire menaçant c'est-à-dire qu’elle abandonne le principe fixé dés son origine que l’arme nucléaire est une arme d’exception et doit être traitée séparément (principe de SOLE PURPOSE)
La raison de cet abandon s’exprime ainsi (page 9 de la NPR) : le maintien de leur application « aurait pour résultat un niveau de risque inacceptable à la lumière de l’étendue des capacités développées et produites par des concurrents qui pourraient nous infliger des dommages de niveau stratégique »
Il est précisé à la page 7 que la dissuasion nucléaire s’applique à «toutes les formes d’attaque stratégique » qu’elles concernent les Etats-Unis ou « leurs alliés ou partenaires » (lire OTAN élargie) et pour parvenir « à atteindre les objectifs des Etats-Unis si la dissuasion a échoué »
Qui décidera de qualifier de stratégique une attaque et qui décidera que la dissuasion a échoué ? Ce ne sera pas, on s’en doute, le Conseil de sécurité de l’ONU. Cette claire proclamation confirme avec éclat l’unilatéralisme obstiné qui anime la classe dirigeante étasunienne au moment où elle sent que son hégémonie s’affaiblit.
Ceci explique qu’après la publication de la NPR des officiels aient reconnu que les Etats-Unis savaient très bien que l’Iran n’a pas la bombe atomique, qu’il ne s’y intéresse d’ailleurs pas, ce qui sous entend que l’Iran dont les très grandes capacités en matière de missiles et de drones sont connues et inquiètent pourrait facilement être accusé d’être « une menace stratégique ». Ce qui ravirait le gouvernement israélien qui retrouve là un de ses topiques. D’où le titre de ce bulletin.
Pour autant l’entrée de l’Iran dans l’Organisation de coopération de Shanghai et l’approfondissement de ses relations bilatérales directes avec la Chine comme avec la Russie posent problème à Washington qui préfèrerait s’en tenir à une technique éprouvée : la révolution de couleur. Elle est aujourd’hui en haut de l’agenda.
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Déclaration conjointe des chefs d'Etat et de Gouvernement de la République populaire de Chine, des Etats-Unis d'Amérique, de la République française, du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord et de la Fédération de Russie pour prévenir la guerre nucléaire et éviter les courses aux armements, le 3 janvier 2022.
Texte intégral
Depuis bientôt deux ans, la France coordonne les travaux des cinq Etats dotés de l'arme nucléaire dans la perspective de la prochaine conférence d'examen du Traité de non-prolifération (TNP). Aujourd'hui, la France, aux côtés de la Chine, des Etats-Unis, du Royaume-Uni et de la Russie publient une déclaration conjointe des chefs d'Etat et de gouvernement sur leur détermination à prévenir la guerre nucléaire et à éviter les courses aux armements, qui affirme "qu'une guerre nucléaire ne peut être gagnée et ne doit jamais être menée". La France reste mobilisée pour contribuer positivement à la 10e Conférence d'examen du TNP et préserver l'autorité et la primauté de ce Traité, dans chacun de ses trois piliers : désarmement nucléaire, non-prolifération nucléaire et usages pacifiques de l'atome.
La République populaire de Chine, les Etats-Unis d'Amérique, la République française, le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord et la Fédération de Russie considèrent qu'il est de leur responsabilité première d'éviter une guerre entre Etats dotés d'armes nucléaires et de réduire les risques stratégiques.
Nous affirmons qu'une guerre nucléaire ne peut être gagnée et ne doit jamais être menée. Compte tenu des conséquences de grande ampleur qu'aurait l'emploi des armes nucléaires, nous affirmons également que celles-ci, tant qu'elles existent, doivent servir à des fins défensives, de dissuasion et de prévention de la guerre. Nous sommes fermement convaincus de la nécessité de prévenir la poursuite de la dissémination de ces armes.
Nous réaffirmons l'importance de traiter les menaces nucléaires et soulignons la nécessité de préserver et de respecter nos accords et engagements bilatéraux et multilatéraux en matière de non-prolifération, de désarmement et de maîtrise des armements. Nous demeurons déterminés à respecter nos obligations en vertu du Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP), notamment celle qui figure à l'article VI de "poursuivre de bonne foi des négociations sur des mesures efficaces relatives à la cessation de la course aux armements nucléaires à une date rapprochée et au désarmement nucléaire, et sur un traité de désarmement général et complet sous un contrôle international strict et efficace".
Chacun d'entre nous entend maintenir et renforcer encore ses mesures nationales destinées à empêcher l'utilisation non autorisée ou non intentionnelle d'armes nucléaires. Nos déclarations passées sur le déciblage, qui ont rappelé qu'aucune de nos armes nucléaires ne prenait pour cible l'un d'entre nous ou un quelconque autre Etat, demeurent valides.
Nous soulignons notre volonté de travailler avec tous les Etats pour mettre en place un environnement de sécurité permettant d'accomplir davantage de progrès en matière de désarmement, avec pour objectif ultime un monde exempt d'armes nucléaires avec une sécurité non diminuée pour tous. Nous entendons continuer à rechercher des approches diplomatiques bilatérales et multilatérales pour éviter les affrontements militaires, renforcer la stabilité et la prévisibilité, accroître la compréhension et la confiance mutuelles, et prévenir une course aux armements qui ne profiterait à personne et nous mettrait tous en danger. Nous sommes déterminés à poursuivre un dialogue constructif dans le respect et la reconnaissance mutuels de nos intérêts et préoccupations en matière de sécurité.
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January 03, 2022
Publié sur le site de la Maison Blanche
Joint Statement of the Leaders of the Five Nuclear-Weapon States on Preventing Nuclear War and Avoiding ArmsRaces
The People’s Republic of China, the French Republic, the Russian Federation, the United Kingdom of Great Britain and Northern Ireland, and the United States of America consider the avoidance of war between Nuclear-Weapon States and the reduction of strategic risks as our foremost responsibilities.
We affirm that a nuclear war cannot be won and must never be fought. As nuclear use would have far-reaching consequences, we also affirm that nuclear weapons—for as long as they continue to exist—should serve defensive purposes, deter aggression, and prevent war. We believe strongly that the further spread of such weapons must be prevented.
We reaffirm the importance of addressing nuclear threats and emphasize the importance of preserving and complying with our bilateral and multilateral non-proliferation, disarmament, and arms control agreements and commitments. We remain committed to our Nuclear Non-Proliferation Treaty (NPT) obligations, including our Article VI obligation “to pursue negotiations in good faith on effective measures relating to cessation of the nuclear arms race at an early date and to nuclear disarmament, and on a treaty on general and complete disarmament under strict and effective international control.”
We each intend to maintain and further strengthen our national measures to prevent unauthorized or unintended use of nuclear weapons. We reiterate the validity of our previous statements on de-targeting, reaffirming that none of our nuclear weapons are targeted at each other or at any other State.
We underline our desire to work with all states to create a security environment more conducive to progress on disarmament with the ultimate goal of a world without nuclear weapons with undiminished security for all. We intend to continue seeking bilateral and multilateral diplomatic approaches to avoid military confrontations, strengthen stability and predictability, increase mutual understanding and confidence, and prevent an arms race that would benefit none and endanger all. We are resolved to pursue constructive dialogue with mutual respect and acknowledgment of each other’s security interests and concerns.
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