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La Tunisie face à une présidentielle ubuesque

lundi 7 octobre 2019, par anonyme (Date de rédaction antérieure : 7 octobre 2019).

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Mathieu Galtier, Ouled Amor et Tunis

Publié dimanche 6 octobre 2019 à 13:48
Modifié dimanche 6 octobre 2019 à 13:50

Après les législatives d’hier, le second tour de la présidentielle se tiendra dimanche alors que Nabil Karoui, l’un des candidats, est toujours en prison

Les habitants d’Ouled Amor, petit hameau à une quarantaine de kilomètres de Sfax, au centre de la côte tunisienne, n’ont pas l’habitude d’un tel déploiement. Les sonos, les tracts collés sur les murs de l’unique café, les caméras et les voitures rutilantes, dont un 4x4 noir, occupent la route principale, au point que les camionnettes chargées de bétail et de légumes sont obligées d’attendre la fin du meeting. Le parti Qalb Tounes (Cœur de la Tunisie) ne fait pas les choses à moitié quand il organise un rassemblement, même dans les plus petites localités. L’objectif est double : engranger un maximum de voix pour le scrutin législatif du 6 octobre – dont les résultats ne sont pas encore connus officiellement mais qui devrait placer Qalb Tounes comme l’un des deux premiers partis dans la prochaine assemblée – et surtout plaider la cause de son chef, l’homme d’affaires Nabil Karoui. Celui-ci s’est qualifié pour le second tour de l’élection présidentielle du 13 octobre malgré son incarcération pour fraudes fiscales et blanchiment d’argent depuis le 23 août.

Instrumentalisation politique

D’ailleurs, sur les affiches ou au micro, il n’est question que du fondateur de Nessma TV, la chaîne la plus regardée du pays, et de l’œuvre caritative qu’il a créée. La femme de Nabil Karoui, Salwa Smaoui, remplace son mari lors des meetings avec une certaine popularité malgré son passé de dirigeante de Microsoft Tunisie proche de Ben Ali, et elle encense son mari. « Nabil Karoui, on le voit sur Nessma TV. C’est le seul à braver le vent et la pluie pour arriver jusqu’aux pauvres comme nous et nous aider », s’enthousiasme un militant quinquagénaire. Comme tous les partisans de Nabil Karoui, il dénonce une instrumentalisation politique pour expliquer l’arrestation de son champion à trois semaines à peine du premier tour du 15 septembre, alors que la plainte courrait depuis 2017.

Le plus gêné est, paradoxalement, Kais Saïed, son adversaire du second tour. Le professeur de droit regrette que la campagne ne se déroule pas normalement. Porté par la jeunesse révolutionnaire qui s’est sentie dépossédée de sa révolte de 2010, celui qu’un éditorialiste a qualifié de « conservateur sociétal et libertaire institutionnel » veut affronter Karoui qu’il considère comme un exemple criant des pratiques douteuses de la classe politique.

« Débrouillez-vous »

Par quatre fois, la justice a refusé la libération de Nabil Karoui. Pour les spécialistes du droit, la situation paraît insoluble. Quelques jours après le premier tour de la présidentielle, le professeur de droit constitutionnel Yadh Ben Achour – l’un des architectes du cadre constitutionnel post-révolutionnaire – a publiquement interpellé les pouvoirs politiques, responsables, selon lui, de cette situation ubuesque : « Débrouillez-vous, mais, pour le bien du pays, il faut que le second tour se déroule de manière non discriminatoire. Il y a un risque que le résultat final soit contesté au niveau national et international car la Tunisie est membre du Pacte relatif aux droits civils et politiques [qui garantit des élections équitables]. » Des membres du comité de défense de Nabil Karoui envisagent d’ailleurs de déposer un recours pour reporter le second tour.

Nabil Baffoun, le président de l’Instance supérieure indépendante pour les élections (ISIE), a assuré que le second tour aurait bien lieu le 13 octobre. L’ISIE, qui apparaît comme l’organe le plus neutre pour les Tunisiens, souhaite la libération du candidat. Mais dans le cas contraire, elle se dit prête à organiser tout de même le débat télévisé depuis la prison. Alors que la justice devrait encore se prononcer la semaine prochaine sur son encombrant prisonnier de 56 ans, le scénario d’une libération semble de moins en moins certain. « Il est important que le candidat Nabil Karoui soit en mesure de mener campagne dans le cadre de l’égalité des chances avec le candidat Kaïs Saïed », souligne pourtant la Mission d’observation électorale de l’Union européenne.

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