Courage do, sinon, quelques remarques sur des propos tenus ici.
1) il manque des médecins en France. Faux, néanmoins vrai, mais pas comme on le croit, on va le voir (on ne se méfie pas assez de la fameuse dialectique du vrai et du faux).
2) La liberté de disposer d’antibiotiques (je ne parle pas des médicaments pour traiter une affection bénigne que la Sécu, dans son jargon, appelle "officinals"), cette "liberté" vient du courant "baba cool" de rien du tout, qui prétend qu’on peut, tout un chacun peut et devrait pouvoir, s’automédicamenter sans réserve (pourquoi pas s’improviser chirurgien aussi), il suffirait d’avoir confiance en soi et d’oser. Bien entendu, si des conséquences fâcheuses s’en suivent, le conseilleur ne viendra jamais assumer sa responsabilité.
Dans ce qui suit, je ne vais aborder que le premier point pour l’instant (désolé, c’est long d’écrire en argumentant, références à l’appui).
Pénurie de médecins en France, vraiment ?
Cette "pénurie" est en réalité due à l’hyper-concentration des médecins dans les villes, plus encore dans les centres-villes, pas qu’en France. Pourquoi ? Fondamentalement à cause de l’anarchie capitaliste (et oui, le capitalisme est fondamentalement anarchique), portée par l’idéologie libérale (au plan économique, laissons de côté les autres plans). La vérité est qu’il y a en France plus de médecins (ratio global, et non local, du nombre de médecins/population) qu’il n’y en a jamais eu, mais ils sont concentrés dans les centres-villes.
Lire, par exemple, au hasard de mes petites recherches récentes pour vous illustrer ce que je sais depuis longtemps à ce sujet :
1) Géographie de la santé : espaces et sociétés / La démographie médicale en France, le risque des déserts médicaux. L’exemple de la Montagne ardéchoise
http://geoconfluences.ens-lyon.fr/d…
On y trouve des statistiques portant sur la France, au delà du cas de l’Ardèche. L’auteur est géographe.
2) On peut voir sur une carte officielle récente de France, cette distribution inégale des médecins :
https://www.data.gouv.fr/fr/reuses/…
3) Pour ceux qui en veulent davantage, ils peuvent consulter cette synthèse du site universalis :
SANTÉ / Inégalités territoriales de santé en France
https://www.universalis.fr/encyclop…
4) Cette réalité est reconnue dans les médias mainstream par des profs de médecine tout ce qu’il y a d’établis, par exemple, Patrice Diot, doyen de la fac de médecine de Tours, dans Le Monde (mars 2022) :
Déserts médicaux : « Le problème majeur reste la répartition des médecins sur le territoire »
https://www.lemonde.fr/societe/arti…
Ce qui lui fait dire, et je pense qu’il sait de quoi il parle (il répond à Arlette, notre Louise Michel ou notre Rosa Luxembourg ?) :
"… l’augmentation du nombre de médecin formé ne suffira pas. Il faut désormais faire preuve de « courage politique », selon lui, et se diriger vers une « régulation » de l’installation des médecins sur les territoires, pour les jeunes médecins, mais aussi les plus vieux, en jouant sur le conventionnement." (j’ai copié l’extrait tel quel).
En réalité, d’ores et déjà, le nombre de médecins disponibles, surtout qu’on en fait venir de l’étranger depuis des années (Algérie, Tunisie, Maroc, Roumanie etc., formés, en français, qu’on sous-paye) est "suffisant" (je mets des guillemets parce qu’il peut se trouver des gens qui voudront toujours disposer de plus de médecins pour en avoir un à l’instant même où ils le désirent, en dehors des urgences, qui doivent être pourvues pour ce faire, bien entendu).
On peut visionner à ce sujet, entre autres, sur Youtube :
"Tunisie, le grand exode des médecins",
reportage d’Amira Souilem et Firas Rebiai (Arte, France, 2022)
https://www.youtube.com/watch?v=Gzw…
5) Pour les sceptiques, il y a cette étude du gouvernement (oct 2019), qui offre sur une douzaine de pages (pdf) une analyse fouillée et montre les tentatives proclamées du gouvernement de lutter contre les déserts médicaux. C’est sans compter, bien sûr, avec l’action des lobbies médicaux de toutes sortes pour entraver tout effort de régulation, le gouvernement étant, à la base, lui-même très mou quand il s’agit de lutter pour le bien public (extrait : "… Sans remettre en cause le principe de liberté d’installation, …", bla bla bla).
Comment lutter contre les déserts médicaux ?
https://www.tresor.economie.gouv.fr…
6) Ailleurs, dans le monde :
Synthèse, Remédier aux pénuries, de médecins dans certaines zones géographiques. Les leçons de la littérature internationale (pdf) :
https://www.caducee.net/upld/2021/1…
Une dernière remarque personnelle : J’ai tendance à penser que beaucoup de médecins libéraux (pas tous, heureusement), qui se concentrent dans les centres-villes, aspirent à devenir, non seulement aisés voire riches, mais aussi notables, comme ont pu l’être ceux des époques antérieures (19e s.), d’une part, et qu’ils sont prêts à faire comme le Dr Knock, raillé férocement dans le film du même nom (de 1951), interprété par l’excellent Louis Jouvet, film qui est une adaption au cinéma de la pièce de théâtre de Jules Romains, Knock ou le Triomphe de la médecine. A voir et revoir, ou à lire, c’est vraiment jouissif.
Sur Youtube, le film en noir et blanc : 1951 Knock
https://www.youtube.com/watch?v=BY5…
Anecdote véridique :
Un malade (ou patient, comme on dit maintenant) allait voir depuis des années, tous les trois mois, son médecin, lequel lui prescrivait invariablement les mêmes analyses et le mêmes traitement. Lassé, il avait demandé à ne revenir que tous les six mois, voire une fois par an, ne trouvant aucun intérêt à consulter (sur la base d’une si longue pratique invariable) tous les trois mois. Le médecin, qui ne voulait pas lâcher sa clientèle (donc son revenu), a commencé à faire de la résistance, mais, devant l’insistance du patient, a accepté des rdv tous les six mois. Sauf que, dévoré par l’idée de ferrer le patient qui commençait à s’éloigner de trois mois de plus dans le temps, mentionna sur l’ordonnance, à l’étonnement du patient, "valable six mois", alors que légalement les ordonnances sont généralement valables un an ; et encore, pour les affections récurrentes, le pharmacien, sans en référer à un médecin, est habilité à dépanner un patient muni d’une ordonnance périmée depuis peu, et qui n’a pas pu voir encore son médecin, en approvisionnant une fois pour la durée habituelle (3 ou 6 mois), en attendant de consulter pour lui renouveler son ordonnance annuelle. Les Knock sont toujours parmi nous. Heureusement qu’il n’y a pas que des Knock, ce serait vraiment tragique.
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