VIVE LA RÉVOLUTION
Accueil du site > Comment publier un article > Otpor - Canvas - Changements de régime clés en main - Une inspiration (...)

Otpor - Canvas - Changements de régime clés en main - Une inspiration américaine

dimanche 7 juin 2020, par anonyme (Date de rédaction antérieure : 7 juin 2020).

Changements de régime clés en main

Une inspiration américaine

https://www.monde-diplomatique.fr/2…

Décembre 2019, page 19

Ana Otašević

C’est chez le politiste américain Gene Sharp (1928-2018), parfois présenté comme le « Machiavel de la non-violence », que l’équipe d’Otpor !, puis de Canvas, a puisé les fondements théoriques de son action (lire « Changements de régime clés en main »). Cet idéologue appartenait au cercle étroit des stratèges américains réunis au sein du Centre pour les affaires internationales de l’université Harvard (1), fondé en 1958 par Thomas C. Schelling avec M. Henry Kissinger, ainsi que Robert R. Bowie et Edward Mason. Il compte parmi ses anciens membres des conseillers du pouvoir et les théoriciens américains des relations internationales les plus influents, comme Zbigniew Brzeziński, Samuel P. Huntington ou Joseph Nye.

Schelling, qui a préfacé le livre le plus connu de Sharp (2), a été distingué en 2005 par le prix de la Banque de Suède en sciences économiques en mémoire d’Alfred Nobel (improprement appelé « prix Nobel d’économie ») pour avoir « amélioré notre compréhension des mécanismes de conflit et de coopération par l’analyse de la théorie des jeux ». Défendant la « diplomatie de la violence », il a promu l’idée selon laquelle « le pouvoir de nuire est le pouvoir de négocier (3) » et prôné la nécessité d’une contrainte qui aille au-delà de la dissuasion.

Le centre a également eu pour contributeur David Galula (1919-1967), un officier français qui fut témoin de la révolution chinoise, puis de la guerre civile en Grèce, avant de commander une compagnie durant la guerre d’Algérie. Invité à Harvard par le général William Westmoreland, futur commandant des troupes américaines au Vietnam, il développa en 1964 une théorie de la guerre contre-révolutionnaire fondée sur des méthodes psychologiques, politiques et policières plutôt que sur des méthodes militaires classiques : « On pourra, dans ces circonstances, préférer une ronéo à une mitrailleuse, un médecin militaire qualifié en pédiatrie à un spécialiste des mortiers, du ciment à du barbelé et des employés de bureau à des fantassins (4). » Méconnue en France, l’œuvre de Galula est depuis 2005 distribuée aux stagiaires de l’École de guerre américaine. Dans sa préface à son ouvrage-phare, l’ancien commandant de la coalition militaire en Irak, le général américain David Petraeus, présente le stratège comme le « Clausewitz de la contre-insurrection ».

Sharp a rejoint le centre en 1965. Il a consacré trente ans de sa carrière universitaire aux recherches sur les mouvements sociaux dans le contexte de la guerre froide. Il considère qu’une défense impliquant des civils peut être plus sûre et moins chère que la dissuasion nucléaire ou une guerre classique. Selon lui, les coups les plus efficaces contre un système sont ceux portés par des actions non violentes susceptibles de mobiliser un nombre suffisant de partisans pour ébranler les piliers du pouvoir — université, armée, police, médias , de sorte que ceux-ci cessent d’en être des soutiens.

Dans l’esprit de la doctrine Reagan sur la « promotion de la démocratie » dans le monde, Sharp a fondé en 1983 avec quelques collaborateurs — dont Schelling, qui siégeait à son conseil — l’Albert Einstein Institution. Des fonds publics assurent son financement par l’intermédiaire de la Fondation nationale pour la démocratie (NED) et de l’Institut républicain international (IRI) (5). Les écrits de Sharp ont notamment inspiré les gouvernements baltes dans leur lutte contre le pouvoir central soviétique au début des années 1990. L’ancien ministre de la défense lituanien, M. Audrius Butkevičius, disait à l’époque qu’il préférait posséder un livre de Sharp plutôt que la bombe atomique (6).

Ana Otašević
Journaliste.

(1) Center for International Affairs, rebaptisé en 1998 Weatherhead Center for International Affairs.

(2) Gene Sharp, The Politics of Nonviolent Action, Porter Sargent, Boston, 1973.

(3) Thomas C. Schelling, « The diplomacy of violence », dans John Garnett (sous la dir. de), Theories of Peace and Security : A Reader in Contemporary Strategic Thought, Palgrave MacMillan, Londres, 1970.

(4) David Galula, Contre-insurrection. Théorie et pratique, Economica, Paris, 2008 (1re éd. : 1964).

(5) Ruaridh Arrow, « Correcting attacks against Gene Sharp », How to Start a Revolution, 27 mai 2019, www.howtostartarevolution.org

(6) « Gene Sharp, 2012 », The Right Livelihood Foundation.

Répondre à cet article

SPIP | squelette | | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0