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1er avril 2024
Assawra
Des manifestants demandant la démission de Benyamin Nétanyahou et la libération des otages aux mains du Hamas, en face de la Knesset, à Jérusalem, le 31 mars 2024. LAURENT VAN DER STOCKT POUR « LE MONDE »
Le premier ministre est accusé de prolonger la guerre et de faire traîner les négociations avec le Hamas sur la libération des otages afin de demeurer au pouvoir.
Les rues de Jérusalem ont retrouvé une animation oubliée depuis six mois, dimanche 31 mars. A l’appel d’opposants au gouvernement de Benyamin Nétanyahou, des dizaines de milliers de manifestants se sont réunis autour de la Knesset, pour appeler à des élections et à un accord avec le Hamas, qui permettrait la libération des otages à Gaza. Des feux ont été allumés sur la voie rapide Menachem-Begin.
Environ 500 personnes dressaient, tard dans la soirée, un village de tentes sur un boulevard qui monte jusqu’au Parlement. Ils comptent y rester jusqu’à la pause de printemps des parlementaires, prévue en fin de semaine, et demandent aux élus de continuer de siéger tant que les otages demeurent à Gaza.
L’ampleur de ce rassemblement ne peut se comparer à celle des défilés historiques, qui avaient encombré chaque semaine les rues du pays l’an dernier, jusqu’à la veille de la guerre. Une majorité d’Israéliens s’opposait alors à un bouleversement de l’équilibre institutionnel du pays voulu par M. Nétanyahou et ses alliés fondamentalistes religieux – qualifié par ses opposants de « coup d’Etat ». Mais une forme de réveil a bien lieu. Il était attendu depuis des mois, après une longue phase de solidarité nationale malaisée, qui a imposé le silence dans les rues tant que des dizaines de milliers de réservistes demeuraient mobilisés.
Pour partie, les mêmes groupes sont à la manœuvre – la Force Kaplan, des entreprises du secteur des nouvelles technologies qui donnent quartier libre à leurs employés souhaitant manifester cette semaine, les anciens combattants des Frères et sœurs d’armes. L’un des leaders du mouvement, l’ancien entrepreneur de la tech Moshe Radman, a précisé que l’objectif était d’exiger une date butoir pour que des élections soient annoncées.
S’ancrer dans l’instant, en éludant l’avenir
Cependant, ce rassemblement ne résorbe pas les profondes divisions de ces représentants de différents courants de la société israélienne, qui avaient su les dépasser l’an dernier. Les Frères d’armes, qui se veulent non-partisans, se sont ainsi fait remarquer à l’écart du principal cortège. Ils se sont rendus dans les quartiers ultraorthodoxes de Jérusalem, pour y défier les haredim (les « craignant Dieu »), qui exigent du premier ministre une loi perpétuant leur exemption de service militaire.
Jets d’œufs, vols de drapeaux israéliens par des étudiants en religion farouchement antisionistes, remparts policiers… Les vidéos de ces scènes de bousculades trouvent un écho certain dans la société israélienne, qui tolère de moins en moins la dispense de service des haredim (18 % des jeunes en âge de servir), à l’heure où l’armée manque de bras, et où des réservistes commencent à recevoir leurs ordres de rappel pour le printemps.
Cependant, les Frères d’armes demeurent eux-mêmes divisés : une partie d’entre eux est sensible aux appels de M. Nétanyahou, qui depuis décembre 2023 affirme être le seul à pouvoir empêcher le grand allié américain d’imposer après la guerre des négociations visant à faire naître un Etat palestinien. La force du rassemblement de dimanche, préparé depuis des semaines, est donc d’avoir su s’ancrer dans l’instant et dans l’urgence, en éludant l’avenir. Seul un carré de militants anti-occupation parmi eux évoquaient le sort des Palestiniens de Gaza, la société israélienne demeurant dans son écrasante majorité peu informée et peu concernée par la pénurie de nourriture que l’armée orchestre dans l’enclave.
Nétanyahou, « le principal obstacle à un accord »
Ce rassemblement fait suite à une manifestation d’ampleur à Tel-Aviv, samedi soir, durant laquelle des familles d’otages et leurs soutiens ont fini par rejoindre les manifestants antigouvernementaux, avec lesquels ils partagent depuis fin 2023 une esplanade, face au quartier général de l’armée, sans se mélanger. Une vingtaine de proches d’otages avaient demandé la démission de M. Nétanyahou.
Ils accusent le premier ministre de faire durer la guerre, et la captivité des leurs, afin de prolonger son règne. « Vous êtes le principal obstacle à un accord [négocié avec le Hamas], affirmaient-ils dans un communiqué cinglant. Nous agirons avec force pour votre départ immédiat et votre replacement parce que c’est le seul moyen de ramener [les otages] à la maison. Nous vous poursuivrons et nous ne cesserons pas. Nous demandons à Gantz et à Eizenkot [deux élus du centre qui siègent au cabinet de guerre], aux membres du Likud [le parti de M. Nétanyahou] et à tous les députés qui ont une conscience : faites ce qui est nécessaire pour remplacer Nétanyahou immédiatement. »
Les familles d’otages, elles non plus, ne parlent pas d’une seule voix. Toutes sont épuisées, chacune doute et louvoie. Certaines, réunies au sein du Forum Tikva, ont rappelé leur soutien au premier ministre dimanche dans la journée, se prononçant contre « la division » du pays. Cependant, les plus critiques rejoignent un mouvement de fond. Depuis plusieurs jours, des fuites révèlent l’agacement croissant d’une part des négociateurs israéliens – responsables du renseignement et militaires – et des membres du cabinet de guerre vis-à-vis de M. Nétanyahou.
Le premier ministre est blâmé pour une méthode de négociation qui a fait multiplier à ces officiels les voyages au Caire et à Doha, puis les retours à Tel-Aviv pour consultations, et allongé les délais entre chaque voyage pour redéfinir leurs ordres de mission. Une réunion houleuse du cabinet de sécurité, jeudi, a suscité des critiques de ministres du Likoud, qui demandent plus de compromis.
« Un chagrin inutile aux familles »
Ces ministres se font entendre après la publication par le New York Times du témoignage d’une ancienne otage, libérée en novembre 2023. Amit Soussana est la première à affirmer publiquement avoir été victime d’une agression sexuelle par l’un de ses geôliers. Des évaluations du renseignement israélien, rapportées par la presse, font craindre par ailleurs que plusieurs dizaines d’otages encore non identifiés auprès de leurs familles ont pu mourir en captivité, de mauvais traitements ou sous les bombes israéliennes, parmi les 98 officiellement considérés comme vivants.
Le premier ministre a réfuté dimanche ces accusations devant la presse, avant de se retirer à l’hôpital pour être opéré d’une hernie. « Ceux qui disent que je ne fais pas tout pour rendre les otages se trompent et induisent les gens en erreur, et ceux qui connaissent la vérité et continuent de répéter ce mensonge causent un chagrin inutile aux familles des otages, » a-t-il plaidé, peu après que la délégation israélienne se soit envolée une nouvelle fois pour Le Caire. Quant à des élections, « en pleine guerre, peu avant la victoire, elles paralyseraient Israël pendant au moins six mois, » a-t-il mis en garde. La semaine passée, le principal conseiller du premier ministre, Ron Dermer, a accusé Washington d’être responsable d’un regain supposé d’intransigeance du Hamas, après que les Etats-Unis n’ont pas opposé un veto à une résolution au Conseil de sécurité de l’ONU demandant un cessez-le-feu immédiat jusqu’à la fin du ramadan. Cette logique de confrontation avec un allié vital, aggravée par M. Nétanyahou depuis décembre, inquiète en Israël et a contribué à mobiliser les protestataires.
Le Hamas demande un retrait des forces israéliennes hors de Gaza, le retour des déplacés dans le Nord de l’enclave, le début de la reconstruction et la libération de détenus des prisons israéliennes. Le gouvernement israélien, pour sa part, prétend négocier dans un premier temps la libération d’une partie des otages, les civils et les femmes militaires, et se garde d’évoquer précisément le sort des hommes capturés en uniforme le 7 octobre, au désespoir de leurs familles.
Il n’envisage qu’une pause de plusieurs semaines dans les combats, et souhaite reprendre la guerre ou du moins des raids intensifs à travers l’enclave, notamment à Rafah, durant des mois, voire des années. Le gouvernement demeure par ailleurs indécis sur l’avenir du nord de Gaza : ses membres centristes conditionnent le retour des déplacés palestiniens à la libération des otages, tandis que la droite rêve de recoloniser ce territoire.
Par Louis Imbert
Le Monde du 1er avril 2024