VIVE LA RÉVOLUTION
Accueil du site > Comment publier un article > Coronavirus : l’état d’exception comme paradigme normal de gouvernement

Coronavirus : l’état d’exception comme paradigme normal de gouvernement

dimanche 29 mars 2020, par anonyme (Date de rédaction antérieure : 29 mars 2020).

https://labogue.info/spip.php?article702

26 février 2020

Giorgio AGAMBEN

D’après Le Monde, Giorgio AGAMBEN est un philosophe italien de renommée internationale

A l’heure où le confinement devient aussi de plus en plus mental, il est bon de réfléchir collectivement sur ce qui nous tombe sur la tête : après plus d’une année de luttes sociales inédites, avec des pratiques qui laissent espérer enfin un dépassement des vieilles habitudes de contestations raisonnables digérables par le système, nous voilà plongés, pratiquement du jour au lendemain, dans un quotidien d’état d’urgence ultra-sécuritaire et militarisé jamais connu en France depuis l’Occupation [1]. Avec, malheureusement, le consentement d’une grande partie de la population, qui oublie tout esprit critique quand l’Etat, les institutions de tous bords, se cachant derrière des avis « d’experts » scientifiques, nous y exhortent. Il n’est pas question de minimiser l’importance de cette épidémie, ni de nier les précautions à prendre, mais de la mettre en parallèle avec les classiques épidémies hivernales, comme la grippe qui a tué 13 000 personnes l’hiver dernier (voir Sciences et Avenir) ou la canicule de 2003 qui a fait près de 20 000 morts (selon l’Inserm) et que l’été dernier 2019 1500 personnes sont aussi mortes de la canicule. Alors pourquoi cette accélération sans précédent de l’histoire. Quelques articles parus récemment peuvent nous aider à y réfléchir dont celui ci-dessous, publié en Italie dans le Manifesto du 26 février 2020 (et donné ici dans une traduction française d’Acta-Zone), intitulé « Coronavirus et état d’exception », émane du philosophe Giorgio Agamben. Partant des contradictions de la parole experte, il dénonce cette tendance croissante des pouvoirs à utiliser l’état d’exception comme « paradigme normal de gouvernement ». Cet article est précédemment paru dans la revue A contretemps. Cet introduction est aussi un appel urgent à partager des documents critiques sur ce qui se passe en ce moment où chacun se retrouve plus ou moins volontairement isolé brutalement de la possibilité de construire une pensée collective et encore moins une pratique.

Coronavirus et état d’exception

« Face aux mesures d’urgence frénétiques, irrationnelles et totalement injustifiées pour une supposée épidémie due au coronavirus, il faut partir des déclarations du CNR (Consiglio Nazionale delle Ricerche), selon lesquelles « il n’y a pas d’épidémie de SARS-CoV-2 en Italie ».

Et ce n’est pas tout : « L’infection, d’après les données épidémiologiques disponibles aujourd’hui sur des dizaines de milliers de cas, provoque des symptômes légers/modérés (une sorte de grippe) dans 80 à 90 % des cas. Dans 10 à 15% des cas, une pneumonie peut se développer, mais l’évolution est bénigne dans la majorité absolue. On estime que seulement 4 % des patients doivent être hospitalisés en soins intensifs. »

Si telle est la situation réelle, pourquoi les médias et les autorités s’efforcent-ils de répandre un climat de panique, provoquant un véritable état d’exception, avec de graves limitations des mouvements et une suspension du fonctionnement normal des conditions de vie et de travail dans des régions entières ?

Deux facteurs peuvent contribuer à expliquer un tel comportement disproportionné. Tout d’abord, on constate une fois de plus une tendance croissante à utiliser l’état d’exception comme paradigme normal de gouvernement. Le décret-loi immédiatement approuvé par le gouvernement « pour des raisons de santé et de sécurité publiques » entraîne une véritable militarisation « des municipalités et des zones où a été contrôlée positive au moins une personne dont la source de transmission est inconnue ou dont le cas n’est pas imputable à une personne provenant d’une zone déjà infectée par le virus ». Une formule aussi vague et indéterminée permettra d’étendre rapidement l’état d’exception dans toutes les régions, car il est presque impossible que d’autres cas ne se produisent pas ailleurs.

Considérez les graves restrictions à la liberté prévues par le décret : interdiction de sortir de la municipalité ou de la zone concernée pour toute personne présente dans la municipalité ou la zone ; interdiction d’accès à la municipalité ou à la zone concernée ; suspension des manifestations ou initiatives de toute nature, des événements et de toute forme de réunion dans un lieu public ou privé, y compris culturel, récréatif, sportif et religieux, même s’ils ont lieu dans des lieux fermés ouverts au public ; suspension des services éducatifs pour les enfants et des écoles de tous les niveaux, ainsi que de la fréquentation des activités scolaires et d’enseignement supérieur, à l’exception des activités d’enseignement à distance ; suspension des services pour l’ouverture au public des musées et autres institutions culturelles et des lieux visés à l’article 101 du code du patrimoine culturel et du paysage, conformément au décret législatif du 22 janvier 2004, n. 42, ainsi que l’efficience des dispositions réglementaires sur l’accès libre et gratuit à ces institutions et lieux ; suspension de tous les voyages éducatifs, tant dans le pays qu’à l’étranger ; suspension des procédures collectives et des activités des bureaux publics, sans préjudice de la prestation des services essentiels et d’utilité publique ; application de la mesure de quarantaine avec surveillance active des personnes ayant été en contact étroit avec des cas confirmés de maladie infectieuse généralisée.

La disproportion face à ce qui, selon le CNR, est une grippe normale, peu différente de celles qui se répètent chaque année, est évidente. Il semblerait que, le terrorisme étant épuisé comme cause de mesures d’exception, l’invention d’une épidémie puisse offrir le prétexte idéal pour les étendre au-delà de toutes les limites.

L’autre facteur, non moins inquiétant, est l’état de peur qui s’est manifestement répandu ces dernières années dans les consciences des individus et qui se traduit par un réel besoin d’états de panique collective, auquel l’épidémie offre une fois de plus le prétexte idéal.

Ainsi, dans un cercle vicieux et pervers, la limitation de la liberté imposée par les gouvernements est acceptée au nom d’un désir de sécurité qui a été induit par ces mêmes gouvernements qui interviennent maintenant pour le satisfaire. »

Giorgio AGAMBEN
26 février 2020

P.-S.

Voir d’autres textes sur http://acontretemps.org/spip.php?ar…

Note !

[1] Etonnant hasard de l’histoire, Emmanuel Macron, pour justifier le confinement, reprend une parole du maréchal Pétain, dénonçant « l’esprit de jouissance » de certains Français qui ne respectent pas les consignes :

https://www.franceinter.fr/emission…


Giorgio Agamben : « L’épidémie montre clairement que l’état d’exception est devenu la condition normale »

https://www.lemonde.fr/idees/articl…

Publié le 24 mars 2020 à 13h30
Mis à jour le 25 mars 2020 à 12h29

Propos recueillis par Nicolas Truong

Philosophe italien de renommée internationale, Giorgio Agamben a notamment élaboré le concept d’« état d’exception » comme paradigme du gouvernement dans sa grande œuvre de philosophie politique Homo Sacer (Seuil, 1997-2005). Dans le sillage de Michel Foucault, mais aussi de Walter Benjamin ou d’Hannah Arendt, il a mené une série d’enquêtes généalogiques sur les notions de « dispositif » et de « commandement », élaboré les concepts de « désœuvrement », de « forme de vie » ou de « pouvoir destituant ». Intellectuel de référence de la mouvance des « ingouvernables », Giorgio Agamben a publié une tribune dans le journal Il Manifesto (« Coronavirus et état d’exception », 26 février) qui a suscité des critiques parce que, s’appuyant sur les données sanitaires italiennes d’alors, il s’attachait à la défense des libertés publiques en minimisant l’ampleur de l’épidémie. Dans un entretien au Monde, il analyse « les conséquences éthiques et politiques extrêmement graves » qui découlent des mesures sécuritaires mises en œuvre afin de juguler la pandémie.

Dans un texte publié par « Il Manifesto », vous avez écrit que la pandémie mondiale de Covid-19 était « une supposée épidémie », rien d’autre qu’« une sorte de grippe ». Au regard du nombre de victimes et de la rapidité de la propagation du virus, notamment en Italie, regrettez-vous ces propos ?

Je ne suis ni virologue ni médecin, et dans l’article en question, qui date d’il y a un mois, je ne faisais que citer textuellement ce qui était à l’époque l’opinion du Centre national de la recherche italien. Mais je ne vais pas entrer dans les discussions entre les scientifiques sur l’épidémie ; ce qui m’intéresse, ce sont les conséquences éthiques et politiques extrêmement graves qui en découlent. « Il semblerait que, le terrorisme étant épuisé comme cause de mesures d’exception, l’invention d’une épidémie puisse offrir le prétexte idéal pour étendre (les mesures d’exception) au-delà de toutes les limites », écrivez-vous. Comment pouvez-vous soutenir qu’il s’agit d’une « invention » ? Le terrorisme tout …

La suite de l’article du Monde est payante

Extraits de l’article du Monde trouvable sur le site de merde conspiracywatch.info :

« Quand on parle d’invention dans un domaine politique, il ne faut pas oublier que cela ne doit pas s’entendre dans un sens uniquement subjectif. Les historiens savent qu’il y a des conspirations pour ainsi dire objectives, qui semblent fonctionner en tant que telles sans qu’elles soient dirigées par un sujet identifiable ».

« pour le gouvernement, il s’agit de maintenir le contrôle ».

« Tout comme les guerres ont laissé en héritage à la paix une série de technologies néfastes, il est bien probable que l’on cherchera à continuer après la fin de l’urgence sanitaire les expériences que les gouvernements n’avaient pas encore réussi à réaliser ».

« Il y a eu en Europe des épidémies bien plus graves, mais personne n’avait pensé pour cela à déclarer un état d’exception comme celui qui, en Italie et en France, nous empêche pratiquement de vivre. »

« La fausse logique est toujours la même : comme face au terrorisme on affirmait qu’il fallait supprimer la liberté pour la défendre, de même on nous dit qu’il faut suspendre la vie pour la protéger ».

Répondre à cet article

SPIP | squelette | | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0