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Stéphane Siohan, Kiev
Publié lundi 12 novembre 2018 à 22:12 _Modifié lundi 12 novembre 2018 à 22:12
Lors d’une élection courue d’avance, Denis Pouchiline est devenu le nouveau chef des séparatistes de Donetsk, une personnalité que Moscou aimerait pousser en avant dans l’optique de pourparlers avec Kiev en 2019
Il n’y aura donc pas eu de suspense pour savoir qui va désormais diriger la République populaire auto-proclamée de Donetsk, dans les territoires de l’est ukrainien sous contrôle russe : le grand favori Denis Pouchiline a été élu dès le 1er tour avec 57,3% des suffrages. Ce pro-russe choisi par le Kremlin sera donc la figure de proue des grandes manoeuvres que Moscou pourrait engager bientôt, alors que Kiev rentre à son tour dans un cycle électoral crucial.
Pouchiline et « Novorossia »
Agé de 37 ans, Denis Pouchiline est un « historique » du microcosme séparatiste, sorti de terre au printemps 2014, présentant un étrange profil de second couteau, mal aiguisé. Originaire de Makiivka, dans la banlieue de Donetsk, il devient au début des années 2000 un expert en pyramides financières, qui pullulent alors en ex-URSS. Puis, en plein « Printemps russe » de 2014, ce politicien débutant et quasi inconnu est bombardé gouverneur adjoint de Donetsk.
A l’époque, ce sont des Russes, appelés Strelkov et Borodaï, ou des tribuns populaires qui tiennent le haut du pavé. Pouchiline s’impose en mai 2014, après la naissance de la République de Donetsk (RPD), comme président du Conseil suprême. Il travaille alors à la création d’un Etat de « Novorossia ». Malgré sa garde rapprochée d’une vingtaine de Tchétchènes armés, il se veut déjà la face « civilisée » de l’insurrection séparatiste.
En juin 2014, Pouchiline échappe à un attentat qui tue deux de ses collaborateurs. Il se met alors quelques temps au frais à Moscou, ce qui laisse la voie libre à un autre personnage : Alexandre Zakhartchenko, un combattant, qui devient en novembre 2014 « chef d’Etat » de la République de Donetsk. Sauf que l’espérance de vie des pro-russes est courte. Le 31 juillet dernier, Zakhartchenko est tué lors d’un attentat à la bombe dans un café de Donetsk.
Un candidat qui porte le costume-cravate
En quelques jours, Pouchiline sort du bois, place ses hommes et neutralise ses adversaires, notamment l’influent paramilitaire Alexander Khodakovskii. Le célèbre écrivain russe Zakhar Prilepine, qui manipulait la kalashnikov dans le Donbass, est écarté. Le 29 octobre, une bombe explose lors du congrès du Parti communiste, tuant les velléités de candidatures d’un certain Igor Khakimzyanov.
Denis Pouchiline porte mieux le costume-cravate que le treillis. De plus, ces trois dernières années, outre Zakhartchenko, une grande partie des leaders séparatistes ayant commis des crimes de guerre, notamment sur des prisonniers ukrainiens, ont été liquidés.
Agé de 37 ans, Denis Pouchiline est un « historique » du microcosme séparatiste, sorti de terre au printemps 2014, présentant un étrange profil de second couteau, mal aiguisé. Alexander Ermochenko/Reuters
Dans la république voisine de Louhansk, où avait eu lieu un « coup d’Etat » il y a un an, Leonid Pasetchnik, a également été élu dès le premier tour avec 70% des voix.
« Des élections Potemkine »
« On n’a pas laissé de figures importantes se présenter, on a juste accepté des candidats techniques », estime Oleksiy Matsouka, rédacteur en chef des Nouvelles du Donbass, un média opérant dans la zone contrôlée par Kiev. Selon lui et plusieurs autres sources, Denis Pouchiline est le candidat choisi par Vladislav Sourkov, conseiller personnel de Vladimir Poutine pour l’Ukraine et cerveau des projets séparatistes en Crimée et dans le Donbass en 2014
« Moscou a besoin de ces élections et veut montrer que Pouchiline et Pasetchnik seront les représentants officiels de ces territoires aux discussions de Minsk, qu’ils pourront construire des ponts avec l’Ukraine, analyse Oleksiy Matsouka. La Russie veut que Kiev négocie directement avec Donetsk et Luhansk sans passer par Moscou. C’est pour cela que les Russes veulent créer cette image que les gens dans le territoires occupés choisissent leurs dirigeants. »
Le tableau s’apparente cependant à des élections Potemkine, dans ces républiques peu démocratiques, à l’avenir économique encalminé et aux populations désillusionnées. Depuis trois ans, la majorité de la presse internationale est interdite de séjour. Dimanche, les rares journalistes accrédités ont été baladés dans un bus, avec interdiction de sortir du convoi, vers des bureaux de vote modèles.
Lors de ce scrutin non reconnu par la communauté internationale, des hommes en armes se tenaient dans les bureaux de vote. Chaque participant au vote recevait aussi un ticket de loterie ou pouvait acheter, du pain, des légumes ou de l’huile à prix cassés dans des épiceries installées par les autorités à la sortie des isoloirs.