Le marxisme est-il une science ?
Existe-t-il « plusieurs marxismes » ?
Existe-t-il un « marxisme » au service du pouvoir ?
Le marxisme traite essentiellement de philosophie et d’économie.
La philo, jusqu’à preuve du contraire, n’est pas une science.
Néanmoins, l’évolution des concepts scientifiques fait évoluer les conceptions philosophiques, à travers la perception que l’on a, par la science, de notre univers.
On ne peut donc pas séparer complètement science et philo, sauf à vouloir cultiver systématiquement une philo passéiste et carrément obscurantiste.
En économie, Marx a fait essentiellement la critique de l’économie politique de son temps. Évidemment, l’intérêt de faire de l’économie réside dans la capacité d’anticipation que cela peut procurer et dans la possibilité de gérer l’économie plus rationnellement qui peut en découler.
« Gérer c’est prévoir » dit l’adage du simple bon sens.
Le marxisme est donc, dès l’origine, et notamment dès les "Grundrisse" (littéralement : "fondations"), un outil de prospective à longue portée, et particulièrement remarquable sur les questions de la robotique, avec carrément un siècle et demi d’avance…!
Pour autant, l’économie est considérée au rang des sciences humaines, et non des sciences exactes.
Autrement dit, ses prévisions n’indiquent au mieux que les grandes tendances de l’évolution et ne peuvent tenir compte, précisément, de tous les aléas du facteur humain, qui reste en grande partie imprévisible. C’est, paradoxalement, ce qui en fait une « science humaine », par différenciation d’avec les sciences exactes, comme la physique, par exemple.
Mais les sciences exactes ne le sont que dans certaines limites, également. Elle le sont pour des phénomène maintes fois vérifiés expérimentalement ou observés de manière récurrente dans la nature.
Au delà du domaine expérimental commence celui des théories hypothétiques et « spéculatives », au sens intellectuel du terme. Même si elles se présentent souvent comme un prolongement direct des théories déjà archi-prouvées, et même si elles sont souvent appuyées par un formalisme mathématique assez rigoureux, on ne peut plus dire pour autant qu’il s’agisse de science exacte.
Néanmoins, ce qui distingue une théorie scientifique d’une pure spéculation, c’est qu’elle se base sur l’étude des faits et phénomènes observés et quantifiés de manière incontestable, sur l’analyse de leurs interactions et sur l’étude de l’évolution de ces interactions.
C’est en ce sens que le marxisme est une théorie scientifique, une approche scientifique de la critique de l’économie politique. Cela n’en fait donc pas pour autant une « science exacte ».
De plus, aucune science, même exacte, n’est véritablement universelle.
Chacune se développe dans un domaine qui lui est propre, avec des lois spécifiques à son domaine, et dont la validité a donc des limites, qui sont celles du domaine concerné.
Le cas flagrant est celui de la différence entre physique classique, dont les effets sont facilement observables à l’échelle de l’observation humaine directe, et physique quantique, qui échappe à peu près totalement à notre perception intuitive, mais n’en est pas moins en interaction constante avec la totalité du monde et de l’univers.
D’autres domaines scientifiques ont des limites bien plus étroites, malgré leur grande visibilité, du point de vue de l’observation humaine. Ainsi la biologie, qui se limite, par définition, à l’étude du vivant, a en réalité des limites très étroites, à l’échelle de l’univers.
L’économie est évidemment une science qui découle à la fois des relations humaines et de l’interaction de l’activité humaine avec son environnement. Elle n’existe pas en dehors du phénomène humain lui-même, et se place donc strictement au rang des sciences humaines.
Néanmoins, et à l’évidence, tous les niveaux et aspects du réel sont, à des degrés divers, en interaction entre eux. L’étude des relations entre les différents domaines scientifiques est du ressort de l’épistémologie. L’épistémologie se situe donc à la limite de l’étude scientifique et de l’approche philosophique, elle n’est donc évidemment pas une science exacte. La dialectique marxiste est une des expressions de l’épistémologie, et à ce titre, elle ne peut pas non plus être considérée comme une science exacte.
La dialectique constitue néanmoins une méthodologie d’utilité pratique dans la recherche, notamment en biologie, pour définir les interactions et leur évolution (Lewontin, Gould, Levins, et bien d’autres…).
Pour autant, la dialectique y est bien définie comme une méthodologie de recherche, et non comme une science exacte par elle-même, une sorte de « super-science » qui chapeauterait toutes les autres.
Une telle conception n’existe que chez les imbéciles dogmatiques et les escrocs idéologiques qui les manipulent.
Elle a eu une importance relative en URSS, notamment avec l’affaire Lyssenko, mais nettement moins hégémonique, en réalité, que ce que l’on veut encore décrire en Occident. Staline lui-même s’est clairement exprimé, en 1950, sur le fait qu’il n’y avait pas de « science bourgeoise » et de « science prolétarienne ». Le dogmatisme de Lyssenko, politiquement lié au groupe Beria-Malenkov-Khrouchtchev, qui a déjà pris pratiquement le contrôle du pouvoir entre 1946 et 1950, se trouvera à nouveau protégé à partir de 1953 et de la contre-révolution khrouchtchevienne, pour quelques années encore. Il n’est donc en rien une idéologie marxiste-léniniste, mais bien au contraire l’un des véhicules idéologiques du révisionnisme.
En France, il est resté de fait très longtemps lié au révisionnisme thorezien, jusqu’au début des années 60, et l’est encore aujourd’hui, de manière clairement réaffirmée, sous la forme du néo-thorezisme de Georges Gastaud et du PRCF, par exemple. Gastaud, prof de philo et responsable du PRCF, n’hésite pas à proposer un retour à une conception ontologique de la dialectique, par opposition à une approche épistémologique liée pourtant à la méthodologie de recherche scientifique, en réalité, et notamment par les biologistes actuels qui en font usage.
Cette conception révisionniste, et non marxiste-léniniste, n’est quasiment contestée par aucun des autres courants qui prétendent se réclamer du ML en France, sauf sur TML (…et quelques blogs amis), évidemment… :
https://tribunemlreypa.wordpress.com/2017/10/23/mao-un-materialiste-qui-ne-manquait-pas-d-essence/
https://tribunemlreypa.wordpress.com/2014/11/01/1959_table_tml_chapitre_2_/
Cette hégémonie de la pensée révisionniste amène inévitablement à une déconsidération de la pensée marxiste auprès d’une grande partie des éléments progressistes des classes sociales populaires en France.
C’est ainsi que l’on a pu lire récemment ce titre :
« Le marxisme se voulant une science, il devait finir par travailler pour le pouvoir »
C’était en vue de faire l’éloge d’un ouvrage critique titrant un de ces chapitre sur le « marxisme lénifiant »…
En réalité il est clair que dans la société humaine tout système de domination de classe utilise la technologie et la science pour asseoir son pouvoir et cherche même à s’arroger l’exclusivité du savoir, au profit de la classe au pouvoir.
La sophistication du langage, qui vise à éloigner les classes populaires de l’accès aux connaissances, est l’une des techniques instinctivement développée par l’intelligentsia au service du système en vue de se protéger et de protéger le système, par la même occasion.
Ce langage et cette sophistication exponentielle n’ont évidemment rien à voir avec la réalité de la science elle-même et avec la validité de ses concepts.
Le fait que le système tente d’utiliser la méthodologie marxiste d’analyse économique pour essayer d’enrayer, et vainement, les causes de sa propre crise, n’invalide en rien la réalité de la pertinence de ses concepts.
Il n’y a pas plus de « marxisme bourgeois » que de « science bourgeoise » ou de « science prolétarienne ».
Par contre il est évident que cette utilisation bourgeoise du marxisme va de pair avec des tentatives de justifications idéologiques, qu’elles soient formellement « de gauche », voir « marxistes-léninistes », comme en Chine et au PRCF, ou plus subtilement, sous la forme de la « wertkritik » et de ses épigones « marxiens ».
Ces tentatives de justifications idéologiques sont, à l’évidence, de l’ordre du révisionnisme, par rapport à une méthodologie dialectique marxiste qui reste de l’ordre de l’épistémologie et plus que jamais essentielle pour la sociologie, l’histoire, l’économie, et l’ensemble des sciences humaines.
Luniterre
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