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Au Portugal, ils font pousser des légumes dans la commune la plus aride d’Europe

lundi 27 mars 2023, par anonyme (Date de rédaction antérieure : 27 mars 2023).

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27 mars 2023 à 09h43

Quentin Bleuzen

C’est au milieu de la garrigue portugaise que se trouvent les 3 hectares de la ferme-jardin de Malhadinha de l’association Terra Sintropica. - Facebook/Terra Sintrópica

Dans le sud du Portugal, sur la commune de Mértola, l’association Terra Sintropica expérimente depuis trois ans l’agriculture syntropique pour diminuer sa consommation d’eau dans l’un des territoires les plus secs du pays.

Mértola (Portugal), reportage

C’est un écrin de verdure au milieu de la garrigue portugaise. Les collines entourant Mértola, commune au sud du pays, sont sèches et rocailleuses. Seuls les pins, les fleurs de ciste et quelques eucalyptus semblent en mesure de pousser sur ces terres. L’été, la température peut monter jusqu’à 47 °C. C’est au milieu de ce paysage semi-désertique que se trouvent les 3 hectares de la ferme-jardin de Malhadinha, de l’association Terra Sintropica.

Là, des blettes, des choux, des oignons, du basilic et des épinards poussent au cœur de rangées d’arbres. Des vignes grimpent sur des peupliers, mêlés aux pêchers, abricotiers ou figuiers. À leurs pieds, de la lavande, des roseaux et des fèves. Tout ceci sur un dense couvert de broyats et de compost. Cette culture par strate, socle de l’agriculture syntropique, est appliquée depuis 2019 dans cette ferme. D’après l’association française d’agroforesterie, cette pratique agricole « repose sur une diversité importante de plantes, cultivées à haute densité, dans leurs conditions optimales de lumière et de fertilité. On parle aussi d’agroforesterie successionnelle. »

« L’idée de l’agriculture syntropique est de prendre comme modèle l’écosystème de la forêt tropicale, qui est le plus complexe et le plus productif en biomasse, et de l’appliquer à d’autres écosystèmes, explique Marta Cortegano, l’une des directrices de l’association Terra Sintropica. On travaille avec la nature, on part des ressources existantes pour établir des stratifications et des successions qui coopèrent entre elles », ajoute Antonio Coelho, l’un des cofondateurs de l’association, en charge du maraîchage.

Symbiose de la nature

Le concept d’agriculture syntropique a été inventé et expérimenté au Brésil par l’agronome Ernst Götsch dans les années 1980. Il a démontré que l’on pouvait obtenir de belles productions en consommant peu d’eau, sans apports de fertilisants extérieurs, en suivant ce principe de symbiose entre diverses végétations. Les arbres protègent les légumes lors des fortes chaleurs d’été. Leurs feuilles nourrissent les sols, permettant de conserver un maximum d’humidité et d’alimenter les champignons du broyat.

Mais à l’époque, la technique avait été pensée dans « un climat extrêmement humide, bien différent du climat sec de la Méditerranée », raconte Antonio Coelho, qui n’a pas tout de suite vu l’opportunité. Ce n’est que trois ans plus tard, après avoir rencontré Felipe Pasini, un élève de Ernst Götsch, qu’il a décidé de se lancer et de cofonder l’association avec un groupe d’habitants de Mértola. Felipe Pasini revenait justement du Brésil, et lui a montré des exemples de fermes appliquant ce système dans des régions sèches et arides du pays, comme dans la Caatinga (dans le nord-est du Brésil).

Cultiver dans ce paysage semi-désertique a été un véritable défi pour Antonio Coelho, cofondateurs de l’association et en charge du maraîchage. / Quentin Bleuzen/Reporterre

Comme les plantes brésiliennes sont différentes de celles du Portugal, il a fallu inventer de nouvelles combinaisons de cultures de plantes locales. Ici, on a donc privilégié la plantation de courges, de pois ou encore de maïs au milieu de rangées de peupliers et d’arbres fruitiers. La survie des cultures reste néanmoins un sacré défi puisque la commune est l’une des plus arides d’Europe. Antonio Coelho avait déjà expérimenté la rudesse de ce climat : « Je suis arrivé ici en 2008 avec le projet de produire des plantes aromatiques et médicinales. Mais en 2017, après deux années de sécheresses, j’ai dû tout arrêter car mon système fondé sur l’irrigation et l’utilisation de bâches tissées qui gardaient la chaleur ne fonctionnait pas. »

La ressource en eau sous forte tension

Maintenant, en hiver comme en été, Antonio n’irrigue les plantes qu’une seule fois par semaine pendant trois à quatre heures. Sauf quand les températures dépassent 40 °C : il arrose alors les parcelles deux fois par semaine. Et les résultats sont là : l’année dernière, il a récolté 1 200 kilos de tomates. « Les melons, les aubergines, les betteraves, les concombres, les oignons ou les courgettes poussent très bien », se félicite le maraîcher, qui a depuis embauché deux salariés.

Mais la ressource en eau de l’unique puits du terrain inquiète. L’année dernière, pas une seule goutte n’est tombée entre mai et novembre. Malgré les économies permises grâce au modèle syntropique, cela a tout de même créé une forte tension sur l’eau douce. Cet hiver, l’équipe a décidé de diminuer les plantations de légumes pour laisser le puits se régénérer en prévision de la saison estivale.

Dans cette région, plus personne ne faisait du maraîchage professionnel à cause de l’aridité des sols. / Quentin Bleuzen/Reporterre

« Ici, dans dix ans, ce sera soit un paradis soit une situation très difficile, c’est un défi ! Si ça se trouve, dans cent ans, l’agriculture sera impossible », imagine Antonio Coelho. Une perspective qui pousse l’association Terra Sintropica à persévérer. « Plus personne ne faisait du maraîchage professionnel dans le secteur, les gens nous ont pris pour des fous lorsqu’on a commencé, explique Nuno Roxo, le directeur de l’épicerie-bar-restaurant de l’association. Ici, l’agriculture, c’est de l’élevage d’ovins ou de bovins sur des centaines d’hectares, ou des céréales. Ça crée de la tension sur le sol et l’eau. On veut montrer qu’autre chose est possible. »

« Produire des aliments sains à un prix décent »

Le projet va plus loin que la simple culture : « Notre objectif est de produire des aliments sains, de développer l’économie locale, de fixer les gens sur le territoire et qu’ils achètent de bons produits à un prix décent », résume Nuno Roxo. Du fait de l’exode rural, en vingt ans la population de Mértola a été réduite de moitié, la commune ne compte plus que 6 200 habitants. Ainsi, c’est au centre-ville, situé à 5 kilomètres de la ferme, que sont vendus la majorité des fruits et légumes. Le café-restaurant de l’association fait aussi office d’espace de convivialité.

Actuellement, l’association emploi 13 salariés, pour 6 équivalents temps plein. / Quentin Bleuzen/Reporterre

Actuellement, l’association emploi 13 salariés, pour 6 équivalents temps plein, se répartissant entre les jardins, les projets de recherches sur l’agriculture syntropique, le bar-épicerie Prec (pour Processus régénératif en cours) ou les bureaux. Pour ce faire, Terra Sintropica dispose des recettes du bar et du maraîchage, mais aussi de subventions de fondations privées basées en Suisse ou en Allemagne. Forte de cette manne financière, l’association cherche à ouvrir de nouveaux jardins comme Malhadinha pour pouvoir alimenter les cantines de la maison de retraite et des écoles de la commune. Le projet est bien parti : des agriculteurs de la commune, possédant 200 ou 300 hectares, ont donné leur accord pour laisser à disposition leurs anciens vergers ou espaces cultivables en échange de quelques fruits et légumes.

Toutefois, l’association a du mal à recruter. La rudesse du travail de la terre dans ce climat et les conditions de vie attirent peu de prétendants. De plus, l’accès au logement est difficile sur ce territoire de résidences secondaires où il y a très peu de transports publics. « Un couple a déjà passé deux ans de test à l’installation, mais en définitive, ils sont partis car ils ne trouvaient pas d’offres éducatives assez alternatives pour leurs enfants, témoigne Marta Cortegano. Nous ne désespérons pas pour autant, l’enthousiasme autour du projet grandit et nous espérons bien faire de Mértola un laboratoire pour le futur. »

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