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Publié par Gilles Munier le 25 Janvier 2024, 08:17am
Paul Khalifeh (revue de presse : RFI – 22 janvier 2024)
Des personnes et des membres des forces de sécurité se rassemblent devant un bâtiment détruit lors d’une frappe israélienne à Damas, le 20 janvier 2024. AFP - LOUAI BESHARA
Chantre du nationalisme arabe, qui place la cause palestinienne au cœur de son discours, la Syrie, cible de nombreux raids israéliens meurtriers, observe un silence assourdissant depuis le début de la guerre de Gaza le 7 octobre. Comment expliquer cette passivité troublante ?
De notre correspondant à Beyrouth,
Depuis que l’armée syrienne et ses alliés ont vaincu les groupes rebelles et repris le contrôle de plus des deux tiers du territoire, à partir de 2016, Israël a mené des centaines de raids aériens dans le but d’empêcher ou de ralentir les livraisons d’armes iraniennes au Hezbollah libanais.
Les chasseurs-bombardiers prennent pour cible des « cargaisons et des entrepôts d’armes et de munitions », des « convois d’armement », des « positions militaires de milices pro-iraniennes » dans presque toutes les provinces sous contrôle des forces gouvernementales. Les aéroports de Damas et d’Alep ont été visés et mis hors service à plusieurs reprises.
Depuis le début de la guerre de Gaza, le 7 octobre, Israël a sensiblement intensifié ses raids. Le 25 décembre, un nouveau palier est franchi avec la mort dans une frappe aérienne de l’un des plus importants gradés des Gardiens de la révolution iraniens en Syrie, Razi Moussavi, au sud de Damas.
Samedi 20 janvier, des avions israéliens ont détruit un immeuble de quatre étages dans le quartier damascène de Mazzé, pendant une réunion de hauts responsables de la Brigade al-Qods des Gardiens iraniens. Cinq membres de ce corps d’élite ont été tués, dont le chef adjoint des renseignements et son bras droit.
Pas de riposte de l’armée syrienne
À part l’utilisation de systèmes de défense anti-aérienne, l’armée syrienne n’a presque jamais riposté aux centaines de frappes israéliennes ces dernières années. Après le raid du 20 janvier, le ministère syrien des Affaires étrangères s’est contenté de publier un communiqué dénonçant « les actes criminels d’Israël », sans exprimer une intention de riposte.
Cette passivité militaire s’accompagne, depuis le 7 octobre, d’une faible réactivité politique vis-à-vis des événements de Gaza. Le président Bachar al-Assad a mis plusieurs jours avant de s’exprimer sur ce sujet et les interventions des dirigeants syriens autour de cette question se limitent à des communiqués et des déclarations épisodiques.
Pourtant, la Syrie est une composante essentielle de « l’axe de la résistance ». Cette alliance parrainée par l’Iran comprend, outre Damas, le Hezbollah libanais, le Hamas, et le Jihad islamique en Palestine, la « Résistance islamique en Irak », composée de groupes et organisations chiites, et le mouvement Ansarullah qui contrôle le nord du Yémen, y compris la capitale Sanaa.
L’importance de la Syrie vient du fait qu’elle est le seul membre de cet axe –hormis l’Iran- ayant un statut légal et juridique d’État reconnu par les Nations unies. Tous les autres membres de cette alliance sont des acteurs extra-étatiques (certains sont placés sur les listes américaines et européennes d’organisations terroristes), même si, à l’instar d’Ansarullah, ils contrôlent de larges portions de territoires, ou, comme le Hezbollah au Liban, ils disposent d’une grande influence politique et militaire.
Le maillon faible de l’axe pro-iranien
Cependant, le rôle central de la Syrie dans cette alliance découle de sa situation géographique. Sa façade maritime offre à l’Iran un accès à la Méditerranée, sa frontière avec Israël permet à Téhéran et ses alliés d’avoir des leviers de pression sur l’État hébreu, et, enfin, elle permet d’assurer une continuité géographique entre l’Iran et le Liban via l’Irak. La Syrie est un maillon essentiel dans la ligne de ravitaillement qui approvisionne le Hezbollah en armes et en munitions en provenance de la République islamique. Si la Syrie tombe, la continuité de ce corridor terrestre sera rompue.
La Syrie est donc un acteur essentiel de « l’axe de la résistance » mais c’est en même temps son maillon le plus faible. Après 13 ans de guerre et de sévères sanctions occidentales, notamment la loi américaine César, le pays est exsangue et l’économie anéantie. 90% de la population vit sous le seuil de pauvreté, certaines catégories sociales souffrent de la famine. Les infrastructures sont à genou, la pénurie de carburant est chronique et l’électricité drastiquement rationnée.
L’armée syrienne, qui n’a pas regagné ses casernes depuis 13 ans, est déployée aujourd’hui sur 5 fronts : à Lattaquié, Idleb, au Nord-Ouest du pays, et Alep, au Nord, face aux groupes jihadistes et aux rebelles pro-turcs ; au nord des provinces d’Alep, de Raqqa et de Hassaké face à l’armée turque et ses auxiliaires ; dans les villes de Qamichli et Hassaké et la province éponyme, au Nord-Est, face aux milices kurdes ; dans le désert central face au groupe État islamique ; à Deir Ezzor, dans l’Est, face aux Kurdes et aux troupes américaines ; à Quneitra et Deraa, au Sud, face à l’armée israélienne.
Confrontée à tous ces défis, la dernière chose que voudrait l’armée syrienne, c’est entrer en confrontation directe avec l’État hébreu. Elle évite donc de riposter aux attaques israéliennes pour ne pas provoquer une escalade, d’autant que les cibles prioritaires d’Israël sont les Iraniens et leurs alliés.
Le déploiement américain en Méditerranée, un effet dissuasif
Le déploiement dès le début du conflit d’une flotte américaine en Méditerranée orientale a eu un effet dissuasif sur le pouvoir syrien. « Nous avons pris au sérieux les menaces indirectes qui nous sont parvenues sur l’intention d’éliminer « la tête du régime » si l’armée syrienne décidait de participer directement à la guerre, confie à RFI un responsable du Hezbollah. Aussi, nous comprenons la retenue dont fait preuve Damas et nous ne lui demandons pas plus que ce qu’il peut donner ».
En ne s’impliquant pas davantage dans le conflit, la Syrie cherche aussi à ne pas compromettre le processus de réintégration au sein de la Ligue arabe et la normalisation de ses relations avec l’Arabie saoudite. Les médias syriens donnent d’ailleurs une grande importance ces derniers jours aux informations sur la prochaine nomination d’un chargé d’affaires saoudien à Damas.
À ce stade de la guerre, l’Iran et ses alliés semblent se satisfaire de la liberté d’action qui leur est accordée sur le terrain par les autorités syriennes, qui sont plus dans une logique de survie que de confrontation. Cependant, si le conflit se propage, rien ne dit qu’ils ne demanderont pas davantage de cet allié embarrassé.