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AUTOPSIE DU MOUVEMENT DES GILETS JAUNES

jeudi 3 octobre 2019, par Robert Bibeau (Date de rédaction antérieure : 3 octobre 2019).

Préface

Notre objectif n’est pas de relater, de décrire ou de présenter les évènements (…) Notre objectif est de tirer des enseignements de ce mouvement innovant, enseignements que la classe prolétarienne conservera comme enrichissement de sa conscience de classe et comme apprentissages à réutiliser lors des prochaines manches de cette guerre à terminer entre le salariat prolétarisé et le grand capital financiarisé.

La révolte des Gilets jaunes le démontre : l’économie est le fondement et le ferment de tout mouvement social. Cette vision de l’économie politique et de la réalité sociale a été combattue par les intellectuels de gauche comme de droite empêtrés dans leurs analyses superficielles de la conjoncture politique, diplomatique, médiatique, idéologique, sociologique et militaire.

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La crise économique du capitalisme a donné naissance à de nombreux mouvements de révolte sociale, notamment au Québec (Carré rouge), en Tunisie et en Égypte (Printemps arabe), en Argentine (Piqueteros), en Grèce (contre la Troïka), en Afrique du Sud (grèves des mineurs), en Iran, en Italie (Cinq Étoiles), en Haïti (grève générale), au Venezuela, en Algérie (dégage Bouteflika) et en France (Gilet jaune), pour n’en citer que quelques-uns. Le Mouvement des Gilets jaunes présente, dans un contexte économique spécifique, plusieurs des caractéristiques sociologiques, politiques et idéologiques que l’on retrouve éparses dans l’un ou dans l’autre de ces mouvements (…) Lénine écrivait ceci, à propos de la Révolution : « La révolution socialiste en Europe ne peut pas être autre chose que l’explosion de la lutte de masse des opprimés et des mécontents de toute espèce. Des éléments de la petite bourgeoisie et des ouvriers arriérés y participeront inévitablement - sans cette participation, la lutte de masse n’est pas possible, aucune révolution n’est possible - et, tout aussi inévitablement (…) »

Lénine avait raison, la révolte populiste spontanée, disparate, discordante, et à première vue désorientée, sera le fait de classes et de fractions de classes, que l’éventuelle hégémonie de la classe prolétarienne sur le Mouvement permettra de transformer en insurrection populaire, puis en révolution prolétarienne, encore faudra-t-il que les conditions objectives et subjectives soient à maturité. (…)

Dix caractéristiques marquantes

Le Mouvement des Gilets jaunes a pris des formes inédites qui s’expliquent, pour une partie, par l’évolution de sa composition de classe. Nous y reviendrons. Nous identifions dix caractéristiques, souvent présentes dans les différents mouvements et soulèvements populaires : Mouvement de révolte populiste spontané, inorganisé et cohérent ; • Forte implication du prolétariat et de la petite bourgeoisie ; • Rejet de l’appareil d’État et de ses appendices, syndicats, ONG ; • Scepticisme vis-à-vis des partis de gauche et de droite ; (…)

Composition de classe du Mouvement

Le groupe Robin Goodfellow a présenté un portrait de la composition sociale du mouvement. Ils écrivent : « Le mouvement des gilets jaunes a commencé à l’initiative de représentants de la petite bourgeoisie (classe moyenne) des régions dites « périurbaines » passionnés d’automobile ! La classe moyenne, au sens marxiste du terme, prédomine dans la direction du mouvement. Il en va de même, et c’est bien plus important, de l’alignement politique. Au-delà de la composition sociale de la direction du mouvement, le prolétariat se place sous la direction politique de la petite bourgeoise au sens générique du terme (classe moyenne et petite bourgeoisie capitaliste) […] »

Les dix caractéristiques ont été source de frictions et de tensions entre les militants issus de la bourgeoisie et de la petite bourgeoisie et ceux originaires de la classe ouvrière et du prolétariat, attestant de la vitalité et de l’ancrage populaire de ce mouvement spontané. Par ces luttes internes, chaque classe témoignait de ses origines sociales, de ses expériences et de ses tactiques de lutte, de ses revendications, de ses intérêts et de l’objectif stratégique ultime de son combat. Par leur engagement la moyenne bourgeoisie et les petits-bourgeois protestaient contre le sort qui leur est réservé sous la crise économique du capitalisme. Bourgeoisie et petite-bourgeoisie ne cherchaient nullement à déboulonner le système capitaliste, mais plutôt à utiliser la révolte des prolétaires (chair-à-manifester, chair à patron, chair-à-voter, avant d’être chair à canon) pour secouer le système économicopolitique (…) On peut caractériser l’engagement de la bourgeoisie comme un effort pour réformer le système capitaliste et ainsi le consolider. Le ras-le-bol de la bourgeoisie française marquait sa révolte inconsciente contre les lois économiques du mode de production, exprimé par de futiles efforts pour faire tourner à l’envers les lois de la valorisation, de l’accumulation et de la concentration du capital. Pour chacune des caractéristiques que nous avons énumérées, la position de la petite-bourgeoisie militante évolua dans le sens du compromis et des accommodements (…) (voir les 42 revendications en annexe).

Le prolétariat engagé dans le mouvement ne partageait pas les mêmes expériences de lutte ni ne poursuivait les mêmes objectifs tactiques et stratégiques que la bourgeoisie en révolte. Par ses revendications le salariat réclamait la valorisation de la force de travail : hausse des salaires, du SMIC, indexation des retraites, fin du travail détaché, davantage de CDI et des baisses d’impôts pour maintenir le pouvoir d’achat et la valeur marchande de la force de travail, soit une diminution de la portion du surtravail expropriée et la réduction de l’accumulation de la plus-value. Autant de revendications visant la revalorisation de la force de travail et le maintien du pouvoir d’achat. (…)

Cette dichotomie entre la petite bourgeoisie et le prolétariat s’est manifestée non seulement au niveau des revendications, mais aussi au niveau des actions. La petite-bourgeoisie privilégiait les actions percutantes, mais sans grandes conséquences sur l’économie et les profits, telles que les manifestations-parades, ponctuées de « casses » urbaines futiles, les pétitions inutiles, les poursuites judiciaires ridicules, l’appel dérisoire aux institutions internationales, les conférences de presse, les appels à la mythique « opinion publique » et aux médias dont ils avaient pourtant tellement à se plaindre. Les Gilets jaunes prolétariens, quant à eux, privilégiaient le blocage des rondpoints, la fermeture des ports, l’arrêt du transport des marchandises et des salariés, la grève générale et la paralysie de l’économie..

Apolitisme et conscience de classe

Les intellectuels bourgeois ont dit des Gilets jaunes qu’ils étaient apolitiques du fait de leur refus de se laisser brider, enrégimenter et instrumentaliser par les vieilles formations politiques bourgeoises de gauche comme de droite. Par leur refus d’être instrumentalisés, les Gilets jaunes ont amorcé une nouvelle voie politique : la voie prolétarienne d’action n’ayant rien en commun avec la gauche classique organisée en groupuscules sectaires et dogmatiques. (…) Le soulèvement populiste – prélude à l’insurrection populaire ; prologue à la révolution prolétarienne – ne s’ordonne pas. Notre tâche révolutionnaire n’est pas d’amorcer (…)

Conscience de classe prolétarienne

À propos de la conscience de classe et de son incidence sur le mouvement populaire spontané, Kropotkine écrit ceci à la suite de la Révolution russe de 1918 : « La révolution que nous avons vécue est la somme totale, non pas des efforts individuels séparés, mais c’est un phénomène naturel, indépendant de la volonté humaine, similaire à un de ces typhons qui se lève soudainement sur les côtes de l’Asie orientale. Des milliers de causes, parmi lesquelles le travail d’individus séparés et même de parties entières n’ont été que des grains de sable, chaque petit souffle de vent local …. » La conscience de classe révolutionnaire n’est pas apportée de l’extérieur, mais elle jaillit au sein même de la classe en révolte. La révolte de classe est intrinsèque à l’existence même de la classe dans ses contradictions et sa lutte contre la nature pour lui arracher ressources, moyens de production et biens de consommation, et dans son combat social inévitable contre la classe capitaliste exploiteuse, qui, elle aussi, mène son combat contre la nature et contre la classe prolétarienne afin de la forcer à valoriser le capital, et ainsi assurer l’accumulation capitaliste et la reproduction de l’espèce humaine (…)

Réformisme ou révolution, socialisme ou communisme ?

Au XXIe siècle, ce que la gauche appelle la « Révolution socialiste » est un anachronisme des siècles derniers (XIXe et XXe siècles), l’époque héroïque des mouvements syndicaux progressistes et des organisations politiques de la gauche réformiste et revendicatrice, qui a eu pour mission historique d’arracher des concessions démocratiques, des réformes sociales, de meilleures conditions d’exploitation de la force de travail et la décolonisation des populations vivant sous l’oppression du féodalisme et des puissances colonialistes, afin de les faire accéder au capitalisme. Pour les salariés, les limites de ces conquêtes sont aujourd’hui atteintes, tout comme sont atteintes les limites économiques et géographiques de l’expansion du mode de production capitaliste (…) Sous le mode de production capitaliste, la guerre de classe se résume à ceci : chaque classe sociale se bat pour accroitre sa portion de la valeur produite par la force de travail salarié, génératrice de plus-value. (…)

Ce faisant, le grand capital accapare une part grandissante des budgets de l’État, au détriment du petit capital national, grevant ainsi les marchés qui dépendent des clientèles populaires aux allocations sociales compressées par les politiques d’austérité. Et ainsi va la spirale infernale du capital en débandade. (…) Au commencement d’un mouvement de résistance contre les agressions du capital et de son État, il est normal que la petite-bourgeoisie et le prolétariat à travers ou par-delà leurs organisations de collaboration de classe (syndicats subventionnés, ONG stipendiées, partis et organisations politiques électoralistes) organisent la résistance selon des principes et des méthodes de combat éculés : manifestations de types processions, jérémiades, gesticulations et pétitions bidon, votations de « protestation », jusqu’à ce que les manifestants du weekend se rendent compte de l’inefficacité de leurs actions, car elles ne pénalisent que la populace et la bourgeoisie marchande. (…) Néanmoins, le 10 décembre, le gouvernement, par ses minimes concessions, a brisé le « Front uni » de la moyenne bourgeoisie, de la petite bourgeoisie et du prolétariat. Aussitôt, le petit capital national s’est retiré de l’alliance de front uni réformiste comme nous l’avions subodoré. (…)

Le premier échec est advenu à l’Acte I, au moment où l’on substitua à la paralysie de l’économie et à l’occupation des rondpoints barricadés, les manifestations-processions ponctuées de casses urbaines. Ces quelques places municipales (Paris, Toulouse, Marseille, Bordeaux, Nice, Lyon, Lille, Rouen) se révélèrent le cimetière des regroupements militants où la flicaille put verbaliser et arrêter les plus engagés. Le pire n’étant pas dans ce charivari de la petite bourgeoisie et de son « Black bloc » (…)

Le deuxième échec survint quand les bureaucrates syndicaux proposèrent un simulacre de grève générale encadrée et organisée pour liquider toute grève insurrectionnelle. Le prolétariat ne se mobilisa pas autour de cet appel sachant par expérience que ces agiotages syndicaux mènent toujours à la défaite. (…) la gauche éclectique qui y verront des mesures « liberticides » (toujours cette mystique petite-bourgeoise de la démocratie et de la liberté sous l’esclavage salarié) et qui ergoteront sur les façons de faire perdurer ces actions de prosternation. (…)

L’organisation révolutionnaire : fruit de la révolution

L’évolution du Mouvement nous renseigne sur cette orientation inédite, illustrée par le rejet radical de l’appareil d’État, de ses appendices organisationnels syndicaux, ONG et partis politiques. De l’expérience des gilets jaunes il faut déduire que le soulèvement populiste spontané sera pris en charge par le prolétariat révolutionnaire, cette « avant-garde » qui aura germé dans le giron de la guerre de classe prolongée. (…) le parti révolutionnaire de classe ne préexiste pas au mouvement révolutionnaire, il surgit spontanément comme la cristallisation d’une lente fermentation des divers groupes et associations militantes. L’action insurrectionnelle transformera le mouvement populiste spontané en une insurrection populaire organisée, visant non plus à réformer, mais à détruire le système, son appareil d’État bourgeois, et à renverser le mode de production capitaliste, pour appeler à la construction du nouveau mode de production communiste prolétarien. (…)

La conscience de la classe révolutionnaire, ainsi que ses organisations révolutionnaires, ne sont pas des éléments préconstitués, enfermés dans un cocon qu’il suffirait d’extirper. La conscience de classe ne peut être apportée de l’extérieur de la classe comme une vérité révélée – cette conception thomiste relève de la mystique religieuse. La conscience de classe est un construit – une production de classe, au même titre qu’une œuvre d’art, un objet à la fois concret (l’idée matérialisée dans un projet de société en progrès) et abstrait (les rapports sociaux de production) issu de l’activité de la classe aspirant à l’émancipation, non pas comme un désir mystique mais comme une nécessité impérative (…) la dictature du prolétariat n’est pas une loi d’airain qu’impose une organisation centralisée sur la classe révolutionnaire spontanée et sur la société transformée en goulag social. (…)

À l’étape révolutionnaire du mouvement, la spontanéité s’estompe, le niveau de conscience de la classe murit, puis s’affermit dans et par le processus révolutionnaire, favorisant ainsi la consolidation du projet révolutionnaire global. De ceci, il découle que l’insurrection populaire n’est pas la Révolution prolétarienne, elle en est la prémisse nécessaire à la fois objective et subjective. La Commune fut un coup de tonnerre – un défi – que la classe prolétarienne parisienne, encore embryonnaire, lança au pouvoir étatique bourgeois en pleine expansion. L’immaturité évidente des conditions objectives et subjectives de la révolution prolétarienne mondiale entraina la défaite inévitable de cette insurrection populaire. (…)

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2 Messages de forum

  • AUTOPSIE DU MOUVEMENT DES GILETS JAUNES 3 octobre 2019 20:16, par do

    17 décembre 2018 – Si le mouvement des Gilets Jaunes échoue ce sera parce que… :

    http://mai68.org/spip2/spip.php?art…

    13 janvier 2019 – Gilets Jaunes – Nous ne vaincrons pas sans grève générale :

    http://mai68.org/spip2/spip.php?art…

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  • AUTOPSIE DU MOUVEMENT DES GILETS JAUNES 3 octobre 2019 20:56, par Edouard

    Cet article est tout à fait intéressant et se croit même "révolutionnaire " ,en ce qu’il a la prétention d’indiquer la marche à suivre au prolétariat pour réaliser ses taches historiques soit la révolution mondiale et sa dictature internationale …
    Malheureusement il a un grand tort c’est celui d’indiquer une impasse qui a déjà été parcourue par les avant gardes au cours du siècle précédent et singulièrement durant le premier après guerre , en particulier par le prolétariat allemand dont les énergies révolutionnaires ont été épuisées dans des actions dispersées par suite justement de l’absence d’un parti révolutionnaire communiste préexistant . il sera finalement écrasé car la bourgeoisie elle avait un appareil d’état et une force militaire "préexistante".
    je vous renvoie pour étayer tout cela au " Que faire" de Lénine qui est tout entier consacré à démolir les illusions sur la spontanéité des masses et rappelle la nécessité de la théorie apportée de l’extérieur par le parti de classe.
    Je ne résiste pas au plaisir d’en faire une petite citation sur les dizaines qui foisonnent dans ce texte : "Cela montre que tout culte de la spontanéité du mouvement ouvrier , tout amoindrissement du rôle de l’élément conscient , du rôle de la social démocratie ( sous entendu révolutionnaire avant sa trahison de 1914 )signifie par là même- qu’on le veuille ou non, cela n’y fait absolument rien - un renforcement de l’influence de l’idéologie bourgeoise sur les ouvriers " ( p. 50, opuscule cité éditions sociales Paris 1969 ) .
    M. Bibeau y apporte à nouveau sa petite contribution …
    /

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