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L’opération « Unthinkable », ou la Troisième Guerre mondiale en un plan

vendredi 30 décembre 2022, par anonyme (Date de rédaction antérieure : 30 décembre 2022).

https://www.ledevoir.com/societe/57…

22 mai 2020

Stéphane Baillargeon

Stéphane Baillargeon a fait des études en philo (un peu) et en sciences politiques (un peu plus). Il a fait ses premières armes en journalisme à TVA, puis à L’actualité, avant de se joindre au Devoir. Reporter à la section culturelle, il a successivement couvert les arts visuels, la littérature, les politiques culturelles, le théâtre et la télévision. Il a tenu des chroniques sur les questions religieuses (1994-2002) et sur les médias (2009-2016). Il a également collaboré à plusieurs émissions socioculturelles de la radio de Radio-Canada et à des projets de série documentaire pour la télé. Il est maintenant rattaché à la section des actualités, comme généraliste.

L’objectif de ce nouveau conflit était d’assurer la création d’un État libre et démocratique en Pologne, mais aussi d’empêcher la chape de plomb communiste de tomber sur l’Europe de l’Est.

La vérité vraie semble parfois vraiment invraisemblable. Et l’impensable peut très bien être pensé.

À preuve, avant même la capitulation sans conditions des forces allemandes, début mai 1945, des stratèges britanniques planchaient depuis plusieurs semaines sur un projet pour reprendre rapidement les hostilités, cette fois contre l’URSS.

L’objectif de ce nouveau conflit était d’assurer la création d’un État libre et démocratique en Pologne, là où la Deuxième Guerre mondiale avait commencé, mais aussi d’empêcher la chape de plomb communiste de tomber sur l’Europe de l’Est. La mise en œuvre tactique de la stratégie aurait vite pu mener à une Troisième Guerre mondiale.

Le premier jet du plan baptisé Operation Unthinkable (impensable) a été remis au premier ministre Winston Churchill le 22 mai 1945. Il y a donc tout juste 75 ans vendredi.

L’attaque-surprise devait être déclenchée le 1er juillet 1945. L’état-major prévoyait une percée sur le flanc droit de l’Armée rouge avec une bataille décisive prévue sur la ligne Oder-Neisse, à la frontière polonaise.

Les stratèges britanniques misaient sur la continuité de l’alliance avec les États-Unis, mais aussi avec la Pologne, la France et le Canada. Plus impensable encore, l’opération envisageait d’intégrer les troupes des trois armées (terre, marine et air) de la Wehrmacht pour qu’elles repartent en guerre contre l’URSS. Par contre, les divisions de la terrible Waffen-SS, jugées responsables de trop de crimes de guerre, n’auraient pas participé à cette nouvelle campagne militaire.

Un état d’esprit

L’existence du plan n’a été révélée que des décennies après sa conception, au début des années 1990, après la chute réelle du Bloc de l’Est. On peut consulter le document original, daté du 22 mai 1945, sur le site des Archives nationales du Royaume-Uni.

«  Le plan d’attaque montre l’état d’esprit dans lequel se trouvaient les leaders à l’Ouest, mais aussi à l’Est, en 1945  », dit au Devoir l’historien britannique Jonathan Walker. On lui doit le travail de référence sur le sujet intitulé Churchill’s Third Word War (The History Press). «  Les Britanniques se demandent par exemple ce qui arriverait si les Soviétiques ne s’arrêtaient pas à Berlin pour aller occuper la France et d’autres pays. Attaqueraient-ils ensuite leur pays  ?  »

Winston Churchill se méfiait totalement de Staline. Il sentait aussi que le président américain Roosevelt, mort en avril 1945, croyait un peu naïvement pouvoir contrôler le dictateur russe.

«  Churchill pense alors que les Américains ne mesurent pas l’ampleur du danger posé par l’URSS, à quel point cet empire peut se montrer agressif, résume le professeur Walker. Il craint qu’après la capitulation de l’Allemagne, les Américains, les Australiens et les Canadiens ne se retirent de l’Europe, laissant seule la Grande-Bretagne devant l’Armée rouge, sans espoir de sauver la Pologne. Il demande donc à ses militaires d’envisager l’impensable en préparant l’attaque.  »

Le document dactylographié comprend des phrases à faire frémir, comme celle-ci formulée en conclusion de la proposition  : «  a) Pour que l’objectif politique soit atteint avec certitude et des résultats durables, la défaite de la Russie dans une guerre totale sera nécessaire. b) Le résultat d’une guerre totale avec la Russie est impossible à prévoir, et la seule certitude est que, pour gagner, il nous faudra beaucoup de temps.  »

Barbarossa, bis

Ironiquement, l’opération Unthinkable ressemble assez à l’opération Barbarossa déclenchée vers l’est le 22 juin 1941 par le IIIe Reich. M. Walker explique que les stratèges britanniques souhaitaient sécuriser une ligne de front allant de Danzig à Breslau avant l’automne 1945, sans quoi leurs armées seraient forcées de retraiter ou de foncer vers la Pologne et Moscou, entraînant le monde dans une nouvelle guerre mondiale.

«  Le conflit se serait vite étendu sur plusieurs fronts, dit le spécialiste. L’URSS se serait alliée avec le Japon. […] La Grande-Bretagne, les États-Unis et le Canada se seraient alliés à la Wehrmacht. On se demande quelle aurait été la loyauté de l’armée allemande tout de suite après la fin de la Deuxième Guerre mondiale, même si les soldats allemands craignaient plus les Soviétiques que ceux de l’Ouest.  »

Jonathan Walker ajoute que la mise en œuvre de cette opération impensable aurait été un désastre parce que les troupes de la nouvelle alliance germano-occidentale auraient aussi été stoppées par le terrible hiver des steppes russes, exactement comme les armées napoléonienne et hitlérienne auparavant. Le sérieux professeur admet tout de même que cette projection historique parallèle, cette uchronie basée sur un plan bien réel, ferait une bonne œuvre de fiction à la Philip K. Dick. Il existe d’ailleurs un jeu de table basé sur l’opération Unthinkable.

Guerre chaude, guerre froide

Dans les faits, les Occidentaux n’avaient pas vraiment les moyens de cette audacieuse entreprise antisoviétique. Leur supériorité sur la mer et dans les airs n’assurait pas la destruction des installations industrielles de l’URSS réparties sur un immense territoire.

L’Armée rouge jouissait en plus d’un avantage sur le terrain, forte d’environ 11 millions de soldats contre 4 millions pour les troupes d’invasion, beaucoup de GI, de rangers et de marines restant empêtrés dans le conflit contre le Japon. Même l’avantage de la bombe atomique restait limité et de toute manière sous l’entière gouverne des Américains.

«  Dans les faits, le plan ne pouvait pas marcher, conclut le professeur. La population était épuisée par la guerre et ne pouvait être engagée dans une Troisième Guerre mondiale.  »

Le document officiel affirme étrangement le contraire en postulant que les sujets de l’Empire britannique, dont les Canadiens, accepteraient de relancer le combat. Le choc des mondes a finalement muté pour se transformer en guerre froide entre l’Est et l’Ouest. «  On a également échappé à une Troisième Guerre mondiale au moment de la crise des missiles de Cuba  », fait remarquer le professeur Walker.

Le rideau de fer dont parlait Churchill pour décrire l’emprise soviétique en Europe de l’Est est resté cadenassé jusqu’en 1989. La chute du Mur a permis au gouvernement polonais de révéler en 1995 le plan Sept jours jusqu’au Rhin élaboré par le pacte de Varsovie en 1979 pour imaginer une guerre nucléaire en Europe.

Le professeur Walker se demande d’ailleurs si d’autres opérations impensables du genre existent, enfouies dans les archives de l’ex-URSS. Cette possibilité est bien pensable et peut bien être pensée…

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Une version précédente de ce texte, qui indiquait que la chute du Mur a permis au gouvernement polonais de révéler en 1985 le plan Sept jours jusqu’au Rhin, a été modifiée.

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