La reprise de Kherson, l’impressionnante résilience des forces armées et du peuple ukrainiens, la volonté réitérée des alliés occidentaux de l’Ukraine de maintenir un haut niveau de livraisons d’armes précises, sophistiquées semblent avoir donné à certains commentateurs le « vertige du succès ».
Le but de cette guerre non provoquée devient non seulement la reconquête des territoires perdus depuis le 24 février, mais aussi celle de la Crimée, annexée en 2014. Certains vont plus loin et mentionnent d’autres annexions contestables réalisées par Staline au lendemain de la seconde guerre mondiale : Kaliningrad (ex-Koenigsberg), les îles Kouriles par exemple. Face au peu d’enthousiasme à soutenir « l’opération spéciale » manifesté par les républiques d’Asie centrale, on se dit que d’autres « sujets de la Fédération de Russie » pourraient être tentés de sortir de l’étreinte fraternelle de Moscou.
Pour éviter toute résurgence de l’impérialisme soviéto-russe, la seule garantie est une Russie faible, rabougrie renvoyée à son identité « tataro-mongole », le plus loin possible à l’est, l’Ukraine étant finalement l’unique berceau de la composante européenne et civilisée de l’ex-empire.
Ce désastre géo-politique étant dû à la volonté politique d’un seul homme, lointain mais de plus en plus ressemblant à l’original successeur de Staline, le départ, voire l’élimination de Vladimir Poutine doit logiquement faire partie des buts de guerre.
Le peuple russe aura pris conscience de sa responsabilité d’avoir laissé l’ex-Président le conduire à l’abime sans pratiquement réagir et nous sera reconnaissant de l’en avoir débarrassé. « La Russie paiera » à travers la saisie des avoirs des « oligarques », catégorie un peu fourre-tout qui autorise des largesses d’interprétation. Les dirigeants de cette « Russie de Weimar » seront des démocrates soucieux de s’inscrire dans ce narratif de culpabilité.
Il est peu probable que ce « scénario rêvé » se concrétise, mais cela reste chez certains, pas seulement ukrainiens, un idéal vers lequel il faut tendre ; avant d’éventuelles négociations il importe que de nouvelles avancées sur le terrain nous en rapprochent.
A ceux qui seraient tentés de se demander si cette « Russie de Weimar » est dans notre intérêt, surtout quand on se remémore ce qui a suivi l’Allemagne de Weimar, on répondra que la Russie « l’a bien cherché » en violant les frontières d’un Etat souverain et, partant la charte des Nations-Unies. C’est une donnée incontournable, même si on peut aussi se demander si les Occidentaux et les Ukrainiens n’ont pas alimenté la paranaoïa russe et en élargissant l’OTAN par vagues successives perçues comme un mouvement d’encerclement et en soutenant les Ukrainiens dans leur approche dilatoire des accords de Minsk.
Gageons que nombre d’ouvrages d’historiens paraîtront, après la fin la moins tardive possible de cette guerre sur « les origines de.. », à l’instar de ce qui s’est fait après les deux guerres mondiales qui ont marqué le XXe siècle. Pour éviter qu’une troisième ne dévaste l’Europe et au-delà, il faut enclencher de véritables négociations au plus vite ; il y aura un prix à payer pour la Russie, comme pour l’Ukraine, l’affirmer ne signifie pas souscrire à une quelconque « équidistance » légitimement rejetée par celles et ceux qui sont solidaires de ce peuple courageux.