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Coronavirus - La précarité des vendeuses d’amour en Suisse

samedi 18 avril 2020, par anonyme (Date de rédaction antérieure : 18 avril 2020).

Éleonore Sulser pour letemps.ch, 18 avril 2020 :

Aux Pâquis, le carré des rues de Berne, de Monthoux, Sismondi et Charles-Cusin a perdu de son animation. Une atmosphère étrange l’enveloppe, raconte notre reporter Boris Mabillard, qui constate que plus aucune prostituée ne hèle le passant dans ce coin de Genève.

Boris Mabillard est allé à la rencontre des travailleuses du sexe. Considérés par la loi comme des entrepreneurs indépendants, les travailleurs et travailleuses du sexe n’ont plus, depuis les annonces du 16 mars, destinées à lutter contre la propagation du Covid-19, le droit d’exercer leur métier. Or, faute de revenu, certaines prostituées, parmi celles qu’a rencontrées notre reporter, n’ont plus ni de quoi manger ni de quoi se loger. A la rue des Pâquis, l’association Aspasie qui défend leurs droits, est mobilisée pour venir en aide aux plus éprouvées.

Devenues presque invisibles aux Pâquis, elles sont là, pourtant. Les unes vivant en cachette dans l’indigence et la solitude de leurs studios, les autres continuant clandestinement leur activité…

Note de do : Et en France, qu’en est-il ? elles n’ont même plus le droit d’exercer leur métier depuis que leurs clients se font verbaliser !

« Je ne vais pas faire l’amour avec un masque et des gants »

https://www.letemps.ch/suisse/ne-va…

Publié vendredi 17 avril 2020 à 15:56
Modifié vendredi 17 avril 2020 à 16:22

Boris Mabillard

Dessin d’illustration. — Nicolas Vaudour pour Le Temps

Depuis le confinement, la prostitution est interdite. Les travailleurs du sexe, hommes et femmes, ont perdu leur salaire et, parfois, leur logement. L’indigence guette les plus précaires d’entre eux. L’association Aspasie leur vient en aide, mais la situation se détériore

La bise matinale siffle sur les Pâquis, au bout du Léman, à Genève, comme un géant soupire. Un poison qui transperce les paletots et contraint les rares passants à rabattre les cols des manteaux. Une atmosphère étrange enveloppe ce quartier d’ordinaire si animé. Aucune prostituée n’aguiche plus le chaland dans ce coin de ville, un carré délimité par les rues de Berne, de Monthoux, Sismondi et Charles-Cusin, où depuis des lustres la prostitution a pignon sur rue. Tamara (nom d’emprunt) ne se hasarde plus sur le pavé, depuis que le coronavirus en a chassé les filles. Elle craint d’ailleurs encore plus l’épidémie que les policiers chargés de faire respecter l’interdiction de la prostitution, édictée le 16 mars dernier. Au regard de la loi, les travailleuses et travailleurs du sexe (TDS) sont des entrepreneurs indépendants et, à ce titre, paient charges sociales et impôts. Avec l’impossibilité d’exercer leur métier, les plus précaires d’entre eux n’ont plus de quoi manger ni de lieu où dormir.

Au naturel, bien que sa chevelure se rebelle et montre le blanc des racines, comme ses ongles le vernis écaillé, Tamara fait dix ans de moins que son âge, la quarantaine avancée. En tenue de jogging sous son manteau, chaussures de gym et bas de training, elle porte un t-shirt court presque moulant. Elle a descendu son masque sous le menton, peut-être pour mieux se faire comprendre malgré son accent sud-américain. Elle a grandi en République dominicaine et est arrivée à Genève il y a plus de vingt ans. « J’ai une double vie, la journée je travaille comme prostituée et la nuit je retrouve ma fille qui ne sait rien de ce que je fais pour vivre. Du jour au lendemain, j’ai perdu tous mes revenus. Même pour manger, je n’ai plus assez », explique Tamara, qui suit scrupuleusement les consignes de confinement : « C’est très contagieux ; je ne peux pas faire l’amour avec un masque et des gants. Je dois pouvoir embrasser le client. »

Vivre avec 75 francs par semaine

Rue des Pâquis, dans les locaux d’Aspasie, l’association fondée par Grisélidis Réal et qui a pour vocation de défendre les droits des TDS, le vestibule a été réaménagé pour permettre d’accueillir les visiteurs, tout en respectant les consignes de distanciation sociale. Le décor est sobre et moderne, cependant chaleureux. Un grand miroir doré, des fleurs de papier et des dessins stylisés de boudoirs donnent une touche baroque à la pièce centrale. Tamara est venue chez Aspasie pour qu’on l’aide à obtenir une allocation pour perte de gain (APG). Isabelle Boillat, l’une des deux coordinatrices de l’association, se démène pour répondre à toutes les requêtes alors que les téléphones sonnent sans cesse : « Aspasie n’a jamais été autant sollicitée. Nous soutenons financièrement les TDS qui n’ont plus rien, à raison de 150 francs toutes les deux semaines, et nous les orientons aussi vers les structures qui peuvent les aider. »

Durant les premiers jours du confinement, l’association a été prise d’assaut, explique Isabelle Boillat. « Sur les 600 à 800 TDS actifs sur le canton, trois quarts travaillent dans des salons de massage ou racolent sur la voie publique, détaille-t-elle. Les plus vulnérables, une majorité de femmes, viennent de l’UE, d’Espagne, de Roumanie et de Hongrie surtout, au bénéfice d’un permis de 90 jours. Souvent, elles vivent sur le lieu des passes, dans le salon de massage ou dans les studios qu’elles sous-louent à prix d’or. Après avoir perdu le droit de travailler, elles n’avaient plus rien. Nous avons alors créé un fonds d’aide d’urgence grâce auquel nous avons dépanné plus de 150 TDS. Mais, malgré les dons importants que nous avons reçus, nous serons bientôt au bout de nos ressources. »

Aspasie travaille, autant que possible, avec les gérants des salons, les partenaires sociaux et les forces de l’ordre. « Pour atténuer les effets brutaux du confinement, nous avons essayé de convaincre certains propriétaires de salons de laisser les TDS y dormir sans percevoir de loyer. Certains ont joué le jeu, mais pas tous, loin de là. »

La constellation des « salons »

Le terme « salon » est un raccourci de « salon de massage », mais il désigne surtout une série de lieux de tolérance qui vont de la maison close rose bonbon avec ses velours à l’appartement en colocation à peine meublé où travaillent des TDS. Caty (nom d’emprunt) a deux salons sans prétention dont l’un rue Sismondi ; elle a choisi dès le début de l’épidémie en Suisse d’être solidaire avec « ses » filles : « Lorsque la police m’a demandé de fermer mes salons, d’en chasser leurs occupantes, j’ai décidé de leur laisser la possibilité d’y dormir et d’y vivre sans payer de loyer à condition qu’elles n’y fassent pas monter de clients et qu’elles ne travaillent pas tant que cela sera interdit. J’ai expliqué que c’était aussi une question de santé et la leur avant tout. »

Avec la crise du coronavirus, l’indigence de certains TDS, surtout des femmes, précise Isabelle Boillat, a tellement augmenté qu’il a fallu trouver de quoi les ravitailler. L’association Swiss Gambia Solidarity créée par Francesca Olivetti distribue, entre autres activités, de la nourriture aux nécessiteux. Les bénévoles de l’association font une tournée avec des plateaux-repas qui les mène de la place de la Navigation au parc des Cropettes, en passant par la rue de Monthoux. « Un tiers des bénéficiaires sont désormais des prostituées et pour ce volet du programme, nous jouissons du soutien d’Aspasie », détaille Francesca Olivetti. « Au départ, elles attendaient notre passage dans la rue, mais cela a posé des problèmes, car clients et policiers pensaient qu’elles racolaient. Depuis, elles viennent prendre livraison de leurs paniers directement dans notre permanence rue de Berne. C’est mieux ainsi, car au moins elles sortent. A force de gamberger seules dans leurs petits apparts, elles deviennent folles. »

Des dealers qui portent le masque

Rue Rossi, dans l’ombre froide d’un immeuble vitré, des piétons esseulés cherchent un rapport tarifé. Ils font des huit autour du pâté de maisons connu pour abriter de nombreux salons érotiques. Une silhouette furtive disparaît dans une encoignure, un client potentiel ramène son bec, mais trop tard, la belle de jour a disparu et claqué la porte ; au même moment, une patrouille de police pointe son nez. Un jeu de cache-cache où les proies ne sont pas toujours les souris.

Un dealer qui prétend être Sénégalais malgré un accent anglophone s’amuse de la scène : « Si tu cherches tu trouves, je peux trouver la copine qui travaille et te filer ce qu’il faut pour s’amuser… » Il soulève son masque et recrache dans sa paume nue une boulette de coke enveloppée dans un film de plastique. Le masque est totalement inutile : « On le porte tous ici, c’est pratique et ça fait sérieux. » Impossible d’acheter des masques chirurgicaux normaux dans les pharmacies des Pâquis. En revanche, la plupart des kiosques en vendent pour 2 francs l’unité.

Arrestations en flagrant délit

Si les filles ont déserté les trottoirs, les clients, eux, continuent de déambuler comme des âmes en peine. Tamara explique que certains de ses « amis » l’appellent sans cesse pour quémander une rencontre. « En revanche, aucun ne m’a proposé de l’aide », regrette-t-elle. Le confinement est d’autant plus dur que les prostituées n’osent mettre un pied dehors de peur d’être accostées par les michetons et de risquer ainsi une amende salée pour avoir violé l’interdiction de travailler. « Selon les témoignages que nous avons recueillis, la police se montre particulièrement zélée ; de plus en plus de TDS se sont faits arrêter ces derniers jours en flagrant délit et sont désormais passibles d’une ordonnance pénale », déplore la coordinatrice d’Aspasie.

Quant aux prostituées qui contreviennent à l’interdiction, « elles ne sont pas très nombreuses et doivent se cacher », continue Isabelle Boillat. Tamara voit d’un mauvais œil que certaines travaillent, et pas elle. Elle préférerait que toutes suivent les mêmes règles. En même temps, elle comprend que certaines n’aient pas le choix et doivent faire une passe ou deux, « juste pour survivre ».

Les prostituées en péril

La chape du confinement rend les filles invisibles, les unes vivant en cachette dans l’indigence et la solitude de leurs studios minuscules, les autres continuant dans la clandestinité leur activité. « Avec tous les risques que cela peut susciter, insiste Isabelle Boillat, car nous ne pouvons leur venir en aide, faute de savoir où elles sont. A cause de cette crise, nous nous trouvons dans une situation comparable à celle qui prévaut dans les pays abolitionnistes avec pour conséquence principale la précarisation des TDS. »

Après l’annonce faite jeudi par le Conseil fédéral, un certain flou régnait sur la prostitution. Les professionnels du sexe seront-ils considérés comme des masseurs ? Reprendront-ils du service le 27 avril comme les coiffeurs ? La question revient sans cesse, mais la réponse est décevante, explique Isabelle Boillat : « L’ordonnance 2 COVID-19 du 13 mars 2020 a été modifiée. Mais les salons érotiques, les services de prostitution, y compris ceux proposés dans des locaux privés resteront fermés jusqu’à nouvel ordre. C’est problématique car la situation actuelle ne peut durer plus longtemps, il y a urgence. Près d’une dizaine de femmes vont se retrouver sans abri cette fin de semaine et certaines d’entre elles ont des enfants en bas âge. Je garde espoir que la ville de Genève entre en matière sur une demande que nous avons faite et qu’elle nous offre des hébergements d’urgence. »


Pour aller plus loin, un épisode de « Brise Glace » sur le même thème :

https://shows.acast.com/brise-glace…

Charles, trentenaire genevois, a fait le choix de devenir travailleur du sexe. Il se donne un an pour déterminer si le métier lui plaît. Dans cet épisode, il nous parle de ses doutes face aux clients, de ses joies de « thérapeute », et de la colère que lui inspirent les préjugés

Dans la vie de Charles, travailleur du sexe

30 mai 2018 - 23’36

Cliquer ici pour télécharger l’audio-vidéo

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