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En mars 1966, de Gaulle vire de France les Américains et leurs bases militaires

vendredi 24 août 2018, par anonyme (Date de rédaction antérieure : 24 août 2018).

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1966 : la crise avec les Américains

https://www.lexpress.fr/informations/sans-titre_741768.html

Publié le 13/03/1966 à 12:51

Par GEORGES CHAFFARD

En mars 1966, le général de Gaulle décide de faire sortir la France du commandement intégré de l’Otan. Le récit par L’Express de cette décision stratégique pour la défense française.

En fin d’après-midi, le lundi 7 mars, M. Maurice Couve de Murville convoque dans son bureau du quai d’Orsay M. Charles Bohien, ambassadeur des Etats-Unis. C’est pour lui remettre un message personnel du Président de la République française au président Lyndon B. Johnson.

De Gaulle, avant toute notification officielle aux gouvernements membres de l’Alliance atlantique, a tenu par courtoisie à prévenir M. Johnson : dans les soixante-douze heures, la France va signifier à ses alliés sa décision de se retirer, non pas de l’Alliance, mais de son organisation militaire ; elle demandera simultanément l’ouverture de négociations bilatérales pour fixer les modalités de sa coopération ultérieure avec les pays intéressés.

Sol, ciel et mer

A Washington, on connaît depuis longtemps les intentions de De Gaulle. Il les a réaffirmées avec éclat lors de sa dernière conférence de presse, le 21 février : "Modifier les dispositions actuellement pratiquées, afin de rétablir une situation normale de souveraineté dans laquelle tout ce qui est français en fait de sol, de ciel, de mer et de forces, et tout élément étranger qui se trouverait en France ne relèveraient plus que des seules autorités françaises."

Mais il y a loin entre des intentions exprimées à la cantonade et le fait, officiel et brutal, d’une notification diplomatique.

Ce lundi 7 mars au soir, les relations entre Paris et Washington atteignent brusquement leur minute de vérité. M. Lyndon B. Johnson accuse le coup. Sur-le-champ, il convoque M. Dean Rusk, secrétaire d’Etat, son adjoint, M. George Bail, et le secrétaire à la Défense, M. Robert McNamara. Puis, avec une précipitation inaccoutumée dans ce genre de circonstances, il rédige sa réponse. Elle parvient quatre heures après à l’Elysée. Toute la journée du mardi et la matinée du mercredi, journalistes et diplomates accrédités à Washington essayent d’en percer le secret. En vain, M. Bill Moyers, porte-parole de la Maison-Blanche, reste de bois.

Coup au coeur

Pourtant, mercredi, des indiscrétions commencent à circuler. M. Johnson, dit-on, a répondu sur le ton d’un homme dramatiquement touché. Il parle d’un "coup porté au coeur de l’Alliance". Quant au fond, il se borne à soutenir que les Etats-Unis ne peuvent définir leur attitude sur les demandes françaises avant de s’être concertés avec leurs treize partenaires de l’OTAN.

Mercredi, en fin de matinée, à Paris, le Conseil des ministres tient sa réunion hebdomadaire. De Gaulle y parle longuement, d’un ton grave et parfois caustique, de l’Alliance atlantique. "Qui croit encore à la menace d’une invasion soviétique ?", demande le chef de l’Etat. En revanche, assure-t-il, la présence de bases et de forces américaines en France et l’appartenance de notre pays à une organisation militaire dirigée par les Américains, risquent de mêler un jour la France, contre son gré, à des conflits qui ne la concerneraient pas.

Pour comprendre ce que veut dire de Gaulle, il faut se rappeler son mécontentement quand certaines installations américaines de France furent utilisées comme relais pour des interventions politico-militaires au Congo, que la France désapprouvait. Il ne faut pas non plus oublier les efforts des Etats-Unis pour décider leurs alliés de l’OTAN à s’engager à leur côté dans le conflit vietnamien, qui prend de plus en plus l’aspect d’une nouvelle guerre d’Espagne.

"D’ailleurs, conclut le chef de l’Etat, l’intégration militaire dans l’O.T.A.N., quoi qu’en disent les Américains, n’a jamais été réalisée à fond que par deux pays : l’Allemagne fédérale et la France. La Grande-Bretagne, en dehors de son armée du Rhin, n’a pas de forces intégrées ; l’Italie non plus, qui n’a même pas de troupes en Allemagne. Alors, qu’on ne nous raconte pas d’histoire !"

Le communiqué publié à l’issue du Conseil est désabusé. La France, assure-t-il, n’entend pas sortir de l’Alliance. Mais elle prend acte du fait qu’aucune discussion sur une réforme effective de l’O.T.A.N. ne peut être utilement engagée. Elle entend, dès lors, prendre pour elle-même "les mesures qu’elle estime indispensables".

Quelles mesures ? On les connaît. Remettre sous commandement national les forces françaises d’Allemagne actuellement intégrées (deux divisions et demie, un corps aérien) ; placer sous commandement français les quatorze bases, quarante dépôts et vingt-six mille soldats américains installés en France. Mais, comme la France ne se retire pas de l’Alliance proprement dite, il reste à négocier les conditions dans lesquelles les forces françaises d’Allemagne continueront à coopérer à la défense commune et dans lesquelles les forces américaines en France continueront leurs activités sous contrôle français.

La stratégie de l’avant

Pour les premières, la mutation est délicate. A quel titre nos divisions continueront-elles à stationner en République fédérale ? Ce ne sera plus au titre de l’OTAN, ce ne peut plus être non plus en invoquant les accords d’occupation de 1945, aujourd’hui caducs. Alors ? Il faudrait négocier avec le gouvernement de Bonn de nouveaux arrangements.

De Gaulle table sur le désir des Allemands de garder sur leur sol des troupes françaises pour ne pas affaiblir le dispositif occidental face à l’Est. Mais le chancelier Erhard est bien ennuyé. D’une part, l’intégration des armées alliées est pour lui un dogme, tant pour des raisons de logique stratégique que parce que tel est le désir de ses puissants amis américains ; d’autre part, il redoute, s’il accède aux demandes françaises, de créer un précédent qui pourrait être invoqué par le clan militariste allemand pour exiger, à l’instar des Français, un commandement national échappant au contrôle atlantique.

Tout cela, pour un chancelier débonnaire et bon vivant, est un casse-tête dont il se passerait volontiers ! D’autant plus volontiers qu’au fond, les Allemands sont séduits par la "stratégie de l’avant" que préconisaient naguère les généraux français, c’est-à-dire la mise en place, le plus près possible du rideau de fer, d’un appareil de riposte massive et immédiate.

Les Américains, eux, partisans de la « riposte graduée », sont hostiles à cette stratégie. On avait donné partiellement satisfaction, l’an dernier, à l’état-major français, en autorisant, à titre symbolique, le mouvement d’une de nos unités vers l’Allemagne du Sud, bien loin de la zone normale de stationnement des Forces Françaises en Allemagne (F.F.A.).

Aujourd’hui, le 402e Régiment français d’artillerie antiaérienne tient ses quartiers au coeur même de la Bavière, à Munich. Est-ce cela aussi qui va être remis en cause ? (Le cas de la garnison française de Berlin, trois mille cinq cents hommes au Quartier Napoléon, est distinct ; elle est là au titre des accords de Potsdam de 1945, et non en tant qu’unité OTAN). Pour M. Ludwig Erhard, le dilemme est cruel. L’opinion allemande, dans sa majorité, semble pencher pour un alignement sur les thèses américaines d’intégration. Mais renoncera-t-on alors à la présence militaire française ?

Le cas des bases américaines en France est moins grave. Si de Gaulle demande seulement qu’un pavillon tricolore flotte sur leurs installations, à côté du drapeau étoile, et que les juridictions françaises aient droit de regard sur le statut des personnels, Washington peut discuter. Il y a, de par le monde, de nombreux précédents. Mais si Paris entend que l’emploi opérationnel de ces forces devrait aussi être soumis aux autorisations du commandement national français, alors les Etats-Unis préféreront évacuer leurs gens et leur matériel. De Gaulle leur donnera un coup de chapeau, comme jadis Henri IV se découvrant au départ des troupes espagnoles.

Reste le cas des états-majors intégrés. C’est-à-dire, surtout, le sort du général Jean Crépin, commandant en chef du secteur Centre-Europe à Fontainebleau, et du général Houssay, représentant de la France au Standing Group de Washington. "Ils rejoindront leur armée nationale d’origine", dit-on à Paris, dans le plus pur style administratif. Cela ne changera pas grand-chose, ajoute-t-on du côté militaire français. Car les titulaires successifs du poste de Fontainebleau n’ont toujours eu qu’un commandement théorique. Ils ne peuvent donner d’ordre à une division intégrée sans le double accord du commandement suprême (américain depuis la création de l’OTAN et actuellement assuré par le général Lyman Lemnitzer) et du gouvernement national intéressé.

Où tout cela mène-t-il ? La réponse est d’ordre politique plus que technique. Si des accords de coopération militaire sont conclus, il n’y aura, sur le tas, pas grand-chose de changé en réalité. Les F.F.A. continueront à tenir leur "créneau" d’Allemagne sous la seule responsabilité française, mais en liaison avec les autres forces alliées ; la couverture radar du territoire français continuera à être assurée très loin en avant par le réseau des stations alliées en Allemagne ; quant au secteur Sud-Europe, on sait que le retrait, depuis 1962, de nos forces navales intégrées n’a jamais empêché la réalisation des programmes de manoeuvres interalliées. Il n’est que de lire les revues militaires françaises pour s’apercevoir, par exemple, que les exercices annuels "Fair Game" n’ont jamais cessé, ni l’utilisation de la base corse de Solenzara par les aviations alliées.

Les missiles SS.BS.

Si, en revanche, des accords de coopération ne peuvent être conclus, la France devra renoncer aux avantages que lui donne, pour sa défense, le déploiement de ses forces terrestres et aériennes en territoire allemand. Elle ne pourra plus compter, pour assurer l’alerte aérienne à l’Est, que sur la station nationale de Drachenbronn, au nord de Strasbourg, équipée, il est vrai, du système ultra-moderne Strida surveillant le ciel dans un rayon de deux cent cinquante kilomètres, c’est-à-dire jusqu’aux environs de Nuremberg. (Alors que l’intégration actuelle dans le dispositif OTAN. garantit la surveillance-radar du ciel jusqu’à Prague.) Or, la capacité de dissuasion de nos escadres de Mirage IV, basées dans le Sud-Ouest, et de nos futurs missiles SS.BS enterrés dans des silos de Haute-Provence, est fonction de leurs délais de riposte, donc des délais d’alerte.

La politique du Général, encore une fois, est basée sur deux paris : le premier, c’est que les Allemands tiendront malgré tout à garder des forces françaises sur leur sol ; le second, c’est que l’agression ne peut plus venir de l’Est. Paris à première vue contradictoires. Mais le plus lourd de conséquences est évidemment le second.

Le pacte de Varsovie

Si de Gaulle le gagne, le visage politique d’une Europe « de l’Atlantique à l’Oural » peut émerger de l’utopie. S’il le perd, l’imprudente France n’aura plus qu’à faire amende honorable, s’il est temps encore, devant son protecteur américain. Jeudi dernier, James Reston, éditorialiste du « New York Times », écrivait que de Gaulle, "désirant nouer de nouvelles liaisons, venait de notifier à l’Amérique un acte de divorce guère flatteur pour l’Oncle Sam", mais que, malgré tout, si la France veut revenir un jour à l’intégration, elle aura toujours sa place dans l’OTAN…

A Moscou, où il se rendra du 10 au 20 juin, de Gaulle pourra vérifier auprès des dirigeants du Kremlin si son calcul procède du rêve d’un visionnaire septuagénaire et mégalomane, ou d’une analyse réaliste des dispositions soviétiques.

Si l’orientation de la politique étrangère gaulliste doit trouver un jour un commencement de justification, il est peut-être en germe dans ce commentaire d’une haute personnalité diplomatique de l’Europe de l’Est, qui disait la semaine dernière : « Si l’O.T.A.N., à en croire de Gaulle, est maintenant une institution périmée, alors notre pacte de Varsovie l’est aussi ! Et si la France estime pouvoir se dégager de l’organisation dominée par les Américains, pourquoi n’invoquerions-nous pas ce précédent pour nous retirer de l’organisation dominée par les Russes ? »

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