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Les Emirats désertent le bourbier yéménite

samedi 13 juillet 2019, par anonyme (Date de rédaction antérieure : 13 juillet 2019).

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Luc Mathieu, Hala Kodmani et Valentin Cebron

Publié vendredi 12 juillet 2019 à 18:26
Modifié vendredi 12 juillet 2019 à 18:28.

L’annonce du retrait partiel des troupes émiraties souligne l’enlisement d’un conflit qui dure depuis 2014. Théâtre d’affrontements par procuration entre les Etats-Unis, l’Arabie saoudite et l’Iran, le Yémen est en proie à une crise humanitaire sans précédent

Plus de quatre ans après leur irruption dans la guerre au Yémen, les Emirats arabes unis viennent d’annoncer un retrait, au moins partiel, de leurs troupes et leur volonté de passer à une logique de « paix ». La décision, sur fond d’escalade entre Téhéran et Washington, a surpris, mais elle souligne l’enlisement d’un conflit où se confrontent les deux grandes puissances de la région, l’Arabie saoudite et l’Iran. Sans pour autant marquer la fin d’une guerre qui a terrassé le pays le plus pauvre de la péninsule Arabique.

Comment la situation militaire a-t-elle évolué ?

Une guerre civile qui s’internationalise, entrecoupée de multiples trêves et cessez-le-feu rarement respectés. Depuis 2014, le conflit au Yémen n’a cessé de muter avant de se figer, avec des lignes de front gelées et un pays coupé en deux. La première offensive d’envergure est menée par les Houthis, une minorité d’obédience chiite soutenue par l’Iran, lorsqu’ils déferlent depuis leur fief montagneux du Nord et s’emparent de Sanaa, la capitale, en septembre 2014. Ils sont alors soutenus par leur ancien ennemi, l’ex-président Ali Abdallah Saleh, chassé en 2012 après un an de manifestations, qui met à leur disposition les troupes qui lui sont restées loyales. Dans les mois qui suivent, les rebelles houthis continuent de progresser, vers le Centre et l’Ouest.

Au printemps 2015, ils se rapprochent d’Aden, la principale ville du Sud. Le 26 mars, l’Arabie saoudite, qui considère le Yémen comme son pré carré, réagit et prend la tête de la coalition « Tempête décisive », qui regroupe une dizaine de pays, dont cinq du Golfe. Le même jour, le président en titre, Abd Rabbo Mansour Hadi, s’enfuit d’Aden et se réfugie en Arabie saoudite. Il avait déjà été chassé de Sanaa.

L’offensive de la coalition se met en place, les avions saoudiens bombardent et les soldats émiratis avancent au sol. En juillet, la province d’Aden est proclamée « libérée ». Un mois et demi plus tard, cinq autres provinces du Sud sont reprises. Mais le conflit s’enlise peu à peu. En décembre 2017, les rebelles houthis tuent leur principal allié, l’ex-président Saleh. Il venait de se dire « prêt à tourner la page » avec l’Arabie saoudite. Les Houthis continuent à contre-attaquer, sans avancer pour autant.

Sous blocus, alors que la situation humanitaire est catastrophique, les forces pro-gouvernementales lancent, le 13 juin 2018, une offensive sur le port de Hodeida, par où transitent 80% de l’aide humanitaire et 70% des importations alimentaires. Sept mois plus tard, à l’issue de pourparlers organisés à Stockholm, l’ONU parvient à un accord. Les combats cessent à Hodeida. Ils se sont aujourd’hui déplacés au nord-est du port. Ils se déroulent aussi toujours au sud-est de Taëz. « Les lignes de front ne bougent pas mais les combats font toujours des victimes et des déplacés », explique Dominik Stillhart, directeur des opérations de la Croix-Rouge.

Quel est le jeu des protagonistes régionaux ?

L’annonce par les Emirats arabes unis, cette semaine, d’une réduction de leurs troupes au Yémen a attiré l’attention sur l’implication d’un acteur de moindre visibilité jusque-là dans ce conflit. C’est l’Arabie saoudite, qui tient depuis plus de quatre ans le rôle de principal responsable d’une guerre particulièrement dévastatrice. D’abord, parce que le royaume islamique est à l’initiative de l’opération et à la tête de la coalition arabe qui appuie le gouvernement yéménite reconnu internationalement face aux milices rebelles houthies soutenues par l’Iran. Mais surtout en raison des raids meurtriers menés par son aviation, faisant de nombreuses victimes civiles. Des bavures qui ont motivé des campagnes dans différents pays occidentaux contre les livraisons d’armes à Riyad.

Ces dernières semaines, le territoire saoudien a été de plus en plus ciblé par des tirs de missiles et de drones venant du Yémen. Ces attaques, revendiquées par les forces houthies, sont clairement liées à la crise entre les Etats-Unis et l’Iran qui fait monter les tensions dans la région. Les Emirats, sensibles à leur image internationale, veulent se donner « le beau rôle », explique François Frison-Roche, spécialiste du Yémen au CNRS. « Cette annonce pourrait être considérée comme une opération de communication, poursuit-il, en rappelant que les Emirats interviennent surtout au sol, où ils tiennent les rênes véritables du pouvoir.

Car ils forment et arment des milices sudistes pro-indépendantistes à travers lesquelles ils contrôlent désormais les ports d’Aden, siège du gouvernement yéménite légitime, et d’Al-Mukkala, sur le littoral sud. » Piliers de la coalition militaire aux côtés de l’Arabie saoudite, les Emirats ont dépêché plusieurs milliers d’hommes et entraîné 90 000 soldats yéménites. Les puissances régionales, qu’elles soient ouvertement opposées au gouvernement – comme l’Iran – ou alliées au sein de la coalition arabe, trouvent toujours un appui parmi des factions yéménites profondément divisées.

Quelle est la situation humanitaire ?

C’est devenu un triste leitmotiv. Le Yémen subit « la pire crise humanitaire du monde », estime l’ONU. En cinq ans de guerre, les chiffres sont alarmants : des dizaines de milliers de morts, dont de nombreux civils, 3 millions de déplacés et 24 millions de personnes qui ont besoin d’aide internationale, soit plus des deux tiers de la population yéménite. « La situation continue d’être extrêmement difficile, surtout dans les zones rurales, où il n’y a plus de centres de santé et où il est très compliqué de se déplacer », explique Dominik Stillhart, de la Croix-Rouge.

« Les civils sont pris en étau entre les bombardements et les combats au sol », ajoute Marc Schakal, responsable adjoint au Yémen de Médecins sans frontières (MSF), présent sur place. Au fil du conflit, le système de santé, déjà défaillant avant 2014, s’est effondré. Lorsque les structures sanitaires ne sont pas la cible de frappes aériennes, elles pâtissent souvent d’un manque de personnel qualifié. Résultat : les hôpitaux opérationnels sont peu nombreux. « La côte ouest, entre Aden et Hodeida, est un désert médical. Un enfant malade doit parfois faire 300 kilomètres pour se soigner », ajoute-t-il, inquiet.

Les difficultés d’accès à l’eau potable et aux infrastructures d’hygiène rendent les populations d’autant plus vulnérables. « Ces structures de santé ont besoin d’un réel support pour éviter la résurgence de maladies comme la diphtérie, la rougeole et particulièrement le choléra, endémique au Yémen », assure Marc Schakal. On compte déjà en 2019 plus de cas suspects de choléra que sur l’ensemble de l’année 2018, selon l’ONG Save the Children, qui recense au moins 193 enfants morts à cause de cette maladie épidémique.

Parallèlement, la crise économique mine le pays. La guerre n’a fait qu’aggraver la situation humanitaire puisque le Yémen se retrouve aujourd’hui peu ou prou sous le coup d’un triple embargo – aérien, maritime et terrestre. La dépréciation du riyal yéménite, l’envol du prix du fioul et des produits de première nécessité font – entre autres – régner un climat d’insécurité alimentaire. Les taux de malnutrition enregistrés par MSF « sont en augmentation », et « beaucoup d’enfants en souffrent ». Néanmoins, il est difficile de généraliser ces données, car aucune ONG n’a suffisamment accès au pays pour mener des études avec des chiffres fiables. Sur le terrain, les associations essuient des « refus pour accéder à certaines zones ». Et doivent « notifier à la coalition ou aux rebelles houthis le moindre de [leurs] déplacements », réduisant ainsi leur champ d’action. « Dans tous les cas, ce sont les civils qui paient l’addition », déplore Marc Schakal.

Pourquoi la solution reste-t-elle introuvable ?

L’ensemble des forces locales, régionales et internationales concernées font le constat d’un désastre militaire, politique et humanitaire au Yémen. Le désir d’en voir la fin est partagé, y compris par celui qui est à l’origine de son aggravation, le prince héritier saoudien, Mohammed ben Salmane (MBS). « Je pense que MBS souhaite sortir de ce conflit, considère François Frison-Roche. Néanmoins, il ne veut pas perdre la face. Il ne peut pas supporter que des rebelles houthis puissent tenir tête à la première puissance de la péninsule Arabique. Sur le plan intérieur, peut-il rester crédible s’il donne l’impression de perdre un conflit qu’il a commencé ? »

Il y a quelques mois pourtant, une entente semblait à portée de main. Un dialogue entre belligérants yéménites, réunis à Stockholm en décembre par l’envoyé spécial de l’ONU, le diplomate britannique Martin Griffiths, était bien engagé. Mais les choses ont dégénéré à nouveau, en particulier en raison de l’escalade entre l’Iran et les Etats-Unis. Le Yémen est redevenu l’un des champs de confrontation entre Téhéran et les alliés arabes des Américains dans le Golfe. « Dans cette guerre par procuration que mènent l’Iran et l’Arabie saoudite, Téhéran a su jouer de l’inexpérience du prince héritier saoudien. Pour un investissement minimum, la dictature des ayatollahs en retire un profit maximum », souligne François Frison-Roche. En outre, l’issue du drame yéménite demeure d’autant plus dure à trouver qu’il n’y a pas de véritable volonté ou pression internationale d’en sortir.

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