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Comaguer 399 - 31 janvier 2020 - « Réforme portuaire » et lutte de classe (PDF)

samedi 1er février 2020, par SUN TZU (Date de rédaction antérieure : 1er février 2020).

Comaguer n° 399 - 31 janvier 2020

http://comaguer.over-blog.com

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« Réforme portuaire » et lutte de classe

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Version PDF : http://mai68.org/spip2/IMG/pdf/Coma…

Ce bref rappel de cette lutte jamais close concerne les ports français de 1990 à nos jours et s’inscrit dans le temps fort de l’affrontement de classe que la France traverse aujourd’hui

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Parler de lutte de classe dans les ports français est destiné à distinguer celle-ci de la lutte syndicale qui en est une expression particulière. Celle-ci y est très active et marquée depuis des décennies (en gros depuis 1945) par la domination nationale de Fédération Nationale des Ports et Docks CGT.

Cependant une histoire plus fine du syndicalisme portuaire français qui descendrait au niveau de chaque ville portuaire reste à écrire tant les histoires sont variées. La FNPD CGT seule ou très majoritaire chez les dockers n’a jamais été seule dans les ports autonomes (ou dans les concessions des chambres de commerce exploitant les outillages avant la création des ports autonomes). La constance et la vigueur de la lutte de classe dans les ports maritimes explique que le pouvoir capitaliste s’y exerce sous la forme d’une sorte de bicéphalisme : l’Etat toujours très présent pour la défense des intérêts bourgeois supérieurs (les ports surtout les plus grands sont des lieux stratégiques pour le commerce extérieur de la France et y compris des cibles militaires sensibles) qui décide à certains moments où la lutte des classes perd en intensité de restructurer le système et un patronat privé très composite assurant le fonctionnement régulier.

Cette lecture du rapport de classe dans le rapport employeur/syndicat peut d’ailleurs être étendue à tous les secteurs d’activité. Que ce soit au niveau national ou au niveau des entreprises le face à face patronat/syndicat est constant. Ainsi dans la gestion de la sécurité sociale les confédérations sont régulièrement face au patronat que ce soit à la Caisse nationale d’assurance maladie ou à la Caisse nationale vieillesse ou à l’AGIRC/ARRCO, au niveau des secteurs professionnels les fédérations syndicales rencontrent les fédérations patronales correspondantes pour les négociations de branche et au niveau des entreprises, dans les grandes le DRH connait individuellement les responsables syndicaux et dans les petites et moyennes le patron connait très bien le ou les délégués là où il y en a .

Le patronat a donc une connaissance détaillée de tout ce qu’on peut appeler l’encadrement syndical et il peut et sait très bien jouer des différences entre les nombreuses confédérations existant aujourd’hui en France comme il saura faire au niveau du terrain la différence entre ce qu’il nommera un responsable ou une équipe syndicale dure et une autre qui le sera moins.

Le combat pour le partage du revenu de l’entreprise entre le travail et le capital est permanent mais prend donc des formes très diverses dans cet immense champ de bataille. Enfin le pouvoir politique va à certains moments quand il veut et se sent en capacité d’utiliser son pouvoir normatif, redéfinir les règles du jeu. Dans les pays capitalistes cela se fait toujours en affaiblissant les syndicats, organes représentatifs des intérêts immédiats de la classe travailleuse.

La violente attaque sur le régime des retraites est une tentative de parachever les affaiblissements successifs du pouvoir syndical (Loi El Khomry – ordonnances Macron et réforme du Code du Travail), simultanés avec une précarisation et donc d’une désyndicalisation d’une fraction toujours plus large des actifs et un blocage des salaires laissant vide ou quasi vide le champ de la négociation collective alors que globalement les profits et les revenus du Capital sont en forte hausse. Cette aisance financière permet de mettre en place tous les systèmes d’individualisation des salaires qui génèrent une insécurité professionnelle constante et visent à marginaliser les syndicats.

La France fait donc face à une double crise de la représentativité nationale :

  • Politique puisqu’un pouvoir présidentiel excessif conduit au crépuscule de la fonction parlementaire patent ces derniers jours
  • Sociale puisque ce qu’il restait de pouvoir syndical dans le système mis en place par Ambroise Croizat à la libération et qui avait été grignoté progressivement depuis Pompidou (1967) jusqu’à Fillon est dynamité dans le projet RETRAITES.
Ce très long préambule est illustré par le cas concret qui suit

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Les années 80

Elles voient les premiers affrontements portant sur les effectifs portuaires qu’il s’agisse des personnels dockers à statut de travailleur intermittent ou des personnels salariés de droit privé des ports autonomes, établissements publics chargés de la construction et de l’exploitation des grands ports français et dont les directeurs sont des hauts fonctionnaires nommés en Conseil des Ministres.

Toute opération de « manutention portuaire » c’est-à-dire de chargement ou de déchargement de navire fait en effet intervenir d’une part des dockers intermittents à effectif régulé embauchés à la journée par des entreprises privées spécialisées, d’autre part des grutiers conduisant les grues propriétés des ports autonomes.

Ces premiers affrontements qui ont lieu dans tous les ports du monde sont le contrecoup de la transformation des techniques de manutention avec d’une part le recours massif au conteneur et d’autre part le recours à la technique de la manutention horizontale, chacune de ces deux techniques utilisées sur des navires spécialisés ayant pour effet de diminuer au moins d’un facteur dix le temps nécessaire pour manutentionner une unité de poids (une tonne de marchandise par exemple). Il ne faut pas plus de temps aujourd’hui pour charger aujourd’hui un conteneur de 40 pieds chargé de 20 tonnes de marchandises qu’il n’en fallait pour charger de une palette de 500 kilos en 1950. Le mot de révolution technologique n’est pas déplacé dans ces deux cas.

En France ces affrontements sont nombreux durs et prolongés mais ont lieu à système constant.

La démolition de ce système est l’étape suivante.

Première étape : la suppression du statut légal des dockers arraché par la loi du 6 septembre 1947, dernière loi de transformation sociale faisant suite aux grandes lois sociales des deux années précédentes : sécurité sociale, nationalisation d’EDF, statut de la fonction publique….

Il s’agit de transformer les dockers intermittents dont le nombre a beaucoup diminué dans les années précédentes en salariés permanents des entreprises de manutention. Cette guerre sociale longue, menée par un gouvernement socialiste sous présidence socialiste va déboucher sur la loi de 1992 qui a cette particularité d’avoir été appliquée intégralement dans certains ports où du jour au lendemain les dockers deviennent tous des salariés mais partiellement dans d’autres où la résistance des dockers a empêché la mensualisation de tous les dockers et permis le maintien d’un effectif résiduel de dockers intermittents.

Voici donc transformé un des deux éléments du système portuaire. Pour autant même avec des effectifs diminués la classe ouvrière portuaire n’a pas perdu de sa combativité, ce sera visible au moment du conflit de 1995 sur la retraite.

Reste sur l’agenda de la bourgeoisie la transformation du second élément du système portuaire : les ports autonomes où l’activité syndicale reste forte.

L’attaque sera conduite en 2008 par le gouvernement Fillon - Sarkozy présidant – et portera le nom de « réforme portuaire ».

L’objectif est de confier au patronat privé la gestion et la conduite des grues appartenant aux ports autonomes et de transférer les grutiers en même temps que les grues. La vente des grues au privé se fait comme dans tous les cas de privatisation de services publics à des prix modiques et les grutiers vont rejoindre les dockers dans les entreprises de manutention. Du point de vue de la lutte de classe cette opération concrétisée dans la loi de 2008 permet d’exclure des ports autonomes les ouvriers les plus combattifs et ceux dont les mouvements de grève ont le plus d’efficacité.

Cette loi concerne aussi les activités stratégiques à savoir le trafic pétrolier. Le retard pour fait de grève de l’arrivée de quelques centaines ou milliers de conteneurs ne met pas l’activité économique nationale en péril. Il n’en va pas de même pour le trafic pétrolier. Les ports autonomes nouvellement nommés grands ports maritimes sont autorisés à créer des filiales de droit privé dans lesquelles ils demeurent majoritaires pour gérer les ports pétroliers. C’est le cas de la société Fluxel à Lavéra Fos qui prend en charge la gestion des terminaux pétroliers et qui devient l’employeur des ouvriers du service pétrolier du port autonome.

Du point de vue de la lutte de classe la succession de la loi de 1992 et de la loi de 2008 vient confirmer la volonté permanente de dispersion ouvrière et d’affaiblissement de la force syndicale collective : grutiers transférés au privé dans un premier temps, ouvriers du pétrole externalisés dans un second temps. La grève du personnel des grands ports maritimes qui n’intervient plus dans les opérations de manutention est moins redoutable.

Cependant cette privatisation de la manutention n’est pas une privatisation portuaire complète. Les grands ports maritimes successeurs des ports autonomes continuent à assurer la sécurité et la gestion du domaine portuaire, entretien des quais ,des réseaux (routier, électrique) internes et de certains équipements lourds comme les cales sèches pour la réparation navale.

On ne peut exclure que l’hystérie néolibérale macronienne ne nourrisse pas une arrière pensée de privatisation totale qui mettrait cette partie du domaine public maritime, ces espaces rares du littoral remarquablement organisés et équipés depuis des siècles pour des fonctions vitales de l’économie nationale et donc cette énorme rente entre les mains de rapaces avides.

Cette inquiétude est renforcée par le fait que l’actuel premier ministre est certainement au sein de l’énarchie capitaliste néolibérale un des meilleurs connaisseurs du système portuaire français.

Le 31.01.2020

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