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Sainte-Soline - Manifs devant les préfectures le 30 mars 2023 à 19h

mercredi 29 mars 2023, par anonyme (Date de rédaction antérieure : 29 mars 2023).

Appel à se rassembler jeudi 30 mars à 19h devant les préfectures du pays.  En soutien aux 2 manifestants dans le coma, aux blessé.es de Sainte-Soline et du mouvement des retraites, pour la fin des violences policières.
 

La brutalité concomitante de la réponse d'État à la poursuite du mouvement des retraites et à la mobilisation de Sainte-Soline est en train de marquer au fer rouge l'histoire du pays. Elle appelle aujourd'hui à faire front ensemble.

Face à l'inaction climatique du gouvernement, à son soutien intangible à des lobbys industriels écocidaires et à l'aggravation flagrante de la crise écologique, le mouvement contre les méga-bassines a, ces derniers mois, offert une prise. Si le peuple de l'eau, plus nombreux que jamais à braver les interdictions préfectorales, est allé de nouveau jusqu'au chantier de la bassine de Sainte-Soline le 25 mars ce n'était pas par goût inconsidéré du risque. Tout ce qui a été dit sur les soi-disantes motivations obscures des manifestant·es par Darmanin et consorts avant et après la mobilisation est à cet égard une profonde insulte à l'engagement des 30 000 personnes qui se sont rassemblées samedi. Si depuis un an et demi, ces foules grandissantes ne se contentent plus de défiler mais recherchent des gestes ad hoc pour freiner concrètement certains chantiers, pour empêcher le pillage de l'eau ou des terres, c'est bien parce qu'il y a une urgence vitale à agir. Et ce sentiment d'urgence ne fera qu'augmenter tant que l'on continuera à construire dans ce pays des infrastructures dont les conséquences sont telles qu'elles incarnent une violence écologique et sociale qui n'est plus aujourd'hui tolérable.

Cet élan vital, E. Macron l'a accueilli samedi avec une pluie de grenades létales, 4000 en 2h. Alors que 30 000 personnes s'approchaient d'un trou grillagé que l'État avait transformé en symbole de son autorité, 200 personnes ont été percées d'éclats dans leurs chairs, 40 gravement. L'une a perdu l'oeil, d'autres se sont faits arracher la mâchoire ou risquent de perdre le pied. Deux sont toujours aujourd'hui dans le coma, entre la vie et la mort. Comme à Malville face à la déferlante anti-nucléaire en 77 ou à Sivens en 2014 face à l'éclosion des zads en divers endroits du pays, l'État français a choisi délibérément le 25 mars de se donner sciemment la possibilité de tuer.

Ce 25 mars, le gouvernement Macron a tenté de faire taire un espoir politique par la mutilation de masse.

Il a ainsi affirmé brutalement que la montée en puissance du mouvement de défense de l'eau ne pouvait qu'être considérée comme un affront intolérable à son égard. Depuis des années, ce mouvement réitère pourtant les demandes d'ouverture d'un réel dialogue avec les habitant·es des territoires, les paysan·nes, les associations environnementales. La seule réponse gouvernementale à ces issues au conflit aura été est la terreur. Cette violence sourde face au mouvement écologiste est la même que le gouvernement Macron a déployé pour mater les gilets jaunes en 2019 et aujourd'hui contre le peuple qui persiste à refuser sa réforme injuste des retraites. C'est aujourd'hui cette réduction du champ politique à la grenade, ces cowboys en roue libre en quad ou en moto qui vont jusqu'à inquiéter les institutions internationales. A cette violence de rue, Darmanin ajoute aujourd'hui la persécution légale des mouvements organisateurs avec l'engagement d'une procédure de dissolution à l'encontre des Soulèvements de la terre.

De Sainte-Soline, ce week-end nous retenons heureusement aussi les tracteurs paysans qui déjouent les escortes de police, le camp qui surgit des champs au milieu du dispositif, les camarades des 4 continents, les animaux géants et les danses, la foule de tout âge qui serpente les champs à l'infini, son courage, sa solidarité inouïe face à l'adversité. Toute cette force est encore en nous et nous la retrouverons. Mais elle est aujourd'hui profondément entachée par les chairs mutilées, par ces vies encore en suspens. C'est pour nos blessé·es, pour leur rendre hommage, appui, pour que cela cesse qu'il y a un impératif à se retrouver de nouveau dans la rue. Non pas concentrés sur une même prairie cette fois. Mais partout dans le pays, devant les préfectures. Bien plus nombreux et nombreuses encore.

Alors que nous continuons à manifester contre la réforme des retraites, alors que nous continuerons à converger pour arrêter les méga-bassines, nous appelons à nous rassembler: jeudi à 19h devant toutes les (sous)-préfectures. En soutien aux 2 manifestants dans le coma, aux blessées de Sainte-Soline et du mouvement des retraites, pour la fin des violences policières, pour la dissolution de la brav-m et l'interdiction des grenades GM2L.

Pour que celles et ceux qui étaient là de toute la France puissent dire et témoigner. Parce que le gouvernement est triplement coupable : d'avoir lancé des grenades létales, de l'avoir prémédité, et d'avoir ensuite obstrué l'arrivée des secours. Montrons leur massivement jeudi que nous ne les laisserons pas étouffer l'espoir à coup de grenades. Que nous sommes là. Toujours.

Confédération Paysanne - Bassines Non Merci - Les Soulèvements de la terre, les organisateurs de la mobilisation du 25 mars à Sainte-soline et toutes les organisations sociales, syndicales, et associations qui souhaiteront s'y associer.

Pour co-signer l'appel : https://cryptpad.fr/form/#/2/form/view/rrhj+rHU1B6GjNTtwnKQMEJ+p5Xd9cQDToQZ9J9nwzo/

Merci de partager largement cet appel.

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Médecin à Sainte-Soline, je témoigne de la répression

27 mars 2023 à 15h57 Mis à jour le 28 mars 2023 à 09h34

Durée de lecture : 12 minutes


 

Alors que le pronostic vital d’un opposant aux mégabassines de Sainte-Soline est toujours engagé, une médecin urgentiste lui ayant porté secours témoigne. Elle pointe la responsabilité de la préfecture pour le retard de sa prise en charge par les urgences.

Le week-end de mobilisation contre les mégabassines à Sainte-Soline (Deux-Sèvres) a été marqué par de nombreuses violences policières et des blessures très graves, avec une personne encore entre la vie et la mort.

En attendant de plus amples informations, Reporterre publie d’ores et déjà le témoignage d’Agathe, médecin urgentiste présente à la manifestation, qui a suivi et s’est occupée de cette personne toujours dans le coma et au pronostic vital engagé. Elle pointe la gravité des faits et la responsabilité de la préfecture pour le retard de sa prise en charge par les urgences.



• La marche de printemps

Départ du camp vers 11 h. Trois cortèges marchent à travers champs. Le premier cortège nous annonce qu’il n’y a aucun barrage des forces de l’ordre sur le parcours. Ils gardent la bassine. Un vulgaire trou recouvert de béton. Ils la gardent comme une forteresse. Ils auraient même creusé une tranchée de huit mètres de profondeur et un talus de plusieurs mètres de hauteur sur tout le tour de la bassine pour la rendre inaccessible. Les douves du château-fort. Le cortège au sein duquel je me trouve est joyeux, les manifestants marchent dans la boue, un champ de colza, premières fleurs du printemps.

• Arrivée à proximité de la mégabassine

Les cortèges se retrouvent. Ils fusionnent. Une marée humaine. La victoire d’être si nombreux. 20 000, 25 000, 30 000 personnes, impossible d’estimer. On aperçoit les forces de l’ordre soigneusement disposées autour du bassin, enceinte de camions de gardes mobiles, plusieurs blindés. Une colonne de quads avec un binôme de gardes mobiles dessus. Certains auraient vu la cavalerie. Personne n’est inquiet à cet instant. Que peuvent-ils faire contre cette foule hétéroclite et déterminée ?

Un instant je me demande pourquoi les forces de l’ordre sont là. Ils ont creusé une tranchée de huit mètres de profondeur et un énorme talus. La bassine nous est inaccessible. Je me demande pourquoi la présence de toute cette artillerie est nécessaire. Qu’aurions-nous fait en leur absence ? J’en discute avec un·e ami·e, on se dit qu’ils font de la lutte contre les mégabassines un symbole de l’autorité de l’État.

• Premiers gaz

Je suis venue manifester avec une bande d’ami·es, je marche avec une copine. Dans mon sac à dos des compresses, du désinfectant, des antalgiques, des bandes, des pommades anti-inflammatoires, quelques kits de sutures si nécessaires pour l’après. Nos expériences de manifestations des dernières années nous ont appris qu’il fallait s’équiper en matériel de secourisme. Je ne me suis pas identifiée comme « medic » officiel. Mais il me semble évident d’avoir un minimum de matériel, au moins pour les copin·es.

Les cortèges se rejoignent à proximité de la bassine. Le cortège à notre droite est déjà noyé par les gaz alors que nous sommes encore à plusieurs centaines de mètres. Ils remontent vers nous, alors que nous continuons à avancer, heureux de se retrouver après ces nombreux kilomètres parcourus à travers champ.

Les manifestants s’approchent des gardes mobiles avec leurs banderoles. On avance ensemble. Nous apercevons les visages familiers de quelques vieilles amitiés. À peine le temps de se retourner. Il pleut des grenades lacrymogènes, et d’autres, assourdissantes ou désencerclantes. Nous reculons. Je vois une femme faire demi-tour et repartir en arrière. Énorme détonation entre ses jambes. Elle boite. Nous reculons pour l’accompagner, la soutenir. Ça commence fort. On constate les blessures, un bel hématome sur la cuisse, un peu de gel anti-inflammatoire, deux gorgées d’eau. On se retourne, les manifestants crient « medic » de tous les côtés. On vient à peine d’arriver.

« Derrière nous, un deuxième blessé est transporté par des manifestants »

C’est un homme jeune avec une plaie délabrante de la main. Grenade de désencerclement. Je nettoie, une compresse, une bande, un antalgique. « Tu devras refaire le point sur la base medic arrière, être sûr qu’il n’y ait pas de corps étrangers. » D’autres « medic » s’affairent. On continue. On entend dire que quelqu’un serait inconscient au sol à proximité d’une banderole devant. On cherche cette personne. Impossible de la trouver. Un ami nous arrête, il s’est pris un Flash-Ball à l’arrière de la tête. On s’assoit pour l’examiner derrière une haie. On remonte sur un chemin en terre.

• Le chemin des blessés

Le niveau d’intensité a été maximal d’emblée. Pas de demi-mesure. Tous ces blessés qui reculent. Allongé dans un champ. Assis dans un fossé. La haine monte contre les forces de l’ordre. Que font-ils, que défendent-ils, quelques mètres cubes de béton valent-ils tous ces corps mutilés ?

Quelqu’un nous attrape par le bras. Un infirmier avec lequel j’ai discuté un peu plus tôt dans la journée. Il nous emmène à proximité d’un homme allongé à côté d’un fossé. « Fracture ouverte de fémur », me dit-il. Un pansement est déjà installé, je ne vois pas la plaie. Je vois un hématome de cuisse volumineux. Il n’y a pas d’extériorisation de sang. Je sens son pouls. Il est conscient. La première chose à faire : le mettre en sécurité. Un antalgique. À huit personnes, on le déplace plus loin. Quelqu’un prend des constantes. La fréquence cardiaque est normale. Je suis rassurée, il n’est pas en train de se vider de son sang. Pour une fracture ouverte de fémur, le risque hémorragique est majeur. Je demande à ce que quelqu’un appelle le Samu pour une évacuation.

Derrière nous, un deuxième blessé est transporté par des manifestants. Une plaie délabrante de la fesse gauche. La plaie n’est pas hémorragique. Elle est douloureuse. Il ne peut pas marcher.

Selon les organisateurs, 200 manifestants ont été blessés — dont 40 grièvement— durant ces affrontements. © Bertrand Sinssaine

On aperçoit une nouvelle charge de la police. Des quads ? Des lacrymos ? Je ne sais pas, je n’ai pas le temps de lever le nez des blessés. Il va falloir qu’on recule de nouveau pour mettre les blessés en sécurité. On fait un portage sur le chemin en terre pour s’éloigner vraiment définitivement des zones d’agressions.

On arrive à un croisement. Je demande à ce que les constantes des blessés soient prises de nouveau pour s’assurer de leur stabilité. Je demande à ce qu’on rappelle le Samu pour qu’il nous envoie des secours. Je vois que sur le chemin d’autres blessés continuent d’affluer.

Je refais le point sur la suspicion de fracture ouverte du fémur. Je déballe la plaie. La plaie est profonde. Il y a quelque chose de dur et de blanc qui ressort en son sein. Ce n’est pas de l’os. C’est un corps étranger en plastique blanc, une part cylindrique, une part plate. Je laisse le corps étranger en place. Il doit être retiré dans un bloc opératoire au cas où il existe une plaie vasculaire sous-jacente. Je rectifie le diagnostic à la régulation du Samu.

À ce croisement de routes où se retrouvent de nombreux blessés, des élus et des observateurs de la Ligue des droits de l’Homme sont présents.

« Mon petit matériel ne va pas suffire. Quelle impuissance… »

Un homme est installé par des manifestants juste à ma gauche. Il a le visage déformé. Il s’est pris une grenade dans le visage. Je l’examine. Il a une plaie de la paupière hémorragique. L’œdème de la paupière ne me permet pas d’examiner l’œil, sa vision, sa motricité. Il a une très probable fracture du maxillaire gauche, je ne peux rien dire pour son œil.

Des personnes viennent me voir pour me dire que les ambulances sont bloquées par les gardes mobiles en amont. Je commence à m’énerver. Je transmets : « Nous avons appelé le Samu, nous avons des blessés graves. Ils doivent laisser passer les ambulances. Nos appels sont enregistrés sur les bandes de la régulation du Samu. S’ils entravent le passage des ambulances, ils seront pleinement responsables du retard de soins. On ne se laissera pas faire. Y compris sur plan juridique. » « Mettez-leur la pression, c’est pas possible autrement. »

D’autres blessés arrivent entre-temps, ils ont l’air stables. Je n’ai pas le temps de les voir. Certaines personnes s’occupent d’eux. Des complicités de bord de route.

• L’« urgence absolue »

Quelqu’un vient me chercher pour me demander d’intervenir plus en amont sur le chemin. Mon amie reste avec les blessés.

Je remonte vers la zone où un homme est au sol. Du monde autour de lui. Je m’approche de sa tête. Un « medic » réalise une compression du cuir chevelu. Des gens essayent de le faire parler. Du sang coule sur le chemin. Il est en position latérale de sécurité. Je me présente auprès des autres personnes qui prennent soin de lui. « Je suis médecin urgentiste, est-ce qu’il a déjà été évalué par un médecin ? Est-ce que quelqu’un a déjà appelé le Samu ? » Le Samu est prévenu. Pour l’instant aucun moyen ne semble engagé. Je l’évalue rapidement. L’histoire rapporte un tir tendu de grenade au niveau temporal droit (juste en arrière de l’oreille). Il se serait effondré. Extrait par des manifestants. Au début il aurait été agité. Là, il est en position latérale de sécurité. Il est trop calme.

« Le coma est de plus en plus profond »

Je fais un bilan de débrouillage :

-  une plaie du scalp de plusieurs centimètres en arrière de l’oreille. La plaie est hémorragique ;

-  un traumatisme crânien grave avec un score de Glasgow initial à 9 (M6 Y1 V2), une otorragie qui fait suspecter une fracture du rocher ;

-  pupilles en myosis aréactives ;

-  vomissement de sang avec inhalation ;

-  les premières constantes qu’on me transmet sont très inquiétantes. La fréquence cardiaque serait à 160, la tension artérielle systolique à 85. Le shock index est à presque 2.

Je demande à ce qu’on rappelle la régulation du 15 et qu’on me les passe au téléphone. Mon petit matériel ne va pas suffire. Quelle impuissance…

Je prends la régulation du 15 au téléphone. Je demande à parler au médecin. Je me présente en tant que médecin urgentiste : je demande un Smur [service d’aide médicale urgente] d’emblée pour un patient traumatisé crânien grave, avec une plaie du scalp hémorragique, et des constantes faisant redouter un choc hémorragique. Le médecin me répond que la zone ne semble pas sécurisée et qu’il est impossible pour eux d’intervenir au milieu des affrontements. J’explique que nous sommes à distance des zones d’affrontement. Qu’il y a des champs autour où il est possible de faire atterrir un hélicoptère. Il me dit qu’un point de rassemblement des victimes (PRV) est en cours d’organisation, qu’il va nous envoyer des pompiers pour extraire les victimes. J’insiste sur le fait que cet homme a besoin d’un Smur d’emblée, qu’il s’agit d’une urgence vitale immédiate et qu’il n’est pas en état d’être transporté vers un PRV. L’appel téléphonique prend fin, je n’ai pas l’impression que ma demande ait été entendue.

Un traumatisme crânien grave peut aboutir à la mort cérébrale, ou à la présence de séquelles extrêmement lourdes.

Je retourne auprès de la victime. Je la réévalue. Son score de Glasgow est tombé à 7. Le coma est de plus en plus profond. Une équipe de médecins infirmiers des gardes mobiles arrive. Je suis en colère. Ils viennent apporter les bons soins à ceux qu’ils ont presque tués. Je ravale ma colère, il faut penser à cet homme, à ce qu’il y a de mieux pour lui. Je fais une transmission médicale. Je propose que le médecin rappelle la régulation pour appuyer ma demande de Smur dans le cadre d’une urgence vitale immédiate. En attendant, j’aide l’infirmier à poser une perfusion. Traitement de l’hypertension intracrânienne. Traitement pour l’hémorragie. Le médecin des gardes mobiles me demande si j’ai de l’oxygène. Je ris nerveusement. Non, moi j’ai des compresses et de la biseptine, j’étais là pour manifester initialement.

Leur matériel est limité. Ils n’ont pas de quoi faire des soins de réanimation. Je ressens leur stress. Nous sommes dépendants du Smur.

Des pompiers en pick-up arrivent, ils nous demandent pourquoi le Smur et les VSAV [véhicules de secours et d’assistance aux victimes] ne sont pas là. Je craque et leur hurle dessus, je dis que les ambulances sont bloquées par les GM [gardes mobiles] en amont.

Combien de temps s’est écoulé ? Depuis combien de temps était-il au sol avant mon arrivée ? Comment peuvent-ils assumer un tel niveau de violence pour quelques mètres cubes de béton ?

Je pense à Rémi Fraisse.

Le Smur arrive. J’aide à son installation sur le brancard du Samu. Le médecin du Smur prépare de quoi l’intuber dans le camion. Je quitte les lieux pour rejoindre les autres blessés.

Je pense à cet homme. À ses amis. Aux miens. Je me demande où ils sont. Y en a-t-il d’autres comme lui ? Je pense à tous ceux qui ont été blessés ces dernières années par les armes de la police. À la zad, au Chefresne, au Testet, pendant la loi Travail, les Gilets jaunes. À ceux qui ont perdu des doigts, une main. Un œil. Ceux qui ont perdu la vie. À lui.

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Cerveaux non disponibles

La rage de vivre ça

Quand l’émotion est trop forte, quand les événements nous retournent les tripes, il nous semble impossible de poser des mots sur ce qu’il se passe. Mais, dans le même temps, il nous semble inimaginable de ne pas écrire ce qui ne peut être dit.
Alors nous écrivons ces lignes, quelques heures après les drames de Sainte-Soline.

Ce weekend le pouvoir, par l’intermédiaire de son bras armé, a volontairement voulu blesser, mutiler, voire tuer des personnes. Il ne s’agit pas d’accusations. Mais d’un fait. Ce fait, il va falloir qu’un nombre important de personnes et de structures présentes à Sainte Soline l’écrivent, le disent, le crient !

Chez CND, on nous accuse souvent d’être des amoureux de l’émeute, de la violence urbaine, du chaos. La plupart du temps, plutôt que de tenter de « raisonner » nos détracteurs, nous préférons répondre à ces accusations en singeant les stigmates dont on nous pare.
A l’image de certains Gilets Jaunes ou Black Blocs qui ne cherchent plus à convaincre BFM qu’ils ne sont pas des assoiffés de sang...
Sauf que nous savons bien que ce qui nous anime : ce n’est pas la violence mais bien l’amour. Dire cela peut paraître niais pour certains, une contre vérité pour d’autres.

Mais ceux qui ont été dans les cortèges de tête, à la ZAD ou sur les ronds points avec les Gilets Jaunes savent que ce qui entretient le feu se trouve bien du côté de l’amour et de l’entraide, de l’espoir d’un avenir meilleur. Pour soi, pour sa famille, pour ses amis, pour tous ceux qui souffrent, qui galèrent.

Si voir des poubelles brûlées peut offrir de l’adrénaline et un certain plaisir, c’est plus par ce qu’il provoque d’inquiétude chez les puissants de ce monde que par l’aspect « destructeur » de ce feu.
Dire cela nous paraît important par rapport aux horreurs vécues par des centaines de manifestants ce weekend. Pour ceux qui ont été blessés, mutilés ou qui se retrouvent entre la vie et la mort. Ces personnes sont venues à Sainte-Soline parce qu’elles croient en un projet de vie plus respectueux des uns et des autres, et surtout plus respectueux de la planète.

Elles sont venues lutter pour respecter le vivant et pour lui donner un meilleur avenir. Et pour ça, elles se sont fait tirer dessus par la police, à coup de LBD et de grenades désencerclantes...

Il faut prendre la mesure de ce que nous vivons depuis quelques années, et notamment depuis les Gilets Jaunes. Le pouvoir a décidé d’étendre à l’ensemble de la contestation sociale la barbarie policière institutionnalisée pendant les contre-insurrections coloniales, qui ne se déployait jusque là que dans les quartiers populaires et dans les territoires dits d’outremer. Signe de cette dérive, il a même créé de nouvelles unités clairement conçues pour frapper les corps et les esprits.
La France est un pays qui accepte de vivre avec des centaines de ses concitoyens éborgnés, mutilés, et même tués, pour avoir participé à une manifestation, à un rassemblement politique, ou à une fête de la musique.

Au moment de la sortie de son film Un pays qui se tient sage, David Dufresne faisait remarquer à quel point, lors des actes GJ les plus insurrectionnels et alors que des dizaines de milliers de personnes étaient dans la rue et en demande d’une révolution, aucun manifestant n’avait sorti un fusil de chasse ou un pistolet pour tenter de tirer sur les forces de l’ordre.
Car malgré une haine de la police de plus en plus répandue, quasiment personne ne souhaitait la mort d’un policier.

En cela, les seuils de tolérance de la violence ont été très très nettement abaissés en quelques décennies. Qu’importe ce qu’en disent BFM ou Cnews, la société s’est spectaculairement pacifiée, et notamment dans le secteur des luttes sociales et politiques.

Sauf que du côté des forces de l’ordre, la tendance est totalement inverse avec une objective hausse du degré de violence, et même de terreur, qui est désormais « acceptée ». Acceptée par ces forces de l’ordre, par leurs supérieurs, par le pouvoir, par les médias et, in fine, par l’ensemble de la population.

Au point d’en arriver à ce weekend meurtrier à Sainte-Soline, celui-ci faisant suite à plusieurs nuits de déferlement de terreur policière dans les rues des grandes villes.
On ne compte plus les vidéos prouvant la cruauté verbale et physique de policiers, de séquences où certains tabassent pour le plaisir, écrasent par terre, où la Brav roule volontairement sur des manifestants, frappe des journalistes, balance des insultes racistes et sexistes. C’est devenu « normal ».

Si ce système accepte ce degré de cruauté, dans l’espoir de se maintenir en place, c’est la confirmation qu’il a perdu toute légitimité à prétendre aux principes humanistes dont il se pare à longueur de temps.

Au-delà du côté immoral et inhumain de ce que le pouvoir est en train de faire, il faudra aussi qu’il assume les conséquences d’une telle violence dans sa réponse aux colères de ses propres citoyens. Et qu’il ne s’étonne pas si le degré de pacification de la société redescend d’un cran dans les prochaines années.

De notre côté, il sera important de ne pas se laisser aveugler par la colère, hautement légitime, et l’envie de vengeance, compréhensible mais potentiellement destructrice. Pour cela, il faudra se souvenir, et se marteler, les raisons pour lesquelles les personnes blessées sont venues à Saint-Soline ou dans les rues en feu.
Qu’il s’agissait de construire un monde meilleur et plus juste. Moins violent aussi. Plus humain surtout.

CND

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